Le visiteur roux
Isabelle jouait avec sa poupée, appuyée contre la haie, au fond du jardin. Le soleil dorait ses jolies tresses blondes.
Elle entendit soudain, derrière elle, un miaulement.
Notre amie se redressa et regarda vers le pré aux fleurs qui se trouve juste au-delà de la barrière en bois. Elle ne vit aucun chat.
J'ai rêvé, songea la fillette.
Elle aimerait tellement avoir un chat. Mais ses parents n'en veulent pas. Papa a même osé dire, qu'avec les trois grands frères, Bertrand, Benoît et Benjamin, plus Isabelle, la petite sœur de cinq ans et demi, il y a assez d'animaux à la maison.
- Papa! s'est écriée la petite fille, je ne suis pas un animal.
On n'en avait plus reparlé, le sujet était clos.
- Miaou, miaou...
Le miaulement tira la fillette de sa rêverie. Elle se pencha par-dessus la haie, mais une fois encore, elle ne vit aucun chat.
Isabelle se glissa sous la barrière.
Je te l'ai déjà dit, elle ne sait pas l'ouvrir. Ses grands frères lui ont expliqué le mécanisme plusieurs fois, mais c'est trop compliqué.
Notre amie se redressa. Comme chaque fois, elle avait un peu sali sa salopette en jean bleu, mais tant pis.
- Miaou, miaou...
- Où restes-tu, petit chat? demanda Isabelle.
Elle tendit la main vers l'endroit où elle entendait miauler. Ses doigts touchèrent quelque chose de mou et poilu, qu'elle ne voyait pas.
- Miaou, miaou...
Elle gratta trois fois. Gratte... gratte... gratte... et un chat roux apparut.
- Waouh! lança Isabelle, surprise.
Puis elle ajouta :
- Tu es bien joli, avec tes poils presque rouges.
- Merci. Toi aussi avec tes longues tresses, répondit le petit animal.
- Tu sais parler!
- Oui, mais seulement quand on me voit.
- Et que doit-on faire pour te rendre invisible?
- Il suffit de passer trois fois ta main sur mon dos.
- Un... deux... trois... fit Isabelle en caressant le chat.
Il disparut.
Gratte... gratte... gratte... le long du cou. Il réapparut.
- Merveilleux, lança notre amie. Je n'ai jamais vu ça!
Soudain, elle eut une idée.
- Puisque tu peux te rendre invisible, je pourrais te prendre dans ma maison. Papa et maman ne veulent pas de chat, mais ils ne te verront pas. Aimerais-tu venir habiter chez moi?
- Oh! oui, car je ne sais pas où aller.
- Alors, suis-moi, dit Isabelle. Mais d'abord, je vais te faire disparaître. Et quand on passera près de mes parents, surtout ne miaule pas. Il ne faut pas qu'ils t'entendent.
Elle caressa trois fois le petit animal. Il disparut aussitôt.
- Viens.
- Miaou, miaou...
- Tais-toi.
Isabelle se glissa à nouveau sous la barrière. Elle traversa le jardin et ouvrit la porte de la cuisine. Son père y était. La fillette passa sans s'arrêter.
- Où vas-tu, ma chérie?
- Dans ma chambre, papa.
Notre amie monta l'escalier, entra dans sa chambre et referma la porte derrière elle. Gratte... gratte... gratte... sur le cou de l'animal. Le chat réapparut.
- Te voilà chez toi, dit Isabelle.
- J'ai soif, déclara l'animal.
- Alors viens. Suis-moi. Je vais te préparer un bol avec de l'eau. Mais d'abord, tu dois redevenir invisible.
- Non, expliqua le chat. Ce n'est pas possible. Je ne peux manger et boire que quand on me voit.
- Ce ne sera pas très facile, réfléchit notre amie. Viens, marche derrière moi.
Elle descendit l'escalier et traversa le hall d'entrée de la maison, sans faire de bruit. Elle ne croisa personne. Un coup d'œil dans la cuisine. Papa n'y était plus.
Isabelle ouvrit une armoire, saisit un bol, tourna le robinet et y versa de l'eau. Puis elle le posa à terre.
- Voilà, dit-elle.
Le chat s'approcha et se mit à laper.
Les parents arrivèrent dans la cuisine juste à ce moment.
Isabelle se précipita pour caresser le chat trois fois. Il disparut.
