Aventure sur l'Albatros
- Patricia !
Notre amie de dix ans se retourna et aperçut son copain Olivier de l'autre côté de la cour de récréation de leur école.
Il courut vers elle.
- Tu m'as raconté tes incroyables aventures sur des bateaux, dit-il. J'en connais un qui traîne, abandonné, dans le port. L'Albatros. Un grand porte-conteneurs, vide. Je passe parfois près de lui en retournant chez moi après les cours et je l'observe. Je ne vois jamais personne. On pourrait y monter et le visiter à deux. Une passerelle y donne accès.
- Bonne idée ! lança notre amie. Allons-y samedi matin ?
- Je t'attendrai le long des quais. Mais hier soir, enfin, dans la nuit, je me suis éveillé. J'ai regardé par la fenêtre de ma chambre. La maison de mes parents se trouve sur la colline. On voit les réverbères du port. L'Albatros stagne tout au bout. Et pour une fois, j'y ai vu des lumières...
- Sur le bateau ?
- Oui, deux faisceaux de lampes de poche, je crois.
- Allons voir, mais restons prudents. Ce sont peut-être des voleurs...
Nos deux amis se retrouvèrent au port dans la matinée du samedi. Passant sous les grues qui chargeaient et déchargeaient des grands navires, longeant des entrepôts et contournant les wagons d'un train de marchandises, ils parvinrent devant l'Albatros.
Ils le regardèrent un instant en silence.
Patricia observa ce bateau avec émotion. Ça lui rappelait tant d'aventures...
Découvre ou relis : Patricia 2 : L'assassin est juste derrière toi. Patricia 3 : Un SMS de trop. Et Patricia 5 : L'étoile des mers.
Aucun signe d'occupation, aucune lumière allumée. Une passerelle pourtant invitait à monter à bord.
Ils l'empruntèrent et atteignirent le pont principal.
Un escalier extérieur menait aux quatre étages du bateau.
Au rez-de-chaussée, les deux enfants entrèrent dans des cuisines désaffectées, puis passèrent dans une salle à manger.
Au premier étage et au deuxième, des couloirs menaient aux cabines des marins. La plupart des portes étaient fermées à clé.
Au troisième étage ils découvrirent des cabines plus spacieuses. Celles du commandant et de son second, sans doute. Chose étrange, un drone traînait sur un bureau. Qui l'avait laissé là?
- Pas mal, fit Olivier. Mon oncle possède le même.
- Tu sais faire fonctionner ça ? demanda Patricia.
- Oui, il m'a appris.
Au quatrième étage se trouvait le poste de pilotage. L'endroit leur sembla désert, comme partout ailleurs.
Les deux amis observèrent les divers instruments et saisirent même la barre, le volant du navire. Derrière eux un escalier intérieur menait tout en bas. Ils le suivirent et redescendirent au niveau du pont principal.
Là, une porte étroite, en fer, fermée par un verrou, donnait accès à la salle des machines par un escalier étroit. Des lourdes caisses en bois traînaient, empilées en une colonne instable.
- Voilà peut-être l'explication des lumières que tu as vues l'autre nuit, dit Patricia. Ce bateau abandonné sert de cachette à des bandits. Ces caisses contiennent sans doute des armes ou des objets qu'ils ont volés.
- On devrait aller le dire à la police, suggéra Olivier.
- Ils ne nous croiront pas, craignit son amie. Si on jouait d'abord à cache-cache ?
- Bonne idée ! accepta le garçon. Tu comptes et...
- Chut ! fit Patricia le doigt sur la bouche. Écoute !
Nos deux amis se précipitèrent sur la dunette, cette terrasse au quatrième étage d'où on peut voir partout et très loin.
Quatre individus montaient par la passerelle. Deux femmes et deux hommes. Tous des jeunes entre 18 et 20 ans environ.
Les voleurs, songèrent les enfants au bord de la panique.
- Vite, suis-moi, lança Patricia. Allons nous cacher. Il est trop tard pour quitter le bateau. Ils nous verraient. Je connais un endroit où ils ne nous trouveront pas.
Notre amie se souvenait de ses aventures terribles sur des cargos où elle avait dû se cacher pour échapper à des bandits, je te l'ai dit, cher lecteur.
Les deux enfants se précipitèrent dans l'escalier central, tandis que les quatre individus montaient par les marches extérieures.
- Viens avec moi à la cale des machines, dit Patricia. Je connais une bonne cachette.
Ils passèrent à côté des caisses empilées, puis empruntèrent l'escalier étroit qui menait au fond du bateau. Il y faisait sombre. Une pâle ampoule allumée éclairait à peine.
