La Grotte aux serpents: Les Quatre renards (Partie 3)
Tous les soirs, quand Christine monte à sa chambre et qu'elle s'apprête à aller dormir, elle ouvre toute grande sa fenêtre et elle attend son ami le hibou. Chachou, ce soir-là, arriva après quelques instants. Il semblait très agité.
-Que se passe-il ? demanda la jeune fille.
Notre amie, qui a juste dix ans, habite dans une grande forêt. Elle possède le don extraordinaire de savoir parler aux animaux et de les comprendre. Pas tous. Les quatre pattes, les deux pattes et les serpents.
-Quatre renards t'attendent près du hangar, dit le hibou.
C'est un bâtiment contigu à la maison et son père y entrepose le bois découpé en bûches pour ses clients.
-Quatre renards ?
-Oui, ton ami, celui que tu connais très bien, et trois autres. Un grand malheur leur arrive.
Christine se pencha par la fenêtre et les aperçut dans les dernières lueurs du jour. Trois d'entre eux se tenaient assis et un autre courait de long en large.
Les parents de notre amie venaient de passer lui donner le dernier bisou. Normalement, elle ne sort pas la nuit de la maison. Mais ce soir, les circonstances semblaient justifier l'escapade.
Christine enleva son pyjama. Elle enfila rapidement son habituelle salopette délavée en jean et des sandales de toile, puis elle sortit par la fenêtre pour éviter de croiser ses parents dans l'escalier de la maison.
Elle avança à quatre pattes dans la corniche le long du toit, puis sauta sur celui du hangar, juste à côté. Elle se glissa sous les tuiles par une lucarne et descendit avec souplesse de poutre en poutre. Elle atteignit le sol. Les renards s'approchèrent d'elle.
-Que vous arrive-t-il ? demanda-t-elle en les caressant gentiment.
-Voilà, raconta l'un d'entre eux. Nous avons établi nos tanières le long de la rivière, entre les hautes collines et le grand marécage. La rivière fait un long méandre à cet endroit. C'est un bel emplacement.
-En effet, approuva Christine.
-Hélas, suite aux fortes pluies des jours derniers, un glissement de terre et de boue s'est produit. Cet éboulement recouvre l'entrée de nos trois terriers. Nos petits sont enfermés là-dessous, enterrés vivants. Nous les entendons pleurer. Moi, j'en ai quatre, lui cinq, et lui six.
-Ça fait quinze renardeaux, calcula notre amie.
-S'ils ne meurent pas étouffés, ils mourront de faim en quelques jours, ajouta le troisième renard. Nous avons essayé de gratter la terre avec nos pattes, de dégager la boue, mais nous ne parvenons pas à atteindre l'entrée des galeries. Toi, tu pourrais. Tu as deux mains, tu sais te servir d'une pelle.
-Bon, interrompit Christine. Je comprends bien votre demande. J'en parlerai à mes parents demain matin et je viendrai sauver vos petits.
-Pourquoi attendre demain ?
-Parce que dans la nuit je ne verrai rien. Et notre seule lampe de poche est cassée.
-Mange des myrtilles, suggéra un des renards.
-Pourquoi des myrtilles ? demanda notre amie en riant.
-Parce les myrtilles aident à mieux voir la nuit.
-Oh, dit Christine, on raconte ça dans les histoires, mais je n'y crois pas. J'ai avalé des poignées de myrtilles à la bonne saison et je ne vois pas mieux la nuit pour cela.
-Oui, mais si tu mangeais celles qui poussent dans les forêts du grand Nord, celles des régions où en été, le soleil ne se couche pas, tu verrais dans l'obscurité. Ces myrtilles ne connaissent pas la nuit, car là dans ces contrées où vivent les rennes, existe ce que les cigognes décrivent comme le soleil de minuit.
-Comment veux-tu que j'aille chercher des myrtilles si loin, à des milliers de kilomètres d'ici? fit notre amie.
