Isabelle
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Les grands frères

     Avant de commencer cette histoire, laisse-moi te rappeler qu'Isabelle a cinq ans et demi. Elle est en troisième maternelle. Ses parents lui coiffent ses longs cheveux blonds en deux jolies tresses. Enfin, elle porte souvent une salopette jaune ou bleue et des baskets bleues. 

Trois grands frères sont nés avant elle. Bertrand, dix-neuf ans, est étudiant. Benoît, celui qui reste toujours planté devant son ordinateur et qui prétend n'avoir jamais le temps de jouer avec sa petite sœur, a treize ans. Enfin, Benjamin, sept ans et demi, partage la chambre de notre amie. Il a choisi le lit superposé, au-dessus d'elle.

Si tu as des grands frères ou des grandes sœurs, as-tu déjà pensé à ce que serait ta vie si au lieu d'être le petit ou la petite, tu devenais l'aîné ou l'aînée de la famille? Je te laisse réfléchir.


Ce jour-là, les parents d'Isabelle étaient absents. Notre amie dessinait dans sa chambre, sous la garde des deux plus grands. Benjamin jouait chez un copain.

Tout à coup, Bertrand appela.

- Isabelle, va me chercher un verre d'eau à la cuisine et apporte-le-moi.

La fillette posa le crayon sur la table, se leva, descendit l'escalier, prit un verre dans l'armoire, versa de l'eau et l'apporta à son grand frère. Elle n'était pas très contente. Mais Bertrand remercia sa petite sœur gentiment. Elle retrouva le sourire.

 

Elle retourna dans sa chambre. Elle s'assit de nouveau pour dessiner, mais on sonna à la porte.

- Vas-y, cria Benoît. C'est pour moi, un ami. Je ne peux pas aller lui ouvrir parce que je suis en train de battre mon record sur ma console de jeux.

Isabelle maugréa qu'elle n'était pas à son service, mais elle descendit quand même l'escalier, de mauvaise grâce. Elle ouvrit la porte au copain de son frère et le fit monter.

 

Elle se remit à sa table mais trois minutes après, Benjamin entra accompagné par deux garçons de sa classe.

- Isabelle, va jouer ailleurs. Je voudrais être tranquille avec mes amis un moment.

Notre amie lui lança un regard noir, mais n'osa pas répliquer. Elle sortit de la pièce en claquant la porte pour montrer sa colère et sa désapprobation.

Décidément, ce n'est pas drôle d'être la petite sœur, se dit-elle. je dois toujours obéir aux grands frères.

Furieuse, elle descendit l'escalier, ouvrit la porte de la maison et passa sur le trottoir. Elle eut soudain l'idée d'aller jusque chez son copain Frédéric. C'est un bébé. Elle aime jouer avec lui. Et puis là au moins, elle est la grande. Mais Frédéric n'était pas chez lui et ses parents non plus.

Elle se dirigea vers la maison de Jay, son ami, mais personne ne répondit à son coup de sonnette.


Revenant chez elle, par un petit détour, Isabelle longea le mur du cimetière. Une vieille dame était assise sur un banc au soleil. Elle ressemblait à s'y méprendre à une sorcière. Ses cheveux semblaient un plat de spaghettis cuits qu'on aurait retourné sur sa tête. Elle avait un nez bizarre, couvert de pustules et des boutons décoraient son visage. Elle portait une robe noire effrangée et des bottines à talons. Oui, vraiment, elle ressemblait à une sorcière.

La vieille dame salua la fillette. Notre amie, bien élevée lui répondit, comme on lui a appris.

- Bonjour madame.

- Tu sembles triste, ou bien en colère.

Isabelle s'arrêta et se tourna. Leurs regards se croisèrent.

- C'est vrai. Je suis en colère, expliqua Isabelle. Je dois toujours obéir à mes grands frères. Et puis je suis triste. Je voudrais devenir la grande sœur et pas toujours tenir le rôle de la petite...

- Cela peut se faire.

Notre amie, intriguée, s'approcha de la dame, pas du tout sorcière, mais un peu magicienne et lui demanda comment il fallait s'y prendre.

- Si tu es courageuse, intelligente et habile, nous pourrons réussir l'opération, dit-elle.

