Quatre amis des Indes
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La marche vers la liberté (10/14)

     Plusieurs jours passèrent. Des jours pénibles, épuisants, abominables.

Nos quatre amis les vécurent cachés dans la jungle, dormant à la belle étoile, se nourrissant à peine. Quelques fruits volés ici ou là ou parfois un morceau de pain quand le grand frère risquait, affamé, d'entrer la nuit dans une maison.

Les habits sales, déchirés, pataugeant dans la boue des marécages où ils se dissimulaient le jour, souvent victimes des piqûres de moustiques ou de plus gros insectes, mais aussi mordus parfois par une araignée, agrippés par des sangsues ou par tout ce qui vit dans ces lieux malsains, ils tentaient de survivre...

Mais surtout, la blessure de Myriam ne guérissait pas. Au contraire, elle s'infectait. La jeune fille souffrait de fièvre et son bras suppurait au bord de la plaie.


Un soir, Samuel risqua le tout pour le tout. C'était une question de vie ou de mort pour sa sœur. Il entra dans un village proche de la jungle et frappa à la porte d'un guérisseur repéré au cours d'une précédente exploration nocturne.

Quand l'homme ouvrit, le garçon murmura.

- Un homme crie dans la nuit.

- C'est mon frère, je l'écoute. Entre.

Il parla d'abord de Myriam sans évoquer son lien avec la famille Rabanath. L'homme lui proposa d'aller la chercher.

Le garçon revint avec elle, laissant David et Sarah attendre à la lisière de la forêt, par prudence.

Le guérisseur examina la fillette. Il ne reconnut pas la princesse dans cette enfant maigre, sale, en haillons, misérable.

- Ta sœur est très malade, dit-il. Je vais la garder chez moi quelques jours. Ici, elle pourra se laver, se nourrir. Je soignerai sa blessure. Elle guérira, mais cela prendra un peu de temps. Viens la retrouver le soir. Je te donnerai à manger.

- Nous sommes quatre, précisa Samuel. Deux plus jeunes m'attendent au coin du bois.

- Va les chercher, vous avez tous grand besoin d'être secourus.

- Merci, dit notre ami. Savez-vous qui je suis?

- Non, et peu m'importe. Vous êtes des enfants en danger de mourir, des victimes de la guerre.

Alors Samuel fit confiance au guérisseur et lui montra l'anneau des Rabanath.

- Cache cette bague et méfie-toi. Dans chaque village vit un traître à la solde de Danang. Et personne ne sait qui il est. Alors chacun se méfie de tous. Ne reviens qu'à la nuit tombée et tâche de ne croiser personne.

Le grand frère remercia encore puis embrassa sa sœur sur la joue. Il partit, emportant un sac de nourriture à partager avec David et Sarah.


Les jours passèrent. Myriam reprenait des forces et sa plaie guérissait. Nos amis la retrouvaient le soir et partageaient un repas avec le guérisseur et sa famille.


Un jour, une troupe de soldats à cheval envahit le hameau et força les habitants à se rassembler sur la place. Tous reconnurent des hommes de la police secrète de Danang.

Quand les villageois furent parqués et encerclés par les mercenaires, quelques-uns d'entre eux, désignés par leur chef, s'éloignèrent et fouillèrent les maisons.

Myriam se tenait près du guérisseur. Elle avait très peur. Heureusement, ses frères et sa sœur se cachaient dans les marécages.

Les hommes revinrent après quelques instants.

- Nous ne trouvons plus personne dans ce village.

- Nous cherchons la princesse Myriam Rabanath, cria le commandant. Nous savons qu'elle vit ici, parmi vous. Où est-elle?

Plusieurs fillettes pieds nus, vêtues de haillons et aussi maigres que notre amie se tenaient sur la place. Certaines avaient le même âge qu'elle.

Le chef de la troupe ennemie descendit de cheval et empoigna l'une d'entre elles, âgée de dix ans environ.

