Béatrice et François
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Les Peintures de Tante Louise

     Une des tantes de Béatrice offre toujours des cadeaux extraordinaires à toute sa famille. Elle habite très loin, de l'autre côté de la terre, en Amérique du Sud, au Brésil.

C'était bientôt l'anniversaire de notre amie, et voilà qu'en revenant de l'école, maman lui annonça qu'un colis venait d'arriver du Brésil justement, et à son nom. C'était grand comme un carton à chaussures et bien emballé. Béatrice l'ouvrit fébrilement et découvrit une petite boîte en métal. Étonnée, elle fit jouer l'étui en fer et y trouva simplement trois petits pots de couleur.

Comme tante Louise n'était pas là, Béatrice exprima ses sentiments sans retenue et fit remarquer sa déception.

-Elle nous fait toujours des cadeaux prodigieux, dit-elle à ses parents.

Et aujourd'hui, que recevait-elle ?

-Et pourquoi payer tous ces beaux timbres pour envoyer des bêtes petites boîtes de couleurs, comme on en trouve dans tous les grands magasins pour quelques pièces de monnaie. En plus, je n'en vois que trois : du jaune, du rouge et du noir.

Trois enveloppes étaient glissées dans le même emballage, une jaune, une rouge et une noire, comme les peintures. Elles dissimulaient une enveloppe blanche, sur laquelle était écrit à l'encre: « Pour l'anniversaire de Béatrice, de la part de tante Louise. »


Notre amie monta à sa chambre, s'assit sur son lit et ouvrit l'enveloppe. Elle contenait une lettre qu'elle lut à son aise.

« Ma chère Béatrice. Je te souhaite un bon anniversaire.

« Je suis sûre qu'en ouvrant la boîte, tu as dû être très déçue. Fais-moi confiance, je te réserve une fameuse surprise. J'ai découvert ces peintures chez un sorcier. Tu sais que je ne fais jamais de cadeaux ordinaires. Alors, prépare-toi pour l'aventure.

« Mets tes plus vieux vêtements. Assieds-toi sur ton lit dans ta chambre et choisis le pot de jaune pour commencer. Déguise-toi en dompteuse d'animaux sauvages, par exemple, et prononce la première formule magique. Tu la trouveras dans l'enveloppe jaune.

« Surtout, quoi qu'il arrive, ne mélange jamais les couleurs et les formules. Il t'arriverait un malheur. Bonne chance…

Béatrice posa la lettre sur la table et ouvrit la boîte de jaune.

Elle se mit un peu de peinture sur le front et sur les joues, avec le bout de son doigt. Puis elle ouvrit l'enveloppe jaune. Il y était inscrit : « Pinta Boa. »

Fermant les yeux, elle prononça :

-Pinta Boa.

Quand elle les ouvrit, elle se trouvait au milieu de la jungle, dans la terrible forêt amazonienne, le Mato Grosso. Il y régnait une chaleur torride. Elle entendit des cris d'oiseaux et surtout des bourdonnements inquiétants. Des abeilles et des frelons géants butinaient des fleurs colossales aux couleurs et aux senteurs fabuleuses. Des araignées monstrueuses couraient sur des troncs d'arbres d'une taille vertigineuse. Des serpents se glissaient çà et là et l'entouraient.

Mais surtout, un vaste marécage aux eaux jaunes s'étendait devant elle. Il y montait régulièrement des bulles, qui en éclatant à la surface, faisaient « Boa, Boa, Boa. »

Notre amie était assise sur un tronc d'arbre mort, dont les branches débarrassées de leurs feuilles tendaient leurs bras vers le ciel. Elle n'osa pas bouger. Son cœur battait vite. Elle était inquiète. Où se trouvait-elle ?

Peu à peu, les bulles devinrent de plus en plus nombreuses et l'eau du marécage s'agita. Des remous fort inquiétants annonçaient une présence qui s'approchait d'elle.

Béatrice vit alors sortir de l'eau l'énorme tête d'un gigantesque serpent. Il mesurait près de cinq mètres de long. Ses yeux jaunes la regardaient fixement. Il s'approcha lentement de la fillette. Le serpent ouvrit sa gueule comme pour mordre. Notre amie entendit un sifflement.

