Joël & Plume Bleue
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Ghost Town

     Timothy Jefferson arriva en vue de Salt Creek vers la fin de l’après-midi. Le soleil descendait doucement vers l’horizon. Les ombres s’allongeaient. Le paysage reprenait un peu de couleur. Au bas du village se trouvait un abreuvoir. Timothy engagea son cheval à s'y diriger et le laissa boire à son aise. Il observa les lieux.

Salt Creek était un petit village comme on en voyait un peu partout dans l’Ouest américain, à cette époque, vingt ans avant l’arrivée de Joël et de sa famille.

À gauche, les habitants commençaient la construction d’une église mais elle était loin d’être achevée. Plus loin, côte à côte, on passait devant la maison du croque-mort puis celle du Chinois, qui, lui s’occupait de laver le linge dans sa buanderie. On y prenait des bains. L'eau courante et les douches n'existaient pas dans la plupart des maisons en ce temps-là.

À droite, un petit General Store, et puis l'habitation du shérif, son bureau et la prison. Plus haut, après quelques demeures privées se trouvait le saloon. Timothy Jefferson entendit le son d’un piano mécanique.

Plus haut encore se trouvait un chalet, en bois également, et qui servait d’école. Il aperçut au loin trois ou quatre fermes, situées à quelques kilomètres de là.

Quand son cheval eut fini de boire et se fut ébroué une fois ou deux, l'homme le fit avancer en direction du saloon. Il traversa l’espace de pierres et de poussières qui servait de ruelle au village. Il mit pied à terre et accrocha sa monture à un piquet prévu pour cela.

Il allait pénétrer dans le saloon quand, soudain, la porte s’ouvrit. Trois hommes en sortirent, armes aux poings. Timothy les reconnut aussitôt. Il dégaina ses deux revolvers et les abattit tous les trois à bout portant.

Un instant plus tard, des cow-boys l'entourèrent. Il jeta ses revolvers sur le sol, s’avança vers le shérif et lui expliqua qu’il avait tué ces trois hommes parce qu’ils tentaient de lui voler son exploitation, sa mine d’or, et qu'ils pointaient leurs armes vers lui.

Le shérif répondit qu’il comptait appliquer la loi, qu’il serait jugé, et, qu’en attendant, il devait le conduire en prison. Timothy se laissa mener sans résister derrière les barreaux.

-Nous n’avons pas de juge ici à Salt Creek, précisa le shérif, mais, une fois par mois, un de ceux de St-Georges quitte la ville et parcourt les villages des environs. Quand il passera, je lui soumettrai ton cas. Tu pourras t’expliquer. Et puis, après cela, il te pendra haut et court. Voilà tout ce que tu mérites.

Timothy Jefferson se retrouva donc en prison.

Tous les matins, à travers les barreaux de la fenêtre de sa cellule, il regardait passer un garçon d’environ huit ans. Le prisonnier l’appelait chaque fois, mais le garçon se méfiait. Il avait un peu peur sans doute. Il venait d’une ferme, distante de deux kilomètres du village. Il se rendait à l’école, pieds nus, juste vêtu d'une salopette usée et les cheveux ébouriffés. Il portait un cahier sous le bras. Au soir, l'homme le voyait repasser.

Pourtant, après quelques jours, intrigué par les appels et poussé par la curiosité, le garçon s’arrêta. Mais il resta à quelques mètres. Il observa un instant le prisonnier, puis s’encourut dans la ruelle.

Le jour suivant, le gamin s'enhardit et osa faire quelques pas vers le cachot.

-Garçon, petit garçon, cria Timothy. Approche, ne crains rien.

Le gamin frôla les barreaux de la prison.

-Pourrais-tu m’apporter un papier et un crayon ? Je ne veux rien d'autre. Mais ne le dis à personne !

-Je verrai demain, répondit le garçon.

Et il s’encourut vers l’école.

Le lendemain, quand il revint, il apporta un cahier et un crayon.

-Je ne trouve pas de papier, mais c’est mon cahier de l’an passé. Je n’en ai plus besoin. Tu peux l’avoir.

Il glissa le petit cahier et le crayon à travers les barreaux. Timothy les prit et remercia.

