Les bulles
Juliette riait aux éclats. Elle venait de recevoir un flacon de liquide savonneux pour faire des bulles. Et elle n'arrêtait pas d'en souffler des nouvelles.
Maman l'envoya jouer au jardin.
Les bulles paraissaient encore plus brillantes au grand soleil. Le spectacle des couleurs, emportées par la brise, était éblouissant.
Un oiseau passa dans le ciel et lança son jacassement. Une pie. Elle tenta, mais en vain, de prendre les bulles dans son bec, mais elles éclataient aussitôt.
Un peu vexée, elle lança un nouveau cri. Puis elle voulut en serrer une entre ses pattes. Bien sûr, le résultat ne fut pas plus heureux.
- Qu'essaies-tu de faire? lui demanda Juliette.
- Je voudrais garnir mon nid avec ces jolies bulles brillantes qui flottent au vent. Nous, les pies nous avons du goût. Nous aimons ce qui brille. Les bagues en or trouvées le long des routes, les pièces de monnaie perdues sur les trottoirs, les boucles d'oreilles oubliées dans les jardins, les bijoux de toutes sortes.
- Tu ne réussiras pas à emporter des bulles dans ton nid, expliqua la fillette. Dès qu'on les touche, elles éclatent.
La pie s'éloigna, pas très contente.
Le vent se leva. Il emportait les bulles de plus en plus loin, jusqu'au fond du jardin et même au-delà.
Juliette qui les suivait, arriva à la barrière en bois et la poussa. Elle entra dans la prairie aux fleurs.
Elle en soufflait sans cesse des nouvelles et marchait en les regardant, virevoltantes dans les airs. Le vent les emmenait vers le ruisseau.
Notre amie arriva près du bord et en créa une fois encore une belle série de toutes les couleurs. Elle fit un pas en avant, un pas de trop, et elle tomba dans l'eau.
Juliette se releva trempée de la tête aux pieds. Sa jolie queue de cheval collait sur son dos. Sa salopette rose était toute mouillée et ses tennis blancs étaient devenus bruns de boue et de vase.
Maman ne va pas être contente, songea la fillette. Le mieux serait de me sécher au soleil avant de retourner à la maison. Le temps de créer encore quelques bulles.
Elle s'assit sur une grosse pierre au bord de l'eau et remarqua qu'un petit poisson rouge s'approchait.
Il regarda notre amie, étonné.
- Tu es un poisson? demanda-t-il.
- Non, répondit Juliette. Je suis une petite fille, et j'ai bientôt quatre ans.
- Pourtant tu nous ressembles. Tu dégoulines et tu fais des bulles. Moi j'en fabrique aussi. Tu veux voir?
Le poisson rouge en créa quelques dizaines, très rondes, depuis le fond de l'eau.
- Je suis trempée parce que je suis tombée dans le ruisseau, expliqua la fillette. Et maintenant je sèche un peu avant de retourner à la maison, sinon je vais me faire gronder. Et les bulles sortent de la bouteille que je tiens à la main et que je viens de recevoir. Tu vois, je ne suis pas un poisson.
- Si tu restes encore un moment assise là sur la pierre, j'appelle mes copains, proposa le poisson rouge.
- Avec plaisir, répondit notre amie.
Il disparut un instant, puis revint peu après avec une dizaine d'autres, tous plus adorables les uns que les autres. Et de toutes les couleurs! Des bleus à lignes jaunes, des verts avec des reflets rouges, des mauves et des roses, un tout noir aux yeux bleus. Elle crut même voir un poisson-clown.
Ils se mirent tous en rond et fabriquèrent toutes sortes de bulles, des grandes et des petites, des rondes et même des ovales qui ressemblaient à des œufs.
Juliette, émerveillée, regardait le spectacle. Elle applaudit à deux mains.
Soudain tous les poissons se sauvèrent.
Notre amie se pencha et regarda dans l'eau. Une grosse écrevisse venait de sortir de son trou, sous une pierre engloutie le long de la berge, près de l'endroit où notre amie séchait au soleil.
- Tu es méchante, dit la fillette. Tu fais peur à tous mes amis.
- Va-t'en, répondit l'écrevisse. Va-t'en de ce rocher sur lequel tu t'assieds. C'est le mien. Pars ou je te pince les chevilles.
Juliette se leva.
- Méchante, dit-elle encore. Je ne créerai pas de bulles pour toi.
- Je m'en fiche, répondit l'écrevisse.
Notre amie retourna vers son jardin. Elle en refit quelques nouvelles en marchant, que le vent emporta, cette fois-ci, vers la maison voisine.
- Oh, des bulles! cria une fillette.
- Jeanine! lança Juliette.
- C'est toi qui les fais?
- Oui! Je viens de recevoir un flacon de liquide.
- Je peux en souffler aussi?
- Bien sûr, viens dans mon jardin.
Jeanine, la petite voisine, une bonne copine de notre amie, passa à quatre pattes par un trou de la haie, suivie par son petit chat Tiouli.
Le chat courait comme un fou derrière les bulles. Il faisait des sauts incroyables pour tenter de les attraper. C'était trop drôle.
Juliette et son amie, soufflant à tour de rôle assises au milieu des fleurs, créèrent des centaines de bulles sous le soleil du printemps.
Elles dansaient dans le ciel chargé de lumière.