L'Énigme du cachot
Jean-Claude et sa sœur Christine passaient quelques jours de vacances chez leur grand-mère à la campagne. Elle leur avait permis d'inviter l'un, son meilleur ami, Philippe, et l'autre sa grande amie, Véronique.
Jean-Claude et Philippe portent souvent des t-shirts et des jeans ou shorts bleus. Philippe apprécie que ses cheveux châtain soient bien coiffés, tandis que Jean-Claude préfère garder les siens le plus loin possible du peigne.
Christine et Véronique sont fort différentes. Véronique coiffe ses longs cheveux blonds avec soin tous les matins en prenant bien son temps. Elle choisit ses robes ou ses jupes en harmonisant les couleurs. Christine a des cheveux brun foncé, plutôt courts, et ses vêtements préférés sont de vieux jeans et les t-shirts bien usés par son grand frère. N'empêche, elles sont très amies.
Les quatre enfants passaient donc bien agréablement ces quelques jours d'intense amitié.
Un matin, la grand-mère leur proposa d'aller visiter le castel de Val-Fleuri.
-Ce château vous intéressera, dit-elle. Vous y verrez une herse d'époque, un chemin de ronde, un donjon, des meurtrières, des mâchicoulis. Vous vous promènerez ensuite dans des jardins qui forment un gigantesque carré autour du bâtiment. À chaque extrémité de ce carré se trouve une tour, une au Nord, une au Sud, une à l'Est et une à l'Ouest. Ces quatre tours, aux confins du parc, sont elles-mêmes cernées par d'anciens fossés et une rivière qui servait de douves.
La grand-mère leur confia de l'argent pour payer les entrées.
Nos amis partirent à vélo. Une balade de douze kilomètres qui allait les conduire au parking de l'édifice. Le caissier leur conseilla de se dépêcher de rallier un groupe qui commençait la visite du bâtiment central.
Les quatre amis rejoignirent les autres touristes. Ils écoutèrent attentivement la guide qui donnait de passionnantes explications.
-Le château du Val-Fleuri, mesdames et messieurs, fut occupé pendant presque neuf cents ans par une même famille. Celle-ci connut des personnages de toutes sortes, les meilleurs et les pires.
« Le plus effroyable, le plus terrifiant d'entre eux vivait aux environs des années treize cent cinquante. On l'appelait Messire Guillaume. Il était marié. Autant son épouse, Dame Johanne, était charmante, douce et sensible, fine et intelligente, autant lui était brutal, violent, grossier, égoïste, balourd.
« Les paysans des environs craignaient Messire Guillaume, continua la guide. Tous les habitants, hommes, femmes et enfants des villages, tremblaient à son passage. Tous tentaient autant que possible d'éviter de le rencontrer.
« Un soir qu'il était attablé avec son épouse dans la pièce où nous nous trouvons, un serviteur s'approcha de lui.
- Maître, quelqu'un vous demande à l'entrée du château.
- Qu'il attende, répondit le rustre. Je mange.
- Il insiste.
- Alors, fais-le pendre.
- Il a donné son nom.
- Et bien, dis-le moi, qu'attends-tu ?
- Il s'agit d'un moine.
- Qu'ai-je à faire avec des moines ?
-Le moine Robert, Messire Guillaume.
-Le moine Robert !
« Il y eut un moment de silence, dit la guide.
Nos amis, Jean-Claude, Philippe, Christine et Véronique, comme les autres gens, tendirent l'oreille pour écouter encore plus attentivement la suite du palpitant récit.
- Le moine Robert ! Fais-le monter.
« Bientôt, un homme assez grand, chauve, vêtu d'une longue bure de laine brune et d'un manteau noir à capuchon fit son entrée dans la salle à manger. Ses yeux bruns, son regard perçant, témoignaient d'une intelligence vive.
- Cher ami! s'écria Messire Guillaume en se levant. Je te remercie d'être venu. As-tu fait bon voyage ?
-Un voyage exécrable, répondit le moine Robert. Dans mon pays du Grand Nord, là-bas, en Scandinavie, quand il neige, ça tient, c'est beau et blanc. Chez toi, la neige fond. On patauge dans la boue et la saleté tout le long des routes. Ces chemins fangeux me dégoûtent.