- Je compte jusqu'à trois. À trois, si vous ne dénoncez pas la princesse, je tranche la gorge de cette gamine. Un. Deux...

Notre amie fit un pas en avant, malgré la peur qui la faisait trembler.

- Je suis la princesse Myriam Rabanath.

- Emmenez-la, cria le chef en remontant à cheval.

Quelqu'un lança une pierre qui atteignit l'homme au front. Il tomba.

Ce fut comme un signal. Les villageois bondirent sur les soldats ennemis et les tuèrent tous.


La nouvelle de cet exploit se répandit de bouche en bouche, de village en village.

Des hommes et des femmes arrivèrent de partout, armés de couteaux, de machettes, de fourches ou d'objets divers. Tous vinrent gonfler les rangs du groupe de partisans qui devint peu à peu une armée.

Danang envoya un escadron de cent hommes avec mission d'en finir avec ces va-nu-pieds. Les mercenaires du général furent massacrés. Quelques-uns réussirent à fuir, sans demander leur reste.


L'armée de la liberté, comme on l'appelait, grossit de jour en jour.

Ils se dirigèrent vers la capitale, où vivait le général ennemi. Celui-ci demanda des renforts à Astak Razi. Mais le fakir avait fort à faire aux frontières de l'ouest des terres de Copal, où le vieux maharajah massait ses nouvelles troupes.

Nos amis, devenus les icônes de la marche de la liberté, eurent le bonheur de retrouver Kapilavastu. Il venait de réussir à s'évader de la prison où on le retenait. Il était hélas sans nouvelles du maharajah et de la maharané.

Samuel le promut général de l'armée de la liberté. Ils parvinrent à atteindre en quelques jours les murs d'enceinte de la capitale, qu'ils encerclèrent aussitôt.


Danang réunit ses chefs militaires et de police dans son bureau.

- Il faut gagner du temps. Les renforts demandés à Razi n'arriveront pas avant quelques jours. Parcourez la ville, exigea-t-il. Emparez-vous de cinq cents enfants âgés de cinq à dix ans. Enfermez-les dans la prison centrale sous bonne garde. Et puis, je veux un volontaire parmi vous pour une mission délicate.

Un des hommes leva la main. Le général écrivit quelques lignes.

- Sors de la ville et va porter ce message à Samuel Rabanath.

Le mercenaire saisit l'enveloppe et se rendit au camp de l'armée de la liberté. Il donna le document à notre ami puis repartit sans attendre la réponse.

"Si un seul combattant de votre ramassis de pouilleux et de voleurs pénètre dans la ville, cinq cents enfants, enfermés dans la prison centrale, seront égorgés sur mon ordre. Général Danang."

 

- Il veut gagner du temps, dit Kapilavastu. Il espère une aide de Razi. Si nous attendons et que le fakir arrive avec ses mercenaires, nous perdrons la guerre. Nos volontaires sont débordants de courage, mais ne sont que des braves fermiers. Ils ne résisteront pas face à des soldats bien armés et très entraînés.

- Alors il faut agir sans attendre, décida Samuel. Mais que faire? Danang exécutera sa menace et les enfants mourront si nous passons à l'action.

Chacun baissa les yeux et réfléchit en silence.


Myriam prit la parole.

- Je crois avoir une solution, dit-elle. Parmi nos volontaires, tous originaires des campagnes ou de la jungle, doit se trouver l'un ou l'autre qui s'y connaît en poisons et qui pourrait préparer une petite fiole mortelle. Avec du venin de serpent, par exemple, ou du poison de plante vénéneuse.

Samuel, David, Sarah, Kapilavastu et les membres de l'état-major de l'armée écoutaient la princesse.

