Le talisman des druides
Jean-Claude et sa sœur Christine passaient quelques jours de vacances en Bretagne en compagnie de leurs amis Philippe et Véronique. Les parents louaient une petite maison entourée d'un grand jardin, presque un parc, plutôt en friche.
Explorant ce bel espace sauvage, les quatre amis découvrirent sous les ronces et les orties une énorme roche qui ressemblait à un menhir.
Ces sont des monuments mégalithiques, pierres allongées, dressées verticalement. Tu en trouveras surtout en France, en Angleterre et même en Belgique, au village de Wéris.
Il était enfoncé, fort penché dans le sol, et semblait prêt à tomber. Le temps et les mouvements de terrains avaient dû avoir raison de cette pierre levée qui s'était peu à peu inclinée.
Ils se trouvaient dans cette passionnante région de Bretagne où l'on voit de nombreux menhirs. Ils forment parfois des impressionnants alignements qui en comportent plusieurs milliers. Mais dans certains prés et champs cultivés, on peut en découvrir quelques isolés.
On visite, pas loin de là, les célèbres tumulus qui sont des souterrains à voûte basse et au fond desquels les druides enterraient leurs morts, paraît-il.
Observant la pierre inclinée au fond du jardin, ils comprirent qu'il s'agissait d'un authentique menhir. Lequel des quatre proposa de le dégager, je ne saurais le dire, mais l'idée plut à tout le monde.
Aussi, à partir de ce jour-là, chaque fois qu'ils disposaient d'un peu de temps, en revenant de la plage ou du marché, ils se précipitaient au fond du parc, avec canif, cisaille et grattoir. Certains coupaient les ronces, arrachaient les orties, fauchaient les fougères et tout ce qui entourait la roche ou s'y accrochait, tandis que les autres l'escaladaient. Ils grattaient avec un vieux couteau les mousses et les lichens incrustés dans la pierre. Le travail était dur mais le résultat promettait d'être à la hauteur des espérances.
Ils dégagèrent un menhir splendide, qui mesurait bien trois mètres hors de terre, et dont ils étaient très fiers.
Le jour où ils achevèrent leur entreprise, ils organisèrent un super pique-nique à l'ombre du magnifique rocher.
La même nuit, un violent orage éclata. Au début, les amis ne l'entendirent pas. Ils dormaient à poings fermés. Mais quand la foudre tomba une première fois au fond du jardin, précédée d'un éclair éblouissant, ils se réveillèrent en sursaut. Les quatre enfants partageaient la même chambre de la petite maison. Ils se levèrent et coururent à la fenêtre.
Le spectacle dehors était hallucinant. La pluie frappait les vitres avec une force incroyable. L'eau dégoulinait partout en véritables torrents. Le vent violent, venu de l'océan tout proche, tordait les arbres. Les éclairs se succédaient à une cadence infernale, illuminant le jardin de manière sinistre, et suivis quasi simultanément par des coups de tonnerre assourdissants. La nature semblait en folie. Soudain, ils virent la foudre tomber exactement sur leur menhir.
Inquiets, ils appelèrent les parents. La foudre se précipita une deuxième fois puis une troisième fois sur la pierre inclinée. Ils observaient le phénomène impressionnant, serrés les uns contre les autres, se demandant si la fin du monde n'était pas arrivée.
Six fois la foudre s'acharna sur le menhir. Après la sixième fois, l'immense pierre levée fut brisée en deux. Le haut du rocher tomba lourdement sur le sol. Et sur la tranche de la fracture, apparut un objet qui brillait.
L'orage se calma peu à peu et s'éloigna. Il pleuvait toujours fort. On entendait encore gronder le tonnerre, mais l'averse se faisait moins violente.
-Allons voir, murmura Christine.
-Oui, tu as raison, ajouta son frère. Vite.
Comme il pleuvait encore fort, les garçons enlevèrent leur pyjama, passèrent rapidement un short ou un jean et sortirent torse nu. Les filles sautèrent dans leurs maillots de bain. Le papa, intrigué de voir les quatre enfants filer vers le jardin sous cet orage, les suivit sous la pluie.
Arrivés près du menhir, ils se firent la courte échelle et réussirent à extraire la chose qui brillait. Une pierre de la taille d'une orange. Sa forme évoquait un cône. La base, au lieu d'être plate, était arrondie en demi-sphère. Transparente, elle ressemblait à un diamant. C'était peut-être un cristal de roche.
