Béatrice et François
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Le crâne qui crie

     Béatrice et son petit frère, le bébé Nicolas, passaient quelques jours de vacances auprès de leur grand-mère. Elle avait reçu la permission d'inviter son grand ami François, âgé de sept ans et demi comme elle. Les trois enfants profitaient de ces jours merveilleux.

Un soir, pendant qu'ils jouaient au salon, ils entendirent sonner une horloge située dans le hall d'entrée.

- Bonne-mamy, dit notre amie, tu as fait réparer ton horloge?

- Oui, ma chérie, on vient de me la rapporter entièrement restaurée. Cela m'a coûté très cher d'ailleurs. Mais, venez voir, les deux grands. L'horloger y a découvert quelque chose de tout à fait étrange.

Les deux enfants quittèrent leurs jeux et se précipitèrent dans le hall d'entrée. Ils s'assirent sur un banc et regardèrent le grand meuble, le balancier de cuivre derrière une étroite fenêtre ronde et le cadran.

- Vous apercevez une petite porte, un volet, au milieu du cadran, dit la grand-mère. Il s'ouvre une seule fois par jour, à trois heures du matin. Une tête de mort, un crâne de la taille d'une prune, apparaît alors et lance trois fois son cri. Le boîtier reste ouvert trois minutes, puis le crâne émet à nouveau son cri, le rappel de l'heure, avant de disparaître derrière le volet qui se referme.

- Génial, se réjouit François. Je voudrais regarder ça.

- Tu ne le verras pas, reprit la vieille dame, car cela se passe à trois heures du matin. Vous dormirez à cette heure-là. Tant mieux, d'ailleurs, car le réparateur m'a avertie que pendant les trois minutes qui séparent les deux fois trois cris du crâne, n'importe quoi peut arriver...

 

Les deux amis se regardèrent en silence, intrigués.

Après le repas du soir, ils montèrent se coucher. Ils partageaient la même chambre. La grand-mère avait installé un lit de camp sur le tapis pour l'invité de sa petite-fille.

- François, tu m'as dit un jour que ta montre sonne l'heure, comme un réveil, dit Béatrice.

- Oui.

- Si tu la règles sur trois heures moins cinq du matin, on pourra se lever et aller voir le crâne qui crie.

- Bonne idée!

- Elle ne sonne pas trop fort? Il ne faut pas que Nicolas, le bébé, se réveille.

- Non, répondit le garçon, il ne l'entendra pas.

- Génial.

 

- Tic, tic, tic, tic, tic.

François ouvrit les yeux et appela son amie. Ils se levèrent et descendirent l'escalier sans bruit. Ils s'assirent sur le banc de bois en face de la grande horloge. Elle marquait deux heures cinquante-huit.

Les deux enfants frissonnèrent. Pieds nus sur le carrelage et juste vêtus de leurs pyjamas, ils avaient un peu froid, mais surtout ils se demandaient ce qui allait se passer.

À trois heures juste, le volet s'ouvrit et une affreuse tête de mort apparut. Elle avait bien la taille d'une prune. Aussitôt, elle poussa un cri par trois fois.

- Héé... héé... héé...

 

Une seconde plus tard, nos deux amis entendirent des hennissements dans la rue, devant la maison de la grand-mère.

Béatrice courut ouvrir la porte d'entrée.

Deux carrosses tout en or, tirés chacun par quatre chevaux blancs se tenaient là, arrêtés à quelques mètres. La porte du premier s'ouvrit. Une dame habillée d'une somptueuse robe du soir l'appela.

- Béatrice, venez, je vais vous conduire à la fête.

La fillette hésita un instant, puis se dirigea vers le carrosse.

- Mon copain peut nous accompagner?

- Bien sûr, le prince François empruntera le second carrosse.

Béatrice monta une marche en bois puis s'assit sur un fauteuil en cuir.

- Mademoiselle, vous n'allez pas aller au bal habillée ainsi. Tenez, mettez cette robe cousue de fils d'or et d'argent, chaussez ces ballerines garnies de pierres précieuses et posez ce diadème sur votre tête.

 

Juste à ce moment, l'horloge chez la grand-mère sonna le rappel. Les trois minutes étaient passées. L'horrible tête de mort lança à nouveau ses trois cris.

- Héé... héé... héé...

Nos deux amis se retrouvèrent assis côte à côte sur le banc, vêtus de leur pyjama. Le volet de l'horloge venait de se refermer et la tête de mort avait disparu.

