Christine
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La Grotte aux serpents: La Pierre apiryque (Partie 4)

     Trois étudiants randonnaient dans un canyon profond aux parois rouges ocre. Les trois amis, dix-huit, dix-neuf et vingt ans avaient laissé leur voiture à l'entrée de la vallée. Chargés de lourds sacs à dos contenant tente, sac de couchage, nourriture et boissons pour sept jours, ils suivaient un torrent aux eaux souvent troubles, car limoneuses.

-C'est encore loin, ton volcan ? Ça fait trois jours que l'on patauge dans ton cours d'eau, dit Thierry, le blond.

-On devrait arriver au barrage des castors au tournant de la vallée, répondit Marc, celui aux cheveux roux.

-Le voilà, cria le troisième, celui aux cheveux noirs, Valentin.

-Pas trop tôt, reprit le premier, Thierry, le visage rougi de sueur. Ta randonnée était facile au début, mais depuis le deuxième embranchement, le lit du cours d'eau est jonché de troncs d'arbres qu'il faut escalader, de rochers à contourner, de passages étroits où l'eau nous vient jusqu'au torse, et j'en passe.

-Sans compter la chaleur, les moustiques, les zones de boue, les ronces, ajouta Valentin en souriant malgré tout.

-Arrêtez de vous plaindre, fit Marc, le copain roux. Regardez-moi ça.

Un barrage dressait son mur de troncs, de pierres, de cailloux, de boue, devant eux. Sur dix mètres de hauteur, de l'eau giclait entre les trous laissés par les castors, à moins que cet obstacle ne soit que le fruit d'un écroulement dont les décombres bloquant le passage de l'eau, formaient ce barrage.

-Tu as peut-être raison, fit Thierry. Je vois là-haut, un grand rocher de basalte noir qui forme une terrasse légèrement inclinée et qu'on croirait prête à glisser dans la vallée à son tour.

-C'est là qu'il faut aller, lança Valentin. Mon oncle m'en a parlé. Cette roche volcanique est particulièrement dure, vous vous en apercevrez si on y grimpe.

L'oncle de Valentin, Patrick Diallo, est un savant, professeur de langues mortes ou presque oubliées, à l'Université de Dakar, au Sénégal. Il en connaît plus de vingt à fond et possède de sérieuses notions de vingt autres. Il collectionne des minéraux et des cristaux originaires de zones volcaniques éteintes, glanés lors de ses voyages d'étude autour du monde.

-Tu ne vas pas nous faire escalader ce barrage ? risqua Thierry.

-Au point où on en est, dit Marc en riant… Tu ne t'es pas vu ? Trempé et boueux comme nous tous. On n'est plus à un peu de vase près…

Ils escaladèrent les rochers et les troncs et parvinrent à se hisser, après bien des efforts, sur le rocher noir.


Ils se trouvaient maintenant sur une large terrasse basaltique sombre, un peu inclinée vers la vallée qu'ils venaient de quitter et qu'ils dominaient d'une hauteur de trente mètres. Derrière eux, le canyon dressait ses parois verticales rouges de plus de six cents mètres de haut.

Inspectant le sol et frappant la roche ici et là avec des petits marteaux qu'ils avaient emportés accrochés à leurs ceintures, ils découvrirent un trou, une sorte de cheminée, creusée dans la pierre noire. Elle était profonde de deux mètres et avait à peu près un mètre de diamètre. Elle était à moitié remplie d'eau.

-Regardez cette pierre triangulaire au fond de ce puits, dit Thierry.

-C'est sans doute elle qui a creusé ce trou en usant la roche noire par frottement, lorsque l'eau en coulant dans sa cheminée la faisait bouger.

-Ça a dû prendre des siècles, dit Valentin.

Thierry expliqua qu'il avait vu un phénomène semblable dans un parc à Bern en Suisse.

-Qui descend ? dit Marc.

-Pourquoi descendre? répondit Valentin. Pour se laver dans cette baignoire ?

-Quelque chose est écrit, ou plutôt gravé sur la pierre, me semble-t-il, fit Marc. Il faut la sortir de là, les amis.

