N°13
Si les histoires d'horreur te font peur, si la nuit, tu fais vite des cauchemars, si tu es seul dans ta chambre à lire ces lignes et que l'orage dehors menace, alors ne va pas plus loin et sélectionne une autre histoire.
Si le craquement d'une armoire dans le silence pesant te fait sursauter puis rire, si les morts-vivants t'amusent, si tu aimes avoir un peu peur, continue...
Un jour, le hibou de Christine évoqua une maison qu'il croyait abandonnée dans les bois. La maison de la sorcière. (Lis ou relis l'épisode 12). Je te rappelle que notre amie, âgée de dix ans, habite dans une grande forêt et sait parler avec les animaux et les comprendre.
Intriguée, notre jeune fille se rendit à travers les bois jusqu'à cette demeure. Elle en perça le secret.
Dans cette maison vit une dame fort triste dont la fille, Déborah, mourut une année auparavant suite à une grave maladie. Ce jour-là, le mari de cette femme, le papa de Déborah, un capitaine de vaisseau, partit de l'autre côté de la terre. Il ne revint jamais chez lui.
Christine est toujours bienvenue chez cette dame, dans la maison de la sorcière comme elle continue à l'appeler. Elle lui rend souvent visite. Elle loge parfois chez elle, ce qui lui évite une longue marche pour retourner chez ses parents dans la même journée.
Par une belle fin de matinée, Christine s'y présenta. Elle frappa à la porte.
-Bonjour, fit la dame en souriant. Quel bonheur de te voir! Comment vas-tu?
-Je vais très bien, madame, répondit notre amie.
-J'ai fait une découverte passionnante l'autre jour en rangeant le grenier. Je crois que cela va vraiment t'intéresser. Viens, entre dans la maison et assieds-toi près de la cheminée.
Christine, aussi curieuse qu'intriguée, s'assit près du feu. La femme saisit alors une boîte en bois et l'ouvrit.
-En mettant de l'ordre là-haut, j'ai découvert ce cahier. Je t'explique. Mon mari adorait sa petite fille et créait souvent pour elle des jeux passionnants, surtout des jeux de piste. Il partait très tôt le matin dans les bois et laissait des marques, des indices ou des traces sur son passage. Déborah devait tenter de suivre ensuite le trajet. Au bout du chemin, généralement, se trouvait un cadeau.
-Quelle chance! fit remarquer notre amie.
-Eh oui! reprit la maman. Et, vois-tu, ce cahier est le dernier jeu que mon mari créa pour notre petite fille. Seulement voilà, elle ne pourra jamais le jouer. Il avait conçu cette dernière chasse au trésor justement pour son anniversaire. Mais Déborah n'aura jamais dix ans, tu t'en souviens. Crois-tu, toi qui as dix ans également, que tu aimerais tenter cette aventure?
-Certainement, madame, affirma Christine.
-À une demi-heure de marche de chez moi, en continuant la route en terre, tu arrives à l'entrée d'une immense propriété entourée de hauts murs et fermée par des grilles imposantes. Derrière ces grilles se trouve un vaste jardin. Au milieu du jardin, tu verras une grosse maison et dans cette maison habite un artiste. Je le connais bien. Un homme charmant.
"Il est à la fois sculpteur et peintre. Il sculpte surtout des animaux et ses statues sont tellement parfaites et impressionnantes qu'il remporte avec elles un immense succès. On lui consacre des expositions à travers le monde entier. Toutes les grandes salles le réclament, en Amérique, en Europe, au Japon. Lors de ses longues absences, mon mari et moi gardons sa propriété. Et dans cette grande maison se déroule le jeu que je te propose.
-Je me réjouis déjà, murmura Christine, curieuse de découvrir cette étrange demeure.
-Oui, mais avant de te lancer dans l'aventure, va jusque-là. Si les grilles sont fermées, tu peux les ouvrir. Le propriétaire est absent. Par contre si elles sont ouvertes, n'entre pas. Cela signifie qu'il est de retour chez lui. Ne le dérange pas.
-Certainement, madame, répondit la jeune fille.
Notre amie quitta la maison et la dame en début d'après-midi. Elle suivit la route et atteignit un long mur de pierres grises. Il était tellement haut que l'on ne voyait rien de l'autre côté. Elle marcha jusqu'aux grilles, monumentales. Ces grilles étaient fermées.