- Je vais pénétrer dans la ville par le grand égout à la tombée de la nuit. La grille d'entrée est brisée, je le sais. J'y jouais parfois à cache-cache avec des copains et des copines, mes amis des rues. J'arriverai sans difficulté au palais. Qui prendrait la petite loqueteuse misérable que je suis devenue pour une princesse? Et puis, j'éviterai de rencontrer des patrouilles.

- Et ensuite? demanda Kapilavastu.

- Je m'introduirai dans le palais par les jardins. Je les connais par cœur. Je me glissererai dans la chambre de Danang. Il dort à cette heure-là. Je sais, pour l'avoir servi autrefois, qu'il pose toujours un verre de vin sur sa table de nuit. Et quand il s'éveille, il commence par le vider d'un trait.

Un silence attentif et admiratif entourait Myriam.

- Je verserai le poison dans son verre. Il boira dès qu'il ouvrira les yeux et n'aura pas le temps de donner l'ordre de tuer les enfants. Il mourra avant.

- Et toi? demanda David.

- Je me cacherai dans les jardins et je vous attendrai.

 

- Ton courage touche à l'héroïsme, dit Kapilavastu. Mais je vais me charger de cette audacieuse mission.

- Non, répondit Myriam. Une fillette innocente a plus de chance d'échapper à une arrestation en rue qu'un homme armé, ou qu'un garçon de douze ans, ajouta-t-elle en regardant Samuel qui s'apprêtait à intervenir pour se porter volontaire à son tour.

Quelqu'un confectionna le poison, un petit tube de liquide bleu, venimeux à souhait, que notre amie glissa dans une poche de sa robe.

- Il tue celui qui le boit en moins d'une minute, promit l'artisan.

- Nous donnerons l'assaut à minuit juste, déclara Kapilavastu. Cela te laisse quatre heures. Cela devrait te suffire pour réussir ta courageuse mission. Bonne chance princesse.

 

Myriam courut à la rivière et la traversa à la nage. Elle longea ensuite les hautes murailles de la ville en pataugeant, trempée et pieds nus, dans la vase qui la borde.

Elle savait que la vie de cinq cents enfants dépendait d'elle à  présent.

La grille du grand égout n'avait pas été réparée. Notre amie se faufila dans un large tunnel sombre et tortueux. Elle espérait ne pas se faire mordre par les rats qu'elle entendait couiner près d'elle.

Un bruit de pas derrière elle fit un instant battre le cœur de notre audacieuse aventurière à tout rompre, mais ce n'était que le clapotis de l'eau sale dans laquelle elle avançait jusqu'aux genoux et parfois jusqu'à la taille.

Elle remonta à l'air libre par une échelle en fer à moitié rouillée, puis suivit les ruelles. Elle approchait du palais.

Elle aperçut une escouade d'hommes armés qui marchait vers elle. Elle courut se cacher dans l'eau du bassin où elle avait tant de fois joué avec ses frères et sa petite sœur, et les enfants du quartier. La lune s'y reflétait dans l'eau noire.

La troupe passa sans la voir.

Elle quitta la fontaine et courut, à découvert, jusqu'au pied du mur qui entoure le palais. Il fallait le franchir, mais Myriam savait où se trouvait une sorte de lierre grimpant. Elle l'escalada en se tenant aux branches accrochées aux pierres et aux briques.

Puis elle sauta à pieds joints dans le jardin.

Elle se glissa, évitant les allées éclairées par la lune et les nombreux gardes, profitant de l'ombre des arbres, plus noire que la nuit. Elle longea des massifs de plantes. Seules quelques rares lumières éclairaient le bâtiment, du côté du corps de garde. Ça la rassura un peu.

Elle escalada, sans difficulté, le bord de la terrasse de la chambre de Danang. Elle savait où il se trouvait, pour l'avoir tant de fois servi.

Elle entra.


L'homme couché sur le lit semblait endormi. Myriam se rappela cette terrible nuit où elle se faufila dans la chambre de Raban Razi autrefois. Il ne dormait pas et l'avait laissée passer pour mieux la piéger ensuite. Mais le général n'est pas un fakir.