-Excuse-moi. As-tu mangé ?
-Non, j'attendais que tu m'invites, répondit le moine.
-Alors, assieds-toi, je te sers.
«Et l'on vit, chose extraordinaire, Messire Guillaume, celui qui terrorisait la région, écumant les villages, les champs et les bois, servir le moine Robert, à table, comme un laquais sert son maître.
« Un peu plus tard, ils prirent place tous les deux devant une grande cheminée où flambait un bon feu. Dame Johanne, l'épouse de Messire Guillaume, Dame Johanne, venait de se retirer dans son appartement. Le moine se pencha vers le maître du château.
- Dis-moi, Guillaume, pourquoi me fais-tu venir ?
- Je t'explique, répondit le châtelain. Accompagne-moi. Descendons à la salle d'armes. Tu vois cette porte ?
« Elle était massive, en bois noir comme beaucoup d'autres dans le château.
- Il y a un cachot de l'autre côté de cette porte et je voudrais que tu me fabriques un miroir comme dans le pays d'où tu viens, le même que celui de Björn Lingström, le riche commerçant de Stockholm, entre autres, si tu te souviens de lui. Il m'en a parlé l'été dernier quand je l'ai rencontré.
- Ah! répondit le moine Robert, tu veux que j'installe un miroir sans tain en lieu et place de ces planches ?
- C'est quoi un miroir sans tain ? demanda Guillaume.
- Eh bien, c'est ce que tu me demandes. D'un côté, on se voit dans un miroir, de l'autre côté, on voit comme à travers une vitre.
- Exactement, répondit le rustre. Exactement. Et je voudrais que le miroir soit dans cette salle-ci. Je compte en faire ma salle à manger. Et je veux que celui ou celle qui sera enfermé dans le cachot voie comme à travers une vitre, tout ce qui se passera ici.
- Pas de problème, répondit le moine Robert. Cela coûtera deux sacs d'or.
- Tu les veux tout de suite ?
- Non. Un sac d'or maintenant et l'autre quand je partirai.
- En plus, ajouta Guillaume, je voudrais que dans le cachot on entende toutes les conversations qui se diront dans la salle à manger. Mais on aura beau crier et hurler dans la cellule, tambouriner contre la vitre, aucun son, aucune vibration ne doit traverser la porte qui sépare cette prison de la salle à manger.
-Je peux t'arranger cela, dit le moine Robert, pour un sac d'or en plus.
-Et enfin, reprit le maître de céans avec un mauvais sourire, je voudrais que la porte s'ouvre très facilement depuis la salle où nous sommes, mais très difficilement à partir du cachot. Je souhaiterais par exemple, que tu installes un mécanisme répondant uniquement à un mot de passe pour l'ouverture de la porte côté prison.
- D'accord, répondit le moine. Mais cela te coûtera un sac d'or en plus.
-Tu l'auras, conclut Guillaume. Je fais préparer ton appartement à côté du mien.
« Le moine passa tout l'hiver au château, mesdames, messieurs.
« Un soir de printemps, le moine Robert invita son hôte à découvrir la porte et à l'essayer. Dame Johanne était déjà montée se coucher.
- Voilà, expliqua le moine. De ce côté-ci, tu peux observer le miroir. L'ouverture de la porte est facile. Frappe trois fois dans tes mains, puis deux fois, puis une fois.
« Guillaume s'exécuta et la porte s'ouvrit lentement vers l'intérieur du cachot, et y donna accès.
- Si tu veux te donner la peine d'entrer, cher ami…
- Avec toi, Robert, dit Guillaume en souriant.
Ils entrèrent tous deux dans la pièce-prison. La porte-miroir se referma lentement derrière eux. Une fois confinés dans le cachot, ils purent remarquer qu'on voyait parfaitement bien dans la salle à manger, comme à travers une vitre. On entendait aussi le moindre bruit, même le crépitement des bûches dans la cheminée. Mais pour sortir, c'était une autre affaire.