-Tu pourrais, proposa un autre renard, aller en demander aux serpents de la grotte que tu connais. Ceux qui y habitent gardent des fruits de tous les pays du monde, tu le sais.
Autrefois, les serpents qui occupent cette caverne attaquaient les oiseaux. Mais ils conclurent un jour un pacte, une convention de paix avec eux. Depuis ce temps-là, ces serpents n'agressent plus les oiseaux, ne dévorent plus leurs œufs dans leurs nids, mais en échange, les oiseaux migrateurs leur apportent des fruits cueillis dans tous les pays du monde. Les serpents les conservent, et sans doute, s'en servent aussi pour se nourrir.
-Je suis sûr que des cigognes, en migrant du Nord vers le Sud, ont dû leur donner des myrtilles mûries au soleil de minuit, affirma le renard ami de notre amie.
-Deux fois déjà, je suis allée dans cette horrible grotte. Chaque fois, j'ai failli y mourir. Le roi des serpents m'a avertie, poursuivit Christine, que si je retournais une troisième fois, il me tuerait.
Découvre le début de cette incroyable aventure dans Christine 15 : Le hibou, et 16 : les fourmis.
-Si tu ne nous aides pas, nos quinze petits vont étouffer dans leur trou…
Notre amie frissonna dans la nuit fraîche. Mais surtout, la peur des serpents la faisait hésiter.
-Bon, soupira-t-elle, je viens avec vous. Juste pour voir ce que l'on peut faire. Mais je ne vous promets rien.
-Merci. Nos renardes t'attendent. Elles sont restées près de nos bébés.
Ils partirent immédiatement.
Le vent sifflait le chant de l'automne. L'herbe du chemin était jonchée de feuilles humides et mortes. Le sol glissait sous les pieds de notre amie. Ramolli par les pluies, il devenait ça et là de la boue dans laquelle elle pataugeait.
Elle dut marcher presque jusqu'à minuit pour atteindre l'endroit où la rivière effectuait son grand méandre et où le glissement de terrain s'était produit. Elle emmenait une pelle.
Hélas, plongée dans l'obscurité, elle ne réussit pas à délivrer les bébés renards.
Elle entendait, derrière l'éboulement, des cris aigus et les renardes expliquèrent que c'étaient les appels de leurs petits. Mais où creuser ? Comment s'y prendre ? Il fallait éclairer ou voir mieux.
Christine ne distinguait ni la forme des lieux, ni l'emplacement des roches et des branches qui avaient accompagné l'éboulement. Elle ne pouvait pas sauver les renardeaux.
Alors, le cœur serré par l'angoisse, elle partit vers la grotte. La fameuse tanière des serpents dans laquelle elle avait pourtant promis qu'elle ne reviendrait jamais plus. Déjà dans la journée, cet endroit fait peur. La nuit, plus encore. Pour y parvenir plus vite, elle appela le grand cerf qu'elle avait secouru lors de l'affaire des fourmis.
Elle arriva à l'entrée du passage qui menait vers la profondeur. Les quatre renards attendirent dehors. Le grand cerf resta près d'eux.
Christine entra doucement dans la caverne. Elle se souvenait de la présence d'un gardien et il ne fallait surtout pas l'effrayer. Il apparut soudain, passant dans un rayon de lune.
Tiens, se dit-elle, ce n'est pas le même que la dernière fois…
-Ze peux zavoir ce que tu viens faire dans ma grotte ?
Quelle drôle de voix! songea notre amie.
-Tu ne parles pas comme les autres serpents ? lui dit-elle.
-Ze parle comme ze peux. Z'ai un zeveu zur ma langue. Que viens-tu faire dans notre grotte ?
-Je viens chercher des myrtilles du grand Nord. Vous en avez ?
-Ze ne zais pas. Ze ne zuis pas le roi, moi.
-En effet, soupira Christine. Tu me laisses passer ?
-De toutes fazons, zeux qui rentrent dans la grotte ne rezortent pas.
-Pourquoi ils ne ressortent pas ? demanda notre amie.