- Glissons-nous à plat ventre sous ce réservoir. Vite !
Le sol était gras de cambouis, la graisse des moteurs du bateau.
-Vite, répéta son amie. J'entends quelqu'un qui vient.
Ils allaient tacher leurs vêtements, peut-être même de manière irrécupérable, mais les parents préfèrent retrouver des enfants sales et vivants que morts bien propres...
Ils entendirent un bruit de chaîne.
- C'est quoi, ça ? murmura Olivier.
- Ils lèvent l'ancre, répondit Patricia dans un souffle.
Un homme descendait par l'escalier étroit. Il passa près d'eux sans les voir.
- Abaisse la poignée et tourne la clé de commande, cria une voix venue de là-haut.
L'individu manipula un levier et nos amis entendirent un ronronnement de moteur. Le navire allait quitter le port.
L'homme remonta mais ferma la porte en fer et poussa le verrou avant de s'éloigner.
- On est enfermés... dit Olivier.
- Oui, mais si on crie, si on appelle, ils nous entendront et ils nous tueront ou nous jetteront aux requins en plein océan...
Une heure passa.
Nos amis qui s'acharnaient à tenter d'ouvrir la porte, mais en vain, entendirent de nouveau des voix.
- Va voir la jauge.
- Bon, je descends.
Les deux amis se précipitèrent à leur cachette.
Une jeune femme passa près d'eux, se baissa, leur tournant le dos, puis cria :
- Il reste un tiers. C'est bon.
Elle remonta ensuite l'escalier, mais ne ferma pas la porte en fer.
- On peut sortir, dit Patricia. Suis-moi, vite!
- Oui, mais pour aller où ? interrogea le garçon. On est en mer...
Parvenus sur le pont principal, ils remarquèrent que le bateau s'éloignait du port mais longeait la côte à quelques centaines de mètres des hautes falaises.
- On est trop loin pour sauter à l'eau... murmura Olivier.
- Il faudrait les attirer en bas, dans une des cales, tous les quatre, et les enfermer, songea tout haut son amie.
- Bonne idée, réfléchit le garçon, mais comment ?
- Tu te souviens de la pile de caisses, en haut de l'escalier, près de la porte ? Si on réussissait à en pousser une, elle tomberait dans les marches, et ça ferait un grand bruit. Ils viendraient sans doute voir...
Les deux enfants retournèrent près de l'escalier.
Ils appuyèrent contre une des caisses, celle du dessus. Elle leur parut bien lourde. Elle dégringola à grand fracas en se brisant et en répandant son contenu sur les marches. Des objets métalliques. Surtout des vis et des écrous.
Patricia saisit la main de son copain et ils se précipitèrent dans une étroite cabine de l'étage pendant que les autres descendaient voir le désastre après avoir glissé la commande des moteurs sur « stop » en haut, au poste de pilotage.
Dès que ces quatre individus se retrouvèrent dans l'escalier menant à la cale des machines, Olivier bondit dans le couloir et claqua la porte en fer derrière eux. Il poussa ensuite le verrou d'un geste brusque.
Les deux amis entendirent des cris et des appels.
Ils ne répondirent bien sûr pas. Au contraire, ils grimpèrent en courant au quatrième étage.
- Que fait-on ? demanda Olivier.
- On remet le moteur du bateau en marche et on ramène le navire au port, dit son amie.
- Tu sais conduire un porte-conteneurs de 50.000 tonnes toi sans doute... fit le garçon.
- Oui, dit Patricia. J'ai appris lorsque j'étais sur le cargo « L'étoile des mers ». Il a bien fallu. Tous les membres de l'équipage étaient malades, à moitié évanouis dans leurs cabines. J'étais la seule debout, avec mon petit frère.
Découvre ou relis la passionnante aventure de notre amie : L'étoile des mers, Patricia n°5.
Olivier regarda sa copine avec admiration.
Comme elle est formidable ! songea le garçon. Quelle chance qu'elle soit mon amie !
Elle remit le moteur en marche en glissant le levier sur « Start ». Elle saisit la barre qui servait de volant au navire et regarda par les hublots donnant sur l'océan.
Le bateau longeait encore les falaises, à droite.
Patricia lui fit faire un large demi-tour, puis le dirigea vers le port qu'ils venaient de quitter il y a une heure. On l'apercevait au loin.