- Tu peux crier, tambouriner contre la porte, elle ne s'ouvrira pas et personne ne t'entendra hurler depuis le cachot, précisa le moine.
- Et comment sort-on d'ici? s'inquiéta Guillaume.
- À l'aide d'un mot de passe, comme tu me l'as demandé.
- Quel est ce mot de passe ?
-Regarde, j'ai gravé l'énoncé de trois devinettes aux trois côtés de la porte. La réponse à ces trois devinettes consiste en un mot, un seul mot, trois fois le même. À gauche, il est inscrit : les morts me mangent. En haut : je suis plus grand que Dieu. À droite, en descendant, termina le moine Robert : si les vivants me mangent, ils meurent.
Le rustre eut beau se gratter la cervelle, il ne trouva pas la réponse.
” Le moine Robert lui glissa le mot à l'oreille.
” Le châtelain le prononça d'une voix forte et la porte s'ouvrit.
Toi qui lis ce récit, sais-tu découvrir le mot ?
-Je suis enchanté, s'écria Messire Guillaume. Robert, voici les sacs d'or promis.
Le moine les chargea sur un chariot et partit le lendemain à l'aube.
Quelques jours plus tard, Messire Guillaume invita son épouse à venir visiter le cachot. Un peu naïve peut-être, trop crédule certainement, elle entra dans la pièce sombre et la porte se referma sur elle. Elle ne découvrit jamais le mot de passe de la terrible énigme. Elle ne réussit pas à sortir du cachot. Elle y mourut.
« Pendant ce temps-là, ce monstre parcourait les campagnes et y choisissait quelques bergères qui lui plaisaient et qu'il emmenait au château. Il s'amusa tous les soirs à festoyer joyeusement, buvant et mangeant à la table installée devant le miroir, en compagnie de ces personnes, tandis que de l'autre côté de la porte Dame Johanne souffrait mille morts, voyant tout, entendant tout, et mourant lentement de faim.
La guide se tut. Tous restèrent muets après ce terrifiant récit.
- Si vous voulez me suivre, mesdames, messieurs, vous allez pouvoir entrer dans le fameux cachot.
Elle frappa trois fois, puis deux fois puis une fois dans ses mains et la porte au miroir s'ouvrit, donnant accès à la terrible prison. La guide bloqua la porte à l'aide d'une lourde pierre.
Elle expliqua que la réponse à la fameuse énigme s'était perdue avec les siècles. Il fallait donc prendre ses précautions et bloquer le mécanisme avant d'entrer.
Jean-Claude, Philippe, Christine, Véronique et quelques autres passèrent dans la sinistre pièce.
Nos amis déchiffrèrent les trois mystérieuses propositions, mais même Philippe n'entrevit aucune solution.
Les morts me mangent. Je suis plus grand que Dieu. Si les vivants me mangent, ils meurent.
As-tu une idée à présent? cher lecteur.
Quand tout le monde fut ressorti du cachot, la guide ôta la pierre et la porte se referma.
-Vers l'an mille six cents, reprit la guide, un autre châtelain, Messire Jean, descendant de l'affreux Messire Guillaume, apporta quelques transformations au cachot, afin d'en assurer une issue. En effet, quelques jours auparavant, deux enfants de ce gentil seigneur, qui jouaient à cache-cache un soir, y étaient entrés, mais ne purent pas en ressortir. On les retrouva quarante-huit heures plus tard affamés et terrorisés. Après cet incident, le châtelain fit creuser un escalier à vis, dit « en colimaçon ». Il mène à un souterrain qui reliait autrefois le château à la tour Sud, au bord de la rivière.
Au moment de terminer la visite, la guide donna l'autorisation à ceux qui le souhaitaient bien sûr, d'aller visiter les jardins, puis de se rendre aux quatre tours qui les cernent. Enfin, s'ils n'avaient pas peur, la nuit de la pleine lune, c'est-à-dire dans quarante-huit heures, des amateurs pouvaient revenir à la tour Sud.
-On prétend que certaines nuits d'été, on peut encore entendre pleurer dans cette tour Sud, le fantôme de dame Johanne, l'épouse de Messire Guillaume.
