La colline aux diamants
Caroline s'arrêta devant le nouveau panneau dressé au milieu du hall d'entrée de l'hôtel tenu par ses parents.
« GRAND CIRCUIT AVENTURE »
Visitez l'Ouest sauvage.
Excursions d'une journée à travers les collines, les plaines,
les canyons et les déserts brûlés de soleil.
Des paysages à couper le souffle !
Venez vivre une journée inoubliable sur les pistes périlleuses des premiers arrivants.
-Caroline, viens une minute dans mon bureau, appela le papa de notre amie. J'ai un service à te demander.
Elle s'assit en face de son père.
-Tu as vu l'affiche à l'entrée. J'ai acheté un minicar tout-terrain et loué les services d'un guide nature. Deux familles sont inscrites pour la première journée, demain. J'aimerais que tu les accompagnes. J'ai établi un circuit-découverte qui passionnera nos clients. Tu me diras au soir ce que vaut cet accompagnateur. Il me semble sympa, mais fort jeune et sans vraie expérience.
-Je peux emmener Rivière d'Étoiles, si ses parents sont d'accord ?
-Il n'y a que dix places dans le véhicule, ma chérie. Le guide chauffeur, les deux fois deux parents et leurs deux enfants chacun. Cela fait neuf, plus toi, dix.
-On se serrera l'une contre l'autre sur un même siège...
Le papa de notre amie sourit.
-D'accord. Départ à neuf heures, demain matin.
Ils roulaient depuis près de deux heures sur une piste ensoleillée au fond d'un canyon aux parois rocheuses rouges et oranges, d'une beauté sidérante.
Deux fois, les clients demandèrent au guide chauffeur de s'arrêter. Les parents voulaient filmer le paysage et les enfants, de sept et neuf ans d'un côté et de six et quatre ans de l'autre, en profitèrent pour se dégourdir les jambes, ramasser des pierres rouges, entreprendre une petite escalade, une partie de cache-cache ou tenter quelques pas à l'aventure.
Les deux fois, Caroline dut insister, car le guide n'avait en tête que l'heure du retour, fixée en principe, au soir vers dix-neuf heures. Par contre, les parents encouragèrent et apprécièrent fort l'intervention de notre amie.
Pendant la halte pique-nique de midi, au bord d'un précipice impressionnant, un des couples, les parents des deux enfants les plus grands, demanda si l'on passerait par la fameuse colline aux diamants, dont ils avaient entendu parler.
-Impossible, répondit le chauffeur. Ce n'est pas sur notre route.
Notre amie intervint de nouveau, et demanda où cet endroit se trouvait.
-Là au fond, indiqua le conducteur en pointant son doigt vers une colline escarpée située en-dessous d'eux. Dans la vallée. Hélas, pour s'y rendre il faut suivre la piste, plus très entretenue à partir d'ici, et qui longe en descendant la falaise rocheuse, puis passer deux ruisseaux à gué.
Rivière d'Étoiles prit ensuite la parole et expliqua que les Amérindiens appelaient ainsi ce lieu car cette colline est parsemée d'éclats de gypse qui brillent au soleil.
-Personne n'a trouvé des diamants à cet endroit, poursuivit la jeune fille, mais c'est très joli, paraît-il. Je n'y suis jamais allée, mais on m'en a souvent parlé.
-C'est un détour de treize kilomètres, fit remarquer le guide. Et en dehors du circuit prévu par votre père, mademoiselle, ajouta-t-il en regardant Caroline.
-J'aimerais quand même qu'on s'y rende si vous voulez bien, décida notre amie. Les clients de mon père le souhaitent et cela ne prendra qu'une heure. Il suffira de suivre un raccourci au retour.
-Il suffira... toisa le chauffeur. Vous voulez tenir le volant? Et puis, c'est vite dit! Cela prendra deux heures au moins.
-Alors, en route sans tarder, dit Caroline en souriant malgré le propos déplaisant.
-Vous prenez toute la responsabilité de cet écart, mademoiselle, maugréa l'homme en se remettant au volant. S'il arrive quoi que ce soit, je vous en tiendrai responsable.
-Quelle réponse courageuse, murmura Rivière d'Étoiles.
Nos amies, âgées de dix ans, n'ont pas vite froid aux yeux. Elles ont vécu des aventures bien plus périlleuses, tu le sais sans doute pour les avoir lues.
La piste descendait en lacets. Ils parvinrent sans difficulté au fond de la vallée. Là commençait une plaine immense et plate, mais on voyait se dresser au loin une colline en forme de table : une mesa.