-Parze qu'ils zont mordus par les zerpents venimeux. Ils zont morts à l'intérieur.
Tout cela ne me rassure pas, songea Christine. Mais avec un peu de chance, ils se sont choisi un nouveau roi.
Elle emprunta le passage étroit qui allait zigzaguant en pente douce et reliait l'entrée à la grotte principale. Elle parvint dans cette gigantesque caverne, plus grande qu'un terrain de football couvert, remplie de stalagmites et de stalactites. Des gouttes tombaient sans cesse de la voûte et toute cette eau se rassemblait dans un petit lac froid qui croupissait dans le coin le plus sombre.
Cette grotte était envahie par des centaines de serpents. Notre amie en voyait partout.
Certains s'enroulaient autour des stalactites. Ils l'observaient en laissant pendre leur tête à l'envers. D'autres dormaient en se serrant autour des stalagmites. Elle en rencontra de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de tous les caractères. Des petits nerveux qui remuaient sans cesse, d'autres plus calmes qui dormaient peut-être. Elle en croisa des gros, des maigres. Certains semblaient méchants, des autres un peu moins. Aucun ne lui parut inoffensif.
Christine les observait et les évitait, en passant sur la pointe des pieds. Son cœur battait la chamade en les enjambant. Elle transpirait de peur.
Au centre de cette immense caverne, sur un grand rocher blanc, se trouvait leur roi. Un long serpent jaune avec quelques écailles noires parsemées de-ci de-là, un très bel animal. Elle le vit enroulé sur lui-même, la tête confortablement posée sur le bout de sa queue. Il semblait dormir.
Elle s'en approcha. Il ouvrit ses yeux jaunes et regarda la jeune fille.
-Bonjour, siffla très bas le serpent royal.
-Bonjour, répondit notre amie.
-Tu es revenue…
-Tu te souviens de moi ?
-Oui, tu es déjà passée deux fois dans ma grotte. Une première fois pour obtenir une goutte de mangue, pour guérir ton hibou et une seconde fois, pour sauver des cerfs et des biches, tu m'as demandé sept écailles de serpent bleu. Un roi n'oublie rien. Je retiens tout. Et je t'avais avertie de ne plus revenir…
-Oui, avoua Christine. Je n'ai pas oublié…
-Et te voilà cette fois-ci, parce que tu veux mourir.
-Non! Je ne veux pas mourir. Je suis venue chercher des myrtilles du grand Nord, celles que t'apportent les cigognes.
-Et pourquoi veux-tu ces myrtilles du grand Nord que m'apportent les cigognes? répéta le grand serpent jaune.
-Il paraît que si j'en mange, je verrai de nuit presque comme de jour, comme un hibou ou un chat. C'est pour sauver quinze petits renardeaux.
-Ah, des petits renardeaux… Ça doit être mignon.
-Tu as des myrtilles du grand Nord ?
-Oui, affirma le roi des serpents. Mais nous ne les gardons pas sous forme de fruit parce qu'elles pourissent. Nous les transformons en jus.
-Tu veux bien m'en donner un peu ? supplia Christine.
-Oui, j'accepte de t'en offrir, pour sauver les quinze renardeaux. Tu vois, je suis gentil. Un mot que tu m'avais appris l'autre fois. Un mot qui n'existait pas dans la langue des serpents. Mais le prix pour toi sera lourd. Parce que tu vas mourir. Retourne-toi.
Elle fit volte-face et vit, derrière elle, trois serpents jaunes, un grand, un moyen et un petit. Ils étaient tous venimeux.
-Non! cria notre amie. Tu ne comprends pas! Ce n'est pas cela être gentil. Roi des serpents, je ne veux pas qu'ils me mordent. S'il te plaît, je te jure que c'est la dernière fois. Je ne viendrai plus jamais, jamais, jamais.
-Je t'avais prévenue, répondit le serpent. Un roi ne peut pas être gentil. Sinon il paraît faible, et il perd son pouvoir sur les autres. Je dois tenir mes promesses.
