Les quatre amis
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Un mystérieux rendez-vous ( L'espion Partie 5)

(Découvrez la 1ère partie de la série L'espion ici)

     Jeudi. Seize heures trente. Jean-Claude et sa sœur Christine étaient chez eux, à la maison. La chambre du garçon donne sur la rue. Il étudiait une poésie en marchant de long en large devant sa fenêtre.

Il entendit tout à coup une voiture freiner assez fort et vit une somptueuse limousine noire se garer en double file devant chez lui. Un chauffeur ouvrit une porte arrière. Un homme vêtu d'un sobre costume gris sortit et vint jusqu'à la porte de la maison de notre ami. Il sonna.

- J'aimerais bien aller faire un tour dans une voiture pareille, murmura le garçon tout haut.

- Moi aussi, renchérit Christine qui, curieuse, avait rejoint son frère.

La maman des deux enfants répondit au parlophone, puis alla ouvrir. Le frère et la sœur passèrent dans le couloir puis en haut de l'escalier pour mieux voir et aussi entendre ce qui se disait en bas.

 

- Bonjour, madame. Je suis premier secrétaire attaché à l'ambassade des États-Unis en ville. Monsieur l'ambassadeur voudrait poser une question à vos enfants.

- L'ambassadeur... Il ne pouvait pas prévenir?

- Non, madame. Il s'agit d'un dossier confidentiel, classé secret d'état.

- Vous ne pouvez pas leur poser la question ici, à la maison?

- Non, madame. Je ne sais d'ailleurs rien moi-même au sujet de cette affaire. Je suis premier secrétaire et pourtant, cela dépasse ma compétence.

La maman de nos amis avala sa salive puis appela ses deux enfants.

- Jean-Claude, Christine!

- Oui, maman.

- Bon, descendez, puisque vous écoutiez. Ça avance, les devoirs et les leçons?

- Oui, assura le garçon, ça va bien. J'ai presque fini.

- Moi aussi, dit sa sœur en souriant. C'est en bonne voie.

- Bon.

La maman se tourna vers le premier secrétaire.

- Vous en avez pour longtemps avec eux à l'ambassade?

- Dix minutes, madame. Un quart d'heure tout au plus. Je reconduis vos enfants ici dans moins d'une heure.

- L'ambassadeur des États-Unis veut vous poser une question, paraît-il, expliqua la maman en se tournant vers nos deux amis. Allez-y et revenez vite.

Ils montèrent tous deux dans la somptueuse limousine, très impressionnés.

 

Ils arrivèrent au cœur de la ville. La voiture s'arrêta à hauteur d'un bâtiment de cinq étages et entra directement dans un garage après l'ouverture d'une large porte, commandée à distance, et qui se referma aussitôt derrière eux.

Là, ils empruntèrent un ascenseur qui les mena au quatrième étage. Le premier secrétaire conduisit nos deux amis devant le bureau de l'ambassadeur. Il sonna à l'interphone.

Les enfants remarquèrent que ce bureau était équipé de doubles portes capitonnées. Aucune parole prononcée de l'autre côté ne pouvait être entendue dans le couloir. Discrétion absolue garantie.

- Monsieur ? Les deux enfants que vous m'avez demandé d'aller chercher sont arrivés.

- Qu'ils entrent.

Jean-Claude et Christine s'avancèrent, un peu inquiets, vers un grand bureau encombré de dossiers.

- Bonjour, salua l'ambassadeur. Bienvenue. Vous voulez boire quelque chose?

- Oui, répondit le garçon. Je veux bien un Coca, du Coca-cola américain. Vous en avez sûrement ici et j'aimerais bien le goûter.

- Moi aussi, dit sa sœur.

Pour ceux qui ne le savent pas, le Coca-cola de l'autre côté de l'Atlantique n'a pas tout à fait le même goût que celui que l'on boit chez nous. Il y a une légère différence. Si tu es connaisseur en la matière, tu peux percevoir cette petite nuance.

- Bon, fit l'ambassadeur en souriant. On va vous en apporter. Asseyez-vous ici. Je vous fais venir parce que je voudrais vous montrer deux photos, hélas un rien floues. Voici la première. Vous voyez une large avenue avec des voitures roulant sur cinq bandes de circulation et des gens le long des façades des hauts buildings. Reconnaissez-vous cet homme qui marche vers le photographe?

- Ennio Calzone, s'exclama Jean-Claude.

- Bon. Deuxième photo. Voici. Le décor change mais on voit autant de monde sur les trottoirs. Reconnaissez-vous l'espion dans la foule?

- Oui, dit Christine en posant son doigt sur le cliché. Ici. Ennio Calzone, de nouveau.