Nos amis revinrent à la maison trempés. Ils se changèrent et déposèrent fièrement la pierre dans leur chambre.
Le lendemain par curiosité, ils décidèrent d'aller jusqu'à la petite ville, à dix kilomètres de là, pour faire expertiser leur trouvaille. Ils voulaient savoir si c'était une pierre précieuse, semi-précieuse ou si elle était sans valeur.
Ils partirent à vélo et arrivèrent au centre du bourg. Ils entrèrent ensemble dans la boutique du bijoutier.
-Bonjour les enfants, dit le vendeur.
-Bonjour monsieur, répondit Philippe. Nous venons de découvrir une pierre au fond de notre jardin et nous voudrions connaître sa valeur.
Le bijoutier la prit en main, la tourna, la retourna. Il l'observa ensuite à la loupe.
-Curieux, murmura le marchand... Une taille très ancienne... Je n'en ai jamais vu une pareille. À la fois simple et efficace. Et cette roche contient une inclusion, nous appelons cela un crapaud.
En plein centre du cristal, dans sa masse même, se trouvait une petite pierre d'environ trois millimètres de diamètre. Nos amis ne le savaient pas, ne l'ayant pas remarquée.
-Chose étrange, ajouta le commerçant, cette pierre incluse est également taillée. C'est un rubis. Comment peut-on tailler un rubis au centre d'un cristal de roche ? Je ne comprends pas. C'est une jolie pierre, les enfants. Je vous en offre une belle somme. Deux cent cinquante euros.
C'était une belle somme pour quatre enfants en vacances. Malgré cela, ils refusèrent de s'en séparer, pensant qu'elle valait peut-être bien plus. Ils remercièrent le bijoutier et exécutèrent les achats que les parents de Jean-Claude et Christine leur avaient demandés.
Entre autres courses, il s'agissait d'acheter des cartes postales pour écrire à la famille et aux amis. En choisissant les images, tout à coup, Véronique appela ses copains.
-Venez voir ce que j'ai trouvé. Regardez.
Elle tenait une carte postale qui montrait un alignement de menhirs, pris en photo aérienne. Cet alignement avait la même forme que leur cristal. Au centre de ces pierres levées, il s'en trouvait une plus haute et plus large que les autres. Elle se situait exactement à l'emplacement du rubis placé dans leur pierre précieuse.
-On devrait aller voir cela sur place, proposa Christine.
-Bonne idée, se réjouirent les autres.
-L'endroit s'appelle «l'alignement du druide», ajouta Véronique, en retournant la carte postale. Je ne sais pas où il est situé. Venez, on va se renseigner.
Ils apprirent qu'il se trouvait en bordure d'un camping à une quinzaine de kilomètres de leur lieu d'habitation.
Ils retournèrent à la maison avec les provisions et les achats demandés, puis partirent l'après-midi pour le lieu-dit.
Arrivés en vue du champ, ils posèrent leurs vélos dans l'herbe et s'avancèrent entre les pierres levées. De nombreux menhirs de deux mètres de haut s'alignaient, un tous les cinq mètres, sur plusieurs rangées, en éventail. L'ensemble évoquait la forme d'un cornet terminé par une boule de glace. La même que celle de leur pierre, qu'ils emmenaient avec eux.
Au centre de cet alignement se dressait un rocher un peu plus haut et un peu plus large que les autres. Le sommet de ce menhir paraissait tout à fait plat, alors que la plupart des autres étaient pointus. Véronique proposa d'y monter pour observer la surface plane.
Philippe s'adossa à la pierre levée et croisa ses bras bien serrés sur le ventre. Son amie enleva ses baskets, mit son pied droit sur les mains du garçon et se hissa. Elle posa ensuite le pied gauche sur son épaule, puis amena le premier sur l'autre épaule. Ainsi perchée, elle glissa la main au sommet du menhir.
-C'est tout lisse, expliqua Véronique. On dirait que quelqu'un a coupé cette pierre à l'horizontale. Mais au centre je sens un creux, un trou arrondi de quelques centimètres.
-Attends, s'écria Jean-Claude, cela me donne une idée.
Il sortit le cristal de sa poche.