-Boa …

Elle voulait crier, hurler, mais le monstre avançait vers elle inexorablement. Sans attendre, elle recula. Mais assise sur le tronc, elle glissa et tomba en arrière dans la boue et la vase. Elle en eut jusqu'au cou.

Le serpent s'approcha encore de son visage.

La fillette hurlait de peur. Puis tout disparut. Elle risqua de regarder autour d'elle.


Elle se retrouva couchée sur le dos, à côté de son lit, sur le tapis, dans sa chambre en train de remuer bras et jambes pour se défendre contre le serpent. Mais il n'était plus là. Elle était de retour chez elle. L'aventure semblait finie. Pourtant, une épaisse couche de boue, qui sentait mauvais, la recouvrait.

Béatrice comprit que les boîtes de peinture offertes par tante Louise étaient un cadeau prodigieux, parce qu'avec celles-ci, quand on se grime, on devient pour du vrai le personnage auquel on pense.

Elle n'osa pas continuer seule. Ça lui faisait trop peur. Pour découvrir les effets du rouge et noir, elle décida de se rendre chez son ami François. Ils continueraient à deux. Ce serait moins effrayant. Pourvu qu'il accepte…


Le lendemain, elle partit chez son copain.

Il habite dans la même rue qu'elle. Ils vont dans la même classe, dans la même école. Ils ont sept ans et demi. François a deux petites sœurs. Olivia, cinq ans et demi et Amandine, trois ans et demi.

Béatrice remit ses vêtements sales de la veille. Vieux t-shirt usé, jean déchiré, et sandales de toile autrefois blanches mais devenues brunes de boue. La peinture rouge, puis la noire, promettaient des aventures peu communes. Mieux valait s'équiper…

-Salut, François !

-Salut, Béatrice !

Le garçon s'étonna de la voir habillée de haillons sales. Elle lui expliqua.

-Ces peintures viennent du Brésil, où habite ma tante Louise. On se grime, et puis…

Elle lui raconta ce qui s'était passé avec le serpent.

François n'était pas trop rassuré. Rien que de voir l'accoutrement de son amie, on pouvait se poser des questions. Mais les garçons n'aiment pas montrer qu'ils ont peur, surtout devant les filles. Il se sentit obligé de répondre :

-D'accord, on le fait si tu veux.

-Commençons par la peinture rouge. Je vais lire les explications données par ma tante.


Elle prit la lettre et l'ouvrit.

« J'espère que tu t'es bien amusée avec la peinture jaune. Pour la rouge, je te conseille de mettre à nouveau tes vieux vêtements avant de te maquiller et puis de te rendre au bord d'un ruisseau ou d'une petite rivière si tu en trouves une. Là, tu prononceras la formule magique écrite dans l'enveloppe rouge. Bon voyage… »

François passa le jean délavé des dernières vacances, un t-shirt usé et des vieilles sandales de toile. Ils se donnèrent la main et se dirigèrent vers un ruisseau dans le bois voisin.

Le garçon refusa d'étendre de la peinture sur son visage, à cause de l'aventure du serpent. Il n'en mit qu'à l'extrémité de ses doigts. Béatrice fit de même.

Puis ils s'assirent au bord du petit ruisseau. Ils ouvrirent l'enveloppe rouge. Il était inscrit : « Pinta Rana. »

-Ça veut dire quoi ? interrogea François.

-Je ne sais pas, dit Béatrice. Tant pis, on y va.

Collés l'un contre l'autre, ils murmurèrent :

-Pinta Rana.


Ils se retrouvèrent dans la jungle. Au cœur de la forêt d'Amazonie. Au bord d'un fleuve qui avait au moins cinq cents mètres de large. On distinguait à peine l'autre rive. Les eaux oranges coulaient assez rapidement. Ils étaient assis dans une pirogue.

Leur embarcation s'éloigna lentement du bord et vogua doucement au fil de l'eau. À gauche comme à droite, on entendait hurler les bêtes et bourdonner les insectes géants. La chaleur était accablante. Tout était moiteur. Ils se taisaient, inquiets, impressionnés.