- Je répète ma question. Vous qui l'avez rencontré plusieurs fois, regardez ces deux documents avec la plus grande attention. Je veux être certain de votre réponse.

Nos amis se penchèrent de plus près.

- Êtes-vous sûrs de le reconnaître sur chacune de ces photos?

- Absolument, affirma le garçon. C'est lui chaque fois.

- Moi aussi, dit sa sœur, j'en suis certaine.

- Cela nous pose un problème, expliqua l'ambassadeur. Ce cliché-ci, à gauche, a été pris à New York, 5è avenue. L'autre vient de Hong Kong, en Chine. Mais ces deux photos ont été saisies à cinq minutes d'intervalle, en tenant compte des fuseaux horaires. Alors, si vous le reconnaissez sur les deux clichés, vous qui l'avez rencontré à plusieurs reprises, soit il y a deux Ennio Calzone, soit vous vous trompez. Mais alors, où est le vrai?

- Je suis pourtant certaine, murmura Christine. Je le reconnais sur chacune des photos, ajouta la jeune fille en se penchant une fois encore sur les deux documents.

- Je pense comme ma sœur, ajouta Jean-Claude.

- Je vous remercie, dit l'ambassadeur. On va vous reconduire chez vous.

Nos deux amis finirent leur Coca et repartirent. Le premier secrétaire les reconduisit en limousine jusque devant chez eux.

 

Le lendemain matin, Christine et son amie Véronique terminaient la matinée par le cours de gymnastique. Dans cette école, en cinquième primaire, on se change en classe. Le professeur de sport vient y chercher les élèves.

- Il ne fait pas trop mauvais aujourd'hui, les enfants, avança-t-il. On va courir un petit jogging jusqu'au parc. En route.

Quelques minutes plus tard, toute la classe trottait le long des façades des maisons. En tête, se trouvaient quelques filles et garçons, aux côtés du professeur. Christine, très dynamique, faisait partie du groupe.

Véronique fort différente, intelligente et sensible comme son amie, mais pas sportive pour un sou, ne se pressait guère. Du jogging! Pourquoi ne pas marcher à son aise? C'est quand même pour s'arrêter là plus loin, puis revenir. Il fait si beau... Profitons-en. Elle traînait avec son amie Violette en queue de peloton.

Elles marchaient rapidement, mais sans courir, laissant le groupe s'éloigner peu à peu. Tous arrivèrent au parc. Les deux jeunes filles virent au loin les copains et les copines se placer en rond autour de leur professeur, au fur et à mesure de leur arrivée près de lui.

Deux hommes en costume noir, assis sur un banc au soleil, observaient avec attention le passage des enfants. Quand les deux filles s'approchèrent à leur tour, ils se levèrent et sortirent un révolver de leur poche.

- Stop. Entrez là, à droite, vite.

Les deux amies se mirent à trembler, se demandant ce qui leur arrivait. Elles n'avaient jamais vu ces deux individus. Elles passèrent sous les grand arbres, bien obligées, sous la menace des armes. Elles mouraient de peur.

- On nous kidnappe, murmura Violette. Ils vont demander une rançon à mes parents. Mais chez nous, on n'est pas riches. Ils ne pourront pas la payer.

- Si je survis à ceci, ajouta Véronique, je jure que je resterai toujours près du professeur aux prochains joggings. Je ne traînerai plus jamais en arrière.

Elles entrèrent dans le bois.

 

- Oh, non! s'écria Véronique. Pas encore eux! J'aurais préféré n'importe quoi, plutôt que de me trouver entre les mains de ces monstres.

Elle venait d'apercevoir Alexeï Korbokov et Vladimir. Ce dernier, appuyé contre un arbre, jouait avec son couteau. Il se curait les ongles, comme d'habitude. 

Elle a déjà rencontré ces deux espions à plusieurs reprises. Des ennemis de Ennio Calzone. Des hommes impitoyables au service d'un dictateur d'un pays particulièrement agressif et belliqueux.

 Korbokov s'avança de trois pas vers les jeunes filles terrifiées. Il observait notre amie.

- Regarde ces deux photos. Reconnais-tu quelqu'un là-dessus?

Christine avait raconté à son amie les détails de son aventure de la veille, à l'ambassade.

- On voit monsieur Ennio Calzone sur chacune, risqua Véronique.

- Tu as bien observé? L'une a été prise aux États-Unis et l'autre à Hong Kong, en Chine, au même instant.

- Je sais, affirma Véronique. Je suis déjà renseignée.

- Tu fais des progrès en espionnage, grinça Korbokov.

