l'oiseau prisonnier
Quand Magali s'éveilla, il faisait à peine clair. Le soleil n'apparaissait pas encore. Par la fenêtre grande ouverte de sa chambre, elle entendit des petits cris très aigus... Notre amie, intriguée, écouta.
Elle pensa d'abord à son petit frère Julien, un bébé. Mais ce n'était pas la même voix. Arnaud, son grand frère de huit ans non plus. Ni papa, ni maman. D'ailleurs, tous dormaient profondément. Mais alors, qui l'avait éveillée ? D'où provenaient ces petits cris ?
Cela ressemblait aux pépiements aigus d'un oiseau qui vient de naître.
Magali se leva. Notre amie de quatre ans et demi portait une jolie robe de nuit rose, avec des petits rubans. Elle s'approcha de la fenêtre et se pencha. Elle constata que les petits cris venaient de la maison à côté, à droite.
C'est une villa en construction. Pour le moment, on ne voit que des murs de briques. Pas de porte, ni de vitres aux fenêtres, même pas encore d'escalier.
Normalement, on ne peut pas y entrer, mais la fillette et son frère Arnaud vont parfois y jouer à cache-cache. Très amusant, et juste de l'autre côté de la haie.
Magali, intriguée, curieuse, décida d'aller voir de plus près d'où venaient ces appels angoissés. Elle passa sa salopette rouge. Normalement, des petites sandales de gymnastique plus ou moins blanches l'accompagnent, mais elle ne les trouva pas. Elle ne savait pas où ses parents avaient bien pu les ranger. Elle ouvrit donc, pieds nus, la porte de sa chambre et descendit l'escalier. Ses deux petites couettes de cheveux noirs dansaient sur ses épaules.
Arrivée dans le hall d'entrée, elle passa par la cuisine et ouvrit la porte du jardin. L'herbe était un peu mouillée. Cela trempa immédiatement ses pieds. C'était un peu froid, mais amusant. La rosée du matin.
Elle passa à quatre pattes par un petit espace en dessous de la haie et se dirigea vers la maison qu'ils construisent. Elle entendait de mieux en mieux les cris affolés de l'oisillon.
Après avoir contourné de hauts empilements de briques, elle dut marcher en équilibre sur une large planche qui donnait accès au bâtiment. Le sol rugueux lui fit un peu mal aux pieds. Le béton était bosselé.
Elle avança prudemment en évitant certains petits clous qui traînaient à terre et aussi des morceaux de briques cassées fort tranchants.
Les cris venaient de l'étage. Notre amie vit une échelle et l'escalada.
Dans une pièce sombre, elle aperçut de grandes toiles d'araignée. Les cris de l'oisillon provenaient de là. Cela faisait un peu peur.
La fillette vit quelque chose bouger dans la pénombre. Maintenant ses yeux s'habituaient à l'obscurité. Elle aperçut le prisonnier au milieu des fils. Un petit oiseau bleu, au ventre jaune.
-Pauvre bébé oiseau, murmura Magali. Il a dû s'envoler de son nid pour la première fois de sa vie et il est allé se fourrer dans les toiles d'une terrible araignée. Pourquoi sa maman ne vient-elle pas délivrer son petit ? Peut-être qu'elle n'ose pas?
Notre amie voulut entrer dans la pièce et le libérer, mais elle craignait l'araignée et sa toile.
Elle se retourna et découvrit par terre un long tuyau en plastique. Elle le prit en main.
Puis, en le faisant tournoyer au-dessus de sa tête comme un bâton, elle entreprit de briser la toile d'araignée.
Quelques instants après, l'oisillon libéré se sauva, passant à côté de son visage en criant et se dirigea vers le jardin.
Magali aperçut la grosse araignée. Elle venait vers elle, en s'accrochant avec ses huit pattes au tuyau qu'elle serrait entre ses mains. Vite, elle lâcha le tout et s'encourut vers chez elle. Elle repassa sous la haie et se dirigea vers sa maison.
Elle entendit alors trois cris d'oiseaux différents. Un très aigu lancé par l'oisillon qu'elle venait de sauver, un plus mélodieux, celui de sa maman sans doute, et un très rythmé, celui du papa peut-être.