Le propriétaire est absent, songea notre amie.
Elle regarda entre les barreaux et aperçut quelques animaux sculptés dans le jardin et puis une assez grande construction, assez sombre.
Aussitôt, Christine ressentit une impression désagréable, angoissante. Elle crut que quelqu'un l'observait. Elle aperçut une ombre au premier étage à l'extrême gauche du bâtiment, mais l'ombre disparut aussitôt. Avait-elle bien vu ? Était-ce une illusion ? Elle ne se sentit guère rassurée.
Notre amie revint à la maison de la gentille dame.
-Alors, demanda la maman de Déborah, qu'en penses-tu ?
-L'endroit m'inquiète un peu. Je me suis sentie mal à l'aise. Les grilles étaient fermées. Je ne suis pas entrée. Mais je veux bien tenter le jeu, quand même.
-Je te reconnais bien là, ma chérie. Je te sais très curieuse. Alors, quand tu viendras la prochaine fois me visiter, tu en profiteras pour loger chez moi. Et au matin, tu pourras partir pour l'aventure.
-Merci, répondit Christine.
Quelques jours plus tard, notre amie revint chez la maman de Déborah, avec la permission de ses parents d'y passer la nuit.
Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, elle accrocha sa gourde à sa salopette en jean délavé. Elle arrangea soigneusement ses tresses et chaussa ses baskets. Puis, emportant le cahier-jeu, elle partit vers la maison de l'artiste.
Une terrible aventure l'y attendait, mais elle ne le savait pas et la mère de Déborah non plus. L'homme revenu chez lui, malade, achevait de la redécorer dans un style hallucinant, à l'image des cauchemars qui peuplaient actuellement ses nuits angoissées.
Comme elle s'éloignait, la gentille dame lança:
-Ne te crois pas obligée de faire ce jeu. Si tu le risques, par contre, ne lis pas toutes les pages du cahier à la fois. Découvre-les une par une, et tente de réussir ce qu'on te propose d'y faire. Bonne chance et bon amusement.
Christine parvint rapidement devant les grilles. Elles étaient fermées. Cela signifiait, selon la dame, que le propriétaire était en voyage. Elle poussa de toutes ses forces sur l'un des battants. Il s'ouvrit en grinçant. Elle referma la grille derrière elle.
L'immense jardin qu'elle découvrit l'impressionna un peu. Elle aperçut un ours sur la gauche. On l'aurait pris pour un vrai. Mais il ne bougeait pas. Une sculpture. À droite, tout près d'elle, elle remarqua un chien. Un gros chien brun foncé, l'air agressif, prêt à mordre les intrus. Le chien se tenait immobile, lui aussi. Encore une sculpture.
Notre amie s'adossa à la grille et ouvrit le cahier à la première page.
-Ma chère Déborah.
Je te rappelle que le message s'adresse à une autre fille que Christine et qu'il fut conçu un an auparavant. Beaucoup de choses peuvent changer en un an. Attends-toi à tout, surtout au pire...
-Ma chère Déborah, l'aventure commence. Première étape. Promène-toi dans les jardins et tente de trouver une clé verte. Admire en passant les prodigieuses sculptures d'animaux réalisées par mon ami. Lorsque tu auras la clé, tu tourneras la page et découvriras la suite. Je t'embrasse. Papa.
Christine referma le cahier et le glissa dans une poche arrière de sa salopette.
Une clé verte dans ce grand jardin, songea notre amie. Cela ne va pas être facile à découvrir. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. À moins qu'elle soit liée à une sculpture ?
Elle s'approcha du chien en bronze. Elle l'observa attentivement. Il ne semblait pas avoir de clé sur son corps. Elle passa sa main dans la gueule ouverte de l'animal, entre les dents. Soudain, le chien aboya.
Surprise, Christine recula. Cette sculpture était dotée d'un mécanisme. Lorsqu'on la touche à certains endroits, cela déclenche un aboiement féroce pendant quelques secondes.
Au premier étage, un homme apparut à une fenêtre.
-Ah…Tu envoies ta fille suivre un de tes jeux stupides… Très bien… On va s'amuser… Je lui prépare un piège que tu n'as pas prévu. Oui, on va bien s'amuser !
Suivit un ricanement horrible. L'homme saisit une hache bien tranchante dans une main et un long couteau dans l'autre.