-Ça me tente, j’y vais ! déclara Valentin.

Il descendit, tenu et aidé par les deux autres. Ses amis lui passèrent une corde qu'il réussit à nouer autour de la pierre en se baissant tout à fait dans l'eau. Les autres le hissèrent ensuite hors du trou.

Tirant alors sur la corde, ils parvinrent à retirer la pierre de cette cheminée où elle gisait peut-être depuis des centaines de siècles.


Quelque chose était gravé sur le roc triangulaire et plat comme un galet. Une sorte d'écriture régulière, qui ligne après ligne, couvrait la roche de haut en bas et sur les deux faces du triangle.

Ils ne parvinrent pas à la déchiffrer.

-Ce ne sont pas des lettres européennes, ni russes, ni grecques, dit Thierry.

-Ce n'est ni de l'hébreu, ni de l'arabe, ni des hiéroglyphes, ajouta Valentin, ni aucune écriture primitive africaine, à mon avis.

-J'étudie le japonais, dit Marc. Ce n'en est pas, ni du chinois, je pense.

-Les amis, nous sommes peut-être devant une découverte fabuleuse. Une écriture jusqu'ici inconnue, laissée par une civilisation disparue et qui va éclairer l'histoire du monde, lança Valentin.

-Pas trop vite, dit Marc. Tu vois déjà ton nom écrit en lettres de feu dans tous les manuels à la manière de Champollion qui déchiffra la pierre de Rosette, mais ne nous réjouissons pas encore. Je propose d'emmener cette roche étrange avec nous et de la montrer à ton oncle à l'Université, Valentin. Lui saura peut-être reconnaître une écriture que nous ne connaissons pas.

-Tu as senti le poids de cette pierre ? fit Thierry.

-Si l'écriture est un texte unique d'une civilisation perdue, nous sommes riches. Les musées du monde vont se l'arracher, répondit Marc.

Ils emmenèrent la pierre.

La faire descendre le long de la paroi rocheuse fut périlleux, la trimbaler le long du torrent du canyon fut éreintant. L'un d'entre eux la portait, tandis que les deux autres se chargeaient des sacs à dos à tour de rôle.

Il leur fallut quatre jours pour faire au retour ce qu'ils avaient mis trois jours à parcourir.


Ils se rendirent aussitôt chez l'oncle de Valentin. Le professeur les reçut à bras ouverts. Ils posèrent leur trouvaille sur le bureau du savant. Celui-ci observa soigneusement l'écriture, sous un bon éclairage et parfois à la loupe.

-Je n'ai jamais vu ni entendu parler de cette écriture, dit-il. Vous avez là un objet extraordinaire…

Le professeur photographia la pierre, puis avec l'accord des trois amis, il scanna l'image et l'envoya par Internet à ses collègues spécialistes de langues anciennes ou disparues à travers le monde, avec une triple question :

-Connaissez-vous ces signes? Pouvez-vous les lire? Avez-vous déjà entendu parler de cette écriture ?

Les réponses vinrent jour après jour. Toutes semblables.

-Professeur Kawamura, de l'Université de Tokyo : mon collègue de Kyoto et moi-même n'avons jamais vu cela. Même dans cette île au Sud du Japon où on parle un langage différent, ces lignes ne correspondent en rien à une écriture actuelle ou ancienne de chez nous.

-Professeure Huang, de l'Université de Pékin (Beijing) en Chine: cette écriture est inconnue même chez les peuplades du désert de Gobi ou dans les contreforts du Tibet.

-Professeur Abdel Jalab, de Riyad, Arabie Saoudite : aucun peuple du Moyen Orient n'écrit et n'a jamais écrit ainsi. Même au temps immémoriaux de l'empire perse aux écritures cunéiformes.

-Professeur Noam Lévi de l'Université de Jérusalem, Israël : mes collègues et moi n'avons jamais vu cela. Tenez-nous au courant, nous sommes impatients d'apprendre l'origine de cette pierre.