-Vérifie si par hasard le creux que tu as découvert ne correspond pas à la base arrondie de notre pierre.
Véronique saisit le cristal et le posa dans la petite anfractuosité. Cela concordait parfaitement.
L'après-midi touchait à sa fin. Le soleil déclinait lentement vers l'horizon.
Dès qu'elle fut en place, leur pierre s'illumina, comme si elle concentrait en elle tous les rayons de l'astre de feu. Cela créa une sorte de faisceau lumineux qui ressemblait à celui d'un rayon laser. Nos amis coururent en suivant la direction empruntée par le rayon de lumière.
Il s'arrêta cent mètres plus loin sur la branche d'un arbre qui, bien sûr, n'existait pas autrefois. La branche chauffa, brûla et tomba sur le sol. Le faisceau poursuivit sa route.
Nos amis, de plus en plus impressionnés, le suivirent encore et le virent se poser sur un menhir isolé dans un champ. Ils y parvinrent après un léger détour à cause d'une clôture infranchissable et d'un petit ruisseau boueux.
Touchant la roche qui recevait la lumière, ils sentirent qu'elle chauffait. Elle se mit à rougeoyer.
Tout à coup, le phénomène s'arrêta. Nos amis, un instant intrigués, constatèrent que le rayon avait disparu.
-Peut-être qu'un nuage passe devant le soleil, réfléchit Philippe.
-Ou bien le soleil s'est couché, suggéra Christine.
-Ou bien... quelqu'un a volé la pierre, s'inquiéta Véronique.
Ils coururent aussi vite qu'ils pouvaient tous les quatre, à travers champs, ronces et plantations et revinrent à l'alignement du druide. Jean-Claude fit la courte échelle et sa sœur passa la main sur la surface plane. Le cristal n'était plus là.
Christine profita des épaules de son frère pour observer autour d'elle.
-Vite, avait crié Philippe. Regarde et tâche de voir qui a pu voler la pierre.
-Là-bas à gauche, je vois deux personnes âgées. Une grand-mère et son mari sans doute, et trois petits-enfants. Ils se dirigent vers une voiture.
-Je m'en occupe, décida Véronique. Je vais les suivre.
Elle enfourcha son vélo et se dirigea vers la petite route.
-Près des grands arbres, poursuivit Christine, j'aperçois quatre ou cinq enfants qui courent. Oui, ils vont vers un car. Ils y montent. Une colonie de vacances venue visiter les lieux. C'est peut-être eux, les voleurs.
-J'y fonce, cria Philippe. Rendez-vous à la maison.
Il redressa également son vélo et pédala le plus vite qu'il pouvait derrière le car.
-Ici, derrière la haie, ajouta notre amie en baissant un peu la voix, je vois un couple d'amoureux. Ils s'embrassent dans l'herbe, derrière la clôture.
-Je m'en charge, promit Jean-Claude en riant. Descends.
Christine, elle, se dirigea vers trois jeunes qu'elle avait aperçus, deux garçons et une fille. Ils retournaient vers leurs motos, rangées dans le parking. Ils bavardèrent un instant en mettant leurs casques, puis démarrèrent.
Elle les suivit un moment à vélo, mais l'un des jeunes partit dans une direction et les deux autres, dans une autre. Elle choisit de suivre les deux autres. Elle pédala le plus vite qu'elle pouvait. Ils se séparèrent à l'entrée de la petite ville balnéaire de Carnac. Là, elle les perdit de vue. Elle revint vers la maison.
Philippe roula derrière le car de la colonie de vacances. Mais le bus emprunta la route nationale et accéléra. Le garçon ne put plus continuer la poursuite. Il retint mentalement l'adresse de la colonie affichée sur la fenêtre arrière du véhicule. "Les colibris. Plage de Penthièvre". Il revint aussi à la maison.
Véronique s'approcha du couple âgé et des trois petits-enfants. Ils montèrent dans une voiture et roulèrent à leur aise sur les petites routes. La jeune fille les suivit longtemps. Ils arrivèrent à un hameau formé par trois maisons. Le chemin s'arrêtait en impasse. Ils entrèrent dans l'habitation du milieu et refermèrent la porte. Notre amie vit les trois petits-enfants sortir pour jouer au jardin. Rassurée, elle repartit.
