N°13
C'était le 24 décembre, vers la fin de l'après-midi. Que d'animation dans la maison d'Isabelle!
Maman, montée sur une échelle, s'occupait à accrocher au sapin les boules qu'Isabelle lui passait une à une.
Papa se trouvait à la cuisine, en compagnie gourmande de Benjamin, le plus jeune des trois frères de notre amie. Il l'aidait à préparer un bon repas.
Bertrand, dix-neuf ans, le plus grand des trois frères d'Isabelle, passait l'aspirateur dans le salon et la salle à manger pour assurer un dernier petit coup de propreté.
Benoît, le grand frère de 13 ans, le passionné d'ordinateur, assis devant son écran comme d'habitude, composait des jolis menus pour décorer la table.
Chacun s'activait de son mieux, dans une joyeuse ambiance.
Tout à coup, maman les interrompit et les appela tous.
-Arrêtez tout. On a un problème. Je ne trouve pas la clé.
-Quelle clé ? demanda papa.
-La clé du coffre de tante Esther, dans le grenier.
-Pourquoi avons-nous besoin de cette clé ? interrogea Bertrand.
-Parce que nous avons rangé la crèche et les personnages, l'an passé après les fêtes, dans ce coffre.
-Si ce n'est que ça, fit Benoît, pas de problème, maman. Je prends un pied de biche et je vais t'ouvrir ce coffre, moi.
-Surtout pas, s'inquiétèrent les parents. C'est un coffre ancien. Il ne faut pas l'abîmer. Cherchons la clé.
Chacun cessa son travail et tous se mirent à fouiller partout pour retrouver cette fameuse clé. L'un ouvrit les tiroirs des meubles. L'autre regarda derrière, en dessous et au-dessus des armoires. Ils ne trouvèrent rien.
Ils inspectèrent chaque recoin, même sous les lits et sous les oreillers. Chacun passa sa chambre au peigne fin, sans succès.
Ils fouillèrent le grenier, la cave, le salon, la salle à manger, la cuisine, la salle de bains, le débarras. Aucun endroit, y compris le hall n'échappa à leur regard. Ils retrouvèrent pas mal de choses perdues, oubliées ou égarées. Ce fut passionnant, mais aucun ne parvint à mettre la main sur la grande clé en fer du coffre.
Isabelle monta à sa chambre. Elle s'assit à sa table, prit son bloc de dessin et crayonna un Saint Joseph en rouge, une Sainte Vierge en bleu et un bébé Jésus en jaune. Elle recouvrit le tout de grandes lignes brunes pour suggérer le toit d'une crèche. Elle arracha la page et redescendit au salon. Elle choisit une pince à linge verte et accrocha son dessin au sapin.
-Voilà, dit-elle en souriant, comme cela nous aurons une crèche pour la fête de ce soir.
-Bravo, félicita papa.
-C'est gentil, ma chérie, complimenta maman.
Et chacun reprit ses activités pour achever de préparer la fête.
La veillée de Noël se passa très bien.
Ils échangèrent leurs cadeaux. Ils firent un excellent repas. Papa et Bertrand racontèrent des histoires. Maman fit prier ses enfants devant la crèche. Chacun se sentait très heureux en compagnie des autres.
Plus tard, bien fatiguée, Isabelle monta la première pour aller se coucher. Elle embrassa papa, maman, Bertrand, Benoît, Benjamin.
-Tu ne dois même pas prendre ta douche ma chérie, ajouta maman. Il est tard, tu le feras demain.
Isabelle entra dans sa chambre, qu'elle partage avec son frère Benjamin. Lui, il dort au-dessus sur le lit superposé et elle, en dessous.
Elle ôta sa jolie robe rose et blanche et ses sandales bleues. Elle passa sa robe de nuit blanche avec de petites fleurs bleues et entra dans son lit. Elle glissa les mains sous l'oreiller pour y retrouver son lapin doudou blanc en peluche. Elle y découvrit un cadeau supplémentaire. Une boîte allongée, avec un papier doré et un bout de ficelle rouge.
-Chic, se dit notre amie, encore un cadeau pour moi. Mais qui l'a glissé là ?
Elle ouvrit la boîte, après avoir défait la ficelle et elle vit une clé en fer.
-Et si c'était la clé du coffre de tante Esther ?
Qui avait caché cette clé à cet endroit-là ? Pas le père Noël quand même…
Pieds nus, en robe de nuit, elle monta rapidement l'escalier qui conduit au grenier. Elle ouvrit la porte. Elle tenta d'allumer la lumière, mais l'ampoule était cassée. Par contre, il ne faisait pas tout noir, un peu de clarté passait par la lucarne. La lune, tout à fait ronde ce soir-là, répandait ses rayons à travers cette petite fenêtre sur les vieilles planches du grenier, les éclairant de sa belle lumière argentée. Le coffre baignait sous cette tendre lueur.