-Un envoi du professeur Mpenza de l'université de Kinshasa : aucune peuplade en Afrique centrale n'a écrit ou n'a pu graver ces lignes. Nous attendons vos nouvelles et vos explications.

-Venu de Rio de Janeiro au Brésil, de Quito en Équateur, de Lima au Pérou et de Buenos Aires en Argentine : au cœur du Mato Grosso, qu'arrose l'immense Amazone, se trouve peut-être un temple primitif pas encore découvert, mais sinon cette écriture ne provient pas d'Amérique du Sud.

-Professeur Melvin Rubinstein, université de Harvard, Massachusetts, USA : écriture inconnue. Serait-ce une météorite ? Nous sommes acheteurs. Nous offrons un million de dollars.

-Professeure Ariane Larivière, Université de Montréal, Québec, Canada : je prends le premier avion et je viens vous rejoindre. Jamais vu cela ! Suis impatiente !

Seul le professeur Louis de Saint-Foy, de l'Université de Paris, émit un avis qui peut-être, ouvrait une piste. Voici son message : « Je n'ai jamais vu un exemple de cette écriture. Mais il y a deux lignes, à la fin du livre de l'empereur de la cité oubliée de Thaor-Liq (Océan Pacifique). On y évoque une écriture qui, fait incroyable, serait celle d'animaux ! À l'époque où l'homme se contentait de dessiner des mammouths sur les murs des grottes, des animaux auraient acquis la capacité d'écrire. Le livre de la cité de Thaor-Liq cite le nom d'écriture "apiryque". » ( Lis l'épisode 6 des aventures de John et Gun: La cité de Thaor-Liq, si tu veux en savoir plus sur cette civilisation disparue.)


Deux semaines plus tard, une quinzaine de savants et de savantes venus du monde entier se retrouvèrent dans le bureau du professeur Diallo, l'oncle de Valentin, à contempler la pierre. Les étudiants randonneurs observaient la scène d'un œil amusé.

-Chers amis et collègues, dit le professeur Louis de Saint-Foy en prenant la parole, résumons-nous. C'est peut-être cette mystérieuse écriture "apiryque" que je vous ai évoquée. Hélas aucun d'entre nous et nul savant au monde ne peut la traduire. J'ai une idée. Envoyons ces lignes à la CIA, à Langley, USA. Ils ont un des plus puissants ordinateurs au monde et savent décrypter les signes et les langues ou les patois les plus complexes ou les plus secrets.

-Excellente idée, fit l'oncle de Valentin.

Une copie des signes écrits sur la pierre fut envoyée à Langley.

La réponse arriva vingt-quatre heures plus tard. UNKNOWN. Les savants demeurèrent comme muets. L'étudiant randonneur blond, Thierry, rompit le silence.

-Des amis de mes parents habitent un village situé à la lisière d'une grande forêt. Ils m'ont parlé d'une jeune fille qui habite au fond de ces bois avec ses parents. Une aventurière, un peu sauvageonne, paraît-il. Elle aurait le don de parler le langage de certains animaux et de comprendre ce qu'ils disent. Peut-être saurait-elle lire l'écriture "apiryque", puisque vous dites que c'est un animal qui l'aurait écrite…


Lorsque Christine revint chez elle ce soir-là, elle eut la surprise de voir une dizaine de belles voitures tout-terrain parquées autour de la maison.

Très étonnée, elle poussa la porte et entra. La pièce de séjour était encombrée d'hommes et de femmes à qui ses parents servaient thé et café.

-Voici ma fille, annonça le papa.

-Quel âge as-tu ? demanda l'un des savants.

-J'ai dix ans, répondit-elle.

Tous l'observèrent un instant. Elle portait sa salopette en jean bien usée et délavée et ses sandales de toile brunies par la boue des chemins. Ses longues tresses brunes encadraient son visage énergique.

-Qui sont tous ces gens ? demanda Christine à son père.

-Ce sont de grands savants, des professeurs, ma chérie.

-Pour moi ? Ils vont être mes précepteurs? s'inquiéta notre amie.