- On a rêvé, murmura Béatrice.

- Mais non, répondit François, je suis éveillé et toi aussi.

Ils remontèrent à leur chambre très intrigués, mais décidés à renouveler l'expérience la nuit prochaine, à trois heures du matin.

 

Cette nuit-là, comme la fois précédente, ils s'éveillèrent au son de la montre-réveil de François à trois heures moins cinq du matin. Ils quittèrent leur chambre sans bruit et descendirent l'escalier pieds nus, en pyjama. Ils s'assirent sur le banc, en face de l'horloge et attendirent.

À trois heures juste, le volet s'ouvrit, le petit crâne parut et lança son cri mystérieux.

- Héé... héé... héé...

 

Béatrice courut ouvrir la porte d'entrée de la maison de sa grand-mère. Les deux carrosses en or arrivaient, tirés chacun par quatre chevaux blancs. La fillette se précipita vers le premier tandis que son copain entrait dans le second.

De nouveau, la dame en robe du soir proposa à notre amie de passer de somptueux vêtements de princesse, pendant que le carrosse roulait à toute allure vers une destination inconnue.

Il s'arrêta devant un palais dont les fenêtres éclairées brillaient dans la nuit.

- Nous arrivons, mademoiselle.

Béatrice entra dans un hall encombré de monde. Tous les gens présents avaient fière allure. Les messieurs souriaient en habits d'apparat du meilleur goût. Les dames portaient des robes fastueuses, rehaussées de broches en pierres précieuses. À leur cou miroitaient des colliers de perles rares ou des rivières de diamants de grand prix.

Tout ce luxe s'étalait dans la lumière, aux yeux de nos amis.

La salle de fête leur parut encore plus somptueuse. Les mille feux qui l'illuminaient se reflétaient dans les cristaux des lustres et créaient des centaines d'arcs-en-ciel.

Un orchestre installé sur une estrade jouait des valses de Vienne que les danseurs et les danseuses interprétaient en virevoltant avec allégresse.

Notre amie se retourna. Son copain avait disparu...

Soudain, un maître d'hôtel fit signe aux musiciens de s'interrompre. Puis il annonça, d'une voix forte :

- Le roi, la reine, et le prince François!

L'assistance applaudit. Notre ami, qui venait d'entrer à son tour dans la salle de fête, repéra Béatrice dans la foule et se dirigea vers elle.

- Tu ne m'avais pas dit que tu étais un prince, murmura la fillette.

- Je ne suis pas un prince, répondit le garçon. Cet homme, le roi, n'est pas mon père. Je ne l'ai jamais vu, mais il croit que je suis son fils. Viens, je vais te montrer sa couronne.

Les deux enfants suivirent plusieurs couloirs sans croiser personne. Ils entrèrent dans une bibliothèque garnie de milliers de livres sans doute très anciens.

Une table ronde en marqueterie occupait le centre de la pièce. Une vitrine, posée dessus, contenait un crâne humain, une vraie tête de mort, sur laquelle une couronne en or sertie de diamants et de saphirs bleu nuit se trouvait posée.

- Quelle merveille! admira Béatrice. Je n'en ai jamais vu une pareille.

François ouvrit la vitrine et posa la couronne royale entre les mains de son amie.

Juste à ce moment, l'horloge de la grand-mère sonna le rappel. Le petit crâne horrible poussa son affreux cri trois fois.

- Héé... héé... héé...

 

Les deux amis se retrouvèrent assis sur le banc en bois du hall, pieds nus et en pyjama. Le volet venait de se refermer.

Mais Béatrice tenait la couronne du roi en main!

- On ne rêve pas, puisque je l'ai entre mes doigts...

- Il faut aller la remettre à sa place, affirma François.

- Tu as raison. Nous le ferons la nuit prochaine. J'ai hâte de revoir ce splendide château et ce merveilleux bal où nous sommes invités.

- Moi, répliqua son copain, tout ça me fait un peu peur.

 

La troisième nuit était douce et claire, illuminée par la lune proche d'être pleine. Les deux amis s'éveillèrent à trois heures moins cinq. Ils descendirent sans bruit et s'assirent dans le hall devant l'horloge au volet fermé. Ils attendirent en silence.

Le volet s'ouvrit et l'affreux crâne lança son cri sinistre par trois fois.