- Dois-je un peu la corriger? demanda Vladimir en prenant notre amie par le cou et en pointant son long couteau vers elle.

- Non, répondit l'autre. Nous en savons assez. Allez-vous-en toutes les deux.

Véronique et sa copine coururent comme jamais. Elles rattrapèrent le groupe et restèrent au milieu de leurs compagnes. Plus tard, à la récréation, elles racontèrent leur aventure à Christine et aux garçons. Revenue à la maison, Véronique décida de ne pas en parler à ses parents. Elle ne voulait pas les inquiéter.

 

Le week-end passa sans autre événement.

Le lundi soir, Véronique reçut une lettre adressée aux quatre amis. Elle attendit le lendemain, à l'école, pour en découvrir le contenu avec ses copains.

"Soyez samedi prochain à quinze heures précises, devant le porche de la cathédrale. Je vous y attendrai. E.C."

Un bien mystérieux rendez-vous...

 

Le samedi suivant, très curieux et un peu inquiets, nos amis arrivèrent à la cathédrale à trois heures moins le quart. Ils ne virent pas Ennio Calzone. Les enfants regardèrent autour d'eux. Un groupe de touristes allemands sortaient de l'édifice et se dirigeaient vers leur car. Nos amis remarquèrent quelques globe-trotters asiatiques qui photographiaient l'édifice.  

Un mendiant jouait du violon devant le grand portail, au sommet de l'escalier qui le précède. Véronique affirma qu'il jouait très mal. Un carton brun, posé à ses pieds, indiquait: "Quelques pièces pour manger".

Les enfants patientèrent jusque trois heures dix, observant les allées et venues. Très étonnés... D'habitude, Ennio Calzone est très ponctuel. À trois heures quinze, toujours rien. Ils entrèrent dans la cathédrale. Peut-être que l'espion les attendait à l'intérieur.

On ne célébrait pas d'office à cette heure, mais un certain nombre de fidèles priaient ou méditaient en silence. Les enfants les dévisagèrent avec attention, mais en vain. Aucune trace de lui. Ils ressortirent de la cathédrale.

Le mendiant violoneux était parti. Son carton, plié en deux et retourné traînait sur le sol. Ils y lurent: "Montez dans la tour gauche de la cathédrale. EC."

- Ça alors! C'était lui et nous ne l'avons pas reconnu.

- Comment faire pour aller là-haut? s'interrogea Jean-Claude. Ici, ce n'est pas comme à Notre Dame de Paris où on peut visiter les tours.

- Allons demander à monsieur le Doyen où se trouve l'accès et comment y parvenir, proposa Véronique.

En son absence, un préposé qui semblait attendre nos amis, les conduisit devant une enfilade de marches étroites. Ils y montèrent. Ils suivirent ensuite un parcours vertigineux le long des murs et enfin débouchèrent dans la tour droite de la cathédrale. Un passage reliait l'une à l'autre. L'espion les y attendait.

 

- Vous en avez mis du temps!

- Ce n'était pas facile d'arriver jusqu'ici, expliqua Jean-Claude.

- Monsieur Calzone, demanda Véronique, le mendiant, c'était vous?

- Oui. Je m'assurais que personne ne vous suivait.

- Si je peux me permettre, dit la jeune fille en souriant, vous jouez tellement mal du violon... ce ne pouvait pas être un vrai mendiant.

- Oui, bon, répondit Calzone. Merci quand même pour les encouragements! Écoutez-moi, les enfants. J'ai quelque chose de très important à vous dire. Voilà pourquoi je vous ai fait venir. Avez-vous entendu parler du charbon?

- Oui, affirma Christine. J'ai fait une élocution en classe à ce sujet.

- Qu'as-tu raconté? demanda l'espion.

- Eh bien, j'ai expliqué que dans les mines...

- Non, je t'arrête, coupa Calzone. Il ne s'agit pas de ce charbon-là. Je parle d'une maladie qu'on appelle le charbon.

- Une maladie qu'on appelle le charbon? s'étonna Véronique.

- Votre Lamborghini rouge est mal garée et sur le trottoir, interrompit Philippe qui regardait le paysage. Vous ne craignez pas des contraventions?

Pour toute réponse, l'espion lui sourit.

 
- Je reviens au charbon, dit-il. Cette maladie décimait les animaux autrefois, dans nos contrées. Elle est causée par un bacille, une sorte de microbe, que les vaches attrapaient en broutant l'herbe de certains prés infestés. Ce bacille provoquait des gros boutons, des furoncles noirs, purulents. Les animaux atteints, finissaient par mourir.

- C'est terrible, firent les quatre amis.