Enfin, Jean-Claude attendit le couple qui s'embrassait derrière une haie. Il les vit ensuite monter dans une voiture de sport immatriculée en Irlande et démarrer en trombe. Il ne put absolument pas les suivre et les perdit de vue dès le premier tournant. Il mémorisa la plaque d'immatriculation et la marque de la voiture.
Quand ils se retrouvèrent à la maison, ils établirent leurs plans et leurs priorités. Ils décidèrent de tenter de suivre toutes les pistes possibles. Le plus facile était de commencer par la colonie de vacances.
Comment s'y prendre ? Aller sonner à la porte du home et réclamer une pierre que les gamins auraient volée ? Non, Philippe eut une autre idée.
-Voilà ce que je propose, dit-il. Le village n'est pas tellement loin d'ici. On peut faire ça à vélo. C'est au bord de la mer. Donc les enfants vont se trouver sur la plage. Je vais me présenter et demander l'accord des moniteurs pour raconter une histoire. Je vais terroriser les petits avec un récit abominable de sorcières et de pierre précieuse, dont les héros doivent absolument se débarrasser car elle porte malheur. On demandera ensuite aux enfants s'ils ont trouvé une pierre de ce genre et, impresssionnés, ils répondront à mon avis avec une certaine franchise.
Le lendemain, nos amis partirent de nouveau à vélo, en direction de cette immense plage où se trouvait la colonie de vacances.
Arrivés au lieu du séjour, on leur expliqua que le groupe jouait au bord de l'eau et on leur indiqua à quel endroit le trouver. Nos quatre amis s'arrêtèrent donc au pied des dunes, en maillot ou short tous les quatre. Il faisait très beau. Deux colonies de bambins de cinq ou six ans occupaient les lieux. Ils repérèrent la bonne.
-Bonjour, dit Philippe à l'une des cheftaines.
-Bonjour.
-Voilà, je m'entraîne à raconter des histoires.
-Oui, et alors ?
-Pourrais-je m'exercer en leur contant quelque chose ici sur la plage?
-Pourquoi pas, accepta la cheftaine. Les amis ! Qui veut écouter une histoire ?
Tous les enfants interrompirent leurs jeux et vinrent s'asseoir autour de Philippe. Alors, il se lança dans un récit abominable qu'il inventait au fur et à mesure.
« Il y avait une fois deux enfants, un garçon et une fille de votre âge. Ils partirent dans les bois pour cueillir des myrtilles. Hélas, ils s'égarèrent dans la forêt. Plus ils marchaient, plus ils se perdaient et s'enfonçaient sous les arbres. Ils n'emportaient aucune provision avec eux. Le soir tombait. Ils n'avaient plus rien mangé depuis le matin. Il pleuvait. Un orage épouvantable. La foudre et son tonnerre les effrayaient. Trempés, ils grelottaient. Le garçon et la fille s'appuyaient l'un contre l'autre pour avoir moins peur et moins froid.
« Tout à coup, ils aperçurent une petite lumière dans le bois. Pensant trouver un foyer qui les accueillerait, ils se dirigèrent vers elle. Les malheureux petits s'approchèrent d'une grille. Une pancarte indiquait : « Manoir des sorcières ».
« Glacés, affamés et perdus, ils entrèrent quand même. Ils traversèrent un jardin qui ressemblait à un cimetière. Ils virent des tombeaux partout et certains étaient ouverts. On apercevait des mains squelettiques et des pieds couverts de lambeaux de chair pourrie.
Les enfants de la colonie commençaient à avoir peur.
« Ils s'arrêtèrent devant un horrible manoir de pierres grises. Il semblait abandonné. Les carreaux étaient sales et des ferrailles sortaient de partout. Les murs rongés de plantes piquantes s'éclairaient à la lueur de l'orage.
« Ils frappèrent à la porte. Ils durent recommencer plusieurs fois, car personne ne répondait. Ils s'apprêtaient à partir quand tout à coup, on ouvrit. La femme qui apparut sur le seuil, annonça Philippe, resssemblait à une sorcière.
Les enfants de la colonie se mirent à pousser des cris. Certains mettaient leurs mains sur les oreilles pour essayer de ne plus entendre la suite.