- Héé... héé... héé...

 

Les deux enfants se retrouvèrent aussitôt dans la bibliothèque du palais, à l'endroit exact qu'ils avaient quitté hier. Béatrice tenait la couronne royale en main.

François ouvrit la porte de la vitrine.

Au même instant, une dizaine de gardes armés, menés par leur chef, un soldat imposant, entrèrent dans la pièce. Ils empoignèrent la fillette.

- Voilà la voleuse! mon capitaine. Nous la prenons sur le fait.

- Mais non! cria notre amie. Je ne suis pas une voleuse. J'allais remettre la couronne en place.

- Menteuse! La couronne a disparu pendant vingt-quatre heures. Emmenez cette gamine en prison. Enfermez-la dans un cachot, ordonna l'imposant capitaine des gardes.

Les hommes saisirent Béatrice avec rudesse et l'emmenèrent.

- François, viens me délivrer! lança la fillette.

Le garçon suivit les soldats le long des couloirs puis dans des escaliers de plus en plus sombres et de plus en plus froids.

Les hommes armés jetèrent Béatrice dans un cachot. Ils refermèrent la lourde porte en fer, barrée de trois solides verrous. Un des gardes s'assit juste devant.

François s'en approcha après avoir attendu que les autres membres de la troupe s'éloignent.

- Garde, dit-il, je suis le prince François. Ouvrez cette porte et laissez sortir mon amie. Ce n'est pas une voleuse.

- Si j'obéis au prince, répondit l'homme, je désobéis au roi. Je ne puis.

- Alors ouvrez la porte et laissez-moi entrer.

- Ce n'est pas interdit.

Le garde se leva et fit glisser les trois verrous. François entra. Le soldat referma la porte derrière notre ami.

- Je viens près de toi, Béatrice. Mais je ne peux pas te délivrer, l'homme dehors refuse de te laisser sortir.

 

À ce moment, le crâne cria par trois fois le rappel dans le hall de la grand-mère de notre amie. Les deux enfants se retrouvèrent, comme chaque fois, pieds nus et en pyjama assis sur le banc en bois devant l'horloge dont le volet venait de se refermer.

- Ça ne sert à rien que tu restes près de moi dans le cachot, dit Béatrice. Va plutôt voir le roi, et demande-lui de me libérer.

Tout entiers pris dans leur aventure, il ne leur serait pas venu à l’esprit de ne pas retourner sur place pour rectifier la situation.

- Et s'il ne veut pas?

- Il est le roi. Il commande dans cet étrange endroit où nous nous sommes laissés entraîner chaque nuit. Il croit que tu es son fils. Il t'écoutera.

Les deux enfants remontèrent se coucher.

Ils avaient mis les doigts dans l'engrenage infernal de la peur et de l'horreur, et n'osaient pas interrompre le processus. Ce serait laisser Béatrice dans un cachot, en rêve ou en réalité, les deux enfants n'en étaient même plus certains.

 

Lorsque la quatrième nuit, le crâne de l'horloge lança ses trois cris, Béatrice se retrouva au fond du cachot tout noir. François, lui, se tenait dans la bibliothèque. Il courut vers la salle de fête où l'orchestre reprenait ses valses pour le plus grand bonheur des dames et des messieurs qui dansaient.

Notre ami s'approcha du roi.

- Votre majesté, osa le garçon timidement.

- Voyons, mon fils, répondit le roi, ne m'appelle pas ainsi. Votre majesté, c'est pour les autres. Toi, appelle-moi papa.

- Papa, reprit le garçon en hésitant, tu dois donner l'ordre de libérer mon amie. Ce n'est pas une voleuse. Les gardes l'ont emmenée juste au moment où elle remettait la couronne en place.

- Hélas, mon fils, je ne puis pas donner cet ordre.

- Mais tu es le roi!

- Oui, mais quelqu'un d'autre commande dans ce château. Viens, suis-moi, il est temps que tu apprennes toute la vérité sur ce lieu maudit depuis des siècles.

Le roi et François quittèrent la salle des fêtes et descendirent l'escalier menant dans la cour du palais.