- C'est quoi ça là, à terre? demanda maman.
- C'est un bol avec de l'eau, répondit notre amie.
- Tu bois à quatre pattes comme les chats à présent? fit papa.
- Non, dit-elle en rougissant.
Elle ramassa le bol et le posa dans l'évier. Puis elle remonta à sa chambre, suivie par son ami invisible. Elle ferma la porte. Gratte... gratte... gratte... elle le fit apparaître.
- Ouf, fit la fillette. On a eu de la chance! C'était tout juste. Encore un peu et ils te voyaient...
Elle s'assit près de lui et le caressa.
- Il faut que je te trouve un nom, dit-elle, après un instant. Tu es mignon, tout roux. Je vais t'appeler Coquelicot. Ça te va?
- Oui, très bien, répondit le chat.
Il regarda à gauche, à droite, passa sous le lit, puis revint près de la fillette.
- J'ai faim. Apporte-moi quelques croquettes à manger.
- Je n'en ai pas.
Notre amie se tut un instant pour réfléchir.
- Je vais aller en acheter au magasin. Reste ici. Attends-moi. Si mon frère Benjamin ou quelqu'un d'autre entre dans ma chambre, cache-toi sous le lit et ne miaule surtout pas. Benjamin est âgé de sept ans et demi et il partage la chambre avec moi. Il a choisi le lit au-dessus du mien. À tantôt.
Isabelle sortit, referma la porte derrière elle et descendit l'escalier.
- Maman!
- Oui, ma chérie.
- Je peux avoir de l'argent à moi?
- Oui, combien veux-tu?
La mère de notre amie ouvrit la tirelire.
- Je peux prendre le billet de cinq euros?
- Oui. C'est ton argent. Papa et moi t'avons expliqué que quand tu apprendras à compter, dans un an, à l'école, tu pourras, comme tes frères, tenir ton argent toi-même.
Isabelle prit le billet et quitta la maison.
Elle longea le trottoir jusqu'au magasin du village, au coin de la rue, près de l'église. Elle y entra.
- Bonjour madame, dit-elle à la marchande. Combien coûte une boîte de croquettes pour chat?
Elle posa le billet de cinq euros sur le comptoir.
- Est-ce que j'ai assez?
- Les grands sacs coûtent plus cher, mais tu as assez pour un petit.
- Je le prends, dit Isabelle.
La vendeuse lui rendit la monnaie. Notre amie remercia et revint à la maison.
Elle croisa maman en montant l'escalier.
- Isabelle! Que tiens-tu là? Des croquettes pour chat! Que vas-tu faire avec ça?
Notre amie ne répondit pas et se précipita dans sa chambre. Elle ferma la porte.
Coquelicot attendait, assis sur le lit.
- Voilà tes croquettes. Je t'en mets quelques-unes sur le tapis. Tu peux les manger, mais ne fais pas de miettes. Il ne faut pas que mes parents s'aperçoivent que j'ai un chat.
Pendant qu'il mangeait, elle songea qu'il serait grand temps de mettre Benjamin dans la confidence, puisqu'ils partagent la chambre.
Elle l'entendait monter l'escalier. La fillette caressa trois fois le dos de Coquelicot, qui devint aussitôt invisible.
Le garçon entra.
- Benjamin!
- Oui.
- J'ai un secret à te dire, mais tu dois me promettre que tu n'en parleras à personne, pas même à papa et maman.
- Je promets.
- J'ai un chat.
- Waow! Je ne le vois pas...
Gratte... gratte... gratte... dans le cou de Coquelicot. Il apparut.
- Bravo! déclara le garçon. Je peux le caresser?
- Oui, mais si tu glisses trois fois ta main sur son dos, il disparaît.
Deux jours passèrent.
Un après-midi, en revenant de l'école, Isabelle entra dans sa chambre et vit une souris morte posée sur son oreiller.
Elle la saisit par la queue, à la fois horrifiée et dégoûtée, et s'adressa à Coquelicot.
- C'est quoi ça?
- Un cadeau pour toi, répondit le chat. Tu es si gentille avec moi. Tu m'achètes à manger. Moi aussi, je veux te faire plaisir!
Au même instant, maman entra dans la chambre et vit la souris morte entre les doigts de notre amie. Le chat courut se cacher sous le lit.
- Isabelle!
- Oui, maman.