- Certaines prairies contaminaient les ruminants plus que d'autres. Des champs maudits, disait-on. Plus d'une prétendue sorcière fut accusée à tort et condamnée pour cette raison. Mais cette maladie peut être contractée par les humains.

- Cela fait peur, dit Véronique.

- Je sais, poursuivit l'espion, qu'actuellement un pays de la région du Moyen-Orient cultive le charbon pour en faire une arme de guerre, une arme bactériologique. J'ai acquis des photos de leur laboratoire secret. Ils ont même réussi à modifier génétiquement le bacille pour le rendre encore plus virulent.

- Du chantage terroriste, supposa Philippe.

- On peut enfermer ces bacilles  dans un petit tube, par exemple, et le transporter avec discrétion, d'un bout à l'autre de la planète. Si on le répand dans l'eau qui alimente une ville, quelques jours plus tard, tous les habitants, hommes, femmes et enfants, contracteront la maladie. Les malades se compteront par milliers, se couvrant d'affreux et douloureux furoncles noirs. Il risque d'y avoir tant de personnes atteintes qu'on ne pourra pas les soigner toutes.

- Quelle horreur! murmura Christine.

- Cette arme bactériologique, à la fois terrible et aveugle, tue les innocents. C'est l'arme des lâches, des gens cruels et sans cœur, pour qui la vie des autres ne compte pas. L'arme de dictateurs barbares et sanguinaires de certains pays, la lie de notre société.

- Que pouvons-nous faire? demanda Jean-Claude.

- Mes documents apportent la preuve absolue de ce que j'avance, ajouta Calzone. Je veux porter ces clichés à Genève, où se trouvent les grandes organisations internationales pour la paix du monde. Pour cela, je dois les sortir de la Communauté Européenne, car la Suisse n'en fait pas partie. Une frontière à franchir. Alexeï Korbokov, que vous connaissez trop bien, a flairé l'affaire et tente de les intercepter.

- Je l'ai vu il y a trois jours, s'écria Véronique.

- Comment cela? interrogea l'espion.

- J'ai été kidnappée, monsieur. Je tremblais de peur.

- On vous a vu sur des photos, fit Christine. Vous vous trouviez sur laquelle?

Ennio Calzone répondit avec un sourire.

- Je connais ces clichés. Je ne suis ni sur l'un ni sur l'autre. Un espion de mon envergure doit pouvoir se déguiser pour paraître un autre, mais aussi déguiser des complices en soi pour brouiller les pistes et se trouver pendant ce temps à un troisième endroit.

- Vous êtes très fort, complimenta Jean-Claude.

-Question de vie ou de mort dans mon métier, répondit l'homme.

 

- Donc, vous comprenez qu'ils sont à mes trousses. Je crains qu'ils me tendent un piège à la frontière. Ils veulent récupérer ces documents accablants pour leur pays. J'apprends que vous allez en classe de neige, les garçons. Accepteriez-vous de passer ces pièces à conviction lors de votre voyage?

- Exact, enchaîna Jean-Claude. Philippe et moi et notre classe de sixième, partons en classe de neige en Suisse dans dix jours.

- Bon. Vous logerez dans ce grand palace où les tsars de Russie allaient en vacances autrefois. Je vous remettrai les documents au moment de votre départ, et je viendrai les rechercher à votre hôtel le lendemain de votre arrivée. Une classe qui part en vacances de neige... Personne ne se doutera que vous transportez des preuves d'une possible guerre bactériologique future.

- J'accepte, déclara Philippe. Je prends le risque pour sauver la paix du monde.

- Vous ne me verrez pas, mais je resterai sans cesse près de vous, ajouta Ennio Calzone.

- Je pense aux millions de gens innocents, aux millions d'enfants, comme nous. Nous devons avoir le courage de risquer l'opération, ajouta Jean-Claude.

- Bravo, félicita l'espion. On se revoit dans quelques jours. Vous avez du cran, les garçons. Et silence. Secret absolu.

- Comment ferons-nous pour cacher les documents, Monsieur?

- Vous n'aurez qu'à suivre mes instructions. Vous les recevrez en temps utile.

 

Quelques jours plus tard, tous les élèves de sixième se retrouvaient à la gare ferroviaire. Parents et enfants échangeaient les dernières recommandations, les derniers bisous.

- Mon grand, n'oublie pas de mettre ton écharpe et ton bonnet.

- Si tu as encore mal à la gorge, ma chérie, dis-le à ton professeur.

- N'oublie pas de prendre ton médicament le matin et sois sage.

- Ferme bien ta veste, pour une fois. Et ne prends pas froid.

