La mare aux lièvres
Par un bel après-midi d'été, Isabelle s'éloigna de la maison en compagnie de son copain David, un joyeux garçon qui partage souvent ses jeux et habite pas très loin dans le même village. Ils se glissèrent tous les deux en dessous de la barrière au fond du jardin, traversèrent le champ de fleurs, et franchirent même la petite rivière. Ils allaient à la recherche de myrtilles dans le bois.
Isabelle, âgée de cinq ans et demi, a de longs cheveux blonds que ses parents lui coiffent en deux tresses qui tombent sur ses épaules. David, six ans, est un petit garçon à la chevelure bouclée brune, et l’un des deux grands amis de la fillette.
Ce jour-là, pour une fois, notre amie ne portait pas sa jolie salopette jaune et ses baskets bleues. En effet, en traversant la rivière pour cueillir des myrtilles dans le bois, elle allait certainement se salir. Elle avait mis une salopette en jean que ses grands frères ont portée alors qu'ils avaient son âge. Elle est bien usée mais au moins, Isabelle peut se salir autant qu'elle veut, elle n'a pas de remarque en revenant à la maison.
Elle donnait la main à son copain car elle était un peu inquiète. Ils s'éloignaient fort de la maison.
Ils ne trouvaient pas de myrtilles ou presque pas. Elles n'étaient pas encore mûres.
Soudain, ils décidèrent de se rendre tous les deux au bord de l'étang.
L'eau avait des reflets verdâtres et de nombreux roseaux entouraient la mare. Nos amis aperçurent trois petits lièvres qui sautaient au soleil. Il y en avait un blanc, un brun et un noir. Ils s'approchèrent du bord et commencèrent à boire. Ils étaient ravissants.
Isabelle eut très envie d'aller les caresser, mais juste au moment où elle arrivait près d'eux, David, qui avait un gros rhume, éternua. Les trois petits lièvres redressèrent la tête, s'effrayèrent en apercevant les deux enfants et se sauvèrent.
Ils n'allèrent pas bien loin. Ils se cachèrent dans une maison que nos amis n'avaient pas remarquée en arrivant.
On voyait qu'elle était abandonnée. Le toit de chaume avait pris une couleur jaunâtre. Un volet pendait de travers, l'autre traînait à terre. La porte, un peu moisie était entrouverte.
Espérant revoir les petits lièvres, les deux enfants entrèrent dans la maison déserte. Une cabane pleine de mystère. On n'entendait rien.
Ils la trouvèrent bizarrement meublée. À gauche, gisait un grand coffre brun. Au-dessus pendait une horloge arrêtée. À droite, une grande table et trois chaises, faisaient tout le décor. Un tapis noir et blanc était déroulé devant la cheminée. Voilà tout...
Très vite, la fillette aperçut sur la table un xylophone aux notes en lames de métal très colorées, avec une baguette pour y jouer. Elle s'approcha de l'instrument de musique, prit le petit bâton et frappa trois fois la note la plus à droite, la plus aiguë... la bleu ciel, un DO.
DO... DO... DO...
-Qui me réveille ?
Isabelle, saisie, se tourna vers David.
-C'est toi qui as dit cela ?
-Non, répondit le garçon, ce n'est pas moi. Cela vient de là-bas près de la cheminée. Quelqu'un a parlé juste au moment où tu as touché la note bleu ciel.
Notre amie fit de nouveau sonner trois fois la note.
DO... DO... DO...
-Qui me réveille ? grogna la voix grave.
Les deux enfants, tremblant de peur, se donnèrent la main. Cela venait du coffre. Peut-être que quelqu'un s'y trouvait enfermé. Soudain, la voix reprit.
-Bonjour. Je suis plutôt content que vous m'ayez éveillé. Cela fait bien trop longtemps que je traîne ici. Je ne suis pas un vrai coffre.
-Ça, je m'en rends bien compte, déclara Isabelle.
-Je n'ai jamais vu un meuble qui parle, ajouta David.