La guide précisa qu'elle ne l'avait jamais entendu.
- Mais pour ceux que cela intéresse, je signale que cette tour reste ouverte nuit et jour au public.
- Passionnant, passionnant, déclara Jean-Claude en revenant vers les vélos. Quelle énigme géniale! Ah, j'aimerais bien la comprendre.
- Moi, aussi, répondit Christine.
- Je n'ai pas la moindre idée concernant le mot, déclara Philippe.
-Comment est-ce encore ? demanda Véronique.
-Les morts me mangent… Je suis plus grand que Dieu… Si les vivants me mangent, ils meurent…, murmura Philippe.
Alors, cher lecteur, ce mot, tu le trouves? Non? Cherche encore avant de lire plus loin.
-Qui m'accompagne une nuit pour écouter le fantôme? proposa Christine.
Les quatre amis revinrent chez la grand-mère à vélo. En y repensant, ils décidèrent de retourner visiter la tour Sud, la nuit du vendredi au samedi suivant, sous la pleine lune, afin d'entendre pleurer le fantôme de Dame Johanne.
Ils pensaient tous les quatre qu’ils pouvait simplement s’agir d’une légende. Mais pourquoi ne pas essayer, avait ajouté Christine.
Et puis, la promenade serait belle et l'expérience un rien frissonnante.
Le temps de convaincre la grand-mère et le vendredi suivant, après le souper, nos amis montèrent sur leurs vélos et partirent pour la tour Sud.
Ils effectuèrent les derniers cent mètres à pied car on longeait les fossés impraticables des anciennes douves. Ils s'arrêtèrent à la fameuse tour. Elle se dressait toute noire, sinistre, menaçante, dans la nuit étoilée.
Le bâtiment en lui-même n'offrait aucun intérêt.
On accédait par une large porte grande ouverte à cette construction totalement vide, envahie de poussières et de toiles d'araignées un peu inquiétantes. Un escalier en pierre courait le long du mur et menait au premier étage. Là on devinait une ancienne cheminée aux sculptures usées.
Un escalier en bois conduisait au second. À cet étage, il fallait escalader une échelle pour arriver sur une terrasse qui permettait d'observer les bois, les champs, les lumières des villages à l'horizon et derrière soi, la masse impressionnante et noire du château, à quelques centaines de mètres de distance.
Tandis que nos amis admiraient le paysage sous la lune qui venait de se lever derrière les arbres, Christine remarqua une fente entre deux pierres du mur sur lequel elle s'appuyait. Un petit papier dépassait. Curieuse comme à son habitude, elle le retira, le déroula, et grâce à la lampe de poche emportée par son frère Jean-Claude, ils lurent une petite phrase écrite à la main.
"Si vous voulez entendre pleurer le fantôme de l'épouse de Messire Guillaume, rendez-vous au pont de pierres deux cents mètres à gauche, celui par où l'on accédait autrefois au château et qui enjambe la rivière. Il est aujourd'hui à l'abandon."
Nos amis se regardèrent.
-Pourquoi pas? suggéra Philippe.
-Tais-toi, souffla Véronique. Regarde là-bas à droite. Je vois des faisceaux de lampes de poche. Des gens arrivent. Sauvons-nous.
-On ne fait rien de mal, fit remarquer Jean-Claude.
Christine replia le message et le remit à sa place.
Nos quatre amis descendirent rapidement l'échelle et les escaliers de la tour et sortirent. Ils s'éloignèrent en suivant la rivière, marchant vers le vieux pont.
Se retournant, ils crurent voir un groupe d'enfants, peut-être une ronde de lutins ou une meute de louveteaux au camp, ou encore une colonie de vacances. Ils se dirigeaient vers la tour Sud.
Après une petite marche rapide dans l'herbe haute le long de la rivière, ils parvinrent tous les quatre sur l'ancien pont : une grande arche en pierres, envahie d'herbes et de plantes.
Ils eurent beau se taire et écouter, on n'entendait que le cri d'un hibou tout près, ou là-bas, très loin dans le bois, le glapissement de quelque renard. Mais aucune dame ne pleurait, fantôme ou non.