Tout à coup, ils perçurent derrière eux un bruit lointain et très régulier, une sorte de mélopée.

-Pinta-Rana, Pinta-Rana…

Ils se retournèrent. Dix pirogues venaient vers eux. Sur chaque pirogue ils comptèrent cinq hommes couverts de peinture rouge. Ces guerriers ramaient en cadence et à toute vitesse avec des grandes pagaies. Certains tenaient des longues lances menaçantes. 

Leurs barques fendaient l'eau. Nos amis seraient vite rattrapés.

Béatrice et François saisirent leurs petites rames. Ils les agitaient de leur mieux, mais ils n'étaient que deux et inexpérimentés.

Les hommes pointèrent soudain leurs lances vers le ciel. Ils se préparaient pour l'attaque. François se retourna à l'arrière de la pirogue et leur fit une horrible grimace. Béatrice poussa un cri suraigu dont seules les petites filles sont capables. Les guerriers s'arrêtèrent tous, comme frappés d'une malédiction.

-Je crois que je leur ai fait peur, souffla François.

-Cela m'étonnerait, estima Béatrice. C'est plutôt mon cri qui les a arrêtés.

Mais une autre raison, bien plus grave, se profilait à l'horizon.

Le courant de la rivière devenait de plus en plus rapide. Nos amis entendirent au loin le grondement d'une chute d'eau dont ils s'approchaient. Elle mesurait vingt mètres de haut. Leur pirogue, emportée par les eaux tumultueuses, se dirigeait droit vers elle.

Les enfants criaient, affolés, impuissants, avançant inexorablement vers la cascade.

Tout à coup, leur bateau se mit de travers, puis se précipita vers un rocher. La pirogue se brisa. Nos amis se retrouvèrent à l'eau. Ils se débattirent avec courage. Heureusement qu'ils savaient bien nager!

Ils parvinrent au bord de la cascade et dégringolèrent les vingt mètres en poussant un cri de terreur. Ils s'enfoncèrent dans un lac profond aux eaux limoneuses. Ils remontèrent à la surface sans trop de mal. Ils étaient couverts de vase de la tête aux pieds. Pas un centimètre de peau n'était épargné. 

Mais surtout ils aperçurent des gros poissons au bout de leurs doigts. François reconnut des piranhas. Ces fameux poissons carnivores amazoniens qui te dévorent et te transforment en squelette en une demi-heure.

Les enfants arrachèrent un à un ces horribles monstres fixés à leurs doigts. Curieusement, les piranhas ne faisaient pas mal. Ils léchaient seulement la peinture rouge.

Quand ils eurent tout pris, nos amis se retrouvèrent dans la boue d'une mare, dans le bois, près du ruisseau.

Les gens qui passaient regardaient, étonnés, ces deux enfants sales et en haillons se rouler dans la saleté.

-Ils jouent dans une mare de boue. Quelle drôle d'idée, murmuraient les passants.


Nos amis sortirent de la vase et retournèrent chez François. Ils étaient dans un bel état !

Il restait la peinture noire, la plus terrifiante.

-On le fait tout de suite, proposa Béatrice. On se lavera après.

-Attends, répondit François. Je vais boire un verre d'eau à la cuisine.

Olivia et Amandine s'approchèrent de leur frère.

-On veut venir avec toi, supplia Olivia. Ça semble trop bien, votre jeu.

-Non, interdit le garçon. Pas question. Vous êtes trop petites. Vous n'avez que cinq et trois ans et c'est un jeu très dangereux. On va aller dans la jungle et être des aventuriers.

-S'il te plaît, s'il te plaît, François.

-Non. Je ne veux pas, cria le grand frère. Papa, j'ai les deux petites à mes trousses, ajouta le grand frère.

Les parents intervinrent.

-Il faut parfois jouer avec ses petites sœurs, François.

-Mais, papa, c'est un jeu dangereux!

-Alors ne le fais pas, conseilla la maman.