-Reviens demain. Je te rendrai le crayon.

Notre homme s’assit dans un coin de sa cellule. Il ouvrit le cahier. À la première page, il vit des "a". Les premiers étaient maladroits, mais, au bas de la page, ils prenaient de l’allure. À la page suivante, se trouvaient des "e" et puis des "i". Puis ce furent des "le", des "la", des "ba", des "ma", des "mi", des "mo", puis des toutes petites phrases vers la fin du cahier. Il comprit que le gamin l’utilisait pour apprendre à lire et à écrire.

Il restait quatre pages libres. Sur la première, Timothy Jefferson écrivit son nom. Puis, en dessous, "Zion", et puis "Beaver Dam". Il ajouta "Hidden Valley" et "Arch". Enfin, au bas de la page, en lettres imprimées, il mit le mot "GOLD", en grosses lettres.

 

Le lendemain matin, quand le garçon passa en vue de la prison, l'homme l’appela.

-Viens, gamin, je te rends tes affaires.

Le garçon s’approcha.

-Je voudrais que tu gardes ce cahier. Mais que tu le caches bien. Où vas-tu le mettre ?

-Quelque part dans l’étable, dans la ferme de mon père.

-Non, ce n’est pas une bonne idée. Si ton père le trouve, il va le jeter. Cache-le ailleurs.

-Alors je sais, répondit le garçon. Dans notre école, le bureau de notre maîtresse se trouve sur une estrade. Au pied de l’estrade, il y a une planche. Cette planche est déjà tombée plusieurs fois. On a même vu passer un rat. Elle bouge encore un peu. Je vais glisser le cahier derrière la planche, en-dessous de l’estrade de la maîtresse.

-Très bien, approuva le cow-boy. Voilà une bonne cachette. Maintenant garçon, écoute-moi bien. Le juge va venir de St-Georges et je sais bien ce qu’il va me faire. Mais un jour, mon frère viendra dans ton village à Salt Creek. Il s’appelle Elias Jefferson. Retiens bien ce nom. Quand Elias arrivera, tu lui remettras le cahier. Tu as bien compris ?

Le garçon fit signe que oui, prit le cahier et le crayon et se sauva à son école. Il cacha le petit cahier en-dessous de l’estrade, juste derrière la planche où un rat était apparu.

 

Quelques jours plus tard, un juge vint de St-Georges. Il discuta avec le shérif. Il écouta Timothy Jefferson puis le condamna à mort. Le cow-boy fut pendu haut et court à une potence prévue pour cela, au bas du village.

L'été sans pluies brûla les terres. Un fermier, père du gamin, estimant ses cultures vraiment trop desséchées et manquant de fourrage pour nourrir ses bêtes, emmena sa famille et ses vaches et partit vers l’Ouest. Les autres fermiers suivirent peu après.

Comme plus personne ne fréquentait sa buanderie, le Chinois ferma sa boutique. Le General Store, faute de clients, baissa ses volets. Le saloon ressembla bientôt à un bâtiment désert. Le shérif et ses hommes partirent également vers des terres meilleures. Le croque-mort n’ayant plus personne à enterrer, abandonna son établissement et Salt Creek devint un village fantôme.

Un village fantôme comme on en voit beaucoup, dans l’Ouest américain. Plus personne n’y habite. Seul, le vent y fait grincer les volets et bouger les portes. Parfois, une maison s’écroule, un pan de mur s’affaisse. Le village de Salt Creek tomba lentement dans l’oubli.

Le message de Timothy Jefferson ne parvint jamais à son frère. Il resta derrière la planche sous l'estrade du bureau de la maîtresse dans la petite école désertée.

Vingt ans passèrent...

 

Plume Bleue arriva à St-Georges. Elle accompagnait quelques guerriers qui venaient tenter de vendre leurs produits au marché. Des poteries très joliment peintes, des vanneries, des couvertures ou quelques autres objets. Elle se dirigea immédiatement vers le General Store tenu par les parents de Joël et Patricia, et par ceux de Samantha et de la petite Alice. Elle entra au magasin et embrassa les deux mamans.

