Béatrice et François
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L'arbre à sorcières (Partie 2) - Le livre de la sorcière

     Le soleil brillait et les oiseaux chantaient ce dimanche-là. Béatrice se rendit chez son copain François. Ils habitent tous deux la même avenue. Elle proposa à son ami d'aller à la grande plaine de jeux, de l'autre côté du bois. Les petites sœurs de François, Olivia, cinq ans et demi et Amandine, trois ans et demi, voulurent accompagner. Ils les emmenèrent gentiment avec eux.

Après avoir joué sur les balançoires, les tourniquets, les carrousels, le pont de singes, l'araignée, Béatrice s'installa dans le bac à sable. Une ribambelle de petites filles et de petits garçons l'entourait, tout heureux qu'une grande s'intéresse pour une fois à leurs jeux.

Soudain, elle entendit son nom.

- Béatrice! Béatrice!

Notre amie se retourna. Ce n'était pas François qui l'appelait. Il jouait sur une balançoire, un peu plus loin, de l'autre côté. Elle regarda. Elle eut l'impression qu'on l'observait, mais elle ne vit personne.

Elle remarqua un petit chalet, une remise en planches brunes, sans doute l'endroit où le gardien du parc range sa tondeuse à gazon et ses outils pour entretenir les fleurs et l'herbe.

- Béatrice! Béatrice!

Notre amie se leva et fit venir son copain.

- François! Quelqu'un m'appelle, là dans la cabane. Je n'ose pas y aller seule. Viens avec moi.

Les deux enfants s'approchèrent prudemment. Ils poussèrent une porte dont la peinture s'écaillait. Ils furent bien étonnés d'apercevoir leur amie Louise dans un rayon de soleil.

- Louise! se réjouit Béatrice. Que fais-tu là?

 

Souviens-toi. Elle avait rencontré Louise au cours d'une aventure précédente. (Béatrice et François 17. L'arbre à sorcières). Je te suggère de lire cet épisode avant d'aller plus loin dans cette seconde partie du récit.

Louise vit en 1702. Elle garde des moutons. Ils sont très pauvres chez elle. Elle ne va pas à l'école. Elle était vêtue comme l'autre fois. Une robe en tissu brun, en grosse toile, effrangée, un peu déchirée. Elle était pieds nus. Ses longs cheveux étaient tressés en deux belles et longues nattes.

- Je viens te chercher, dit-elle. À cause de mon petit frère. Il est très malade.

- Qu'est-ce qu'il a? demanda François.

- Henri a attrapé la fièvre des marais, expliqua Louise. Il a été piqué par un moustique du grand marécage situé près de notre village et maintenant il fait des fièvres terribles. Il est brûlant pendant trois jours, puis la température retombe un jour et puis elle remonte. Il ne mange plus. Il reste tout le temps couché. Il a maigri, il est tout pâle. Il va mourir si personne ne l'aide.

- Et personne ne peut le soigner? insista François.

- Nul ne connaît le remède dans notre village. La seule personne qui pourrait nous aider, c'est la sorcière.

Les vraies sorcières existaient au temps de Louise. Elles vivaient souvent au milieu des bois. Elles connaissaient les plantes et utilisaient leurs racines, leurs feuilles, leurs écorces, leurs fleurs pour créer des remèdes qu'elles échangeaient contre de la nourriture ou des cadeaux qu'on leur apportait.

Nos deux amis écoutaient en silence le récit de leur amie.

- Je me suis rendue chez celle que nous avions rencontrée ensemble et qui nous avait fait si peur, poursuivit Louise. Malgré l'avis de mes parents. Je suis entrée dans sa maison, construite autour du grand arbre creux. Je l'ai reconnue tout de suite. Elle se tenait sur la table, toujours sous la forme d'une grenouille. Elle me regardait. Je l'ai suppliée de me dire quelle plante il fallait donner à mon frère Henri pour le guérir. Elle m'a affirmé qu'elle était incapable de me répondre tant qu'elle n'aurait pas retrouvé sa forme humaine. Mais, pour retrouver sa forme humaine, elle doit tenir sa bague. Et cette bague, Béatrice, rappelle-toi, tu l'as emportée avec toi, à ton époque, quand on s'est quittées.