-Je parle, continua le coffre, parce qu'en fait, je suis un papa ensorcelé par la terrible sorcière qui habite dans cette cabane. Elle m'a transformé en coffre. Maintenant, les enfants, vous pourriez réveiller mon épouse.
-Où est-elle ? demanda la fillette.
-Là, l'horloge, au-dessus du mur.
-Comment faut-il faire, pour la tirer de son sommeil ? demanda David.
-Il faut frapper trois fois une autre lame du xylophone. Mais faites bien attention, ajouta le coffre. Une des touches fait venir immédiatement la sorcière.
Isabelle reprit le petit instrument de musique. Elle compta huit lames, chacune d'une couleur différente, huit notes : DO, RÉ, MI, FA, SOL, LA, SI, DO... Elle décida de faire sonner celle qui se trouvait juste à côté de la précédente, la rose, un SI. Elle l'effleura trois fois.
SI... SI... SI...
-Oh! je suis contente d'être réveillée. Coucou. Je dormais depuis si longtemps. Coucou. Trop longtemps. Coucou. Bonjour les enfants. Coucou. Je ne suis pas une vraie horloge. Coucou. Je suis une maman. Coucou.
-Vous finissez toujours vos phrases par « coucou » ? demanda notre amie.
-Oui. Coucou. Car la sorcière m'a changée en horloge. Coucou. Je suis obligée de dire coucou à la fin de chacune de mes phrases. Coucou.
-Tais-toi, grogna le coffre. Arrête de parler tout le temps. C'est désagréable les "coucou" que l'on entend sans cesse.
-Tu ne vas pas commencer à me disputer mon cher homme, coucou, alors que tu viens de te réveiller, coucou. Demandons plutôt à ces charmants visiteurs, coucou, de frapper à nouveau sur le xylophone, coucou, et de réveiller nos trois enfants, coucou.
-Où sont-ils ? demanda David.
Le coffre expliqua que la sorcière avait transformé toute la famille en meubles. Les trois enfants étaient devenus les trois chaises que l'on apercevait près de la table. Mais la magie n'avait pas très bien fonctionné avec eux, et les trois chaises pouvaient devenir des lièvres si les enfants le voulaient. Ceux que nos amis avaient aperçus au bord de l'étang en arrivant. Le tapis, c'était un chat, et la table, une grand-mère.
Isabelle entreprit de réveiller les trois enfants.
Elle frappa la troisième note du xylophone, toujours allant du plus aigu vers le plus grave. Le LA. La grande fille s'éveilla, puis le grand garçon avec la quatrième note, le SOL, le petit garçon avec la cinquième, la verte, le FA.
Jusqu'ici, elle avait réussi à ne pas faire venir la sorcière. Il restait à présent trois notes possibles, la rouge, MI, la jaune, RÉ et la bleue, l'autre DO, le plus grave.
Isabelle voulut réveiller le chat et la grand-mère. Elle regarda David. Elle choisit de toucher dans l'ordre la rouge, le MI. Puis après, la jaune, RÉ, et d'éviter la dernière, la bleue, un DO. Son copain fit signe qu'il était d'accord.
Juste à ce moment, l'horloge joua une petite musique. La mélodie achevée, elle parla.
-Il est trois heures et demie. Coucou.
La fillette frappa la note rouge, le MI.
MI, MI, MI...
Le tapis, c'est-à-dire le chat, remua un peu et miaula.
-Merci, murmura le tapis-chat. Je suis content qu'on me tire de mon sommeil. Je rêvais de sorcières. Je voudrais bien redevenir un véritable chat.
-Nous aussi, crièrent les chaises, nous voulons être à nouveau des enfants.
-Et nous, dirent le coffre et l'horloge, nous désirons redevenir des parents. Coucou.
-Attendez, répondit Isabelle, je vais d'abord tâcher de réveiller la grand-mère. Je fais sonner la note jaune, le RÉ, ou la note bleue, le DO grave, David ?
-La bleue, crièrent les trois chaises-enfants-lièvres.
-La jaune, conseilla le copain de notre amie. Le RÉ.