Le cœur battant la chamade, la jeune fille s'approcha de la table de nuit où se trouvait, comme prévu, le verre de vin.

Ta mauvaise habitude te perdra, songea notre amie.

Elle sortit la fiole de sa poche et l'ouvrit.

Juste à ce moment, une clameur retentit dans la ville. Minuit! L'armée, comme convenu, lançait l'assaut et pénétrait dans la cité par tous les côtés pour la libérer.

Myriam versa le poison dans le verre.


Des gardes arrivaient en courant. Trop tard pour sortir de la chambre. Elle se cacha derrière de longues tentures de velours rouge.

- Maître! dit quelqu'un qui venait d'entrer dans la pièce. Réveillez-vous, maître! Ils passent à l'attaque. Ils envahissent la ville.

- J'arrive, grogna Danang.

Le général s'assit au bord du lit, saisit son verre et le vida d'un trait. Puis il se leva et passa son vêtement.

Myriam remarqua à ce moment la présence, juste à côté d'elle, posé contre le mur, d'un sabre, glissé dans son étui.

Le général s'avança vers lui et le prit, déplaçant un peu la tenture. Il vit notre amie, qu'il reconnut aussitôt.

- Toi, cria-t-il. Tu vas mourir la première.

Il sortit la lame de son fourreau et la leva, menaçant. Puis il s'écroula, sans comprendre, devant notre amie qui tremblait, épouvantée.

Puis, le voyant se tordre et agoniser sur le sol, elle fit un pas vers lui.

- Je suis la princesse Myriam Rabanath, dit-elle avec un léger sourire, teinté de fierté.

Il mourut à ses pieds.


L'armée de la liberté envahit la ville rapidement. L'absence d'ordres et de commandement fit fuir les mercenaires qui se dispersèrent sans combattre, puis se sauvèrent et retournèrent vers leur pays.

On délivra immédiatement les cinq cents enfants. On les reconduisit chez leurs parents.

Le palais fut libéré à son tour. Myriam attendait Samuel, David et Sarah dans la salle du trône. Elle se jeta dans leurs bras.


Des heureuses nouvelles parvinrent le lendemain.

Le maharajah de Copal reconquit ses terres en quelques jours. Il mit l'armée ennemie en déroute. Il réussit à arrêter ensemble Astak Razi et le général Chaha. Ils tentaient de fuir la capitale. Copal les fit enfermer dans le mausolée. Ils n'en ressortirent jamais.

À la demande de Myriam, on nomma Verroupampa gardien en chef de cette prison, en remerciement des services rendus. Sous sa surveillance, nul prisonnier ne put jamais plus s'en échapper.


Une semaine plus tard, nos amis eurent le bonheur de voir arriver leurs parents, revenus d'une prison du Bhoutan. Le maharajah et la maharané retrouvèrent leurs enfants avec une immense joie.

- Vous avez souffert, murmura la maharané en les découvrant encore pâles et amaigris.

- Père, dit Samuel, je te rends l'anneau des Rabanath. Tu me l'avais confié avec un pays défait par la guerre, occupé par l'ennemi, privé de liberté et d'espoir. Le voici, avec ton pays libéré, délivré de ses envahisseurs, et en pleine reconstruction.

Le maharajah regarda nos quatre amis en silence, profondément ému. Puis il dit à Samuel, en serrant ses deux mains dans les siennes:

- Tu seras un grand maharajah. Je l'ai su dès le premier jour que la chance ou le destin me permirent de te rencontrer. Vous êtes tous quatre les héros de mon pays. Merci...

 

Nos quatre amis vécurent une autre grande aventure. À la Cité du Cobra. Découvre les épisodes 11, 12, 13,et 14. Et va à la rencontre de ce prince mystérieux, Jarayu Narada, le seigneur de la jungle...