- Je me souviens, murmura Béatrice. Elle était dans ma poche. Je l'ai rangée dans ma chambre.

- Alors, poursuivit Louise, je suis entrée dans l'arbre. J'ai collé mon oreille dans le rond de champignons (le rond de sorcières) et j'ai répété la formule magique qu'on y entend et qui permet de changer de siècle. NDEKO, LOMAMI, TUMBA. Je me suis retrouvée à votre époque en un instant.

- Et pourquoi n'es-tu pas venue sonner chez moi?

- D'abord, répondit leur amie, je ne sais pas où tu habites. Mais, surtout, j'avais peur. Il passe d'étranges carrosses qui roulent très vite par ici, comme ceux qu'on voit là-bas sur le chemin.

- Ce ne sont pas des carrosses, dit François en souriant, ce sont des voitures. Tu ne dois pas en avoir trop peur, elles restent sur les routes.

- Quand es-tu arrivée? demanda Béatrice.

- Hier après-midi.

- Et où as-tu dormi? s'inquiéta notre amie.

- Là, dans la cabane. Je me suis couchée par terre. Dormir à la dure ne me dérange pas. Je ne suis pas une mauviette.

- Et tu as mangé quoi?

- J'ai rien mangé, soupira la courageuse fillette. J'ai très faim.

François se précipita vers le sac à dos contenant le goûter prévu par ses parents pour ses petites sœurs et lui. Il donna tout à Louise, qui dévora les tartines à belles dents.

- Tu veux bien aller chercher la bague? demanda leur amie.

- Certainement, répondit Béatrice. Non seulement je vais te rendre la bague, mais si tu veux, je viens avec toi, à ton époque. Je vais t'aider à sauver ton petit frère.

- Je vous accompagne, ajouta François. On fera parler cette sorcière. Je ne l'ai jamais vue, car j'étais devenu une branche d'arbre, mais c'est à mon tour de t'aider, Louise.

 

Emmenant Olivia et Amandine, les cinq enfants retournèrent à la maison de Béatrice. Les deux petites, curieuses et étonnées, posaient plein de questions à la jeune bergère. Ils arrivèrent devant la villa.

- Comme elle est belle et grande, fit Louise. Elle semble solide. Il ne pleut sûrement pas à l'intérieur en cas d'orage.

- Heureusement non, dit Béatrice.

- Il pleut dans la mienne, à cause du toit de paille. Quand l'orage est violent, des gouttes d'eau tombent du plafond et quand le vent souffle, je crois toujours que tout va s'écrouler. J'ai très peur quand la tempête rugit. Tu as de la chance d'habiter une maison comme celle-ci.

Ils entrèrent. Béatrice, émue, ne disait rien.

- Oh, c'est quoi ça? s'étonna Louise.

- C'est une lampe électrique. Mais cela n'existait pas à ton époque, précisa François.

- Comme c'est beau! Vous ne vous éclairez pas seulement à la bougie et au feu de bois dans la cheminée?

- Non, expliqua le garçon. Le soir, on peut allumer les lumières. Si j'ai le temps, je t'en montrerai d'autres.

- Je préférerais sauver mon petit frère et vite retourner chez moi, supplia Louise.

Béatrice courut à sa chambre. Elle saisit la bague de la sorcière, la glissa dans la poche de sa salopette verte et demanda à papa et maman la permission de partir de nouveau quelques heures.

Ils retournèrent dans le bois, mais sans Olivia et Amandine. Ils retrouvèrent le grand arbre creux, celui autour duquel se dressait la maison d'une sorcière vers l'an 1702. Aujourd'hui, elle a disparu.

François entra dans l'arbre, suivi par Béatrice et par Louise. Ils se serrèrent l'un contre l'autre dans l'espace étroit.