Tu connais les parents aussi bien que moi, toi qui me lis. Ils te disent souvent cela quand tu pars, comme pour se rassurer. D'autres murmurent seulement je t'aime à l'oreille.

Donc, cela bourdonnait sur le quai. Monsieur Joël et madame Anne-Sophie, l'instituteur et l'institutrice, étaient très entourés. Christine accompagnait ses parents pour voir partir son frère.

- Quel bonheur de ne plus t'avoir dans les pieds. Dommage que cela ne dure que dix jours, lui dit-elle. Tu as vu Ennio Calzone?

- Tiens non.

- Et toi, Philippe?

- Rien. Il a peut-être changé d'avis.

- Je te prête mon canif, Jean-Claude, fit Christine. Mais ramène-le moi.

Les garçons montèrent dans leur wagon, dirent un dernier au revoir en agitant la main, envoyèrent un dernier bisou et le train partit.

- Raté, songea la fillette. Ils n'ont pas reçu les documents.

 

- Je mangerais bien un morceau de chocolat, dit Jean-Claude en souriant trois minutes plus tard.

- Moi aussi, réagit Philippe, mais je n'en ai pas.

- Je partage le mien, proposa son copain.

Il dénoua son sac à dos et ouvrit des grands yeux étonnés.

- On ne pouvait pas emporter de console de jeux, dirent d'une même voix Cédric et Grégory, des copains de nos amis. Les professeurs l'ont interdit.

- Ça, souffla Philippe, ça vient de Ennio Calzone. Bien son genre. Souviens-toi, lorsqu'il nous a invités en Amérique, il avait aussi caché les documents dans des consoles de jeux.

- Quels documents? demanda Cédric.

- Oui, insista Grégory, raconte.

- On ne peut pas vous le dire. Désolé les amis. Un bien lourd secret à porter pourtant, répondit Jean-Claude en soupirant.

- Vous faites toujours les mystérieux, s'indignèrent les copains.

Ils n'insistèrent pas et ne s'en occupèrent plus.

 

Dès qu'ils se trouvèrent seuls un moment, nos amis allumèrent l'appareil. Monsieur Calzone avait fait des progrès. La dernière fois rien ne fonctionnait.

- Tu te souviens, dit Philippe. Il avait placé une fausse pile dans le jeu.

Or cette fois le message apparut en plein écran.

"Cachez la clé USB que contient cette console dans l'hôtel dès votre arrivée, mais pas dans votre chambre. EC."

Philippe glissa le jeu au fond de son sac. L'inquiétude tomba sur les deux garçons comme une chape de plomb, comme une main qui te saisit à la gorge. Elle se logea au fond de leurs cœurs.

Maintenant, chaque fois que leur train s'arrêtait en gare, ils scrutaient le quai avec angoisse, croyant apercevoir Korbokov ou Vladimir partout.

- Regarde là, le type à gauche. Quelle drôle de tête! C'est peut-être un espion...

- Mais non, il attend un autre train...

- Là-bas, un homme monte dans le nôtre. Je te jure qu'il ressemble à Vladimir...

Oui, les deux amis voyaient des espions partout. La peur les empêcha de dormir toute la nuit.

Quand ils arrivèrent le lendemain matin à leur hôtel, avec les copains et les copines, ils ressentirent cela comme une délivrance. Le voyage s'était déroulé sans mauvaise rencontre.

Ils ne savaient pas que le pire allait venir bientôt.

 

Il faisait très beau. Le blanc immaculé de la neige sous un ciel bleu lumineux.

Le grand hôtel était impressionnant. Il bourdonnait d'enfants. On leur montra leur chambre, qu'ils partageaient avec leurs amis Cédric et Grégory. Philippe s'approcha de Jean-Claude.

- Où allons-nous cacher la console?

- Dans le couloir de l'hôtel. Certains radiateurs sont recouverts par un cache vissé dans le mur.

Le garçon sortit le canif que sa sœur lui avait prêté. Il détailla son idée.

- Je crois que c'est une bonne cachette. Ennio a dit: pas dans la chambre. On dévisse le cache-radiateur, on glisse la clé USB et on remet tout en place. Personne n'ira prendre les poussières à cet endroit.

- D'accord, dit son ami. Allons-y tout de suite. Autant se débarrasser de ce truc-là au plus vite. Je surveille le couloir. Vas-y, personne en vue.

Un instant plus tard, Jean-Claude à quatre pattes faisait tourner la dernière vis. Philippe tenait le jeu en main. Il était censé surveiller, mais il observait son copain. Madame Anne-Sophie arriva.

 

- Alors, les garçons? Que démontez-vous là? On se prend pour des espions? On joue à James Bond?