-Joël est-il là ? demanda-t-elle.

-Joël comme Patricia et Samantha sont à l’école, répondit une des mamans. Si tu veux, tu peux les attendre.

-Ils ont de la chance d’aller à l’école, ajouta la jeune fille. Je peux jouer avec Alice ?

-Oui, tu peux jouer avec Alice, répondit la maman du bébé.

 

Plus tard, on entendit crier et rire dans les rues de St-Georges. Plume Bleue reconnut Joël, courut vers lui, et les deux enfants se serrèrent dans les bras. Puis, elle embrassa Patricia et Samantha à qui Joël donnait la main pour revenir vers la maison.

-Quel bonheur de te voir, souriait le garçon. Quelle bonne surprise !

-Je suis très heureuse aussi, murmura Plume Bleue. Tu as de la chance d’aller à l’école. Moi, comme je ne peux pas aller en classe, je n'apprendrai jamais à lire ni à écrire.

Au soir, après le souper, Joël demanda à son amie si elle avait déjà vu le village fantôme de Salt Creek. Le garçon en avait entendu parler par des habitants de St-Georges qui l'avaient visité.

Elle n’y était jamais allée. Elle ne savait même pas qu'il existait.

Aussi le lendemain, un samedi, Joël projeta de partir avec elle jusqu’à Salt Creek, situé à une journée de marche. Ils y passeraient la nuit et reviendraient le jour suivant. Ils décidèrent de s’y rendre rien qu’à deux, comme en amoureux. Cela fit sourire Patricia.


Le samedi matin, donc, ils se mirent en route tôt. Ils emportaient un sac à dos, avec deux gourdes bien remplies d’eau et la nourriture pour la journée et le lendemain.

Ils marchèrent toute la journée sous le grand soleil. Il faisait très chaud, trop chaud. Le chemin qu’ils suivaient n’était qu’une piste à travers le désert, car plus personne ne va jusqu’à Salt Creek, un village abandonné.

Ils y arrivèrent en fin d'après-midi. La belle lumière du soleil couchant éclairait les quelques ruines qui tenaient encore debout. De l’église, il ne restait quasi rien. Les poutres en bois traînaient à terre, écroulées. Seul un mur de briques se dressait encore.

Un peu plus loin, ils entrèrent dans la maison du croque-mort. Ils découvrirent deux cercueils achevés mais pas encore utilisés. Joël, pour rire, se coucha dans l’un des deux mais Plume Bleue le supplia de sortir. Cela lui faisait peur.

Ils entrèrent dans la maison à côté. Ils découvrirent des bassins. Ça leur aurait plu de prendre un bon bain après avoir transpiré toute la journée en marchant dans la poussière. Mais ils ne réussirent pas à faire couler l’eau dans les baignoires.

Ils traversèrent l’espace qui servait de ruelle et entrèrent dans le General Store. Ils en sortirent aussitôt, les murs grinçaient au vent et menaçaient de s’écrouler. De toute façon, le magasin était à l’abandon et plein de toiles d’araignées.

Les quelques maisons situées un peu plus loin ne les intéressaient pas. Mais ils entrèrent dans celle du shérif. Joël s’assit derrière le bureau puis posa ses pieds sur la table. Pour jouer.

-On vous reproche mademoiselle, de ne pas assez souvent embrasser votre ami. Je vous écoute. Que dites-vous pour votre défense ? lança le garçon en prenant une grosse voix de policier.

-Moi, répondit Plume Bleue en rougissant. J'attends la bonne occasion.

-Bien, la voici, répondit Joël-shérif, je vous pardonne, à condition que vous lui donniez tout de suite un bisou. Sinon, je vous enferme dans ma prison.

Les deux enfants se glissèrent derrière les barreaux et se donnèrent un bisou.

Puis, ils allèrent vers le saloon.

Le piano mécanique était silencieux. Ils se glissèrent entre quelques tables, devant le bar, près de l’estrade. L'espace sur lequel, sans doute, quelques filles de l’auberge chantaient le soir pour les cow-boys attablés. Nos deux amis y montèrent à tour de rôle. Joël déclama une récitation apprise à l’école. Plume Bleue raconta une légende.