- Que fais-tu là? Tu joues avec une souris morte! Tu te prends pour un chat? Va jeter ça à la poubelle. Tout de suite!
Notre amie obéit.
Maman quitta la pièce.
- Je vais tout arranger, promit Coquelicot en sortant du lit sous lequel il s'était précipité pour se cacher. Je vais faire un beau cadeau à tes parents. Ils seront très contents et ils m'accepteront.
Trois jours plus tard, un soir, papa appela Isabelle dans le bureau des parents.
- Ma chérie, que se passe-t-il? Maman me dit que tu bois à quatre pattes dans la cuisine, que tu manges des croquettes pour chat, que tu joues avec une vraie souris. Crois-tu que tu deviens un chat?
- Non, papa. Et je ne mange pas des croquettes de chat.
- Mais ce n'est pas tout. Hier soir, maman et moi avons trouvé, chacun, une souris morte sur notre oreiller. Je veux une explication, Isabelle.
- C'est un secret, papa. Tu me promets de ne pas en parler à maman?
- Non, ma chérie. Maman et moi n'avons pas de secrets.
- Bon. Tant pis... J'ai un chat.
- Ah! Où est-il?
- Ici, près de moi. Regarde.
Gratte... gratte... gratte... Coquelicot apparut.
Maman entra à ce moment dans le bureau. Elle observa le chat un instant en silence.
- Je ne suis pas d'accord, lança-t-elle. J'ai dit que je ne veux pas d'animal à la maison. Profite bien de ton petit ami ce soir, car demain, pendant que tu seras à l'école, je le porterai au refuge pour animaux.
Notre amie remonta en larmes à sa chambre, avec Coquelicot dans les bras.
Le chat éveilla Isabelle au milieu de la nuit. Il caressait la joue de la fillette avec sa patte de velours.
- Que se passe-t-il? Pourquoi me réveilles-tu?
- Des voleurs rôdent autour de ta maison.
- Tu es certain? Ça fait peur...
Notre amie escalada l'échelle en bois qui mène au lit superposé où dort son frère.
- Benjamin! Des voleurs essayent d'entrer dans la maison. Coquelicot les a entendus.
- Des voleurs! Viens, suis-moi. On va aller voir. Surtout, ne fais pas de bruit.
Le garçon emmena sa petite sœur jusqu'en haut de l'escalier. Ils écoutèrent le silence. Soudain le fracas d'une vitre que l'on brise retentit. Puis deux voix.
- Zut! Je me suis coupé.
- Tais-toi! Sinon, on va nous entendre.
Benjamin courut avec sa sœur à la chambre des parents.
- Papa, maman, des voleurs entrent dans la maison.
Le papa se leva et alluma dans la pièce puis dans le couloir. Maman fila réveiller Bertrand, dix-neuf ans et Benoît, treize ans, les deux autres grands frères d'Isabelle.
Ils descendirent en file indienne vers le salon.
Les voleurs s'étaient enfuis. Mais une vitre brisée traînait sur le sol et du sang avait coulé le long du verre.
Maman appela les policiers. En observant attentivement la scène, ils aperçurent un portefeuille par terre, probablement glissé de la poche de l’un des deux malfrats dans la précipitation. Grâce à cela, ils purent découvrir l'identité des voleurs et puis leur adresse. Ils allèrent les chercher aussitôt et les conduisirent en prison.
- Bravo, déclara le lendemain le commissaire aux parents de notre amie. Grâce à votre réaction, les voleurs ont commis une erreur et sont mis hors d’état de nuire.
- Nous n'y sommes pour rien, fit remarquer le papa. Notre fils Benjamin nous a réveillés. C'est lui qu'il faut féliciter.
- Bravo! jeune homme, dit le commissaire en se tournant vers le garçon.
- Je n'y suis pour rien, reconnut notre ami en souriant. Ma petite sœur est venue me chercher. C'est elle qu'il faut féliciter.
- Bravo! Isabelle, lança le policier.
- Moi, je dormais, avoua la fillette. Mon chat m'a éveillée après avoir entendu les voleurs.
- Le chat! s'exclama maman.
- Oui, grâce à lui, on a échappé aux voleurs, expliqua Isabelle.
La maman regarda sa petite fille droit dans les yeux.
- Alors, on le garde, dit-elle, avec un grand sourire.
Maintenant notre amie a un chat. Il s'appelle Coquelicot.