-Qu'elle entre, ta Déborah. Je l'attends…
Christine, qui n'avait rien remarqué, s'approcha d'un ours, puis d'une girafe. Plus haut, près des grands arbres, se trouvait un troupeau d'éléphants. Plus bas, des lions, lionnes et lionceaux semblaient boire au bord d'une mare. Aucune clé verte visible.
S'avançant vers la maison, elle remarqua un grand bassin rectangulaire, une piscine. La pièce d'eau était occupée en partie par un immense dragon. Il mesurait trois mètres de haut et cinq de long. Sa gueule monstrueuse garnie de longues dents était ouverte. Ses deux pattes avant plongeaient dans l'eau et celles de l'arrière se trouvaient au bord de la piscine. Ses écailles rouges brillaient au soleil.
Notre amie aperçut une clé verte accrochée à l'une de ses dents. Pour l'atteindre, il fallait escalader le monstre. La tête semblait servir de plongeoir.
Elle posa le cahier-jeu au bord du bassin, puis elle entreprit l'escalade de la queue du dragon. Elle se hissa sur son dos. Elle se coucha à plat ventre sur l'énorme tête de la bête et tendit la main pour saisir la clé.
À ce moment-là, le dragon, doté d'un mécanisme articulé, s'inclina. Christine, déséquilibrée, tomba dans la piscine.
Elle en ressortit trempée, ses vêtemenits lui collaient à la peau et ses deux longues tresses brunes dégoulinaient. Heureusement, elle avait posé le cahier au bord de l'eau avant de grimper sur le dos du dragon. Elle tenait la clé verte solidement en main. Elle la glissa dans la poche de sa salopette ruisselante.
Elle s'assit au bord de l'eau, et, pendant qu'elle séchait un peu, elle ouvrit le cahier à la page 2.
-Fameuse surprise, chère Déborah, ce terrible dragon ! J'espère que tu n'as pas eu trop peur et que tu ne t'es pas fait mal en tombant dans l'eau. À présent, tu dois t'introduire dans la maison. Tu trouveras une clé jaune dans les caves. Mais par où iras-tu? Je t'embrasse. Papa.
Christine s'approcha de la porte principale. Elle était fermée et sa clé verte ne convenait pas pour l'ouvrir. Toutes les fenêtres du rez-de-chaussée possédaient des barreaux. Par où pourrait-elle entrer dans cette immense maison ?
Elle en fit le tour et découvrit, à l'arrière, un soupirail posé de travers. Elle n'eut aucune difficulté à le soulever. Là, une ouverture suivie par un plan incliné permettait de s'introduire dans les caves. Cela n'apparaissait pas très rassurant.
-Après tout, ce n'est qu'un jeu, songea notre amie.
Elle se laissa glisser comme sur un toboggan et atterrit dans une cave froide et sombre. Elle se redressa et se retourna. Impossible de ressortir par le même chemin. Le mur était trop haut. Et la cave plus profonde qu'elle pensait. Heureusement, elle ne s'était pas fait trop mal en tombant. Juste une égratinure au coude gauche.
Elle observa la cave vide aux murs de briques sombres. Elle ouvrit la porte et découvrit un long couloir percé, à gauche et à droite, d'une série d'ouvertures. Elle les explora toutes. Aucune d'entre elles ne contenait de meubles, sauf une. La dernière à droite.
En passant, elle aperçut un escalier qui montait vers le rez-de-chaussée. Mais elle savait qu'il fallait d'abord découvrir la clé jaune.
Elle s'arrêta devant le grand meuble, le seul de ces caves humides. Elle ouvrit tous les tiroirs, mais en vain. Aucune clé jaune n'apparut. Elle remarqua une petite porte basse derrière ce meuble. Christine, s'arc-boutant et poussant de toutes ses forces, parvint à écarter un peu le bahut du mur. Elle put alors se faufiler à quatre pattes et ouvrit la petite porte qu'elle venait de découvrir.
Stupeur ! Un sifflement aigu se fit entendre et notre amie reçut sur le ventre une horrible sorcière en paille, munie de son balai. Au bout du nez de cet épouvantail se trouvait la clé jaune.
Le cœur battant, tremblante encore de sa surprise, notre amie ressortit de la pièce et s'assit sur les premières marches de l'escalier qui menait au grand hall d'entrée. Elle glissa la clé jaune à côté de la verte dans la poche de sa salopette qu'elle venait de salir bien fort.