Christine espéra un instant réussir à l'émouvoir.
-Écoute, j'ai juste dix ans. Je ne suis qu'une enfant... Je ne veux pas mourir.
-Alors, il ne fallait pas revenir… Mais puisque tu es très jeune et que je suis gentil, tu peux choisir celui des trois qui va te mordre. Si tu prends le plus petit, tu mourras en moins d'une minute et tu ne souffriras pas. Avec le moyen, tu mourras en une heure environ, au milieu de douleurs atroces. Et si tu préfères le plus grand, celui dont la morsure fait le plus mal, tu vivras jusqu'au lever du soleil.
-Je ne veux pas choisir. Laisse-moi partir.
-Il faut, sinon, je désignerai moi-même l'un d'entre eux. Tu es entrée dans la grotte. Il est trop tard à présent pour reculer. Il fallait y penser avant.
Le petit nerveux s'approcha.
-Chasse celui-là. Il passe trop près de moi.
-Tu n'as pas d'ordre à me donner, affirma le monarque.
Un autre s'avança près d'eux. Il apportait une noix de coco qu'il tenait entre ses dents.
-Voici, déclara le roi. À l'intérieur, se trouve ton jus de myrtilles. Nous l'avons fait à partir de vingt-cinq fruits. Cela devrait être suffisant pour voir dans la nuit comme un chat.
Christine but le liquide bleu, délicieux. Elle scrutait en silence pendant ce temps tous les recoins de la grotte pour tenter de découvrir une solution pour s'échapper, une sortie pour s'enfuir. Elle but le jus lentement jusqu'à la dernière goutte.
-Tu observes partout, susurra le roi des serpents, pour tenter de nous échapper, car tu cherches à éviter la morsure d'un de mes trois serpents. Inutile. Je n'ai qu'un claquement de langue à faire et les six cent trente-quatre occupants de ma grotte te poursuivront et te rattraperont.
-Tu vois tout, s'indigna notre amie.
-Je vois tout et je retiens tout. C'est pour cela que je suis leur roi. Tu as choisi ?
-Bon, je me décide pour le plus gros.
Elle pensait ainsi avoir le temps de retourner chez elle. Ses parents trouveraient un contrepoison ou la conduiraient à l'hôpital.
Les deux autres s'éloignèrent, comme à regret, sur un ordre de leur monarque. Celui qu'elle avait retenu mesurait quatre mètres de long. Il redressa légèrement la tête et siffla plusieurs fois.
-Tu as déjà plusieurs petites déchirures au bas de ta salopette. Dégage une jambe jusqu'au genou parce que sinon, pour te mordre, il devra faire deux trous de plus. Et il risque de rater son coup et de devoir recommencer, dit le roi des serpents.
Christine haussa les épaules et souleva le tissu qui couvrait sa jambe gauche.
Ce fut comme un éclair. Le serpent la mordit, puis s'éloigna.
La jeune fille poussa un cri de douleur. Cela faisait tellement mal que des larmes coulèrent sur son visage. Et sa jambe saignait. Elle fit demi-tour et avança vers la sortie en marchant d'un pas ferme.
-Tu ne me dis pas au revoir ? murmura le roi des serpents.
-Je te déteste, cria notre amie, sans se retourner.
-S'il y avait une prochaine fois, c'est moi qui te mordrais.
-Tu ne me verras plus jamais, cria Christine.
Elle rejoignit les quatre renards et le grand cerf.
-En route, dit-elle. On retourne à vos terriers.
Ils y arrivèrent aux environs de deux heures du matin. Christine voyait presque comme en plein jour à présent. Elle observa attentivement les dégâts causés par l'éboulement. La terre, les branches, les cailloux, recouvraient l'entrée des tanières des trois familles de renards.
Sa jambe lui faisait mal. La peau était rouge, brûlante et gonflée, là où le serpent l'avait mordue.
-Et en plus, il faut dégager trois entrées, s'exclama notre amie.