Elle les aperçut perchés au sommet de la haie. En écoutant mieux, elle comprit leur discours.
-Merci, disait la maman oiseau. Tu as délivré mon bébé des toiles de cette terrible bête. Bravo pour ton courage. Je voudrais aussi te faire plaisir.
-Tu n'es pas obligée, répondit notre amie, parce qu'elle est bien élevée, et puis, elle ajouta : mais cela fait plaisir, quand même.
-Connais-tu les polycoloris ? demanda l'oiseau papa.
-Des polycoloris ? répéta Magali, étonnée.
-Oui, un arbre, dont les fleurs sont de toutes les couleurs et les fruits également.
-Je ne comprends pas.
L'oiseau expliqua.
-Les arbres portent tous des fruits de même couleur. Sur les bananiers poussent des bananes jaunes. Les cerisiers se couvrent de cerises rouges. Toutes les pommes d'un même pommier sont vertes.
-Parfois, interrompit Magali, on voit des pommes rouges.
-D'accord, mais elles proviennent d'un autre pommier. Soit un pommier porte des pommes vertes, soit il donne des pommes rouges, mais pas les deux à la fois.
-C'est vrai, sourit notre amie. On ne voit pas de mûres noires sur un framboisier, ni des myrtilles sur un poirier.
-Et bien, un polycolori, ce n'est pas la même chose. Cet arbre-là se couvre de fruits de toutes les couleurs.
-Ça doit être joli, fit la fillette.
-Très joli, convint l'oiseau.
Et ouvrant une de ses pattes, il tendit une petite graine à notre amie.
-Tiens, plante-la dans de la bonne terre. Arrose-la régulièrement. Un polycolori poussera. Les fleurs puis les fruits apparaîtront. Cueille-les mais surtout ne les mange pas, c'est du poison, tu sais, comme les petites baies rouges des sorbiers. Les oiseaux les mangent, mais pas nous, car elles sont mauvaises pour notre santé.
-Que devrais-je en faire ? demanda Magali.
-Laisse-les dans un petit sac bien fermé. De temps en temps, le soir avant de t'endormir, par exemple, secoue le sac. Tant que tu n'entendras rien, c'est que les fruits ne sont pas secs. Mais lorsque tu percevras un petit cliquetis au fond du sac, alors tu sauras que leur chair est tombée en poussière, et qu'il ne reste plus que les noyaux. Tu sais bien qu'au milieu des fruits, on trouve souvent un noyau.
-Oui, répondit notre amie, mais pas dans les bananes.
-D'accord, et dans les fraises non plus, ajouta l'oiseau. Il y en a dans les cerises, dans les prunes.
-Oui. Et les pommes ont des pépins, comme les raisins.
-Quand tu entendras tes noyaux s'entrechoquer, tu ouvriras le sac et tu découvriras ta petite surprise.
-Merci, répondit Magali.
Les trois oiseaux s'envolèrent.
Retournant à la maison, notre amie choisit un coin du jardin où la terre paraissait bien noire. Elle fit un trou avec son doigt et y glissa la petite graine. Elle la recouvrit de terre. Puis elle courut à la cuisine pour se laver les mains. Elle prit un gobelet et versa un peu d'eau pour arroser.
Elle abreuva sa plante, tous les jours. Elle grandissait vite et devint un petit arbre à peine plus grand qu'elle en quelques semaines. Il se couvrit bientôt de fleurs de toutes les couleurs. La fillette en vit des jaunes, des bleues, des rouges, des violettes, des noires.
Magali appela ses parents et les leur montra. Papa prit même une photo.
Arnaud, le grand frère de notre amie, fut émerveillé. Il courut chercher sa copine Manon. Ils contemplèrent longtemps le polycolori en se donnant la main.
Le petit frère, le bébé Julien, marcha à quatre pattes vers l'arbre. Notre amie le prit dans ses bras et lui montra les jolies fleurs.
Puis les fruits, de toutes les couleurs, apparurent à leur tour. Magali les cueillit et les glissa dans un petit sac en cuir.
Chaque soir, notre amie secouait le sac. Un jour, il rendit un son différent. La fillette l'ouvrit et découvrit une ravissante collection de petite graines, rondes comme des billes, et de toutes les couleurs.
Elle les garde précieusement dans son coffre à trésor.