 

Puis il fallut choisir un endroit pour y passer la nuit. Ils aperçurent le bâtiment de l’école. La porte n’était pas fermée. Ils entrèrent. Les bancs et les tables se trouvaient rangés dans un coin. Sur l’estrade, trônait encore le bureau de la maîtresse.

Ils s’assirent à ce bureau et mangèrent une partie de leurs provisions. Puis, ils ressortirent et retournèrent vers le saloon. 

-Il vaudrait mieux ne pas dormir ici, suggéra Joël, parce que parfois, la nuit, des bandits ou des hommes recherchés par les policiers viennent se cacher dans les villages abandonnés. Ces gens peuvent être dangereux… Mais cela m’étonnerait qu’ils viennent à l’école.

-D’accord, répondit Plume Bleue. Allons passer la nuit là. C’est la première fois que je vais à l’école. Dommage que ce soit pour y dormir.

Ils refermèrent la porte derrière eux.


Ils n'avaient rien emporté pour le couchage, ni couverture, ni sac. Ils s’étendirent sur les planches rugueuses du sol.

La lune se leva. Un rayon de lumière tombait à travers les fenêtres sur le sol de la petite classe. 

Joël donna un bisou à son amie. La jeune fille le lui rendit. Puis, ils tâchèrent de s’endormir.

Plume Bleue remuait tout le temps.

-Je trouve ces planches bien rudes, murmura la jeune fille.

-Moi aussi, dit Joël. Si tu veux, tu peux poser ta tête sur mon torse. Ce sera plus doux.

-D’accord, sourit Plume Bleue.

Elle coucha doucement sa tête sur le torse de son ami et le garçon glissa ses mains autour du cou de son amie. Mais, après quelques instants, elle se redressa et murmura :

-Je ne peux pas rester ainsi. D’abord, j’entends ton cœur qui bat. Cela m’empêche de dormir. Et puis, je sens tous tes os. Tu es trop maigre. J’ai l’impression d’être étendue sur un grillage. Je préfère encore les planches rugueuses.

Joël, un peu vexé, fit semblant de se fâcher et repoussa sa copine. La jeune fille, agile, lui fit une prise et l’envoya rouler un peu plus loin. En roulant, Joël se cogna contre l’estrade. Une planche tomba.

 

Sous les reflets de la lune, ils aperçurent quelque chose derrière la planche. Ils se mirent tous les deux à quatre pattes, réconciliés bien sûr, et aperçurent un cahier. Joël le prit et l’ouvrit. Il lut sous les lueurs de la lune. Il vit des "a", des "e", des "i", des "le", des "la".

-Plume Bleue, avec ce cahier, je vais t’apprendre à lire et à écrire.

Mais, après la dernière page, Joël découvrit une curieuse inscription, signée Timothy Jefferson.

-Qui est-ce ? demanda Plume Bleue.

-Je ne sais pas. Je ne connais pas ce nom. Mais ce village est abandonné depuis des années. En-dessous du nom, je vois un mot que je ne comprends pas : "ZION".

-Moi, je connais, répondit la jeune fille amérindienne. Cela veut dire Paradis.

En fait, c’est de l’hébreu et cet endroit a été nommé ainsi par les pionniers mormons vers 1800.

-Un endroit merveilleux, dit-elle encore, à une ou deux journées de marche d’ici, entouré de hautes murailles rocheuses entre lesquelles coule une rivière. Des arbres, des herbes et des fleurs y poussent partout.

Le regard du garçon devint sérieux.

-On y trouve un barrage de castors, un Beaver Dam ?

-Oui, oui ! En effet. Les castors ont construit un barrage tout près d’un endroit où un affluent de la rivière sort d'un canyon très étroit.

-Mais alors, il existe probablement une Hidden Valley, une vallée cachée.

-Oh, sans doute. Plusieurs affluents du canyon, venus du haut plateau, creusèrent des passages dans la montagne. On ne les voit pas d’en bas.