-Bon, ça va. Allez, viens Olivia. Et tant pis si tu as peur. Mais pas Amandine, précisa le garçon.

Il emmena sa petite sœur au jardin, vêtue d'un short délavé, coupé dans un vieux jean devenu trop petit pour lui. Il la laissa torse nu. Elle portait des petites sandales de toile aux pieds.


Assis dans l'herbe, ils lurent la suite de la lettre de tante Louise.

«Pour la peinture noire, enferme-toi dans un endroit sombre. Un grenier, une cave, une petite maison abandonnée feront l'affaire. Grime-toi avec la peinture noire. Tu es une exploratrice perdue dans la jungle. Prononce la dernière formule, celle qui se trouve dans l'enveloppe noire: "Pinta coa".

Et surtout, ne mélange jamais les couleurs.

Au fond du jardin de François se trouve une petite cabane dont la porte ferme mal. Ils entrèrent dans cette remise et s'y assirent tous trois. Olivia se glissa entre les deux grands.

Ils ouvrirent les pots de peinture. Ils imposèrent à la petite sœur, par prudence, de se grimer avec un restant de jaune. Ça lui ferait moins peur que le noir qui s'annonçait terrible. Eux ne mirent du noir qu'autour des poignets.

Puis comme Olivia était en jaune et eux en noir, ils prononcèrent la première et la troisième formule.

-Pinta Boa, Pinta Coa.


Ils se retrouvèrent dans une grande pièce sombre. Un flambeau fixé au mur diffusait une lumière tremblante et sinistre. On n'entendait rien. La pièce était vide et des grandes tentures rouges, tombant jusqu'au sol, servaient de porte. Ils les écartèrent.

Ils entrèrent dans un long couloir, en se donnant la main. Ils n'en distinguaient pas la fin, ni à gauche, ni à droite. Venant de droite, par contre, ils perçurent peu à peu un son régulier.

-Coa, coa, coa, coa…

-Des grenouilles, dit Olivia.

-Oh, affirma Béatrice, si ma tante Louise croit que j'ai peur des grenouilles, elle se trompe.

-Attends, dit François, écoute-les. Regarde ce qui vient, c'est horrible.

C'étaient ces gros crapauds venimeux que l'on voit en Amérique du sud. Si on les ennuie, ils crachent un venin très douloureux.

Se donnant toujours la main, ils s'encoururent en suivant le couloir dans la direction opposée à celle des crapauds.

Le corridor se terminait par d'épais rideaux rouges, qui eux aussi tombaient jusqu'au sol. Ils les écartèrent et découvrirent une salle sombre, plus grande qu'une salle de cinéma, et au centre de laquelle se trouvait une piscine.


-Une bonne baignade, cela va nous faire du bien, pensa tout haut Béatrice.

-Minute, chuchota François, je vois quelque chose de bizarre, l'eau bouge.

L'eau, en effet, faisait des vagues, signe d'une présence vivante. Tous trois se taisaient à présent. L'angoisse se lisait sur leurs visages.

Tout à coup, au milieu de la piscine, apparut la tête d'un énorme crapaud doté d'une tête monstrueuse, verte, et de plus d'un mètre de large.

Il ouvrit une gueule démesurée et fit : « Coaaah… »

De cette bouche géante sortirent des longs filaments noirs, qui s'avancèrent rapidement vers nos amis et les saisirent avec fermeté aux poignets pour les entraîner vers la profondeur de la piscine et vers la gueule ouverte de la bête prête à les avaler.

Les deux grands lâchèrent Olivia. Pas parce qu'ils ne voulaient pas la protéger, mais parce qu'il ne fallait pas qu'elle soit attirée dans la piscine avec eux, elle ne sait pas encore bien nager.

Béatrice sortit un petit canif de sa poche. Elle l'ouvrit sous l'eau et réussit à couper les filaments enroulés autour de ses poignets. Elle se blessa un peu dans sa hâte. Elle remonta respirer à la surface.

Tournant la tête de gauche à droite, elle vit Olivia escalader en courant un escalier qui se terminait par des longs rideaux. 