Isabelle prit la clé, l'introduisit dans la serrure et ouvrit. Elle découvrit la crèche de Noël ainsi que les personnages qui l'accompagnent.
Elle sortit l'étable pour commencer.
La crèche c'est d'abord une étable, avec de la paille. Elle la posa par terre, près d'elle. Elle regarda en silence.
Comme ça lui paraissait triste!
Elle songea que Jésus avait dû naître dans un endroit qui ressemblait à celui-là. Il avait passé sa première nuit sur de la paille, de la paille pas très propre peut-être. L'étable, c'est le lieu où l'on met les vaches. Les animaux y font leurs besoins, cela s'appelle de la bouse. Non, la paille ne devait pas être propre. Elle devait même sentir mauvais.
-Pauvre bébé Jésus, murmura Isabelle. C'est trop triste que tu sois obligé de naître là-dedans.
Puis, elle se tourna vers le coffre et en sortit l'âne et le bœuf.
Le bœuf, c'est comme les vaches. Ils aiment bien de se rouler dans la boue ces animaux-là. Et l'âne... as-tu déjà mis ton nez contre le dos d'un âne ? Cela ne sent pas très bon, crois-moi.
-J'ai de la peine, murmura Isabelle. Le bœuf est tout sale et l'âne sent mauvais. Pauvre bébé Jésus ! Comme c'est triste! répéta la fillette.
Du coup, elle plaça l'âne et le bœuf tout au fond de la crèche, le plus loin qu'elle put, pour que Jésus ne sente pas leur mauvaise odeur.
Ensuite, elle retira la Sainte Vierge du coffre. Elle l'observa un instant.
Elle semblait bien fatiguée, la maman de Jésus. Il y avait de bonnes raisons à cela. Elle venait de marcher deux jours entiers.
Ils avaient été obligés de partir de Nazareth pour aller à Bethléem. Tout cela à cause d'un empereur à Rome, très loin de là, qui voulait compter combien de personnes habitaient son empire. À cause de lui, ils avaient dû quitter leur maison de Nazareth. Pourtant Joseph, un charpentier, y avait préparé une jolie chambre pour Jésus.
Et ils avaient marché plusieurs jours sur les chemins, dans la poussière. En ce temps-là, les trains, les avions, les voitures n'existaient pas. On allait à pied. Ou à dos d'âne... mais c'était pour la fuite en Égypte qu'ils avaient emprunté un âne. Ici, ils n'en possédaient pas.
Le premier soir, ils dormirent à la belle étoile. Joseph et Marie n'avaient pas beaucoup de sous. Ils ne pouvaient pas aller à l'hôtel à chaque étape. Ils passèrent la nuit dans une grotte ou au pied d'un arbre.
Marie, en plus, marchait sur tous ces chemins en portant Jésus dans son ventre. Un Jésus prêt à venir. Elle allait bientôt accoucher. C'est lourd un bébé, tout à la fin d'une grossesse. Demande à ta maman. Oh oui, le deuxième jour, elle était bien fatiguée, Marie !
-Ce soir, on va à l'hôtel, décida Joseph. Ça coûtera ce que ça coûtera.
Mais quand ils se présentèrent à l'auberge, le patron les repoussa.
-Non, mais vous n'y pensez pas ! Vous risquez d'accoucher dans une de mes chambres. Vous allez faire des crasses. Allez-vous-en.
On les avait chassés, comme des malpropres.
Tout ce que Joseph trouva, c'était une étable. Marie s'étendit sur la paille. Et c'est là qu'elle enfanta. C'est là que Jésus vint au monde.
Si au moins il était venu à Nazareth. Marie connaissait une dame qui aidait aux accouchements. Cela s'appelle une sage-femme. Mais ici elle ne connaissait personne. Elle était toute seule, dans une étable avec un âne et un bœuf et Joseph pour l'aider.
Pauvre Marie, comme elle était fatiguée!
Isabelle lui donna un bisou, pour la consoler. Puis elle la posa sur la paille de l'étable, couchée, pour qu'elle se repose.
Ensuite, notre amie se tourna vers le coffre. Elle en sortit Joseph.
Lui aussi semblait malheureux. Il n'était pas fier. Aucun papa ne voudrait que son bébé naisse dans une étable entre un âne et un bœuf sur de la paille sale. Aucun papa ne voudrait cela pour son bébé et ton papa non plus. Lui, Joseph, il fut bien obligé.
Pourtant, il avait arrangé une si belle chambre pour Jésus. C'était son métier. Joseph, un charpentier, travaillait le bois. Il avait fabriqué un petit lit à barreaux et une armoire pour y mettre les vêtements de son enfant. Il avait même créé des petits jouets. Et tout cela, ils l'avaient laissé derrière eux à Nazareth, pour venir à Bethléem où ils ne connaissaient personne.