-« Arch » murmura Joël. « GOLD ». C’est un message. Un message de quelqu’un qui s’appelle Timothy Jefferson. Et ce message n’est jamais parvenu à son destinataire. Je ne sais pas ce qu’il faisait en-dessous de l’estrade de la maîtresse d'école. Plume Bleue, il faut que nous allions à ce Zion, à cette vallée du Paradis. On pourrait y découvrir quelque chose d'intéressant.

-D’accord, sourit la jeune fille, avec plaisir, si c’est avec toi.


Une demi-heure plus tard, les deux enfants dormaient. Mais ils s'éveillèrent dans la nuit à cause du hennissement d’un cheval. Ils se redressèrent tous les deux, cœur battant. Ils regardèrent par la fenêtre. Un peu de lumière tremblotait dans le saloon.

-Tu vois, murmura Joël, on a bien fait de ne pas aller passer la nuit là-bas.

-En effet, répondit Plume Bleue. Peut-être qu’il faudrait aller voir à qui on a affaire ?

-D’accord, répondit le garçon. Allons-y.

Ils sortirent de l’école, traversèrent en silence la large allée qui servait de rue à Salt Creek, et s’approchèrent du saloon. Ils regardèrent discrètement par la fenêtre. Ils aperçurent un homme, une femme et trois enfants. Une fille, l’aînée, avait l’âge de nos amis. Deux petits garçons se serraient près de leurs parents.

Joël les observa plus attentivement et son cœur se serra.

-Pauvres gens, murmura-t-il.

La fille portait des chaussures trouées, une salopette usée et sale, et dont le bord était effrangé. Elle était maigre. Les petits garçons n’étaient pas mieux lotis que leur grande sœur, avec des jeans abîmés, et les parents non plus. Par contre, la jeune fille avait de très beaux cheveux blonds très longs. Elle les laissait pendre assez négligemment, un peu sur le torse et tous les autres dans le dos.

Joël observa cette famille qui s’éclairait à la lueur d’une petite lampe à pétrole. Cela lui rappela des souvenirs pas si lointains. Son errance dans les déserts de l'Ouest. La fille aux yeux clairs souriait pourtant. Notre ami ne la quittait pas des yeux.

Plume Bleue, qui observait la scène, suivit la direction du regard de son copain et remarqua qu'il admirait la fille blonde.

-Viens, proposa Joël, allons les saluer. Tu sais, ce sont des pionniers. Je connais cela. Moi aussi j’ai vécu cela. Moi aussi, je fus pauvre comme eux. Combien de fois, le soir, on n’avait presque rien à manger. Je sais ce que c’est, avoir faim, soif, trop chaud, trop froid, trop peur…

Plume Bleue ne répondit pas.

 

Les deux amis entrèrent dans le saloon. Ils saluèrent le père, la mère, les trois enfants. La fille s’appelait Mary. Ils apprirent qu'ils ne possédaient qu’un cheval pour eux cinq. Ils installaient les deux petits garçons dessus et, parfois, Mary, quand elle se sentait trop épuisée de marcher.

Le père était menuisier. Et sa spécialité, construire des toits de maisons. Il demanda à Joël s’il pensait qu’à St-Georges, il trouverait du travail. Joël affirma que sûrement, car St-Georges était une petite ville en pleine expansion. Avec beaucoup de maisons à bâtir.

-Nous voulons cesser d’avancer vers l’Ouest, expliqua le père de famille. Mes enfants sont épuisés. Nous n’avons presque plus de provisions et plus d’argent.

Joël leur conseilla de se rendre au General Store de ses parents et leur dit que sa maman les aiderait certainement. Elle se souvenait que quelques mois auparavant, ils étaient eux aussi pionniers. Elle ne laissait jamais passer des voyageurs sans les réconforter et les renflouer un peu.

-Allez-y, insista notre ami, vous serez bien reçus. Et mon père pourra peut-être vous indiquer où il faut s’adresser pour trouver du travail.

Les pionniers remercièrent. Les petits garçons et Mary vinrent embrasser nos amis et puis Joël et Plume Bleue retournèrent dans l’école pour y passer le reste de la nuit.

 

Quand ils furent couchés l’un près de l’autre, sous le rayon de la lune, dans la petite école, Plume Bleue murmura à l’oreille de Joël.