Ils passèrent deux rivières à sec. Ces wash, comme on les appelle là-bas dans l'Ouest, ne se remplissent d'eau qu'en cas d'orage. Mais alors, ils peuvent devenir infranchissables en moins d'une heure, à cause de la coulée d'eau boueuse qui envahit soudain leur lit.
Le minicar tout-terrain descendit deux fois un raidillon profond d'un ou deux mètres, puis remonta vers l'autre berge pour poursuivre la piste après avoir cahoté sur le fond rocailleux des cours d'eau à sec, en évitant les flaques de boue au limon craquelé en surface.
Ils s'arrêtèrent au pied de la colline aux diamants.
Le spectacle apparut féérique. Des centaines de débris de gypse jonchaient la paroi oblique de la mesa, et cela brillait de mille feux.
La maman des deux plus petits, une géologue, expliqua l'origine du gypse et sa composition.
Les enfants ramassèrent quelques morceaux qu'ils glissèrent dans leurs poches avec des cris de joie.
Caroline écoutait distraitement les explications. Le ciel, devenu tout noir à l'horizon, l'inquiétait. Un orage venait vers eux. Le vent se leva. Il était grand temps de quitter les lieux et de vite repasser les deux wash avant de se retrouver bloqués pour la soirée et sans doute la nuit, en ces lieux déserts et loin de tout.
Le temps de rappeler les enfants partis pour une nouvelle escalade aventureuse et les premières gouttes tombèrent ici et là. On les entendait s'écraser sur le sol.
La traversée du premier gué fut déjà délicate. Le limon durci par le soleil se changeait en boue sous l'averse. Et quatre kilomètres séparaient les deux cours d'eau.
La pluie tombait à torrent à présent, noyant le paysage. Il faisait presque noir. Le chauffeur alluma les phares du minicar. Les éclairs se succédaient en cadence infernale. Notre amie était vraiment inquiète.
Ils s'arrêtèrent au bord du second wash. Il faudrait d'abord descendre, en empruntant un plan incliné, puis franchir quelques mètres sur le lit du cours d'eau. Enfin, remonter de l'autre côté. La boue envahissait la route. Ça ruisselait de partout.
Caroline sortit du véhicule pour aller vérifier l'état du passage. Le temps d'aller au bord de l'eau, son t-shirt et son jean furent trempés. Ses baskets s'imprégnaient de vase qui montait au-dessus des chevilles. Deux pas plus loin, ça lui vint jusqu'aux genoux.
Elle retourna au minicar.
-Impossible de traverser, dit-elle. Faites demi-tour. Franchissons le premier wash avant de se trouver bloqués entre les deux. Nous serons plus en sécurité au pied de la colline aux diamants.
Ils y parvinrent sans trop de difficultés.
-Vous êtes responsable de cette situation, mademoiselle, s'empressa de dire le guide avec lâcheté.
-C'est notre faute, affirmèrent les parents des quatre enfants. Ne crains rien, Caroline. Ton amie et toi ne devez rien regretter. Attendons un peu, l'orage finira par s'éloigner.
La pluie torrentielle tambourinait sur le toit du véhicule et coulait le long des vitres. Les éclairs illuminaient le ciel de leur lumière grise et faisaient à chaque fois briller les pierres de gypse comme des diamants.
-On pourrait aller à Old Paria, dit soudain Rivière d'Étoiles.
-C'est quoi ? demanda son amie.
-Un village fantôme. Mon grand-père, un ancien sachem comme tu sais, m'en parle parfois. Cet endroit se trouve pas loin d'ici, je pense, à peine à vingt kilomètres. Plus personne n'y habite. Certaines maisons sont encore en bon état, paraît-il. On pourrait y passer la nuit plus confortablement qu'ici.
-Je vous ferai remarquer que l'on s'éloigne encore de l'hôtel, maugréa le chauffeur.
-Mais cela nous rapproche de la grand route, la highway, qui elle, est à coup sûr parfaitement carrossable, répliqua Rivière d'Étoiles.
-Je décide qu'on y va, fit Caroline.
-Mademoiselle, vous savez j'espère, que ces villages fantôme sont comme tant d'autres des repaires de voleurs.
-Tant pis, lança notre amie. En route.
La piste s'avéra tout à fait praticable. Ils ne croisèrent aucun gué à traverser.
La nuit tombait et l'orage s'éloignait. Ils arrivèrent à Old Paria sous les étoiles.
Une ruelle en terre les accueillit. Les maisons en bois qui la bordaient à gauche et à droite étaient, pour la plupart, à demi écroulées. Seul, au milieu de ce village, abandonné depuis plus de cent ans peut-être, le saloon se dressait bien droit. Sa façade luisait à certains endroits, encore mouillée par la tempête, sous les lueurs de la lune qui venait d'apparaître au-dessus de la mesa, à l'horizon.