Il était triste Joseph, et honteux. Et pourtant, ce n'était pas sa faute.
-Pauvre Joseph, murmura Isabelle. Pauvre papa de Jésus.
Elle lui donna, à lui aussi, un bisou, pour le consoler.
Ensuite, elle empoigna cinq moutons.
C'est mignon des petits moutons. Mais ce ne sont pas toujours des bêtes très propres. Les moutons cela fait de la laine, et la laine c'est bien joli d'accord. Mais pendant qu'ils l'ont sur leur dos, la laine, ils la salissent et certains ont même des puces.
-Je ne veux pas que le pauvre bébé Jésus attrape des puces de moutons, songea tout haut Isabelle.
Du coup, elle ne les plaça pas dans la crèche, mais près de l'entrée, dehors.
Puis elle saisit trois bergers.
Elle les observa un instant. Les bergers sont des enfants pauvres, des enfants dont les parents n'ont pas assez d'argent pour les envoyer à l'école. Alors, pendant que les papas et les mamans travaillent aux champs, les enfants gardent les moutons, toute la journée. Les petits, comme les grands. Certains ont à peine cinq ans et déjà ils partent avec des aînés. Parfois, avec un grand frère ou une grande sœur, ils s'en vont plusieurs jours, bien loin, emportant de la nourriture et une couverture pour se rouler dedans la nuit. Ils dorment par terre, sous les étoiles.
Ces enfants vont souvent pieds nus. Ils n'ont pas de chaussures.
-Pauvre petits bergers, murmura Isabelle.
Elle les embrassa tous les trois et les posa près de Marie et Joseph.
Enfin, elle se pencha une dernière fois vers le coffre. Elle en sortit le bébé. Elle le regarda. Il était mignon! Il avait même un petit sourire.
-Pauvre Jésus, chuchota notre amie. Je ne veux pas t'installer sur la paille. Elle ne sent pas bon.
Elle aperçut une mangeoire dans un coin de l'étable. C'est l'endroit où le bœuf et l'âne mangent le foin qu'on leur donne. Il reste sans doute un peu de bave dans cette paille, mais elle est moins sale que celle qui traîne par terre. Elle ne sent pas mauvais d'ailleurs.
Isabelle coucha le bébé Jésus dans la mangeoire de l'étable, après lui avoir donné un bisou.
Puis, elle observa la scène un moment. Elle sentit des larmes monter de son petit cœur généreux et elle se mit à pleurer doucement.
Pendant ce temps-là, l'heure tournait. Benjamin allait monter se coucher. Il embrassa papa, maman, Bertrand, Benoît et grimpa à sa chambre. Il vit qu'Isabelle ne se trouvait pas dans son lit. Il appela les parents.
-Papa, maman, Isabelle n'est pas dans son lit. Elle n'est pas dans la chambre.
Maman monta les escaliers et remarqua que la porte du grenier était entrouverte.
Elle y grimpa et entra. Elle découvrit sa petite fille devant la crèche, à genoux et en larmes.
-Ma chérie, que se passe-t-il ? Pourquoi pleures-tu ?
Maman s'assit dans la poussière sur le plancher et serra notre amie dans ses bras.
-Raconte, ma douce, pourquoi pleures-tu ?
-Maman, comme c'est triste la crèche! Regarde, c'est une étable avec de la paille qui ne sent pas bon. Et l'âne et le bœuf…
-C'est vrai, ma chérie, interrompit maman, mais heureusement qu'ils avaient une étable pour s'abriter. Tu n'aurais quand même pas voulu que Jésus naisse sous les étoiles. Imagine qu'il ait plu cette nuit-là. Il aurait été tout mouillé, le bébé. Il aurait pris froid. Il aurait même pu être malade. Heureusement qu'ils avaient un bon toit au-dessus de leurs têtes. Même si ce n'est qu'une étable, c'est mieux que rien.
Isabelle ébaucha un petit sourire.
-Mais l'âne sent mauvais, maman et le bœuf est tout sale.
-D'accord, ma chérie, continua maman. Mais l'âne et le bœuf sont de gros animaux et leurs corps dégagent de la chaleur. Et en soufflant, ils réchauffent l'atmosphère. Grâce à leur présence, le bébé n'a pas eu froid dans la crèche. Tu sais dans une étable, on ne place jamais de radiateurs. Il n'y fait jamais froid quand les animaux s'y trouvent.
-Je n'y avais pas pensé, sourit Isabelle, en se frottant les yeux et en séchant ses larmes.
Elle saisit les deux animaux et les rapprocha de la mangeoire où Jésus était couché.
-Mais maman, regarde comme Marie, la Sainte Vierge est fatiguée. Elle a marché pendant deux jours et elle a accouché de son bébé toute seule.