Orientant le faisceau de lampe de poche le long de la margelle du pont, ils observèrent de nouveau, dans une fente, un petit papier qui dépassait. Ils l'extrairent rapidement et le déplièrent.
"Pour entendre pleurer le fantôme de l'épouse de Messire Guillaume, descendez sous l'arche du pont. Passez les grilles et suivez l'ancien souterrain si vous n'avez pas peur".
Les faisceaux de lampes de poche approchaient lentement. Christine replia le papier et le replaça dans le creux où elle l'avait aperçu. Puis ils descendirent au bord de l'eau.
Ils se trouvèrent bientôt au milieu de hautes herbes et de roseaux. Quelques ronces griffaient les chevilles par-ci, par-là, et surtout le sol se transformait peu à peu en boue.
Les quatre amis ôtèrent leurs chaussures et se glissèrent pieds nus dans la petite rivière. L'eau leur vint jusqu'aux genoux, puis jusqu'au ventre. Elle n'était guère chaude dans la nuit. Les vêtements trempés, salopette ou jeans et t-shirt, pesaient lourd et collaient à la peau. Ils frissonnèrent.
Ils parvinrent sous l'arche du pont et découvrirent à cet endroit une grille ancienne. Elle n'était pas fermée. D'un côté pendait une chaîne, terminée par un cadenas. Bien entendu, nos amis n'en possédaient pas la clé, mais c'était ouvert.
Ils passèrent dans le tunnel et allumèrent leur lampe de poche pour observer le souterrain qui s'enfonçait sous les jardins du château vers le bâtiment principal, à cinq cents mètres de là. Plus ils avançaient, moins l'eau était profonde car le sol remontait un peu. Ils n'en eurent bientôt plus que jusqu'aux genoux.
À ce moment-là le souterrain se divisa en deux. Fallait-il aller à gauche ou à droite ?
Les quatre amis se turent un moment. Dans le silence oppressant de la nuit, dans l'obscurité totale qui régnait en ces lieux, car ils venaient d'éteindre leur lampe de poche, ils entendirent à gauche, une voix qui pleurait, qui larmoyait lamentablement.
Impressionnés, mais aussi surpris par l'arrivée du groupe d'enfants qui entrait à son tour à l'intérieur du souterrain, Jean-Claude, Philippe, Christine et Véronique choisirent le souterrain de droite.
Ils y progressèrent hardiment, sans allumer leur lampe de poche, pour ne pas se faire repérer. Rapidement, ils parvinrent à un endroit où le plafond était écroulé. Impossible d'aller plus loin. Ils attendirent un moment en silence. Qu'allait-il se produire ?
Peu à peu, ils remarquèrent que les faisceaux de lampes de poche approchaient. Ils entendaient aussi le clapotis de l'eau sale remuée par le groupe. Heureusement pour eux, quelqu'un cria : « Non, prenez à gauche, pas à droite et taisez-vous ». Quand le silence fut total, les pleurs réapparurent.
Les enfants qui venaient d'arriver au carrefour des deux tunnels se mirent à pousser des cris de terreur, effrayés par les gémissements, croyant sans doute avoir affaire au fantôme à cet instant. Pourtant ils allèrent plus avant dans le souterrain de gauche. Et soudain, ce furent des hurlements, des cris d'effroi à la vue d'un spectre sans doute. Puis des éclats de rire.
-On t'avait reconnu ! On savait bien que c'était toi… dit l'un.
Il crânait un petit peu.
-Bravo! Tu fais cela très bien, tu pleures très bien, j'y ai vraiment cru un moment, lança un autre.
-Moi aussi, j'y ai vraiment cru, poursuivit un troisième. Mais j'avais pas peur.
-Menteur, fit un quatrième. Tu tremblais.
Puis le groupe d'enfants revint en arrière et sortit du souterrain. Bientôt nos amis retrouvèrent le lourd silence auquel ce lieu était accoutumé.
Jean-Claude, Christine, Philippe et Véronique, pataugeant dans l'eau, revinrent vers l'endroit où le sinistre boyau se divisait. Ils s'avancèrent vers la gauche cette fois.