Le garçon posa son oreille contre le tronc dans le rond de champignons et prononça la formule magique qu'on y entendait. Les deux filles répétèrent après lui.

- NEDKO, LOMAMI, TUMBA.

 

Il faisait soudain fort sombre. Ils étaient arrivés en 1702 et à cette époque, la sorcière avait bâti une maison en planches autour du tronc d'arbre, une maison ronde. Ils sortirent du fût de l'arbre et entrèrent dans la partie habitée. La petite fenêtre était toujours aussi sale et couverte de poussières et de toiles d'araignées.

- Venez, fit François. Suivez-moi les filles. La grenouille, là sur la table, c'est la sorcière?

- Je pense bien, chuchota Béatrice.

Ils sortirent de la cabane qui sentait le moisi et le renfermé.

- Écoutez-moi, dit François. Vous avez été très courageuses et vous m'avez sauvé la vie, l'autre fois. C'est à mon tour de faire un effort et de me débrouiller avec la sorcière. Je vais tenter d'obtenir le nom de la plante qui peut sauver Henri en le débarrassant de ses fièvres. Restez dehors, regardez par la fenêtre et n'intervenez que si je suis en difficulté. J'y vais. Béatrice, veux-tu me donner la bague, s'il te plaît.

- Fais attention! lança Louise. Cette sorcière peut vraiment se montrer mauvaise parfois.

Courageusement, François retourna seul dans la maison ronde.

Béatrice et Louise s'approchèrent de la petite fenêtre. Louise ôta les toiles d'araignées d'un geste de la main puis souffla la poussière. Les deux filles profitèrent d'un rayon de soleil pour observer ce qui se passait à l'intérieur.

 

François entra. Les planches grinçaient sous ses pas. Il s'approcha de la table. Il tenait la bague de la sorcière dans une main, et dans l'autre, le canif que Béatrice avait offert à Louise autrefois, mais qu'elle venait de prêter à notre ami pour l'occasion. Le garçon ouvrit la longue lame tranchante.

- Alors, dit-il d'une voix menaçante en pointant la lame vers la tête de la grenouille. C'est donc toi la sorcière?

- Coua, coua...

- Tu vas répondre autre chose que des « coua », je te préviens. Dis-mois le nom de la plante qui fait tomber la fièvre des marais. Je t'écoute.

- Je peux le savoir, mais je ne te le dirai pas, répondit la grenouille.

- Je compte jusqu'à trois, menaça François. Si, à trois, tu ne m'as pas répondu, je coupe l'une de tes pattes. Je n'aime pas de faire ça. Je ne voudrais jamais blesser un animal. Mais toi, tu n'es pas une vraie grenouille. Et puis, c'est une question de vie ou de mort pour Henri.

Il compta lentement mais fermement un, deux, trois. Il trancha la patte avant gauche de la grenouille-sorcière d'un geste précis. Tous entendirent un hurlement de douleur.

- Ça fait mal, ça fait mal!

- Tant pis, cria François. Et je vais couper une autre patte, quand j'aurai à nouveau compté jusqu'à trois, si tu ne me dis pas le nom de cette plante. Vite! Un, deux et trois…

Il trancha la patte arrière gauche de la grenouille. Elle hurla de nouveau et demanda grâce cette fois.

- Arrête. Je vais t'expliquer. Pour te répondre, il me faut mon livre. Et, pour lire, je dois au préalable me retrouver en femme.

- Où caches-tu ce livre? fit le garçon.

- Dans le mur, là à gauche. Fais glisser la quatrième planche à partir du plafond. Tu verras la cachette.

François fit glisser la longue planche et découvrit un livre étrange, pas très gros, mais la couverture était en peau de serpent. Cela l'impressionna très fort.

Il ouvrit le livre et chercha la description de la plante qui permettrait de guérir le frère de Louise. Malheureusement, il ne comprenait pas cette écriture.