Jean-Claude ne trouva rien à répondre, mais Philippe, avec sa présence d'esprit toujours vive lança:

- J'ai laissé tomber une pièce de monnaie là derrière, madame. On essaye de la récupérer.

- Bon, mais dépêchez-vous. On sert le repas dans un quart d'heure. Descendez dans la grande salle.

Jean-Claude acheva son travail.

- Merci, sourit-il à son copain.

- De rien, répondit Philippe.

Ils écartèrent le cache-radiateur du mur, glissèrent la clé dans l'ombre puis remirent le paravent en place et revissèrent le tout. Puis ils passèrent un instant dans la chambre.

Grégory et Cédric étaient déjà partis. Nos amis fermèrent la porte et s'éloignèrent dans le couloir.

 

Juste à ce moment, ils remarquèrent deux hommes vêtus de noir et de blanc comme des serveurs. Les deux individus passèrent, marchant l'un à côté de l'autre, sans s'occuper des garçons.

- Ceux-là, chuchota Philippe, ce ne sont pas des professeurs. Ils ressemblent à des espions.

- Tu crois? dit Jean-Claude. On en voit sans cesse et partout pour le moment. 

Les deux amis s'arrêtèrent au sommet de l'escalier. Un homme en costume blanc passa près d'eux. Ils attendirent un instant avant de descendre, pour regarder. L'homme en blanc s'arrêta devant la porte de leur chambre, dans laquelle les deux autres venaient d'entrer.

- On fait quoi? s'inquiéta Jean-Claude.

- Ne bouge pas. Ils ne trouveront rien dans nos affaires. Et puis ce sont peut-être des employés de l'hôtel.

- Regarde l'homme en blanc!

L'individu entra à son tour dans la chambre, mais avec une arme au poing qu'il venait de sortir de la poche de son veston. Nos amis entendirent deux coups sourds, semblables à ceux que l'on perçoit quand on utilise un révolver muni d'un silencieux. L'homme en blanc ressortit et s'éloigna d'un pas rapide.

Les deux garçons revinrent en arrière. Les deux "employés" abattus, l'un d'une balle dans la tête, l'autre en plein cœur, gisaient sur le tapis, au milieu d'une mare de sang!

 

- Madame Anne-Sophie, monsieur Léonard, il y a deux cadavres dans notre chambre, annonça Philippe à ses professeurs.

Les deux instituteurs ne voulurent d'abord pas croire leur élève.

- Tu ne trouves rien de plus intéressant à raconter? Tu n'aurais pas croisé Roger Moore ou Pierce Brosnan, tant que tu y es?

- Ou Arnold Schwarzenegger? ajouta l'autre en souriant.

Mais ils durent se rendre à l'évidence. Quand ils virent les deux cadavres, ils appelèrent la police locale, qui transféra bien vite l'enquête à Interpol.

- Que fait-on, que dit-on? glissa Jean-Claude à l'oreille de son ami. Nous voilà dans de beaux draps. Et Calzone qui ne se montre pas...

- Il ne nous laisse certainement pas tomber, assura Philippe. Mais il devrait arriver maintenant. On a besoin de lui. On ne dit pas un mot concernant la console de jeux ou les documents secrets qu'on transporte avec nous. D'accord?

- D'accord, répondit son copain.

Les deux amis se serrèrent la main pour s'encourager.

Les quatre garçons qui logeaient dans cette chambre furent interrogés par une commissaire. Cédric et Grégory, au courant de rien, ne firent pas le lien entre la console de jeu que leurs amis transportaient et les deux cadavres. Philippe et Jean-Claude jouèrent les innocents. On les renvoya à l'hôtel une heure plus tard.

Aucun signe d'Ennio Calzone. Cela devenait inquiétant.

 

Le lendemain après-midi, toute la classe partit avec les professeurs en excursion. Un chemin enneigé passait un petit bois et mènait vers un lac gelé. Les élèves suivaient la route en riant et en bavardant. Mais nos deux garçons demeuraient silencieux, inquiets.

Tout à coup, les enfants virent un hélicoptère passer au-dessus d'eux, tourner, repasser, puis descendre et se poser sur la surface lisse et gelée du lac. 

Plusieurs d'entre eux, surpris et intéressés, suivirent la manœuvre. Certains s'aventurèrent même pour aller voir, en descendant entre les branches et les ronces givrées qui bordaient la pièce d'eau.

Madame Anne-Sophie les rappela.

- Allons, venez, on avance. Cela ne vous concerne pas.

Ils continuèrent la balade.