- Un jour mon fils, tu me succéderas. Il faut que tu saches tout sur la malédiction qui règne ici. Le malheur vient d'une tête de mort dans la cave noire de la tour sombre de notre château. C'est ce qui reste d'une effroyable sorcière qui vécut voilà cinq cents ans et que notre ancêtre, le roi de l'époque, condamna à mort et fit brûler dans la cour, ici même sur un bûcher. Le bourreau attacha la sorcière au poteau dressé au milieu avec des chaînes, puis il alluma le feu. Elle  brûla et se réduisit peu à peu en cendres, sauf son crâne qui resta dans les flammes sans se consumer. Il hurla des heures et des heures. Un forgeron fabriqua une cage en fer et l'enferma dans la cave de la tour sombre où il demeure et crie ses ordres à chaque pleine lune.

François et celui qui se disait son père s'arrêtèrent devant une lourde porte en bois. Le roi sortit une longue clé en fer qu'il tenait attachée à une cordelle passée autour du cou. Il la glissa dans la serrure et tourna trois fois. Il ouvrit la porte.

- Descendons, dit-il.

 

Mais François se retrouva tout à coup assis à côté de son amie, sur le banc dans le hall de la grand-mère.

- Pourquoi ne viens-tu pas me délivrer? demanda Béatrice. Je t'attends dans le noir et j'ai peur. Ce n'est pas drôle, tu sais.

- Le roi ne peut pas donner l'ordre de te libérer.

- Mais enfin, il est le roi. Il commande.

- Non, quelque chose a le pouvoir au-dessus de lui. Le crâne d'une sorcière brûlée il y a cinq cents ans et qui est enfermé dans une cave. J'irai la nuit prochaine et je lui parlerai.

 

À trois heures du matin, les deux enfants s'assirent sur le banc et entendirent hurler le petit crâne de l'horloge de la grand-mère. Béatrice se retrouva dans son cachot sinistre et François dans la cour du palais en compagnie du roi qui croyait être son père.

C'était la cinquième nuit d'angoisse consécutive pour les deux amis. 

Le roi mena François à la cave. Le garçon était bien décidé à parler à ce crâne de sorcière et à exiger la libération immédiate de son amie.

- Il ne parlera pas cette nuit, prédit le roi. La pleine lune se produit demain. Mais je vais te le montrer.

Ils entrèrent dans une cave quasi noire. Le roi alluma une torche fixée au mur.

François aperçut une table en bois, très épaisse, mal rabotée. Dessus se trouvait une cage en fer, semblable à celle d'un canari, mais avec des barreaux bien plus solides. Et au milieu se trouvait le crâne, le vrai, blanc, sauf les trous des yeux et du nez, la bouche garnie de dents pointues. Horrible, terrifiant.

Notre ami tendit la main et passa un doigt à travers les barreaux. Sa curiosité lui imposait ce geste. Il voulait toucher cette chose affreuse.

Le crâne émit un cri, puis claqua plusieurs fois des dents. Le garçon, effrayé, recula d'un pas et retira promptement son doigt, craignant de se faire mordre.

- Il... est vivant!

- Oui, murmura le roi.

- On ne peut pas le détruire? demanda notre ami.

- Des gens courageux ont essayé, à plusieurs reprises, mais chaque fois, un drame s'est produit. Des soldats ont tenté de le démolir, mais des grêlons gros comme des pommes, survenus juste au moment où ils traversaient la cour, les ont tués. C'était il y a quatre cents ans.

François écoutait, impressionné.

- Cent ans plus tard, un forgeron promit de briser le crâne maudit sous la masse de son lourd marteau. Il fut attaqué par un essaim de frelons en passant la cour et mourut, blessé par plus de cent piqûres.

- Quelle horreur!

- Il y a deux cents ans, deux dames courageuses essayèrent de brûler ce crâne en y mettant le feu. Un orage violent apparut soudain et les foudroya. Enfin, il y a cent ans, un magicien risqua de faire disparaître l'horrible chose. Pendant qu'il prononçait ses formules magiques, il se couvrit en un instant d'une multitude de furoncles purulents et en mourut une heure après.

 

François se retrouva assis près de son amie sur le banc du hall. Le petit crâne venait, après les trois minutes fatidiques, de crier trois fois le rappel de l'heure.

- Héé... héé... héé...

Le garçon raconta à son amie ce que le roi venait de lui dire.

- Demain, sous la pleine lune, dit Béatrice, tu parleras à cet affreux crâne et tu me libéreras enfin de ce cachot.

Notre ami répondit un « oui » à peine audible.

Cette nuit-là, il ne dormit presque pas, rongé par la peur.