Ils eurent beau progresser lentement, s'arrêter de temps en temps, éteindre les lampes de poche et écouter attentivement, aucun fantôme ne pleura. Ils comprirent que le groupe d'enfants en vacances participait à un jeu de nuit et qu'un des responsables, sans doute déguisé en spectre, et caché dans le souterrain, avait fait semblant de pleurer afin de créer une ambiance sinistre qui avait d'ailleurs parfaitement réussi.
Après avoir longuement marché à pied sec dans le sombre couloir, ils parvinrent au bas d'un escalier en colimaçon. Allumant leur lampe de poche, ils le gravirent prudemment et parvinrent ainsi dans le cachot du château, derrière la porte au miroir sans tain.
De la place qu'ils occupaient, ils pouvaient parfaitement observer la salle à manger éclairée par la lueur de la pleine lune. Ils distinguèrent les tables, les chaises, la grande cheminée, les tableaux aux murs, les bronzes, les lustres, éteints bien sûr. Près d'eux, côté cachot, il n'y avait pas de miroir, mais une simple vitre.
Il n'était pas loin d'onze heures du soir. Le bâtiment principal du château était fermé à clé. Aucun visiteur ne s'y trouvait. Le concierge dormait au bâtiment du corps de garde, à l'entrée, assez loin. Nos amis auraient bien voulu entrer dans le château et le visiter de nuit. Mais pour cela il fallait résoudre le fameux mot de passe.
Ils eurent beau lire et relire l'étrange énigme, même Philippe ne trouva aucune réponse.
« Les morts me mangent…Je suis plus grand que Dieu…Si les vivants me mangent, ils meurent… »
Et toi, tu as une idée à présent ?
Ne découvrant aucune solution et ne pouvant donc ouvrir la porte au miroir sans tain, ils redescendirent l'escalier en colimaçon, suivirent à nouveau le long souterrain et parvinrent tout près de l'arche de pierre, sous le pont de la rivière. Là, une mauvaise surprise les attendait. Les grilles étaient fermées. La chaîne était solidement mise et le cadenas lui aussi resserré.
Nos amis eurent beau secouer les chaînes, tenter d'ouvrir la herse, de la lever, la tirer, la pousser, ils ne réussirent qu'à se faire mal. Ils crièrent, ils hurlèrent, mais personne ne se trouvait dans les environs pour répondre à leurs appels. Ceux de la colonie étaient partis bien loin. Le gardien avait sans doute demandé au chef moniteur de refermer la grille du souterrain en ressortant avec les enfants. Comme nos quatre amis s'étaient tenus cois pendant leur passage, personne ne se doutait de leur présence.
Les barreaux étaient gros et bien serrés. Impossible de se faufiler entre eux.
Inquiets, ils refirent cinq fois, dix fois, le trajet de la grille au cachot, fouillant chaque recoin du souterrain, frappant le sol du pied, sondant les murs, observant la porte, réfléchissant à l'énigme, tâtant chacune des briques du cachot afin de tenter de découvrir un passage, une porte secrète, que sais-je. Ils retournèrent dans la partie droite, celle écroulée du souterrain, mais ils ne virent aucune autre issue, que cette grille fermée d'un côté, et cette énigme effroyable et incompréhensible de l'autre.
Quand la lampe de poche commença à faiblir, car la pile s'épuisait, ils remontèrent tous les quatre dans le cachot et ils s'assirent par terre.
-On en est quittes pour passer la nuit ici, dit Christine.
-Ce n'est pas drôle, soupira Véronique.
-On se trouve dans la même situation que Dame Johanne autrefois.
-Heureusement, nous n'entendrons pas le fantôme, dit Philippe. À moins bien sûr, que, quand nous serons bien fatigués et que nous somnolerons, il ne vienne doucement nous effrayer.
- Arrête, supplia Véronique.
-Demain matin, réfléchit tout haut Jean-Claude, les premiers visiteurs arriveront vers neuf heures et la guide leur montrera le cachot. Elle ouvrira la porte et on sera délivrés.