 

Soudain, venus d'un sentier en contrebas, deux hommes armés de mitraillettes apparurent et mirent les enfants et leurs professeurs en joue.

- On ne bouge plus. Tous couchés à terre.

Alexeï Korbokov et Vladimir.

Ils passèrent des menottes aux instituteurs et les attachèrent à un arbre. L'espion répéta son ordre.

- Tous les enfants couchés à terre, immédiatement.

Les élèves obtempérèrent. Ils s'étendirent à plat ventre dans la neige. Ils ne bougeaient plus. Ils avaient très peur.

Vladimir dévisagea chacun d'eux, mais avec les écharpes, les bonnets, les lunettes solaires et les vestes, il était difficile de reconnaître ceux qu'il cherchait.

Il s'approcha d'une jeune fille, Alice, qui portait une belle longue tresse jusqu'au bas du dos. Il la prit par sa natte et cria:

- Montre-moi tes amis Jean-Claude et Philippe.

Les deux garçons se levèrent aussitôt et enlevèrent bonnet et lunettes. Ils ne voulaient pas que l'on fasse du mal à leur amie.

- C'est moi que vous cherchez, déclara Jean-Claude avec courage. Laissez-la tranquille.

- Je suis ici, ajouta Philippe, en se levant à son tour.

Son cœur battait la chamade, mais on n'abandonne pas un copain en difficulté. On reste avec lui, quitte à partager son sort.

- Les voilà, monsieur, présenta Vladimir, sans lâcher la tresse d'Alice. 

Korbokov s'approcha de Jean-Claude.

- Où se trouvent les documents que tu transportes?

- Je ne les ai pas.

- Où caches-tu la console de jeux?

- À l'hôtel.

- Bien. Dix minutes pour y aller. Quatre pour la récupérer et dix pour revenir. Si dans vingt-quatre minutes exactement, tu n'es pas de retour avec ce que t'a confié Calzone, j'abats ta petite amie d'une balle dans la tête. Compris? Et tu reviens sans la police.

 

Jean-Claude partit en courant. Il ôta même sa veste en chemin pour aller plus vite. Onze minutes plus tard, épuisé, essoufflé, il atteignait l'hôtel. Une Lamborghini rouge était garée devant.

- Il arrive trop tard, celui-là, murmura le garçon.

Il courut dans l'escalier. Calzone descendait dans l'autre sens.

- Je te cherche, dit l'espion.

- Korbokov et Vladimir, armés de mitraillettes, menacent une de mes copines au bord du lac. Ils vont la tuer si je ne rapporte pas la console de jeux. Ils sont arrivés en hélicoptère.

- On y va. Où as-tu caché les documents?

- Dans le couloir, là, à gauche. Venez avec moi.

Ils coururent tous deux jusqu'au radiateur qu'ils dévissèrent et écartèrent du mur. Ils récupérèrent la clé USB que l'espion glissa dans la console. Mais Jean-Claude hésitait à confier l'appareil à l'espion.

- La vie de mon amie est en jeu...

- Calme-toi, mon garçon. J'ai la situation bien en main.

- On ne dirait pas, osa notre ami.

- Je veille sur vous tous. J'ai éliminé hier deux complices de Korbokov. Je te conduis près de tes amis, en voiture. Viens vite.

Ils descendirent tous deux les escaliers de l'hôtel en courant. Cipriano attendait au volant de la voiture de course. Souviens-toi, c'est le garde du corps, tireur d'élite, chauffeur, et secrétaire de monsieur Calzone.

- Cipriano, tu nous mènes sur le chemin qui longe le lac, là-bas.

- Impossible, monsieur. On ne pourra pas passer sur cette route enneigée avec cette voiture.

- Va le plus loin que tu peux.

Il démarra sur la piste verglacée.

- Ne roule pas jusqu'aux enfants. Il ne faut pas que nos ennemis nous aperçoivent. Quant à toi, Jean-Claude, tu sors de la voiture à présent. Tiens, voici la console de jeux.

- Ce n'est pas la même, s'inquiéta le garçon.

- Bien observé. Je garde le vrai document en sécurité.

- S'ils remarquent que c'est un faux, ils vont tuer ma copine. Et cela je ne le veux pas.

- Ils ne vont pas tuer ta copine. Ils sont incapables d'analyser le contenu de l'appareil avant d'arriver à leur laboratoire, qui se trouve en bas dans la vallée. Tu n'as rien à craindre. Fais-moi confiance, ajouta Ennio Calzone. J'ai la situation bien en main. Je veille sur vous tous. Il ne vous arrivera rien. C'est mon boulot.

- Bon, soupira le garçon à regret car il hésitait encore.