-Rassurez-vous, mademoiselle, dit le professeur de Saint-Foy de Paris. Nous venons seulement ici pleins d'espoir, vous demander de lire des signes gravés sur une pierre. Celle-ci. Elle est posée sur la grande table.

-On nous dit que vous parlez aux animaux, ajouta l'oncle de Valentin. Or, il se pourrait que ce soit un animal qui ait écrit ces lignes.

-Un animal qui écrit ? s'étonna Christine. Seuls des humains savent écrire. Enfin, c'est ce que l'on m'a dit.

-Voulez-vous regarder quand même ?

Christine s'approcha de la grande pierre triangulaire. Elle se pencha sur les signes. Elle toucha quelques lignes du bout de son index. Elle inclina la tête, pour tenter de lire à l'envers. Puis elle fit le tour de la table. Les savants reculèrent pour la laisser passer. Notre amie se tourna vers celui qui lui avait parlé.

-Je regrette, dit-elle. Je ne sais pas lire ces lettres. Je ne les comprends pas.


La déception marquait les visages de ces savants venus du monde entier. Ils avaient espéré faire une découverte fabuleuse, une découverte qui révolutionnerait tout notre savoir sur le monde des animaux. Hélas, notre amie qui devait les introduire dans ce monde, ne semblait pas en posséder la clé, celle de l'écriture "apiryque".

-J'ai peut-être une solution, proposa Christine. Je connais un vieux renard. Il sait beaucoup de choses et il m'a déjà aidée alors que je me trouvais en grande difficulté. Mes amis animaux disent qu'il a réponse à tout. Allons l'interroger...


Une colonne de Jeep, Land Rover et autres véhicules tout-terrain parcourut les routes boueuses de la forêt. Christine, assise à l'avant dans la première voiture montrait le chemin. Tous s'arrêtèrent au carrefour des trois routes. Elle y va souvent. Il est situé au milieu des bois.

Continuant à pied, toujours menés par notre amie, ils suivirent la piste peu praticable qui s'enfonce à gauche dans le bois de sapins.

Ils s'arrêtèrent à l'entrée d'un étrange chaos de rochers, au milieu duquel se dressait un tronc d'arbre mort, gris, desséché, fendu. Entre ses puissantes racines se trouvait le terrier du vieux renard.

Christine s'assit sur ses talons, genoux en terre et poussant d'étranges petits cris, elle appela le renard.

-On se connaît, dit-il en se montrant.

-Oui, dit-elle. Tu m'as aidée deux fois.

Découvre ces deux passionnantes histoires: La nouvelle route. Christine n° 38 et Le carré de la mort. Christine n° 3.

-Renard, tu vois tous ces gens qui m'accompagnent ? Ils ont découvert une pierre sur laquelle une écriture étrange est gravée. Ils prétendent qu'un animal aurait écrit ces lignes. Peux-tu les lire ?

-Aucun animal ne sait écrire, dit le vieux renard.

-Je le sais bien. Mais veux-tu essayer de lire quand même ?

-Je ne sais pas lire, Christine. Je ne vais pas à l'école. Montre-moi quand même cette pierre.

Le renard l'observa un instant, puis retourna à l'entrée de son terrier.

-Non. Je ne sais pas lire ces signes.

Notre amie traduisait les réponses du renard aux savants. De nouveau la déception put se lire sur leurs visages.


-Pourquoi ne vas-tu pas voir la vieille souris, proposa le renard. Elle sait lire, elle, souviens-toi. Elle possède des mystérieux pétales de roses qu'elle entrepose dans des coquilles de noix.

-Je n'y avais pas pensé, s'écria Christine. Merci renard!

Elle se releva.

-Je connais une vieille souris, dit-elle. Elle garde des pétales de roses qui, c'est étrange, ne se fanent pas et sur lesquels sont écrits des signes. Elle m'a parlé de pattes de mouches. Elle sait les lire.

Découvre cette souris dans: "La grotte aux serpents": Partie 1: "Le hibou". Christine n°15. Et puis partie 3 : "Les quatre renards". Christine 17... Si tu veux en savoir plus.