Isabelle songea qu'elle était intelligente. En tout cas, ses frères disent souvent qu'elle est trop futée. Ça veut dire qu'elle leur joue de temps en temps des mauvais tours et qu'elle se débrouille très bien pour exister, même en leur présence. Habile, elle ne comprenait pas très bien le mot. Cela voulait sans doute dire se débrouiller avec ses dix doigts, mais elle n'était pas certaine. Enfin, courageuse, elle eut l'humilité d'admettre que cela dépendait des jours.

- Je vais d'abord te poser deux questions, annonça la dame. Si tu réponds bien, tu feras alors un petit travail et si tu le réussis, je t'expliquerai comment te changer en l'aînée que tu veux devenir. Je teste d'abord ton intelligence et ta mémoire. Première question. J'ai quatre pattes et je rugis. Que suis-je?

- Un lion, répondit notre amie en souriant.

- Très bien. Seconde question: J'ai deux pattes et je roucoule. Que suis-je?

Isabelle réfléchit un moment.

- Un pigeon...

- Bravo pour ta bonne réponse.

La vieille dame, décidément très gentille, demanda ensuite à notre amie de lui donner un de ses cheveux. Isabelle en arracha un, assez long.

- Bien. Maintenant voici une aiguille. Enfile ton cheveu par le chas de cette aiguille.

La fillette réussit l'opération après quelques essais infructueux. Cela dura environ vingt secondes, sur les trente accordées.

- Bien, encouragea la dame. Tu es une débrouillarde.

Isabelle était fière.

- À présent, écoute-moi bien. Je vais te confier trois poudres bleues. Prépare une limonade pour chacun de tes frères et verse une poudre dans chacun des verres. Mélange ensuite avec soin, mais pas avec une cuillère, avec une fourchette. Puis, pendant qu'ils boiront, tu les regarderas droit dans les yeux et tu prononceras à ce moment-là leur prénom, puis l'âge que tu souhaites qu'ils aient. Ça ira?

- Ce ne sera pas possible, répondit notre amie, parce que papa et maman ne seront jamais d'accord.

- Justement, continua la dame, voici deux poudres roses. Tu les verseras dans une tisane chaude par exemple, ou bien dans du café ou du thé et au moment précis où tes parents boiront, tu prononceras la formule magique: "Bonjour maman", même pour ton père. Dès cet instant, tes parents trouveront tout à fait normal que tu sois l'aînée et que tu sois suivie par trois petits frères.

Isabelle remercia et s'éloigna vers sa maison en emportant les poudres.


Sitôt de retour chez elle, elle prépara des limonades. Les parents n'étaient pas encore revenus. Elle versa les trois poudres bleues dans les trois verres et monta les trois boissons à l'étage.

- Bertrand, je t'apporte une limonade, sourit malicieusement notre amie.

- Merci, s'étonna le grand frère.

Et tandis qu'il buvait, Isabelle le regarda droit dans les yeux.

- Bertrand! quatre ans!

Le grand frère de dix-neuf ans se transforma en petit garçon de quatre ans. C'était vraiment trop drôle à voir.

- Génial, dit notre amie.

Elle se tourna vers Benoît, comme d'habitude en extase devant son ordinateur.

- Tiens, Benoît, voici une boisson fraîche.

Et tandis qu'il buvait, elle prononça les mots magiques.

- Benoît! deux ans! Comme cela, tu ne pourras pas jouer avec l'ordinateur. Tu es trop petit.

Et Benoît, le grand de treize ans, se métamorphosa en un petit garçon de deux ans.

Mignon avec ses boucles, songea la fillette.

Notre amie entra dans sa chambre. Les copains de Benjamin étaient partis. Le grand frère de sept ans, plus pour très longtemps, était tout seul.

- Tiens, voilà à boire.

- Merci, accepta Benjamin très surpris.

Dès qu'il trempa ses lèvres, Isabelle, implacable, cria:

- Benjamin! bébé!

Et le garçon se changea aussitôt en bébé qui se mit à pleurer sur le tapis.

 

Juste à ce moment-là, elle entendit sa mère revenir de la ville. Elle courut dans l'escalier, prit une tasse, y mit de l'eau et alluma le micro-ondes. Deux minutes plus tard, elle ressortit la tasse et la tendit à sa maman après y avoir trempé une tisane et la poudre rose.

- S'il te plaît, maman.