- Que signifie ce charabia? Ce n'est pas du français…

- Tu ne connais pas cette langue, ricana la sorcière. C'est du latin, celle des magiciens, des curés et des gens érudits. 

François se tourna.

- Alors, dis-moi le nom de la plante qui fait tomber la fièvre. Sinon, je coupe encore une de tes pattes.

- Tu peux me couper toutes les pattes que tu veux, je ne pourrai pas te le dire si je ne retrouve pas mon corps de femme, coassa la grenouille.

François jugea qu'avec un bras et une jambe en moins, la sorcière ne serait plus très dangereuse. Il tendit la bague à la grenouille. Elle glissa sa patte avant droite à l'intérieur de l'anneau.

- Non, cria Louise. Ne fais pas ça!

Trop tard! La sorcière reprit sa silhouette de vieille femme, puis, se servant de son seul bras et de sa seule main, elle pointa son index vers le garçon et cria.

- Araignée!

François se transforma en araignée et tomba sur le sol.


Louise poussa un petit cri. Béatrice était affolée.

- Vite, sauvons mon copain.

- Attends, dit Louise. Pour le moment, la sorcière a sa bague au doigt. Elle retrouve tout son pouvoir. Ton ami n'aurait pas dû la lui rendre. Il ne faut jamais faire confiance à cette maudite sorcière.

La femme s'appuya contre la table, sur sa seule jambe et de sa seule main et elle tourna les pages du livre de formules magiques. Elle sembla découvrir ce qu'elle cherchait.

- Je vois, dit-elle. Ce sera délicat et ça fera mal. Et j'en ai pour la nuit entière. Pourtant, il faut que je le fasse. Je veux faire repousser mon bras et ma jambe. Mais d'abord, si je comprends bien, je dois me transformer en araignée ou en lézard.

La sorcière se métamorphosa en une araignée, identique à celle qu'était devenu François, puis sauta sur le sol.

- Viens, insista Louise. N'attaquons pas la sorcière tout de suite. Courons au village. Allons chercher Petit Louis et les deux autres grands garçons. Ils nous aideront, j'en suis certaine. Ils sont très courageux.

Béatrice se souvenait de ces trois garçons qui avaient attaqué la sorcière et qui avaient réussi à lui prendre sa bague, dans l'aventure précédente.

Elle accompagna son amie à travers bois.


Le soleil venait de se coucher quand elles atteignirent le village. Un bien pauvre hameau. Des petites maisons de bois au toit de chaume bordaient une rue qui n'était que terre et boue. Louise entra dans celle de ses parents.

Un tapis couvrait le sol de terre battue. Un feu brûlait dans la cheminée, à côté de la réserve de bois. Une table, deux bancs, un coffre, faisaient tout le mobilier. Un petit garçon roulé dans une couverture sommeillait près des braises. Henri, le petit frère de Louise.

- Mon Dieu, songea Béatrice, comme il a maigri. Il est tout pâle! C'est triste!

La maman s'occupait à préparer le repas du soir. Louise l'embrassa.

- Je te présente Béatrice.

La dame s'interrompit et vint saluer notre amie, avec un beau sourire.

-Ma fille me parle sans cesse de toi. Sois la bienvenue.

- On va essayer de sauver Henri, maman.

- Faites bien attention à la sorcière. Vous êtes très courageuses, mais elle est tellement dangereuse, s'inquiéta la jeune femme. Et papa n'est pas ici ces jours-ci.

- Je sais, maman, mais nous pensons nous faire aider par Petit Louis et les deux autres grands du village.

- Hélas, ma chérie, répondit la maman, ils sont partis ce matin pour cinq jours dans les collines avec les troupeaux. Ils ne reviendront pas avant la semaine prochaine.

Louise se tourna vers notre amie.

- Tu veux bien attendre, Béatrice. Tu veux bien rester avec moi?

Notre amie n'avait pas très envie de patienter plusieurs jours dans cette maison. Surtout, elle s'inquiétait pour François. Et puis Henri semblait si faible. Allait-il encore vivre assez longtemps? Elle ne répondit pas. Elle accepta cependant de passer la nuit chez Louise.