-Non, expliquèrent les renards. Nos tanières communiquent entre elles. Si tu en ouvres une, ça suffira pour que nos bébés sortent.
De minute en minute, la vue de notre amie s'améliorait grâce aux myrtilles. Mais pour combien de temps ? Et sa blessure ne s'arrangeait pas. Il fallait agir vite.
Elle creusa avec sa pelle, mais au fur et à mesure qu'elle fouillait, la boue revenait et envahissait tout. Elle demanda aux renards d'apporter des morceaux de bois, des pierres, des branches. Elle réussit à étançonner une étroite galerie en dressant ces morceaux de bois et ces pierres pour empêcher la boue de se répandre partout.
Elle travaillait à genoux, et avec ses mains à présent. Elle creusait inlassablement. Elle se sentait de plus en plus épuisée par l'heure tardive, par les émotions et par la douleur à sa jambe.
-Encore des bâtons, encore des bâtons, cria-t-elle. Oh! Ça y est!
Elle vit sortir un premier renardeau, puis un deuxième et un troisième. Elle les compta. Elle en vit quatorze. Il en restait un.
-Un de mes petits, s'inquiéta sa mère. Un peureux. Il n'ose pas venir.
Christine dut ramper dans la boue. Elle tendit la main vers le fond de la galerie creusée. Elle ressentit comme une morsure.
-Aïe ! Il griffe ton petit.
-Il a peur, expliqua la renarde. Pardonne-lui.
Notre amie saisit le renardeau par le cou et le lui confia.
Christine se redressa. Elle se sentait vraiment mal. Elle était couverte de boue. Mais surtout elle ressentait des vertiges, comme si elle allait s'évanouir. Elle transpirait. Sa vision se brouilla un instant.
-J'attrape de la fièvre, à cause de la morsure du serpent. Et quelle heure peut-il être ?
Il était près de trois heures du matin. Mais elle n'en savait rien. Elle ne possède pas de montre.
Le soleil se lève vers cinq heures en été.
Elle fit quelques pas. Elle titubait. Sa jambe la faisait de plus en plus souffrir.
-Si je retourne chez moi, même sur le dos du grand cerf, dit-elle, je serai morte avant d'arriver à l'hôpital.
Soudain une idée lui vint. La vieille souris! Celle qu'elle avait rencontrée autrefois, sur les conseils de son renard, quand Chachou son hibou était malade.
Tu te souviens? Elle apparaît la première fois dans Christine 15 : Le hibou. Elle semble connaître les remèdes aux maladies de tous les animaux.
-Mais moi, je ne suis pas un animal, soliloqua Christine. Pourvu qu'elle puisse m'aider.
Elle se tourna vers le grand cerf.
-Je vais monter sur ton dos et toi, tu va suivre mon renard. Cours le plus vite possible. Il va nous conduire chez la vieille souris.
Ils arrivèrent assez vite au pied d'un arbre mort, situé au milieu de très hauts rochers rouges et jaunes.
Notre amie se mit à genoux, puis s'assit sur ses talons et appela la vieille souris.
-Bonjour, je t'ai déjà vue, toi.
-Toi aussi tu retiens tout, constata la jeune fille.
-Oui. Grâce à cela, je vis toujours, fit-elle remarquer. Que veux-tu encore ?
-J'ai été mordue par un serpent jaune.
-Ils sont tous venimeux...
-Mais mon renard affirme que dans la nature, il existe toujours un contrepoison.
-Je sais, répondit la vieille souris. Tu voudrais connaître le contrepoison pour guérir de la morsure de ton serpent.
-Oui, dit Christine, mais il faut faire vite, parce que je risque de mourir au lever du soleil…
-Bien. Voyons ça.
Elle descendit dans son trou et revint, comme l'autre fois, avec une coquille de noix. Elle l'ouvrit avec ses deux petites pattes avant. Des pétales de rose, empilés les uns sur les autres, apparurent, couverts d'une étrange écriture.