Elle l'écouta et frappa trois fois la lame jaune.
RÉ... RÉ... RÉ...
La table craqua, ses jointures étaient vieilles. Puis, elle salua nos amis, expliquant qu'elle était la grand-mère. Elle leur annonça qu'elle pouvait répondre à trois de leurs questions. Pas une de plus, hélas. Trois questions en tout. La magie de la sorcière n'avait pas bien fonctionné avec elle non plus.
Les deux amis se concertèrent un instant.
-On lui demande à quelle heure vient la sorcière, parce que je ne voudrais pas être transformée en meuble, proposa Isabelle.
-Oh oui! répondit David. Je ne voudrais pas devenir une machine à laver ou un paillasson.
-Ou un fauteuil, ajouta Isabelle, ou même une armoire.
-D'accord, répondit son ami. Demandons-lui à quelle heure la sorcière doit arriver.
-Gentille grand-mère, fit Isabelle, peux-tu nous dire à quelle heure la sorcière compte revenir dans sa maison ?
La table répondit.
-À quatre heures exactement.
-Mon Dieu, s'écria David. Il nous reste à peine vingt-cinq minutes. Vite, il faut demander à quel endroit la sorcière cache sa baguette magique.
-D'accord, dit Isabelle. Bonne idée. Grand-mère, où se trouve la baguette magique de la sorcière ? Dis-le-nous afin qu'on puisse vous retransformer tous en humains et le tapis en chat.
-Hélas, répondit la grand-mère. Ce n'est pas une bonne question. Vous devriez savoir, les enfants, que certaines sorcières ne possèdent pas de baguette magique comme les fées, mais utilisent uniquement des formules magiques, cachées dans un livre.
-On demande où se trouve le livre, proposa notre amie.
-Non, coupa son copain. Il ne faut pas poser cette question-là. Si elle nous dit où il est, on ne saura pas à quelle page lire la formule qui change les meubles en humains.
-Tu as raison, murmura Isabelle. On lui demande à quelle page se trouve la formule.
-Oui, répéta le garçon, on demande à quelle page est écrite la formule. Le livre-grimoire doit être caché dans la maison. On cherchera. On le découvrira.
-À quelle page se trouve la formule magique pour changer les meubles en humains dans le livre de la sorcière ? demanda fillette.
-À la page dix-sept, répondit la table.
-Tu ne peux pas nous dire où est caché le livre ? tenta David.
-Non, répondit la table, je ne peux pas. Je ne peux plus répondre à vos questions. Mais s'il vous plaît, dépêchez-vous, le temps passe.
Nos deux amis se précipitèrent. Ils fouillèrent dans chaque recoin de la maison. Pas moyen de mettre la main sur ce livre. Où pouvait-il bien se trouver ?
Tu as une idée, toi qui découvres cette histoire ?
Isabelle se tourna vers la table. Elle regarda les trois chaises.
-S'il vous plaît, transformez-vous en lièvres et courez partout dans la maison. Aidez-nous à découvrir le livre. Vite.
Les trois chaises changées en lièvres se dispersèrent.
-J'ai trouvé, j'ai trouvé. Le grimoire est accroché dans la cheminée, fit le brun.
Nos amis regardèrent dans la cheminée et aperçurent un volume calé dans le conduit d'aspiration. Ils tirèrent fort et détachèrent un vieux grimoire. Le livre de magie.
À ce moment, l'horloge sonna.
-Coucou. Il est quatre heures moins le quart. Coucou. Dépêchez-vous les enfants. Coucou. Il ne vous reste plus que quinze minutes avant l'arrivée de la sorcière. Coucou. Transformez-nous vite en humains, coucou.
Isabelle et son copain se mirent à quatre pattes sur le tapis-chat et ouvrirent le livre.
-Ça chatouille un peu, déclara le chat. Faites vite.
Ils lurent à la page dix-sept une phrase écrite à la main.
Avant de rendre leur forme humaine aux personnes métamorphosées en meubles, il faut les plonger dans l'eau.