Ils arrêtèrent le véhicule devant l'entrée et sortirent tous. Caroline suggéra au chauffeur d'aller le garer à l'abri des regards, derrière le bâtiment.
Ils retirèrent du coffre les couvertures de survie et le reste des provisions. Pas grand-chose. Puis ils entrèrent dans le vieil hôtel.
Des tables rondes et des chaises garnissaient le rez-de-chaussée. Le bar parut en bon état, mais jonché de verres et de bouteilles cassées. Ils ramassèrent quelques douilles et des balles de révolver sur le plancher, témoins du passage récent de quelques bandits, sans doute.
Un escalier monumental se dressait le long du mur droit et menait à l'étage. Ils l'empruntèrent.
Quatre portes fermées, deux à gauche et deux à droite, clôturaient le couloir plongé dans l'obscurité. Trois chambres semblaient condamnées. Ils réussirent à ouvrir la porte de l'une d'entre elles, mais la pièce était remplie de meubles brisés, et envahie de toiles d'araignées.
La quatrième était vide. L'absence de poussière indiquait qu'elle venait d'être occupée récemment. Ils y étendirent les couvertures, puis redescendirent au rez-de-chaussée.
Ils partagèrent le peu de nourriture qui restait du pique-nique de midi. Les parents se privèrent pour leurs enfants. Caroline et Rivière d'Étoiles prétendirent ne pas avoir faim. Courageuses, elles voulaient que les quatre petits ne passent pas la nuit le ventre vide.
Puis on mit coucher les plus jeunes.
-Je suis désolée, dit Caroline. Tout est de ma faute. Si je n'avais pas obligé le guide à dévier de sa route, vous seriez devant un bon repas à l'hôtel, et un lit confortable vous attendrait.
-Ne te reproche rien, affirma un des papas. J'ai insisté pour visiter la colline aux diamants.
-Et puis, ajouta l'autre en riant, on nous annonçait une journée sur les pistes périlleuses comme les pionniers d'autrefois. Nous voilà au cœur de l'aventure. Cela nous fera un fameux souvenir.
Le guide se taisait.
Une heure plus tard, tous étaient couchés dans la chambre, chacun roulé dans une couverture.
Dehors, le vent soufflait, levant la poussière dans la ruelle et sur les pistes déjà à peu près sèches. Parfois il sifflait entre les planches de la façade, faisant craquer les murs en bois ou claquer un volet mal fixé.
-Caroline! Caroline!
Une voix douce appelait notre amie. Elle ouvrit les yeux. La maman du petit garçon de quatre ans se tenait près d'elle.
-Désolée de te réveiller, mais jette un coup d'œil par la fenêtre, dit-elle tout bas pour ne pas déranger les autres. Regarde, quelqu'un vient. Je vois des phares percer la nuit. Ils s'approchent.
La jeune fille se leva et scruta l'obscurité. Deux phares brillaient au loin. Un moment ils disparurent vers la gauche, mais ils réapparurent une minute après. Une voiture arrivait.
Caroline réveilla Rivière d'Étoiles qui aussitôt confirma ce que notre amie craignait. Ce ne pouvait être que des voleurs.
-Descendons vite nous barricader, dit-elle.
-Trop tard, décida sa copine. Et puis, cela éveillerait l'attention des bandits. Ne bougeons pas et respectons un silence absolu. Il ne faut pas qu'ils nous entendent. Évitons qu'ils suspectent notre présence.
Le véhicule approchait. Une vieille jeep tout-terrain de l'armée. Trois hommes l'occupaient. Ils ne ressemblaient vraiment pas à des soldats.
Ils s'arrêtèrent devant le saloon. Ils entrèrent.
Caroline entrouvrit la porte de la chambre et se glissa sans bruit dans le couloir avec Rivière d'Étoiles. Elles réussirent à ramper jusqu'au sommet de l'escalier pour observer les voleurs et écouter leurs propos.
Mais les trois individus, armés de fusils, ne disaient rien. Ils semblaient attendre quelqu'un ou quelque chose.
Quelques minutes plus tard, un autre véhicule s'approcha. Ses phares allumés balayaient le désert.
-Une voiture de la police, murmura Rivière d'Étoiles. On est sauvés.
-Pas sûr, répondit Caroline. Dans un endroit comme celui-ci, rien n'est certain.
Deux hommes en uniforme sortirent du véhicule après l'avoir garé derrière la voiture des trois voleurs. Ils portaient des révolvers à la ceinture. Les trois bandits allèrent à leur rencontre.