Canif en main, elle replongea dans l'eau. Elle s'approcha de son copain qui atteignait le fond de la piscine. Il se débattait de son mieux, mais était entraîné inexorablement vers le crapaud monstrueux. Béatrice saisit les tentacules qui le ficelaient et les trancha d'un coup. Le garçon remonta aussitôt à la surface.


Pendant ce temps-là, Olivia, restée au bord de la piscine, vit arriver près d'elle des petits serpents jaunes. Des bébés boas. Ils lui firent très peur car il y en avait beaucoup.

Débrouillarde, elle retira une de ses sandales de gym et tenta de les chasser en les frappant avec sa chaussure.

Elle en éloigna quelques-uns, mais il en venait trop. Elle dut choisir la fuite.

Elle se sauva, avec un pied nu, par l'escalier en pierre accroché le long du mur droit et qui se termine par des longs rideaux. Elle passa en courant derrière les tentures.


Béatrice et François, encore dans la piscine, nagèrent vers le bord. L'énorme crapaud s'approchait d'eux. Il s'apprêtait à lancer des nouveaux tentacules vers eux. Béatrice cria à François :

-Enlève la peinture noire ! Enlève la peinture noire à ton poignet! Vite !

-Oui, répondit le garçon.

Ils se frottèrent les mains avec énergie, se débarrassant de toute la couleur étalée sur eux.

Ils sortirent de la piscine… du jardin du voisin ! Ils n'étaient plus dans la petite cabane sombre. Celle-ci correspondait seulement à leur point de départ.

-Vous pouvez venir jouer dans ma piscine, mais, s'il vous plaît, pas avec des vêtements sales. Mettez un maillot ou un short.

Les deux amis s'excusèrent.

Ils aperçurent alors la petite sandale de gym qu'Olivia avait laissée au bord de l'autre piscine, celle de l'aventure, avant de fuir par l'escalier. Mais la petite fille n'était pas présente. Elle était restée dans le jeu, dans le temple de la jungle, poursuivie par les serpents.


À peine remis de ses émotions et constatant l'absence de sa petite sœur, François se tourna vers son amie.

-Donne-moi ce qui te reste de peinture. Je vais l'étendre sur moi. Je vais rechercher Olivia.

-Je viens avec toi, murmura Béatrice. Ce jeu, c'est ma faute.

-Tu n'es pas obligée. Ce n'est pas ta sœur. Moi, je veux la protéger. J'irais la rechercher n'importe où, même dans cet enfer.

-Tu es un vrai grand frère courageux. Je viens avec toi, affirma sa copine. Je t'admire.

-Tu es une chic fille, conclut François.

Sales et trempés, ils s'assirent à nouveau dans la cabane de jardin d'où ils étaient partis. Ils prirent ce qui restait de peinture. Un rien de jaune, un fond de rouge et une touche de noir. Ils savaient que c'était risqué et déconseillé. Tante Louise avait écrit « Surtout, ne mélangez pas les couleurs ». Mais François voulait retrouver sa petite sœur où qu'elle soit. Ils en mirent juste sur les bras.

Puis ils prononcèrent les trois formules magiques d'affilée.

-Pinta Boa, Pinta Rana, Pinta Coa.


Ils se retrouvèrent dans la pièce sombre qu'ils connaissaient, toujours éclairée par un flambeau et fermée par des longs rideaux. Ils les écartèrent sans bruit. Ils savaient par où se diriger. Les crapauds venimeux arrivaient par la droite. Ils coururent à gauche jusqu'à la piscine et observèrent très attentivement les lieux avant l'arrivée de l'énorme crapaud.

Ils virent des petits serpents morts, écrasés. Apercevant l'escalier sur le côté, Béatrice se rappela qu'elle avait vu Olivia se sauver par là.

Ils grimpèrent les marches en courant et écartèrent le lourd rideau tombant à l'étage. Des mains les saisirent. Deux hommes de cette tribu particulièrement primitive, ceux qui les avaient poursuivis tantôt à bord de leurs pirogues, les empoignèrent rudement et les traînèrent, malgré leurs cris et leurs coups, vers une porte de prison.