 

Sixième nuit. Trois heures moins cinq du matin. La montre de François sonna.

Les deux amis, pieds nus, en pyjama, à moitié endormis, descendirent l'escalier et s'assirent sur le banc dans le hall d'entrée.

L'aventure ne les amusait plus. Béatrice allait se retrouver dans ce cachot humide et noir qu'elle connaissait désormais trop bien et François appréhendait de tenter d'affronter le crâne qui crie dans la cave noire de la tour sombre du château, bien loin tous les deux de la somptueuse fête aperçue en arrivant quelques nuits auparavant.

Le volet de l'horloge de la grand-mère s'ouvrit. Le garçon ferma les yeux. L'affreux petit crâne lança son horrible cri par trois fois.

- Héé... héé... héé...

 

François se retrouva devant la lourde porte menant à la cave de la tour sombre. Le roi l'accompagnait. Le jeune garçon aurait préféré rester auprès de son amie Béatrice qui croupissait dans le cachot.

Le roi ouvrit la porte de la cave.

Le crâne humain trônait enfermé dans sa cage sur la table en bois.

Le roi fit glisser le volet d'une fenêtre creusée dans le mur et un rayon de la pleine lune tomba sur la tête de mort qui se mit à luire dans l'obscurité.

La mâchoire de l'affreuse tête remua, faisant claquer les dents, et le son horrible de son cri retentit dans la cave vide.

- Clac, clac, clac... Que veux-tu?

- Donne l'ordre de libérer mon amie. Ce n'est pas une voleuse, affirma François.

- Elle a emporté la couronne royale pendant vingt-quatre heures. Elle sera donc brûlée demain matin sur un bûcher allumé dans la cour du château. Je destitue le roi qui n'a pas su garder cette couronne. Toi, mon garçon, tu allumeras ce bûcher à l'aube et quand la fille aura achevé de brûler par ton geste, tu deviendras le nouveau roi.

- Mais...

- Il n'y a pas de « mais ». On ne discute pas mes ordres.

Le crâne se tut.

Le roi referma le volet.

 

Quelques instants plus tard, les deux enfants se revirent assis sur le banc, dans le hall de la grand-mère.

- Alors? demanda Béatrice.

- Demain, à l'aube, je dois allumer le bûcher sur lequel tu vas mourir. Puis je deviendrai roi.

- Tu ne vas quand même pas faire ça?

François ne répondit pas. Il était comme envoûté par le crâne de la sorcière. Béatrice scruta son ami.

- Je sais comment faire cesser tout ça, dit-elle. Suis-moi.

 

Les deux enfants descendirent à la cave de la grand-mère. La fillette alluma la lumière, regarda autour d'elle, et saisit un marteau et une pince. Puis elle éteignit. Ils remontèrent l'escalier en silence.

Béatrice poussa une chaise devant l'horloge et manipulant la pince, elle réussit à arracher le volet qui cachait le petit crâne. Il se trouvait juste derrière. Elle l'arracha au disque sur lequel il était collé et le posa sur une dalle du hall.

Elle leva le marteau.

- Attention, avertit François, c'est dangereux!

- Moins dangereux que brûler demain matin, répondit son amie.

Elle frappa un grand coup sur l'affreux petit crâne qui se brisa et se réduisit en un petit tas de poussière blanche.

 

Le bruit éveilla Nicolas qui se mit à pleurer, tirant la grand-mère de son sommeil. Elle descendit l'escalier avec le bébé dans les bras.

- Béatrice! dit-elle. Que fais-tu là avec ton ami? Mais, ma parole, tu as cassé le volet de l'horloge que je venais de faire restaurer à grand prix!

- J'étais vraiment obligée, bonne-mamy, répondit la fillette. Il se passait des choses abominables pendant les trois minutes qui séparaient les trois cris du crâne. Si je n'avais pas fait ça, demain, à l'aube, j'aurais brûlé sur un bûcher...

- Et moi, ajouta François, comme à regret, je serais devenu roi...

Béatrice regarda le garçon en silence.

- Mais François! mon meilleur ami... tu ne voudrais pas faire ça?

Non, bien sûr, dit-il, comme s'il s'éveillait d'un rêve.

Parfois, les vieux mécanismes ne fonctionnent pas et c’est peut-être exprès… comme ici, avant que la bonne grand-mère fasse réparer celui de son horloge… Peut-être aurait-elle mieux fait de ne pas la réparer...