« Son œil droit regardait en haut à gauche et son œil gauche en bas à droite. Sa lèvre supérieure était tellement énorme qu'on croyait voir une moustache. L'autre pendait sous son menton. Des gros poils lui poussaient aux coudes et aux joues. Ça la faisait ressembler à un cactus. D'une voix tout à fait cassée et criarde, elle leur demanda ce qu'ils voulaient.
« Les deux pauvres petits perdus, trempés et affamés, supplièrent de pouvoir dormir là et recevoir à manger. Ils demandèrent aussi leur chemin. La sorcière n'était jamais sortie de sa maison et ne sut pas leur répondre. Elle leur proposa d'entrer. Elle expliqua qu'elle était la sorcière qui rit toujours, mais que sa sœur, la sorcière qui pleure toujours, était très dangereuse. En effet, sa sœur, la sorcière qui pleure toujours, n'a qu'un grand plaisir dans la vie. Cuire les enfants qui viennent demander leur chemin et les manger. Puis elle regarde la télévision en suçant leurs os comme dessert.
Ceux de la colonie se regardaient terrorisés. Les moniteurs et les monitrices se demandaient s'ils avaient bien fait de laisser Philippe raconter son histoire. Mais les gamins demandaient la suite. Ils voulaient connaître la fin du récit malgré leur peur.
Philippe continua.
"Les deux pauvres enfants entrèrent dans la maison. Ils ne savaient pas encore que tous leurs ennuis venaient d'une pierre qu'ils avaient ramassée en route. Un cristal de roche brillant comme un diamant. Quand ils arrivèrent dans leur chambre, ils sortirent la pierre de leur poche. Elle changeait sans cesse de couleur et se mit à rougeoyer. Effrayés, ils la jetèrent par la fenêtre.
« Ils se couchèrent ensuite dans un lit crasseux et plein de toiles d'araignées, en se tenant chacun par leurs petites mains glacées. Ils se donnèrent un bisou et tentèrent de s'endormir.
« Pendant la nuit, ils entendirent plusieurs fois gémir la sorcière qui pleure toujours, mais elle ne réussit jamais à ouvrir la porte, car ils s'étaient débarrassés de la pierre maléfique. Elle fondit lentement dans l'herbe, dehors sous la pluie.
« À l'aube, courageusement, ils ouvrirent la fenêtre et se sauvèrent.
« Quand le soleil se leva, ils retrouvèrent leur chemin et leur maison.
Les enfants de la colonie demeurèrent un moment silencieux. Philippe en profita pour leur demander s'ils possédaient une telle pierre, parce que ce cristal pourrait leur causer des malheurs. Tous firent signe que non.
Alors le garçon les remercia et les envoya jouer. Plusieurs gamins demandèrent s'il reviendrait encore raconter des histoires les autres jours. La monitrice, impressionnée lui dit qu'il racontait bien, mais il devait essayer d'inventer des histoires qui faisaient un peu moins peur.
Nos amis revinrent chez eux. La première piste se terminait. Apparemment, les enfants de la colonie n'avaient pas pris la pierre précieuse sur le menhir.
L'après-midi, ils décidèrent de se rendre au petit hameau où Véronique avait vu le grand-père, la grand-mère, et les trois petits.
Après avoir pédalé un moment, ils parvinrent au bout de l'impasse. Véronique indiqua la maison où elle avait vu jouer les enfants. Les volets étaient fermés et la porte tout autant. Ils frappèrent à ce portail, ils tambourinèrent, mais ne reçurent aucune réponse.
Une dame âgée, qui habitait dans la maison à côté, sortit sur le pas de sa porte. Elle regarda nos amis et les appela. Ils s'approchèrent de la vieille dame.
-Vous arrivez trop tard. Ils sont partis ce matin à l'aube pour Paris. Les trois petits avec leurs grands-parents. Leurs vacances sont finies.
-C'est ennuyeux, regretta Véronique. Ils ont emporté quelque chose qui nous appartient.
-Les petits ont un objet à vous ? s'étonna la vieille dame.
-Oui, une jolie pierre.
-Ils ramassaient beaucoup de cailloux en effet. Mais allez derrière la maison. Vous y verrez une caisse bien remplie. Les grands-parents n'ont pas accepté de ramener tout cela à leur appartement en ville. C'était trop lourd. Et puis, que voulez-vous qu'ils fassent de toutes ces pierres dans un petit logement à Paris ? Vous pouvez aller regarder, peut-être que la vôtre s'y trouve.