Puis il ajouta:

- C'était vous l'homme en blanc?

- Oui. Quand tu sortiras de la voiture, tu courras aussi vite que tu peux. Il faut que tu aies l'air essoufflé quand tu arriveras près d'eux. N'oublie pas que tu te presses depuis l'hôtel. L'homme en blanc te protège, dit l'espion en souriant.

La voiture suivit notre ami quelques centaines de mètres puis s'arrêta. Jean-Claude fila rejoindre ses amis le cœur serré.

 

Vladimir regarda sa montre.

- Vingt-trois minutes. Pas mal.

Jean-Claude remit la console de jeux à Alexeï Korbokov en tremblant.

- Comment ça fonctionne, ce truc? maugréa l'espion en s'énervant dessus. Vladimir, va immédiatement chausser tes skis à l'hélicoptère. Je continue à surveiller les enfants.

- Personne ne bouge. Restez couchés.

Les deux professeurs, toujours attachés aux arbres avec les mains menottées derrière le dos, ne pouvaient rien tenter pour l'instant.

Vladimir revint avec un sac à dos et ses skis. Korbokov lui confia l'appareil.

- Tu connais le lieu de rendez-vous. À tantôt.

- J'y vais, promit Vladimir.

L'homme fila vers la vallée le long des pistes.

- Personne ne bouge avant que l'hélicoptère soit parti.

Alexeï Korbokov jeta les clés des menottes au loin dans la neige, puis courut vers l'appareil. Les enfants se précipitèrent pour libérer leurs professeurs.

 

La voiture d'Ennio Calzone apparut. L'agent double en sortit. Cipriano resta au volant.

- Les professeurs et les enfants, allez vite vous mettre à l'abri derrière ce talus. Et couchez-vous dans la neige.

On entendait les pales de l'hélicoptère tourner de plus en plus vite. L'appareil allait s'élever.

- Couchez-vous tous, répéta l'espion. Vite.

- Il faut faire ce qu'il dit, crièrent Jean-Claude et Philippe. C'est un ami. Nous le connaissons bien.

Tous se demandaient ce qui allait se passer. Les deux enseignants qui venaient d'être libérés coururent se mettre à l'abri eux aussi, près des élèves.

Ennio Calzone rejoignit les enfants. Il tenait son téléphone portable à la main.

- Fais marche arrière vers le village, Cipriano.

La Lamborghini recula, péniblement, dans la neige.

- Maintenant, ouvre l'ordinateur de bord.


- Prêt, monsieur.

- Tape R6C3Z4MI01.

L'hélicoptère apparut au-dessus du lac. On y apercevait Alexeï Korbokov assis à côté du pilote. Il observait les enfants et la voiture rouge. Il s'éloigna dans la direction que Vladimir avait prise. Calzone attendit un instant en regardant l'hélicoptère monter vers le ciel.

- Cipriano?

- Oui, monsieur.

- Tape ENTER.

Le capot avant de la Lamborghini se souleva. Un missile à tête chercheuse sortit de la voiture, monta vers l'hélicoptère et le fit exploser en plein ciel. Ce fut comme une tornade de feu. Des morceaux retombèrent sur le lac gelé et sur la route.

Alexeï Korbokov était mort. Et son pilote aussi.

Vladimir dut voir l'explosion, lui qui n'emportait, sans le savoir, aucun document dans son sac. Oui, Ennio avait bien la situation en main, comme toujours...

 

- Bon, dit Calzone en s'adressant aux enfants. Vous voulez comprendre ce qui vient de se passer. Je suis un espion, un agent double international et j'ai eu le plaisir de rencontrer par hasard, puis de travailler à plusieurs reprises, avec deux de vos compagnons très courageux: Jean-Claude et Philippe. Je les remercie. Leur mission se termine ici. Grâce à eux, une menace de guerre bactériologique sera écartée. Vous pouvez être fiers d'eux.

Il se rendit ensuite au coffre de la voiture, l'ouvrit et en sortit une caisse. Il la posa dans la neige.

- C'est pour vous tous. Un petit dédommagement pour les émotions encourues ces derniers jours. Arrivederci!

Il s'assit dans la voiture aux côtés de Cipriano et disparut.

Les élèves se précipitèrent vers la caisse et l'ouvrirent. Elle contenait autant de superbes canifs suisses, super complets, que d'élèves et de professeurs.

Jean-Claude et Philippe durent répondre à beaucoup de questions de leurs copains et de leurs copines, puis ils purent enfin profiter des classes de neige comme tous les autres enfants de l'école.

Retrouve Ennio Calzone et les quatre amis dans une dernière aventure "La Chat".