Les savants reprirent espoir.

Le soir tombait. La route était longue pour se rendre à cet endroit, expliqua Christine. Ils décidèrent de reporter cette expédition au lendemain.


La vieille souris avait son nid au fond d'un trou dans un site de rochers assez impressionnants, à la limite de la grande forêt où habite notre amie et la zone des hautes collines qui la ceinture au Nord, à deux heures de marche du carrefour des trois routes.

Le groupe des savants, guidés par la jeune fille, suivit le sentier qui s'enfonce à travers bois. Il n'était pas loin de midi quand ils s'arrêtèrent et se placèrent en demi-cercle autour de notre amie. Ils posèrent la pierre devant l'entrée du nid de la souris. Christine l'appela.

-Je vous préviens, avertit la jeune fille, elle a mauvais caractère.

La souris parut enfin à la lumière du soleil. Toute grise, la moustache tombante, les yeux noirs, brillants. Elle observa le groupe.

-Tu es déjà venue me voir, toi.

-Oui, répondit Christine. Tu m'as bien aidée quand mon hibou était malade. Voudrais-tu montrer à ces dames et messieurs, tes coquilles de noix contenant des pétales de roses où les remèdes pour animaux sont écrits ?

-Tu m'as apporté du fromage ? répondit la souris.

-Elle veut du fromage, traduisit notre amie.

On lui en donna un morceau, directement prélevé dans l’un des pique-niques.

Elle disparut dans son trou et revint avec une noix, dont la coquille s'ouvrait à plat comme un livre. Quelques pétales de roses, étrangement pas fanés, y étaient rangés. Sur chacun d'eux, se trouvait dessinée en caractères noirs une étrange écriture illisible, sauf pour la souris. Cela ressemblait aux signes gravés sur la pierre triangulaire.

-Et pourrais-tu lire ce qui est écrit sur cette roche que nous avons apportée ? demanda Christine.

La souris observa la pierre. Le groupe de savants retenait sa respiration. On entendit passer une guêpe.

-Non.

Déception de tous quand notre amie traduisit la réponse de la souris.


-Pourquoi sais-tu lire les pétales et pas ce qui est gravé sur la roche ? demanda Christine.

-Parce qu'elle est posée à l'envers. Il faut la tenir sur sa pointe.

La jeune fille transmit. Un des savants retourna l'étrange roche. Thierry et Valentin la tenaient à présent en équilibre instable sur son sommet et non plus sur sa base.

La vieille souris lut. Christine traduisit en langage humain ce que l'animal disait.

-Moi, Aïnoa, je suis devenue la première reine des abeilles.

La souris s'arrêta.

-C'est tout ? demanda notre amie.

-Je prendrais bien encore un morceau de fromage.

-Je vous avais prévenus, dit Christine en souriant, c'est une gourmande.

La vieille souris poursuivit sa lecture.

« Moi, Aïnoa, je suis devenue la première reine des abeilles.

En ce temps-là, les abeilles vivaient en couple, élevant leurs petits comme font les oiseaux.

« Un jour, je me suis égarée sur les flancs d'un volcan éteint. J'ai perçu à cet endroit une étrange odeur que je ne connaissais pas, mais qui m'attirait.

La région des hautes collines, comme Christine l'appelle, est en fait une zone volcanique très ancienne.

« Entrant par un interstice étroit, je suis arrivée dans une grotte à la voûte basse, très humide et presque noire. Des fleurs y poussaient, répandant un étrange parfum envoûtant. Je me suis posée sur l'une d'elles. Elle s'est aussitôt refermée. J'ai compris trop tard que c'était une sorte de plante carnivore, proche pourtant des champignons par son odeur. J'ai cru que j'allais mourir.

Christine traduisait pour les savants les couinements de la souris. Tous se taisaient, émerveillés.

« Combien de temps suis-je restée enfermée dans cette plante, je ne sais. Tout à coup je revis de la lumière et je m'envolai, profitant de l'ouverture que la fleur avait laissée. Je sortis de la grotte.