La petite diablesse observa sa mère qui buvait, écoutant très étonnée les pleurs d'un bébé à l'étage.

- Bonjour maman! fit Isabelle clair et fort.

- Bonjour ma chérie. Tiens, range la tasse dans le lave-vaisselle. Pendant ce temps-là, je vais m'occuper du bébé.

Cela marchait! Isabelle très heureuse était devenue une grande sœur, suivie de trois petits frères. Elle monta à sa chambre, s'installa devant sa table, reprit ses crayons de couleur et s'apprêta à continuer son dessin bien à son aise. On ne la dérangerait plus, à présent.


Soudain, maman l'appela.

- Ma grande, j'ai oublié d'acheter du lait et de la confiture au magasin. Tu veux bien aller en chercher? Tiens, voilà dix euros.

- Oh, maman, pourquoi tu n'envoies pas Bertrand ou Benoît?

- Réfléchis ma chérie. Ils ont quatre ans et deux ans. Ils sont trop jeunes tes petits frères. C'est toi la grande fille. Tu dois y aller. Courage!

Isabelle se rendit au magasin, acheta les produits et les déposa sur la table de la cuisine.


Elle venait juste de reprendre place dans sa chambre pour dessiner quand le téléphone sonna.

- Réponds, ma chérie, cria maman. Je suis occupée avec le bébé.

- Oh zut! maugréa la fillette.

Elle courut dans l'escalier et décrocha. C'était sa grand-mère.

- Bonjour Isabelle.

- Bonjour grand-mère Élodie.

- Tu me passes maman, s'il te plaît.

- Je ne crois pas qu'elle pourra venir te parler pour le moment. Elle est occupée à changer le bébé.

- Quel bébé? demanda la grand-mère, très étonnée.

- Mon petit frère, enfin je veux dire mon grand frère... Benjamin, quoi.

- Benjamin? Mais il ne met plus de couches depuis longtemps, fit remarquer grand-mère Élodie. Il a sept ans et demi.

Isabelle très ennuyée ne sut que répondre.

- Dis à maman de me retéléphoner tantôt quand elle aura fini.

- D'accord, soupira Isabelle.

Elle raccrocha. Décidément, les ennuis se profilaient à l'horizon. Elle se demandait tout compte fait, si elle avait eu une bonne idée...


Elle s'assit à sa chaise et s'apprêta à dessiner.

Maman l'appela à nouveau et lui demanda d'aller jouer près de ses petits frères au jardin. Ils étaient en train de se disputer. Il fallait s'en occuper. Déjà un des deux pleurait.

- Mais maman, gémit Isabelle. Ils ne jouent pas bien. Ils sont trop petits. 

- Ma chérie, tu es la grande sœur. Va les rejoindre.

Et notre amie partit en soupirant distraire ses petits frères au jardin.


Un peu plus tard, maman demanda à Isabelle de faire boire un biberon au bébé Benjamin pendant qu'elle donnait le bain aux deux autres.

Ça c'est le comble! pensa la fillette. Je n'aurais jamais imaginé que je proposerais un jour le biberon à mon grand frère Benjamin.

Elle prit le bébé dans ses bras, s'assit dans un fauteuil et lui mit la tétine en bouche. Ensuite, elle monta se laver les mains, puis aida sa mère à mettre la table. Décidément, impossible d'avoir deux minutes à soi quand on est une grande sœur...

- Papa n'est pas là? demanda Isabelle.

- Il reviendra un peu en retard, ma chérie. Il est retenu à son travail ce soir. On va manger sans lui.


Au cours du repas, notre amie se réjouit en apercevant de la tarte aux cerises sur la table. Enfin, un quartier de tarte. Elle adore cette tarte aux cerises. Elle se faisait une fête d'en manger.

À la fin du repas, maman coupa le morceau de tarte en deux.

- Ma chérie, je n'ai pas eu le temps d'aller à la pâtisserie. Je vais donner ces restes à tes petits frères. Ils en ont tellement envie. Toi ma grande fille, tu peux comprendre. Sois gentille. Prends une pomme ou une banane comme dessert si tu veux.

C'était vraiment trop cette fois-ci. Isabelle eut des larmes aux yeux en voyant les deux petits, Bertrand et Benoît, se préparer à engloutir son morceau de tarte. Si elle était restée la plus petite, sûr qu'elle l'aurait reçu.