Ils jetèrent nos amis sans ménagement dans une pièce sombre et sans issue. Ils refermèrent la porte et poussèrent un gros verrou.


Béatrice et François se redressèrent. Ils entendaient quelqu'un pleurer. Le garçon reconnut sa petite sœur. Il la prit dans ses bras pour la consoler.

-Ne t'en fais pas, on va te sortir d'ici. On est venus pour ça.

-J'avais si peur toute seule. Tu es le plus génial des grands frères. Je t'aime vraiment beaucoup, fit la petite, le visage baigné de larmes.

-Regarde par la fenêtre, s'écria Béatrice. On n'est pas encore sauvés.

Une étroite ouverture, flanquée de solides barreaux, donnait à l'extérieur. Quelques huttes, un enclos, un village. Les hommes de la tribu avaient allumé trois feux. Ils venaient d'y poser trois gigantesques chaudrons.

Nos amis comprirent qu'ils étaient tombés chez des cannibales. Ils allaient être mangés. Quelle horreur !

-Ça m'étonne et je ne comprends pas, dit François. Il n'existe plus de peuplades cannibales en Amérique du Sud depuis bien longtemps. Je le sais parce qu'on a regardé un documentaire à la télé l'autre jour. Au contraire, ce sont des peuples pacifiques et souvent très accueillants. 

-Oui, répondit Béatrice, mais ici, nous sommes dans la magie des peintures de tante Louise.


Olivia se remit à pleurer. Ils eurent beau s'acharner à ôter leurs peintures, le jeu ne finissait pas. Était-ce encore un jeu ?


Comment sortir de cette prison ? François tambourina contre la porte avec ses poings. Il réussit juste à se faire mal. Les Indigènes ne réagirent même pas. Béatrice secoua les barreaux de toutes ses forces, mais ils étaient bien fixés.

Olivia leur apporta un petit pot de peinture bleue qu'elle avait trouvé, avant leur arrivée, dans un coin de leur prison. Il ressemblait à ceux de tante Louise. Et si c'était de la peinture magique comme les autres ?

-On essaye ? proposa François. Cela ne peut pas être pire que maintenant.

-Tout de suite, répondit Béatrice, mais n'en mettons qu'un petit peu.

Le garçon en étendit sur les joues de sa sœur, puis s'en mit sur les siennes. Béatrice fit de même.

-Cela ne sert à rien. On ne connaît pas la formule magique, fit remarquer Béatrice. Tu sais bien, «Pinta » quelque chose.

Les hommes de la tribu s'approchaient. Ils venaient chercher nos amis parce que l'eau était bouillante à présent. Dans un instant, les trois enfants allaient leur servir de repas.

-Il faut qu'on trouve quelque chose, s'énerva le garçon. Vite !

-Oui, s'impatienta son amie. Pinta…Pinta…Pinta… Je ne sais quoi.

Le plafond de leur cellule s'ouvrit.

Sans le faire exprès, Béatrice venait de prononcer la quatrième formule, celle du bleu. Pinta, Pinta, Pinta.


Le ciel apparut tout bleu, comme la couleur qu'ils venaient de poser sur eux.

Trois gigantesques oiseaux d'Amérique du sud, des condors, descendirent en vol plané, et s'approchèrent de Béatrice, François et Olivia. Ils les agrippèrent délicatement entre leurs serres puissantes, les soulevèrent et les emmenèrent avec eux. Ils volèrent très haut.

Les enfants étaient sauvés, mais impressionnés.

Les grands oiseaux planèrent doucement au-dessus d'un lac.

Ils ouvrirent soudain leurs serres et nos amis entamèrent une descente vertigineuse, qui se termina… dans la piscine du voisin.

-Encore vous trois ! Vous ne pouvez décidément pas mettre des maillots quand vous venez nager?

Ils sortirent de la piscine et s'excusèrent poliment. Puis ils coururent tous trois chez eux, sains et saufs. Olivia embrassa les deux grands et les félicita. Tous prirent une bonne douche.



Tu aimes te déguiser et te grimer? Contacte la tante de Béatrice, au Brésil. Mais sois prudent, car ces peintures font souvent vrai...