Nos quatre amis bavardèrent un peu, assis l'un près de l'autre, puis les heures passant, la fatigue gagnant les esprits, ils finirent par s'endormir tous les quatre. Aucun fantôme ne vint les déranger.
Quand ils ouvrirent les yeux, un rayon de soleil éclairait la salle à manger. Personne n'était encore arrivé. Vers neuf heures, les premiers visiteurs viendraient avec la guide, et celle-ci leur ouvrirait le cachot. Nos amis pourraient enfin sortir de leur prison.
Peu avant neuf heures, plusieurs personnes, portant cravate noire et veston blanc, entrèrent à l'intérieur de la salle à manger. Nos amis les entendaient parler très distinctement tandis que ces gens ne percevaient aucun appel ni cri, ni le tambourinement des enfants contre la vitre. Ils ne les voyaient, je te le rappelle, d'ailleurs pas.
-Où installera-t-on la mariée ?
-À cette table-ci, près du miroir.
-Cela ne va pas déranger les visiteurs ?
-Mais non, il n'y aura pas de visiteurs aujourd'hui ni demain, répondit le maître d'hôtel. Aucun touriste ne sera admis avant lundi matin. Les futurs mariés ont loué le château pour le week–end entier.
-Oh, non! s'écria Christine.
-S'il vous plaît! s'il vous plaît! hurla Véronique.
-Je crois qu'on va rester enfermés ici pendant deux jours. On ne nous délivrera pas avant lundi matin, supposa Philippe.
-On va crever de faim ici dedans jusqu'à lundi, tu veux dire. C'est effroyable, s'indigna Jean-Claude.
-Philippe, implora Véronique, en se tournant vers notre ami, s'il te plaît, tu trouves toujours les solutions aux problèmes les plus ardus, tu ne comprends vraiment pas cette énigme?
Les quatre amis la relurent une fois encore.
« Les morts me mangent… Je suis plus grand que Dieu… Si les vivants me mangent, ils meurent… »
- Mais enfin, dit soudain Philippe, que feriez-vous sans moi ?
- On tâcherait de se passer de toi, dit Jean-Claude.
- Merci, répondit le garçon, un peu vexé. Ça c'est sympa à entendre au moins. Comptez sur la fidélité des copains.
- Tu as compris l'énigme, dit Jean-Claude en observant le sourire malicieux de son ami.
- Oui, je viens de trouver, enfin je crois.
- Tu as découvert le mot de passe! s'écrièrent les deux filles en même temps.
- Oui, et vraiment, c'est évident. Réfléchissez. Je lis les trois propositions : « Les morts me mangent. » Ça, vous laissez de côté, expliqua Philippe. « Je suis plus grand que Dieu ». Il faut commencer par là. Qu'est-ce qui est plus grand que Dieu? à votre avis.
-Je ne vois pas, répondit Christine. Rien n'est plus grand que Dieu.
-Voilà, la réponse ! Rien n'est plus grand que Dieu. Le mot utilisé est « RIEN » ! Applique-le aux deux autres devinettes. « Les morts me mangent », poursuivit Philippe. Les morts ne mangent rien ! « Si les vivants me mangent ils meurent ». Si les vivants ne mangent rien, ils meurent.
-Philippe, tu es génial, s'écria Christine.
-Je te félicite, ajouta Jean-Claude.
Se serrant tous les quatre et se donnant la main, ils prononcèrent d'une voix haute et forte le mot « RIEN » .
La porte sans tain s'ouvrit.
Les mariés venaient d'entrer, en compagnie de leurs familles pour veiller aux derniers préparatifs de la réception de l'après-midi. Ils furent bien étonnés de voir sortir quatre enfants de ce cachot.
Rapidement, on téléphona à la grand-mère, inquiète sans doute de l'absence des quatre amis, pour la rassurer et l'inviter à la fête. Puis le marié et la mariée partagèrent un excellent petit-déjeuner avec tous.
L'aventure se termina dans la joie et les rires, car, mis à part une longue nuit d'insomnie et quelques solides peurs, chacun était sain et sauf.