-Elle est jolie, la fille qui s’appelle Mary…

-Oui, répondit Joël, très jolie. Elle a de très beaux cheveux blonds et des yeux extraordinaires… Comme elle est pauvre... C'est triste, mais moi, que puis-je lui donner? Mes parents aideront cette famille. J’espère que papa leur obtiendra un travail.

Une fois encore, Plume Bleue ne répondit rien.

Joël s’endormit. Son amie garda longtemps les yeux ouverts...


Le jour suivant, ils quittèrent Salt Creek et retournèrent à St-Georges. Ils y arrivèrent au soir. Joël émit le souhait de partir aussitôt pour Zion, dès le lendemain. 

Ses parents lui firent remarquer que le lendemain, il avait école. Le garçon expliqua une nouvelle fois que vraiment, s’il s'absentait deux ou trois jours, ce ne serait pas un problème. Très bon élève, il rattraperait cela en une heure ou deux. 

Les enfants n'étaient pas obligés d'aller chaque jour en classe en ce temps-là, dans l'Ouest.

Les parents acceptèrent que nos amis partent en direction de Zion pour élucider le mystère du cahier d’Elias Jefferson.

Joël et Plume Bleue apprirent que la famille de Mary était passée au General Store. Mais le papa n’avait pas trouvé de travail à St-Georges. Il avait dû vendre ses outils de menuisier, en cours de route, pour nourrir sa famille… Faute d’argent pour en racheter, ils continuaient la route vers la Californie.


Le lendemain à l’aube, emportant de nouveau des provisions et de l’eau, Plume Bleue et Joël partirent en direction de Zion. Patricia, un rien jalouse voulait les accompagner. Elle n’osa pas insister. Elle s'éloigna vers l'école en donnant la main à Samantha et en boudant un peu.

Les deux autres arrivèrent en fin de journée dans cette vallée paradisiaque de Zion. Ils passèrent la nuit au bord de la rivière.

Tôt le matin, ils s’approchèrent du Beaver Dam, c'est-à-dire du barrage. Des castors avaient réussi à construire cet échafaudage de troncs, de branches, de pierres et de boue. En observant les hauteurs qui les entouraient, le bord du plateau s'élevait à plus de six cents mètres de haut, ils aperçurent une anfractuosité qui semblait se continuer dans la montagne, vers la droite. La Hidden Valley. La vallée cachée.

Pour y parvenir, ils suivirent un petit sentier très escarpé et, à certains moments, particulièrement vertigineux. Un sentier taillé par des hommes, sans doute des aventuriers ou des chercheurs d’or.

 

Ils entrèrent enfin dans une étroite vallée. Les parois rocheuses se dressaient tellement serrées qu’à certains endroits, les deux enfants étaient obligés de marcher l’un derrière l’autre. Le ruisseau était à sec, mais on voyait, à la forme des roches et aux dessins sculptés sur les pierres, que de l’eau y passait certainement au printemps ou en hiver, et à plus d’un mètre de haut.

Joël et Plume Bleue s’aventurèrent assez loin dans ce canyon. Après une marche d'une heure, ils arrivèrent en vue d’une arche curieusement placée. Elle se trouvait non pas transversalement mais longitudinalement, dans l’étroite vallée. Pas très haute et pas vraiment imposante. Mais c’était sans doute celle dont parlait le cahier.

À ses pieds, s'amoncelait une dune de sable. Nos amis, s’agenouillant sur le sol, tentèrent de trouver quelque chose en fouillant ce sable avec leurs mains.

Soudain, Plume Bleue mit à jour le coin d’une caisse. Les deux enfants la dégagèrent et l’ouvrirent. Elle contenait quelques outils rouillés, des outils servant à un chercheur d’or : pioches, pelles et autres instruments destinés à creuser. Un tamis complétait la série.

Au fond de la caisse se trouvait un sac en jute brune. Joël défit le nœud, écarta les lacets et découvrit qu’il contenait quelques pépites d’or ! Il les répandit sur le sol. Les enfants en comptèrent quarante-neuf.

Où se trouvait cette mine d’or ? Ils ne le sauraient jamais. Mais ces pépites avaient beaucoup de valeur. Une fameuse découverte !