-Où se trouve le colis ? demanda l'un d'eux.
-Montrez-nous l'argent, répondit un des deux hommes déguisés en policier en ouvrant le coffre arrière.
Celui qui semblait être le chef des malfrats remit un portefeuille bien épais à celui en uniforme.
L'autre sortit le fameux colis : une personne ligotée et bâillonnée.
Puis les deux faux policiers remontèrent dans leur voiture et partirent, emportant l'argent remis par les voleurs, et abandonnant leur prisonnier.
Les deux amies et les parents venus les rejoindre, pensèrent que ces individus avaient remis cet homme, chef d'une bande ennemie, contre une somme d'argent.
Levant les yeux un instant, nos amis ne virent plus le véhicule qui s'éloignait dans la nuit. Puis, scrutant l'horizon, ils l'aperçurent qui revenait, les phares éteints. Le toit de la voiture luisait à la lueur de la lune.
-Quel étrange manège, chuchota l'un des papas. Que veulent-ils donc ?
-Oui, confirma Caroline. Ils font demi-tour. Ils s'approchent
Pendant ce temps-là, indifférents à ce qui se passait dehors, et sans deviner qu'ils étaient observés par nos amis, les trois voleurs entrèrent dans le saloon avec leur prisonnier, toujours ligoté.
-Dis-nous où se trouve l'or ! cria le chef.
L'homme tremblait. Il observait ses trois tortionnaires tour à tour, avec des yeux épouvantés.
-Alors, tu réponds ?
-Dans... dans la mine... le troisième wagon... caché dans des sacs bruns.
-Tu croyais, José, pouvoir garder tout le butin pour toi et ta bande. Grosse erreur, amigo.
Les faux policiers arrivés entre temps, abandonnèrent leur véhicule derrière un amoncellement de planches d'un bâtiment écroulé. Ils s'approchaient, restant à l'ombre des maisons pour éviter de se faire repérer à la lueur de la lune.
Le chef des voleurs pointa son fusil et tua le prisonnier d'une balle dans le cœur. L'homme s'écroula sur le plancher du saloon.
Deux coups de feu, venus de dehors, déchirèrent le silence de la nuit, faisant voler les dernières vitres en éclat. Deux des trois malfrats qui se croyaient à l'abri derrière les fenêtres tombèrent morts sur le sol.
Restait leur chef.
Il tira à trois reprises, tuant un des faux policiers. Puis le silence retomba.
Le petit garçon de quatre ans, éveillé par le bruit des coups de feu et terrorisé par eux se mit à hurler. L'homme en bas au saloon leva les yeux, étonné de ne pas être seul.
Il se redressa et, arme au poing, fit trois pas vers l'escalier.
Une nouvelle détonation se produisit. Le second faux policier, qui venait d'apercevoir le chef des voleurs passer derrière la fenêtre du saloon, venait de tirer une fois encore.
L'homme se baissa derrière le bar, mais trop tard. Il vida son arme vers le faux gendarme avant de s'écrouler sur le sol, mort.
L'autre, dehors, touché au cœur et à la tête, mourut un instant plus tard.
Caroline, Rivière d'Étoiles, les parents, les enfants, et le guide qui s'était lâchement réfugié dans un cagibi sans chercher à protéger ceux qu'on lui confiait, descendirent ensemble le grand escalier dans un silence sidéré, les cœurs battant encore la chamade.
Six corps jonchaient le sol du saloon et la route en terre, résultat d'un horrible règlement de comptes entre bandes rivales.
Une pâle lueur, au loin, derrière la colline aux diamants, indiquait que dans une heure, le soleil allait se lever.
-S'ils sont arrivés jusqu'ici avec des voitures, notre minibus peut passer aussi, affirma Caroline. Et la grand-route ne doit pas se trouver bien loin. Allons-y. Il est urgent d'avertir le shérif.
Deux heures plus tard, ils parvinrent tous, sains et saufs, à l'hôtel des parents de notre amie. Ils reçurent un bon petit-déjeuner.
Les touristes félicitèrent Caroline et Rivière d'Étoiles pour leur courage et leur esprit d'initiative. Ils les remercièrent encore toutes deux avec chaleur.
Le père de notre amie engagea un autre guide la semaine suivante. Il mena longtemps les voyageurs sur les pistes de l'Ouest. Tout le monde l'apprécia.
Quand les vrais policiers, conduits par nos deux amies, vinrent à Old Paria, ils ne trouvèrent pas d'or dans les wagons rouillés de l'ancienne mine. Ils emportèrent les corps des voleurs. On les enterra, là-bas, près de Blanding.