Au soir, elle reçut une bouillie de blé dans un bol en bois. C'était très bon. Elle avait encore un peu faim quand son bol fut vide, mais elle n'osa pas en réclamer davantage.

Béatrice se coucha près de Louise, sur la paille. Les flammes de la cheminée éclairaient les murs en planches et faisaient danser la lumière au plafond.

Notre amie regarda longuement autour d'elle. Quelle pauvre maison! Parfois, elle se tournait vers la fenêtre. On apercevait des étoiles scintiller dans le ciel. Elle entendit aussi les cris des bêtes dans la forêt. Tout cela la fit frissonner. Elle finit pourtant par s'endormir.

 

Le lendemain matin, Béatrice s'éveilla très tôt, avant l'aube. Le soleil n'était pas encore levé. Elle se redressa.

- Je n'attends pas cinq jours, murmura Béatrice. Louise, je vais tenter quelque chose contre la sorcière. Je ne sais pas encore quoi, mais je ne veux pas attendre que tes copains reviennent. C'est trop long. Mes parents vont être inquiets.

- Je viens avec toi, chuchota Louise.

Les deux fillettes s'éloignèrent après un dernier regard vers Henri. Il transpirait de fièvre et il était tout rouge.


Elles traversèrent la forêt. On entendait hululer les hiboux. Béatrice eut peur, mais Louise la rassura en précisant que ces rapaces ne leur feraient rien.

Plus loin, ce furent les glapissements d'un renard. Encore une fois, notre amie frissonna. Et Louise lui expliqua que le renard ne viendrait pas les attaquer.

Puis elles entendirent un long hurlement dans le lointain.

- C'est quoi ça? trembla Béatrice.

- C'est… Ce sont des loups...

Notre amie s'arrêta, paralysée de peur. Son cœur battait la chamade.

- Oh non, pas des loups! pas des loups! Je ne veux pas être dévorée par les loups.

En 1702, ils couraient encore dans nos forêts.

Les deux fillettes marchèrent jusqu'à la maison de la sorcière. Elles regardèrent par la fenêtre, mais il faisait très sombre. La cabane était plongée dans la pénombre. On ne voyait rien.

 

Béatrice et Louise poussèrent doucement la porte qui s'ouvrit facilement. Elles firent grincer le plancher sous leurs pas. Elles scrutèrent l'ombre soigneusement à gauche, à droite, pour voir si la sorcière ne se cachait pas, prête à bondir sur elles en criant. Mais elles ne la virent pas.

Soudain, notre amie sentit quelque chose sous la semelle des sandales de toile qu'elle portait aux pieds. Elle se pencha et ramassa une bague. Elle reconnut celle de la sorcière.

- Louise, souffla notre amie. Regarde, on a de la chance. En se changeant en araignée pour récupérer son bras et sa jambe, elle a perdu sa bague.

Béatrice glissa aussitôt le précieux objet dans la poche de sa salopette verte.

Elle s'approcha de la table. Elle venait de remarquer un livre. Le livre en peau de serpent.

- Quelle horreur! fit-elle en le touchant.

Elle l'ouvrit et s'aperçut qu'il contenait toutes les formules magiques de la sorcière. Malheureusement, pour elle aussi, le latin demeurait incompréhensible. Laquelle choisir?

En tournant lentement les pages, elle découvrit une étrange formule illustrée d'un dessin. En haut une araignée était dessinée. Au bas de la même page, se trouvait la silhouette d'un être humain. Entre les deux, il était écrit :

- Aranea eras, humanus eris.

Béatrice supposa que cette formule permettait de transformer une araignée en être humain.


En cherchant bien, et profitant des premières lueurs du soleil qui venait de se lever à l'horizon, les deux fillettes, qui frissonnaient de froid et de peur, distinguèrent deux araignées l'une près de l'autre, dans la cheminée éteinte de la cabane.

L'une devait être François et l'autre la sorcière elle-même.