« Survolant une flaque d'eau, je me vis, volant par-dessus. Je me reconnus dans le miroir lisse que l'eau formait à la surface. Je me reconnus, moi, Aïnoa ! Et je compris que j'avais acquis une intelligence dans cette plante.

Seuls les humains se reconnaissent vraiment dans un miroir. Le chat, le chien y voient un autre chat ou un autre chien qu'ils fuient ou qu'ils tentent d'agresser. Le singe grimace devant son semblable qui l'imite sans savoir paraît-il que c'est lui qui fait des grimaces.

« Revenue chez moi, j'ai parlé à mes filles. Je vais vous apprendre à construire des ruches immenses. Des milliers d'abeilles y vivront et vous deviendrez des reines à votre tour. J'avais compris la géométrie de l'hexagone qui nous est si utile pour construire nos ruches et mille autres choses.


La vieille souris se tut.

-C'est tout ? demanda Christine.

-Non, mais le reste est écrit de l'autre côté de la pierre.

-Tu ne peux pas sortir de ton trou et aller lire ?

-Non. Tournez la pierre.

On la fit pivoter sur sa base. La souris reprit sa lecture.

« Hélas, je n'ai pas réussi à développer une intelligence chez mes filles. Elles n'ont jamais su que copier la construction des ruches. J'ai bien tenté de retourner avec elles à l'étrange plante mi-champignon mi-carnivore du volcan, mais je n'ai jamais retrouvé l'entrée étroite de la grotte.

-Je voudrais encore du fromage, dit la vieille souris.

-Tu vas avoir une indigestion, répondit Christine.

-Ne te fais pas de souci pour moi.

Chacune des personnes réunies fouilla dans son pique-nique et l’on rassembla tout le fromage disponible, qu'elle fit glisser dans son nid. Ensuite la vieille souris reprit sa lecture.

« J'ai passé le reste de ma vie à découvrir des remèdes pour les maladies des animaux et à les écrire sur des pétales de roses. Je les trempais dans une boue à l'odeur piquante et qui venait elle aussi du volcan. Ainsi ces pétales ne fanaient pas.

« J'ai vécu mille ans.

-Tu te trompes, dit Christine. Une abeille ne vit pas si longtemps.

-Pour une abeille, expliqua la souris, un an, c'est le temps qui sépare le lever du coucher du soleil. Ça fait trois années humaines environ.


« J'ai vécu mille ans. À la fin de ma vie, j'ai réussi à apprendre à une souris à lire mon écriture. Elle a pu ainsi continuer à soigner les animaux qui viennent se présenter à elle. J'ai fait graver l'histoire de ma vie sur cette stèle, selon mes indications, par des écureuils aux griffes acérées.

-Et de souris mères en souris filles, on arrive à toi, vieille souris, dit Christine.

-Tout juste. Mais il reste une ligne à lire. La voici.

« Je quitte ce monde cruel et violent sans autre regret que celui de n'avoir pas pu transmettre mon intelligence à mes filles.

Aïnoa, première reine des abeilles.»


Un murmure d'admiration s'éleva de la bouche des savants réunis. Tous sortaient comme d'un rêve. Le premier à parler fut le professeur Louis de Saint-Foy de Paris.

-Mademoiselle Christine, revenez rendre visite à cette souris. Demandez-lui de vous apprendre à lire l'écriture d'Aïnoa. Il ne faut pas que pareil trésor de connaissances se perde.


Les trois étudiants randonneurs vendirent la pierre apiryque à un riche musée qui fit leur fortune.

Christine retourna chez la vieille souris dont elle se fit une amie. Elle apprit à lire cette étrange écriture apiryque. Puis elle recopia dans un cahier tout ce qui était écrit sur les précieux pétales de roses.

Plus tard notre amie choisit de devenir vétérinaire. Et grâce à son don de parler aux animaux et à sa connaissance des écrits d'Aïnoa sur le traitement des maladies, elle est devenue une célèbre docteure pour animaux, pour son plus grand bonheur.