Nos amis contournèrent la maison après avoir remercié la gentille dame. Près d'une haie, ils aperçurent une caisse où s'entassaient une cinquantaine de petits cailloux assez ordinaires comme on ramasse le long des routes. Le cristal de roche ne s'y trouvait pas. La deuxième piste s'arrêtait là.
Jean-Claude savait qu'il lui faudrait une fameuse chance pour retrouver le couple irlandais.
Mais ceux qu'ils pouvaient repérer éventuellement, c'était les trois jeunes : les deux garçons et la fille. Et justement, les parents proposèrent d'aller au restaurant ce soir-là, dans cette petite ville où Christine avait perdu les trois grands ados de vue. Une belle opportunité.
Après le repas, ils se promenèrent ensemble au centre commercial. Ils regardaient les vitrines des magasins.
Tout à coup, la chance leur sourit. Ils croisèrent les trois jeunes. Prétextant une petite course à faire, nos amis les suivirent.
Ils descendirent dans une sorte de souk installé dans une cave. On y entendait une musique assez forte. On y vendait des vêtements de marque. Nos amis y entrèrent tous les quatre. Ils écoutèrent leur conversation.
-Tiens, Paulette, je t'offre ce t-shirt couvert de pierres. Toi qui aimes bien les bijoux, tu vas adorer.
La remarque ne fut pas perdue par nos amis. Ah, elle s'appelait Paulette et elle aimait bien ce qui brille...
-Non, répondit la jeune fille. Les pierres transparentes portent malheur. Je préfère les opaques avec des couleurs vives.
Suite à cette déclaration, Christine mit les trois jeunes hors de cause. La dénommée Paulette n'aimait pas les pierres transparentes, croyant que ça portait malheur. Or leur cristal de roche était incolore et translucide. Ils décidèrent d'arrêter la piste à cet endroit-là.
Pendant quarante-huit heures, ils repensèrent encore à la pierre volée, mais comment faire pour la trouver ?
Le samedi suivant, au soir, tout près de l'alignement du druide, dans un camping, se donnait une grande fête ouverte à tous. Les parents de Jean-Claude et Christine s'y rendirent avec les quatre enfants.
Chacun pouvait se servir à un vaste barbecue. On mangeait assis le long de grandes tables très conviviales et au son de la musique. Un talabarder jouait de la bombarde. Puis on dansa sur des airs folkloriques. Nos amis entrèrent dans le cercle de ceux et celles qui s'initiaient aux pas et aux rythmes des jolies rondes bretonnes.
Et tout à coup, Jean-Claude reconnut le couple irlandais. Mais comment s'y prendre pour leur parler ? Et comment leur demander ?
Les quatre enfants se contentèrent de les observer. Ils ne portaient l'un comme l'autre aucun bijou, ni aux doigts, ni en pendentif, ni en boucles d'oreilles.
Peu avant onze heures, la fête au camping fut interrompue parce qu'un violent orage venait d'éclater. Nos amis revinrent sous l'averse à la maison.
Le lendemain matin, le soleil chassa les nuages. Les garçons partirent chercher le pain à la boulangerie. C'était leur responsabilité matinale. Ils ramenaient également le journal local que les parents aimaient bien lire. Ils y découvrirent, en première page, un article concernant les événements de la veille.
« Un violent orage a éclaté au camping du druide cette nuit. La foudre s'est acharnée sur un vieux tilleul, le tilleul aux pies, et y est tombée six fois. Une caravane et deux tentes situées tout près ont été littéralement détruites. Trois familles, gravement sinistrées, ont tout perdu. Leurs vacances se terminent dans la boue.»
Le journal montrait une photo du vieil arbre et une autre d'une des familles sinistrées. On voyait les enfants et les parents en larmes, près de leur caravane renversée.
Une fois revenus à la maison, nos amis évoquèrent encore l'événement, quand Philippe s'écria tout à coup :
-Mais bien sûr! Rappelez-vous, dit-il, la nuit qui suivit la fin du dégagement de notre menhir. Il y eut un violent orage. La foudre tomba six fois au fond du jardin et le menhir s'est brisé. La pierre, notre cristal de roche, attire la foudre.