-Vingt-cinq pour toi, calcula Joël et vingt-quatre pour moi. Depuis le temps, l'ami de celui qui s’appelle Timothy Jefferson doit avoir disparu ou être mort. Il ne viendra jamais les chercher. Il ne sait sans doute pas qu'elles existent.

-Je ne veux pas ces pépites, annonça Plume Bleue. Les Anasazis n’utilisent pas l’or.

-Pourtant, avec ta part, tu pourrais acheter des tas de choses.

-Les Anciens et notre sachem pensent que l'or amène la guerre et les disputes, affirma la fillette. Dans notre peuplade, nous refusons l’or. Tu peux les garder toutes.

Joël ne répondit rien. Il referma le sac. Nos amis abandonnèrent la caisse et, emportant le sac de pépites, ils redescendirent vers la vallée principale de Zion. Ils retournèrent vers St-Georges à leur aise.


Au sortir de la vallée, ils reprirent la piste empruntée en venant.

Après un moment, ils virent venir vers eux la famille de pionniers rencontrée à Salt Creek. Les petits garçons étaient assis sur le cheval. Mary marchait en donnant la main à son père. La maman, de l’autre côté, tenait le cheval par la bride. Ils semblaient toujours aussi pauvres et bien malheureux de devoir reprendre la route.

Quand ils les croisèrent, le papa expliqua qu’il n’avait pas trouvé de travail convenable pour lui à St-Georges. On lui avait proposé un petit boulot de bûcheron, mal payé. Mais il avait trois enfants à nourrir. Et pour s’installer à son compte, son rêve, il fallait de l’argent au départ pour acheter des outils. Il n’en avait pas. Il tenterait sa chance plus loin vers l’Ouest.

Par contre, il remercia chaleureusement Joël. Il déclara que ses parents étaient des gens très accueillants. Ils avaient reçu des provisions pour plusieurs jours et Mary et ses frères montrèrent, avec un grand sourire, leurs nouvelles chaussures.

Notre ami ouvrit discrètement le sac qui contenait les pépites d’or. Il en retira une qu’il glissa dans la poche de son jean, en souvenir, puis il tendit le sac fermé avec les quarante-huit autres à Mary.

-Tiens, dit-il, pour toi et ta famille. Moi, je n’en ai plus vraiment besoin maintenant. J'ai eu ma chance en son temps. J’espère que cela vous servira en route. 

Plume Bleue remarqua le bisou de la jeune fille sur la joue de Joël, et réciproquement. Puis, nos amis reprirent la piste de Saint-Georges.

 

Mary ouvrit le sac, tandis que nos amis s’éloignaient. Elle aperçut les pépites d’or. Elle les montra à ses parents et ses petits frères. Ils s'arrêtèrent et réfléchirent quelques instants.

Ils retournèrent vers la petite ville. Le père pouvait à présent, en vendant les pépites, racheter des outils et s’installer à son compte comme menuisier-charpentier.

Grâce à cela, sa famille vécut à St-Georges. Les trois enfants reprirent le chemin de l’école au lieu de s'épuiser sur les pistes brûlées de soleil.

 

Le lendemain, deux guerriers anasazis s’apprêtaient à marcher en direction de leur village. Joël embrassa Plume Bleue qui allait les accompagner. Puis, prenant la main de Patricia et celle de la petite Samantha, il se dirigea vers l’école. Il se retourna pour faire un signe d’au revoir à son amie.

La jeune fille le regarda avec envie, sans faire signe. Il lui fallait s’en aller vers les siens.

Se retournant une dernière fois vers son ami, elle aperçut Mary et ses petits frères. Ils se dirigeaient vers la même école. Ils se rejoignirent et formèrent un petit groupe joyeux.

Plume Bleue se sentit jalouse et le cœur en peine. Pour la première fois, elle repartit vers les siens, vers son canyon de Chelly, les larmes aux yeux.

Mais le destin qui avait posé ce cahier, ces pépites, et Mary sur la route de Joël et de son amie allait continuer sa terrible besogne...

Découvre vite la partie n° 10. Suite et fin de ce récit palpitant.