- Quand on arrivera, gare aux secousses, dit notre audacieuse aventurière. Je ne promets pas de glisser ce bateau le long des quais sans le cogner ou sans accrocher un autre navire... Je n'ai jamais conduit ce genre d'engin qu'en pleine mer, loin des côtes.
Enfermés dans les cales, les quatre jeunes baissèrent un levier. Celui qui commandait le fonctionnement du moteur.
Les trépidations cessèrent.
Le bateau, à présent, s'éloignait de la côte, doucement entraîné vers le large par les forts courants marins de l'endroit.
- Zut, lança Patricia. On n'avance plus comme je veux. Ils ont coupé la commande des machines. On dérive vers l'océan.
- Le drone, dit soudain Olivier.
- Tu sais vraiment te servir de ça ? Que veux-tu en faire ?
- On va écrire un message et l'attacher au drone. Puis je le guiderai vers notre ville, jusque dans la cour de récréation de notre école. On est samedi. Quelques copains et copines y jouent souvent au football. Ils seront impressionnés en le voyant atterrir près d'eux. Ils liront le message et préviendront nos parents et la police. Risquons, tant qu'on ne s'éloigne pas trop du port.
Patricia saisit une feuille de papier sur un bureau et écrivit :
Nous sommes sur un bateau au large des côtes. Un énorme porte-conteneurs appelé « Albatros ». Des bandits nous y ont enfermés mais nous avons réussi à nous libérer et à les tenir prisonniers à leur tour. Ils bloquent le fonctionnement des moteurs du bateau. Prévenez nos parents et la police. Urgent. Merci. Patricia et Olivier.
Ils ajoutèrent les numéros de téléphone de leurs parents.
Notre amie plia la feuille et l'attacha solidement au corps du drone.
Son copain mit l'appareil en marche.
Bientôt, les hélices le firent s'envoler par une fenêtre ouverte.
Le garçon lui fit survoler la mer puis le port.
- Attention aux flèches des grues, dit Patricia. Essaye de le faire monter un peu plus haut.
Mais notre amie était en admiration devant les prouesses de son copain.
Olivier fit passer le drone au-dessus des hangars, puis lui fit suivre le boulevard qui mène au centre de la ville. Il prit à droite l'avenue qui passe devant leur école.
Ils virent apparaître la cour de récréation sur l'écran.
Une dizaine de garçons et de filles jouaient au ballon en ce samedi matin. Ils levèrent les yeux, ébahis, en voyant le drone descendre vers eux, puis se poser doucement sur le sol.
Olivier avait suivi le trajet sur l'écran et mené l'appareil parfaitement en survolant les rues puis en le faisant atterrir dans la cour de leur école.
Les enfants s'approchèrent et détachèrent le message.
- Nos amis nous demandent de les aider, lança un garçon. Vite, téléphonons à leurs parents.
Une heure plus tard, Patricia et Olivier virent une vedette de la police maritime se diriger vers l'Albatros.
Nos deux amis descendirent sur le pont principal du navire.
Ils tournèrent une manivelle pour installer la passerelle quand le bateau des gendarmes vint se placer à côté du grand navire.
- Quatre bandits sont montés à bord du bateau, expliqua Patricia. Nous nous sommes d'abord cachés dans la salle des machines, tout en bas. Et sans le savoir, ils nous ont enfermés en poussant un verrou. Mais nous avons réussi à en sortir.
- Nous les avons attirés là-dessous, en renversant une caisse dans l'escalier, ajouta Olivier. Ils sont descendus voir les dégâts et nous les avons laissés là en tirant le verrou en fer.
Les policiers s'approchèrent de la porte et l'ouvrirent, arme au poing.
- Allez, sortez de là, lancèrent-ils.
Les quatre jeunes levèrent les bras et tout le monde se retrouva au poste de pilotage.
Les moteurs venaient d'être remis en route et l'Albatros revenait vers le port, conduit par un pilote que les policiers avaient amené avec eux.
L'interrogatoire fut rondement mené.
Mais, surprise, ces jeunes n'étaient pas du tout les voleurs ou les trafiquants que nos amis supposaient.
Après vérification, tous découvrirent que c'étaient des étudiants venus d'une célèbre université. Ils louaient ce vieux navire laissé à quai depuis longtemps pour longer les falaises et étudier la vie des macareux, ces oiseaux qui vivent en mer, sauf quand ils pondent leurs œufs. Ils sont d'excellents plongeurs et se nourrissent entre autres de poissons.
Policiers, étudiants et parents rirent avec beaucoup d'humour de nos amis et l'aventure, qui aurait pu mal finir, se termina par une généreuse accolade un fois le bateau revenu à quai.