-Vite, cria David. On va mettre tous les meubles dans l'étang. Dépêchons-nous. Heureusement, il n'est pas loin, on l'a vu en venant.
Nos deux amis soulevèrent le coffre et le transportèrent péniblement au bord de la mare. Il était lourd. Ils durent entrer dans l'eau sale jusqu'au ventre pour le plonger tout à fait. Heureusement Isabelle portait sa vieille salopette usée et son ami un jean raccommodé. Ils ressortirent trempés et sales. Ils coururent à la cabane. L'horloge leur annonça qu'il était quatre heures moins dix. Plus que 10 minutes!
Ils soulevèrent la grande table, la grand-mère. Elle était tellement lourde qu'il fut bien difficile pour les deux enfants de la porter. Enfin, ils parvinrent à la glisser dans l'eau également.
Ils revinrent dégoulinants dans la maison. L'horloge les avertit qu'il ne restait plus que 7 minutes.
Chacun d'eux prit une chaise et alla la jeter dans la mare. Il ne restait que 6 minutes.
Isabelle saisit la troisième chaise et se dépêcha de la lancer dans l'étang. David pendant ce temps roula le tapis. Ils allèrent vite l'enfoncer dans l'eau.
Plus que 4 minutes !
L'horloge était accrochée trop haut sur le mur. Aucun des deux enfants ne parvint à l'atteindre. Isabelle courut à la mare, reprit une des chaises et la rapporta. Elle la plaça au pied du mur.
-Plus que 3 minutes! dit la grand-mère. Plus vite les enfants.
Le garçon monta sur la chaise. Il décrocha l'horloge et la confia à Isabelle, qui se précipita vers l'étang. Nos deux amis entendirent la voix de la maman-horloge.
-Quatre heures moins une. N'oubliez pas la troisième chaise, celle que vous avez ressortie de l'eau. Vite, vite les enfants. La sorcière arrive.
Ils coururent aussi vite qu'ils pouvaient à l'intérieur de la maison. Ils saisirent la dernière chaise et la plongèrent dans l'étang.
À ce moment-là, l'horloge entonna la mélodie annonçant l'heure.
David lut la formule magique attentivement (mais il n'est qu'en première année, il ne sait pas encore lire très vite) tandis que l'horloge égrenait les quatre coups et annonçait :
-Il est quatre heures. Coucou. La sorcière arrive. Coucou.
Le garçon prononça :
- De l'eau sortiront les personnes humaines et par le feu périra la sorcière.
De la fumée apparut et sortit par les fenêtres et le toit de la maison. Bientôt la cabane en ruines devint une torche de feu. La maison maudite brûla complètement.
Isabelle et David entendirent des cris épouvantables. La sorcière qui venait d'apparaître dans sa hutte brûlait au milieu du feu.
-Bien fait pour elle, s'exclamèrent nos amis.
Ils virent un monsieur, une dame, une grand-mère, trois enfants et un chat sortir de l'eau, tout mouillés. Ils serrèrent Isabelle et David dans leurs bras et les embrassèrent en les remerciant chaleureusement. Ils les félicitèrent pour leur courage.
Puis, se donnant tous la main, ils repartirent vers le village.
En chemin, l'un des enfants, le plus jeune, demanda à notre amie si elle avait emporté le xylophone.
-Oui, répondit la fillette.
Elle l'avait glissé dans la poche de sa salopette.
-Tu veux bien frapper la lame bleue ?
-Celle qui fait venir la sorcière! s'inquiéta Isabelle.
-Oui, je voudrais la voir, déclara le petit garçon.
Elle sortit le xylophone de sa poche et le posa sur la souche d'un arbre qui traînait le long du chemin. Elle frappa trois fois la note bleue foncée avec la baguette.
DO, DO, DO...
Rien ne se produisit.
Toi, tu comprends pourquoi... Mais oui, bien sûr ! La sorcière a brûlé, elle ne reviendra jamais.
Isabelle et David retournèrent chez eux après avoir sauvé toute une famille. C'est génial, tu ne trouves pas ?