Mais il ne fallait pas se tromper! Comment nos amies pourraient-elles être certaines de choisir la bonne araignée et la changer en être humain pour retrouver François et non faire apparaître la sorcière?

Béatrice appela son copain, mais les deux araignées avancèrent vers elle en même temps.

- Arrêtez-vous, commanda notre amie. Louise!

- Oui, répondit la fillette.

- La sorcière copie François, mais je crois que j'ai une idée. J'arrive dans un instant. Surveille-les bien.

Béatrice sortit.

Les deux araignées sont identiques, songea notre amie, elles ont huit pattes chacune. Et la sorcière imite mon copain, pour ne pas se faire reconnaître. Mais je pense à quelque chose qu'elle ne pourra pas deviner.

Béatrice cueillit une feuille de chêne bien verte et ramassa une feuille jaunie de hêtre sur le sol. Elle revint en tenant les deux feuilles à la main. Elle entra dans la maison de la sorcière et les posa par terre, près des deux araignées.

- Voilà, dit-elle. Je vais appeler la feuille verte de chêne Olivia-Amandine et la feuille jaunie du hêtre, Sarah-Blandine. François, viens te mettre sur la feuille qui porte le nom de tes petites sœurs.

Une des deux araignées trembla, indécise, tandis que l'autre courait se poser sur la feuille de chêne.

La sorcière, qui vit en 1702, ne peut pas connaître l'existence des deux sœurs de François et encore moins leur nom.

Béatrice ramassa son copain d'un geste vif et prononça la formule magique.

- Aranea eras, humanus eris.

Aussitôt, François retrouva son apparence de garçon.


Les trois enfants se tournèrent vers le livre de la sorcière. Nos amis ont la chance d'apprendre à lire et à écrire. Ils vont à l'école. Ce n'est pas le cas de Louise. Ils tournèrent les pages, espérant découvrir quelque chose.

Ils furent intrigués par un dessin étrange. En haut, se trouvait un petit bonhomme dessiné tout en rouge et en bas, il semblait tout à fait débarrassé de ses rougeurs et de ses fièvres. Nos amis ne comprenaient cependant pas l'explication qui était en latin.

Louise, par contre, qui se penchait près d'eux et regardait aussi, reconnut immédiatement la plante dessinée sur la même page : du chèvrefeuille.

- J'ai compris, s'écria leur amie. Le chèvrefeuille fait tomber la fièvre. Il va guérir mon petit frère. Je vais aller en cueillir. Maman fera des tisanes et les donnera à Henri. Il va s'en sortir. François, Béatrice, merci! Vous avez sauvé Henri.

Les trois enfants s'embrassèrent, les larmes aux yeux. Ils devinaient qu'ils ne se reverraient plus. François rendit le canif à Louise. Béatrice, en plein accord avec la fillette, allait conserver la bague de la sorcière dans la poche de sa salopette verte.

 

François et sa copine se dirigèrent vers l'arbre creux au centre de la pièce.

Ils dirent une nouvelle fois adieu à leur amie.

En avançant vers le creux de l'arbre, Béatrice sentit qu'elle marchait sur quelque chose, un insecte peut-être. Elle regarda sous la semelle de sa sandale de toile et vit qu'elle venait d'écraser une araignée, la sorcière! Cette fois-ci il n'en restait plus rien. Bon débarras!

Nos deux amis entrèrent dans l'arbre. Ils collèrent leur oreille contre le rond de champignons. Plus aucune voix ne se fit entendre. La sorcière était morte. Heureusement, ils se souvenaient de la formule.

Et toi, t'en souviens-tu? Tu peux la prononcer avec eux?

- NDEKO, LOMAMI, TUMBA.


Ils revinrent à notre époque sains et saufs, fiers d'avoir contribué à sauver un petit garçon d'autrefois.

Nos amis n'ont jamais revu Louise, mais ils pensent souvent à elle, aussi souvent qu'elle pense à eux. Et, j'en suis sûr, Henri est guéri.