Ils relurent l'article attentivement. On parlait du « tilleul aux pies », un arbre remarquable et respecté, et situé entre le camping et l'alignement du druide.
-On oublie les quatre pistes, lança Philippe. Une pie pourrait avoir aperçu et volé notre pierre et l'avoir portée dans son nid, dans cet arbre, tout simplement.
Nos amis demandèrent aux parents la permission de se rendre sur les lieux du drame. Ils montèrent sur leurs vélos et se dirigèrent vers le camping du druide.
C'était la désolation. Une bonne partie des installations baignait dans la boue. Et surtout deux familles qui campaient sous la tente avec leurs enfants, et une troisième dans une caravane, étaient totalement sinistrées. Les trois familles logeaient à l'ombre même du grand arbre. Des gendarmes, présents sur les lieux, notaient avec soin leurs déclarations. D'autres fouillaient les décombres. Personne ne se souvenait d'un pareil ouragan dans la région.
Nos quatre amis s'approchèrent d'un des policiers et demandèrent s'ils pouvaient parler à la commissaire. On la leur désigna en leur précisant cependant qu'elle était fort occupée.
Ils s'en approchèrent et lui racontèrent l'histoire de la pierre et de l'acharnement de la foudre dans leur jardin quelques jours avant.
La commissaire, peu curieuse, les écouta, d'abord d'une manière assez distraite, puis très attentivement. Ils évoquèrent la disparition soudaine de leur cristal, et l'idée qu'une pie attirée par sa brillance, avait pu l'emmener simplement dans son nid quelques mètres plus loin, dans un creux du tilleul. Chacun sait que les pies sont voleuses et aiment ce qui luit. D'autre part, cet arbre tout près duquel se trouvaient les familles campant sous la tente, et celle dans la roulotte, est creux. Il héberge un nid de pies.
On appela un bûcheron. On convoqua un responsable du musée de la ville, un spécialiste en menhirs et dolmens.
Le bûcheron creusa un trou dans l'arbre à la tronçonneuse. Il mit le nid de pies à jour. Puis, passant la main à l'intérieur, il en sortit le cristal de nos amis.
Ce n'était donc ni les enfants de la colonie de vacances, ni les trois jeunes, ni les Irlandais amoureux, ni la famille parisienne avec les petits enfants, qui avaient volé la pierre. Mais une pie l'avait tout simplement emmenée dans son nid.
Le conservateur du musée de la ville observa attentivement la roche, en présence des policiers et des familles sinistrées.
-La découverte que vous avez faite, les enfants, est prodigieuse. Voici un talisman des druides. Il est magnifique et correspond aux gravures que l'on peut observer au fond de certains tumulus. Jusqu'ici on en parlait comme d'une légende. Personne à ce jour ne voulait croire que ces pierres existaient vraiment. Mais vous nous en apportez la preuve.
Nos amis écoutaient en silence les explications.
-On parle dans les légendes d'autrefois d'un talisman tenu par un druide, et qui permettait aux hommes de lever ou de faire glisser des rochers de plusieurs tonnes. Aujourd'hui, grâce à votre trouvaille, nous obtenons une confirmation fantastique de ce fait. Le musée va vous acheter cette pierre pour une somme importante. Elle vous appartient.
Nos amis se tournèrent vers les familles qui avaient perdu leurs affaires dans l'ouragan. Après s'être concertés du regard, ils proposèrent que l'argent soit consacré à l'achat de tentes, de vêtements, de jouets pour les enfants des familles sinistrées du camping et qu'ainsi ils puissent continuer leurs vacances.
Le conservateur du musée accepta la proposition et félicita chaleureusement nos quatre amis pour leur générosité.
Au soir, au camping du druide restauré, on organisa une belle fête. Nos amis y furent les invités d'honneur. Les réjouissances durèrent jusque tard dans la nuit, sous les étoiles d'un ciel noir dégagé.
Le couple d'amoureux irlandais, les deux jeunes et Paulette, les grands-parents et leurs trois petits de retour de Paris et la colonie de vacances des Colibris, y participèrent.
Quelques pies, sans doute fort mécontentes de voir leur nid visité, jacassèrent dans leur tilleul.
Quant au cristal de roche, le talisman des druides, il trône dans une vitrine du musée des alignements, où l'on peut l'admirer à loisir.