-Que me donnes-tu si je te soigne ?
Christine brûlait de fièvre. Et elle n'avait vraiment rien à offrir.
-Je ne peux rien te donner. Tu vois bien, je n'ai même pas emporté une tartine comme l'autre fois. Je suis malade, j'ai de la fièvre, je grelotte, ma jambe me fait souffrir. S'il te plaît, aie pitié de moi. Je ne veux pas mourir…
Elle pleurait à présent. La souris la regarda.
-Je me demande si tu es intelligente. Retourner ainsi trois fois chez les serpents me paraît une folie.
-J'ai fait cela pour sauver quinze petits renardeaux.
-J'apprécie ton courage. Il me plaît. Je vais te poser trois questions. Si tu réponds correctement, je t'expliquerai où se trouve l'antidote, le contrepoison, à la morsure de ton serpent.
-Je t'écoute.
-Comment appelle-t-on le petit de la grenouille ?
-Le têtard, répondit notre amie, sans hésiter.
-Bien. Deuxième question. Lorsque la chenille s'enferme dans un cocon pour se métamorphoser en papillon, elle porte un nom. Lequel ?
-La chrysalide, fit Christine.
-Bravo! Mais comment appelle-t-on le petit de la jument et d'un âne ?
Le sais-tu, toi qui lis ce récit ?
-Le mulet, dit-elle, après un instant d'hésitation.
La vieille souris observa notre amie.
-Tu connais bien le monde animal.
Elle tourna les pages en pétales de rose. Elle semblait lire l'étrange écriture. Christine se demandait quelle pouvait être l'explication de ce mystère.
-Morsure de serpent jaune... Un petit ou un grand ?
-Un grand, murmura la jeune fille, à bout de forces.
-Oui, en effet, tu meurs quelques heures après la morsure. Voici la solution. Dans la nature, on trouve toujours un contrepoison, mais il faut le connaître. Tu dois manger un champignon noir.
-Un champignon noir ?
-Oui, tout noir, précisa la souris. Tu en trouveras dans certaines grottes renfermant un lac souterrain, comme ici, dans nos montagnes. Un champignon noir aux pouvoirs étranges, issu de l'eau qui ruisselle à travers les laves refroidies de nos volcans éteints. Ils poussent au fond de l'eau. Tu guériras de la morsure instantanément. Pendant quelques jours, tu auras mal au ventre, à cause du champignon, mais tu n'en mourras pas.
Christine remercia. La souris referma la coquille de noix.
Elle l'emporta dans son trou.
Où trouver cette caverne ? Il n'était pas question de retourner à la grotte aux serpents, bien entendu. Un des renards affirma qu'il en connaissait une située dans les hauts rochers du volcan. On pouvait peut-être vite s'y rendre.
-Il ne faut pas y aller, dit un autre.
-Pourquoi ? demanda Christine.
Les renards s'approchèrent les uns des autres et se parlèrent à l'oreille.
-On va t'expliquer. Un animal dangereux vit dans cette caverne.
-Tant pis, répondit notre amie, on y va. J'espère que ce sera la bonne.
Elle eut bien des difficultés pour réussir à remonter sur le dos du cerf. Ses forces s'épuisaient. Elle s'accrocha du mieux qu'elle pouvait à ses bois. Il ne put pas courir ou bondir parce qu'elle serait tombée, tellement elle se sentait faible.
À quatre heures du matin, ils parvinrent à l'entrée de la grotte. Christine tremblait à cause de la fièvre. Elle claquait des dents.
Deux renards entrèrent avec elle. Les deux autres attendirent à l'extérieur.
-Écoute, avertit l'un d'entre eux. Plusieurs animaux occupent cette grotte. D'abord des grenouilles et des crapauds. Tant que tu les entendras coasser, tu ne risqueras rien. Mais ils se taisent quand ils sentent une présence. C'est que l'autre animal s'approche. Sois prudente.