-Tu as raison ma chérie. Elle est épuisée. Toutes les mamans sont fatiguées après leur accouchement. Mais elle est si heureuse. Elle peut serrer son bébé dans ses bras à présent. Vois comme elle est contente de le regarder, de l'admirer, de pouvoir le câliner. Tu sais, après un accouchement, l'épuisement des mamans s'en va très vite. Elle n'en peut plus mais elle est contente, Marie. Elle est vraiment heureuse.
Isabelle souriait.
-Et l'accouchement s'est bien passé. Joseph l'a aidée. Il l'a encouragée et à eux deux, ils s'en sont bien sortis. Quel bonheur pour Marie! Un bonheur bien plus grand que toutes les peines qui ont précédé et qui s'évanouissent comme un mauvais souvenir, insista maman.
-Mais Joseph, reprit Isabelle. Regarde. Il est honteux parce que son bébé est né dans une étable. Aucun papa ne voudrait que son bébé naisse dans une étable.
-Bien sûr, confirma maman, bien sûr. Ni les papas ni les mamans ne voudraient jamais que leur enfant naisse dans une étable. Mais quel beau petit garçon ce Jésus! Il est fier de son petit bonhomme, Joseph. Et il songe déjà au retour.
Demain, ils vont repartir vers Nazareth. La jolie chambre attend le bébé avec son petit lit, avec son armoire, avec ses jouets, avec toutes ses affaires.
Plus tard, Jésus regardera Joseph travailler dans l'atelier. Peut-être qu'il apprendra son métier. Il est fier Joseph de son petit garçon!
Et ce n'est pas n'importe quel petit garçon. C'est Jésus, l'enfant Dieu!
-Oh oui! s'écria Isabelle.
La petite fille souriait à présent.
-Mais maman, les bergers, ce sont des enfants pauvres. Regarde, ils n'ont même pas de chaussures. Ils vont pieds nus. Et leurs vêtements...
-Tu l'as remarqué, ma chérie. Ce sont des enfants pauvres. Mais ils ont été avertis les premiers. Les anges de nos campagnes ont d'abord annoncé la bonne nouvelle aux bergers, avant toutes les personnes importantes et avant tous les autres. Les petits bergers furent les premiers à savoir que Jésus était né. C'est un grand honneur qu'on leur a fait.
La fillette écoutait sa maman. Son visage était radieux.
-Et vois-tu Isabelle, Jésus est né pour tous les enfants, pour tous les enfants du monde, et pour tous ceux qui gardent un cœur d'enfant. Pour tous ceux qui conservent intacte leur générosité, leur sens de l'accueil, leur gentillesse, leur douceur, leur tendresse et leurs rêves. Pour tous ceux qui veulent la paix, l'amitié. Pour ceux qui donnent la main à celui qui est nouveau dans la cour de récréation, en lui disant, viens jouer avec moi. Pour ceux qui consolent celui qui semble triste ou qui pleure. Pour ceux qui partagent leur collation avec celui ou celle qui l'a oublié, ou simplement qui n'en a pas. Pour ceux qui offrent leurs jouets, leurs vêtements, à des enfants qui n'en ont pas.
Maman se tut un instant. Elle regarda la crèche.
-Jésus est né même pour les méchants. Oui, Isabelle, même pour les méchants. Ceux qui veulent tuer, qui font du mal aux autres. Ceux qui ne respectent rien, ceux qui sont cruels, ceux qui placent des bombes dans les écoles, les magasins, les rues. Ceux qui font tellement de mal aux autres. Ceux qui préfèrent la guerre et refusent la paix et l'amour. Il est né pour ceux-là aussi. Pour que peut-être, dans leur cœur, un peu de tendresse, un peu de douceur, un peu d'humanité se glisse. À l’intérieur d’eux, souvent, il y a un ancien enfant qui pleure.
-Mets-toi près des bergers ma chérie et fais une prière à Jésus. Puis, tu iras te coucher.
Isabelle s'agenouilla entre eux et récita sa prière, les mains jointes.
Dans sa robe de nuit et avec ses pieds nus, elle ressemblait aux petits bergers. On aurait pu croire qu'un d'entre eux venait de se joindre aux trois autres, sous le rayon de la lune.
Puis, elle embrassa tendrement sa maman. Elles descendirent les escaliers. Isabelle se coucha et s'endormit.
Le lendemain, ils installèrent la crèche au salon.
Depuis cet évènement de la nuit de Noël, chaque fois qu'Isabelle passe devant la crèche, elle se souvient de ce qu'elle avait observé et des douces paroles de sa mère.
C'est triste la crèche, mais c'est illuminé de tendresse et cela déborde d'espérance. C'est cela l'amour de l'enfant Dieu.