Elle songea qu'elle avait dû aller au magasin, répondre au téléphone, donner le biberon au bébé, jouer avec les petits frères au jardin et maintenant, se priver et céder son morceau de tarte aux cerises. Elle demanda la permission de ressortir un moment et courut jusqu'au mur du cimetière. Elle y retrouva la vieille dame.


- Alors petite fille. Tu es contente d'être la grande sœur. Cela se passe bien?

- Ça ne se passe pas bien du tout, se plaignit Isabelle. C'est très fatigant d'être une grande sœur. J'ai dû me priver pour mes petits frères, jouer avec eux, donner le biberon au bébé, faire les courses, répondre au téléphone. Je voudrais absolument redevenir la petite. C'était bien plus amusant avant.

- Cela peut se faire, répondit la magicienne. Mais d'abord je vais te poser deux nouvelles questions. Il faudra que tu réussisses à trouver la réponse. Et puis, tu devras entreprendre un nouveau travail.

- J'espère que ça ne sera pas trop difficile, supplia Isabelle.

- Écoute ma première question. Je n'ai pas de bras, mais je nage plus vite que toi. Que suis-je?

- Un poisson, répondit aussitôt logiquement notre amie.

- Et maintenant, ajouta la dame, J'ai des bois dans les bois. Qui suis-je?

- Un cerf, proposa la fillette.

- Très bien, tu sais beaucoup de choses. À présent, voici ton petit travail. Regarde, ce bout de fil de fer. Tu vas enfiler dix perles en maximum soixante secondes.

Isabelle se dépêcha et réussit l'opération de justesse. Elle reçut alors trois bonbons bleus et deux bonbons roses.

- Tu donneras un bonbon bleu à chacun de tes petits frères. Ils retrouveront leur âge. Ne donne pas de bonbon au bébé. Il ne faut jamais donner un bonbon à un bébé car il peut l'avaler de travers. Frotte-lui la langue avec le bleu, cela sera suffisant. Et ne te trompe pas en disant l'âge qu'ils avaient avant. Propose ensuite un bonbon rose à ta maman et à ton papa afin qu'ils trouvent tout à fait normal, qu'au lieu que tu aies trois petits frères, tu redeviennes la plus jeune, et eux des grands garçons.


Isabelle se sauva après avoir remercié. Mais elle partit si vite qu'elle n'écouta pas la formule magique qui permettrait de faire en sorte que maman accepte la nouvelle situation.

Revenue à la maison, elle donna un bonbon à Bertrand et à Benoît qui l'avalèrent volontiers et retrouvèrent leur taille normale aussitôt. Elle frotta la langue de bébé Benjamin qui redevint le grand frère de sept ans et demi.

Elle descendit ensuite près de sa mère et lui présenta le bonbon rose. Maman le prit et le mit en bouche. Mais Isabelle ne connaissait pas la formule magique. Elle avait quitté la gentille dame sans écouter la fin de ses explications. Elle hésita. Elle risqua un "au revoir maman", mais l'entendit répondre qu'il était trop tard pour sortir à présent. 

Soudain, trois grands garçons descendirent l'escalier.

- Qui sont-ils ceux-là? dit maman. Je ne les ai jamais vus. Qui sont ces garçons?

Notre amie se mit à trembler. Elle s'attendait au pire.

La porte s'ouvrit et papa entra, revenant du travail. Terriblement inquiète et songeant déjà à la forte punition qui l'attendait, Isabelle se précipita dans les bras de son père. Elle cria:

- Bonjour papa.

Par chance, c'était exactement la formule magique qu'il fallait prononcer pour que toute la famille se remette en bon ordre.

Maman trouva tout à fait normal que Benoît, Bertrand et Benjamin soient des grands garçons, les grands frères de notre amie.

Ainsi chacun retrouva son espace au sein de la famille.


En conclusion, que tu sois grand frère ou petite sœur, petit frère ou grande sœur, reste ainsi. Tu en as l'habitude depuis toujours. N'ennuie pas les aînés dont tu connaîtras la vie plus tard, et occupe-toi parfois des petits pour aider tes parents. Où que tu sois, aîné, benjamin ou au milieu, profite chaque instant du bonheur de vivre dans une famille heureuse.