Christine avança en titubant dans la caverne. Elle perçut une étrange odeur piquante. Mais surtout un silence impressionnant régnait.
Elle parvint assez vite au bord de l'eau noire, transparente, assez profonde. Un grand lac souterrain, dont elle apercevait à peine l'autre rive dans la demi-obscurité.
Les crapauds silencieux à son arrivée, s'habituèrent à sa présence et à celle de ses deux compagnons. Ils coassèrent à nouveau.
Elle regarda sous l'eau, mais l'effet des myrtilles diminuait. Elle voyait de moins en moins bien dans le noir. Elle observa attentivement le fond de l'étang. Elle remarqua quelques taches noires, qui pouvaient correspondre aux champignons.
Christine mit la main dans l'eau. Elle était très froide. Les crapauds coassaient encore.
Elle rassembla ses dernières forces. Elle n'ôta même pas ses chaussures de toile et plongea dans l'eau tout habillée. Elle sentit un froid glacial la gagner. Elle nagea jusqu'au fond, comme celui de la grande profondeur d'une piscine. Elle cueillit un champignon noir et remonta à la surface.
-Les grenouilles se taisent! les grenouilles se taisent! crièrent les renards. Tu cours un danger!
Notre amie nagea le plus vite possible mais sa salopette et ses chaussures la gênaient. Elle sentit quelque chose lui serrer la jambe. Elle essaya d'avancer encore en se démenant, mais ça n'allait plus. Un tentacule, un bras de pieuvre, la retenait et l'attirait vers la profondeur.
Elle sortit son canif de sa poche, celui qu'elle emporte toujours dans ses randonnées, et donna des coups de couteau à l'aveuglette. Elle se blessa même dans l'obscurité. Elle se débattit encore, usant ses toutes dernières forces. L'habitant de la grotte lâcha prise. Christine remonta à la surface.
Elle sentit alors un autre bras qui tentait de serrer son autre jambe. Elle s'échappa, donnant un bon coup de pied. Elle parvint à se hisser hors de l'eau. Puis se retournant, dégoulinante, elle vit deux yeux jaunes qui l'observaient. Sans insister, elle se traîna hors de la grotte, en titubant de plus en plus.
Les renards l'attendaient avec le cerf et deux ou trois biches qui les avaient rejoints. Notre amie aperçut les toutes premières lueurs de l'aube.
Elle regarda le champignon noir qu'elle tenait en main. Elle l'approcha de son nez. Pas d'odeur... Elle sait qu'il ne faut jamais manger des plantes qu'on trouve ainsi dans la nature, mais il fallait se décider. Faire confiance à la vieille souris ou mourir.
Elle mordit le champignon et l'avala en trois bouchées. Ses vertiges reprirent et elle tomba évanouie sur le sol devant la grotte.
Quand elle revint à elle, un rayon de soleil l'éclairait. Elle était contre le grand cerf, qui lui tenait chaud. Un des renards s'était glissé sous sa tête et lui servait d'oreiller. Il ne bougeait pas. Les renardeaux observaient la grande fille. Elle se redressa.
Elle se sentait déjà un peu mieux, la fièvre était tombée, mais elle avait affreusement mal au ventre. Elle monta sur le dos du cerf et il la ramena à la maison.
Pendant trois jours, Christine ressentit des crampes violentes malgré les médicaments du médecin appelé par ses parents. Elle ne put rien avaler. Elle vomissait tout ce qu'elle mangeait. Après ces trois jours, elle récupéra peu à peu ses forces. Elle resta encore deux jours à la maison.
Elle n'est jamais retournée à la grotte aux serpents. Elle n'a jamais revu le terrible roi jaune aux écailles noires.
Les renardeaux vinrent la remercier pour son fabuleux courage.
Découvre à présent la suite et fin de ce récit au numéro 18 : La pierre Apiryque. Tu trouveras là toutes les explications et les éclaircissements que tu attends concernant les étranges pétales de roses et ce qui y est écrit en lisant la dernière partie de cette passionnante aventure.