-Pas très amusant, se dit tout haut Christine. Cela fait vraiment peur. Je commence à croire que Déborah aimait les histoires d'horreur.
Elle songea à cesser le jeu, mais la curiosité demeurait la plus forte. Et puis maintenant qu'elle se trouvait dans la maison, il fallait de toute façon en trouver la sortie… elle ouvrit le cahier à la page 3.
-À présent, tu peux monter l'escalier, ma chérie. Tente de découvrir une clé rouge, une clé bleue, une clé noire et une clé en or. Quand tu les auras rassemblées toutes les quatre, tu pourras continuer ton aventure. Bonne recherche. Papa.
Christine gravit l'escalier et pénétra dans un hall immense. Elle se trouvait à présent derrière la porte d'entrée fermée à clé. Impossible de l'ouvrir. Un somptueux escalier de marbre blanc menait à l'étage.
Elle observa aux murs d'étranges peintures. L'une représentait des squelettes qui dansaient. À leurs pieds, posés sur le sol, se trouvaient quelques os sculptés qui faisaient vraiment vrai. Sur un autre mur, un mort-vivant montrait ses chairs pourries. Au sol traînaient un œil, un doigt, quelques ongles, en pierre. Sur un troisième mur, une momie tentait de se débarrasser de ses bandelettes. Elle en avait laissé tomber quelques-unes par terre. Tout cela donnait le frisson. Tout cela ressemblait à l'œuvre d'un homme devenu fou, d'un malade mental, pour peindre des horreurs pareilles chez soi.
La jeune fille tenta de monter quelques marches d'escalier vers l'étage mais buta contre un mur. Elle fut bien surprise de découvrir que cela s'arrêtait à la septième marche. Le reste n'était qu'une immense peinture en trompe-l'œil, qui donnait l'impression que l'escalier continuait jusqu'au premier étage. Le couloir à gauche et à droite, la porte d'entrée de quelques chambres sans doute, tout cela en trompe l'œil d'une perfection hallucinante. Impossible, par contre, de monter à cet endroit.
Christine ouvrit une porte à gauche. Elle entra dans une cuisine. Toutes les armoires possédaient une clé en fer, sauf une, assez haut située, une clé rouge.
Elle glissa une chaise, y grimpa et tenta de la prendre. La clé bloquait la porte de l'armoire. Il lui fallut donc l'ouvrir en tournant vers la gauche pour saisir la clé rouge.
Sitôt la porte ouverte, une pile d'assiettes, mal rangées, dégringolèrent sur le sol et se brisèrent. Notre amie mit ses mains sur les oreilles pour ne pas entendre ce tintamarre et son cœur se remit à battre la chamade.
Au premier étage, l'homme, la hache à la main et un long couteau dans l'autre, ricana de nouveau.
-Maladroite ! En plus, tu casses ma vaisselle. Mais tu ne perds rien pour attendre. Je suis là. Tu vas bientôt tomber dans mon piège…
Christine descendit de la chaise, plaça la clé rouge au côté de la jaune et de la verte dans la poche de sa salopette, puis retraversa le hall d'entrée. Elle entra dans un vaste salon bien étrange.
Les poignées des portes d'armoires ressemblaient à des mains de squelettes. Les pieds des tables et des chaises imitaient des fémurs ou des tibias. Les lustres étaient constitués d'un enchevêtrement d'os. Les peintures aux murs représentaient des squelettes, dansant ou dormant dans leur tombeau.
Notre amie observa toutes les portes, ouvrit tous les tiroirs, mais ne découvrit ni la clé en or, ni la clé bleue, ni la clé noire.
Elle quitta la pièce et entra dans une grande salle à manger. Ici, tout était décoré par des armes. Elle aperçut, le long des murs, d'immenses armures tenant leurs longues épées entre leurs mains. Impressionnantes. Le lustre consistait en deux sabres croisés au bout desquels pendaient quelques ampoules électriques. La table, les chaises étaient constituées de lames bien tranchantes.
Relevant la tête, et observant mieux le lustre, elle vit la clé bleue qui y pendait.
Notre amie poussa délicatement une chaise et monta. Elle prit pied sur la table et décrocha la clé bleue qu'elle mit dans sa poche.
Quittant alors la salle à manger, elle ouvrit une porte brune et découvrit un couloir sombre. On entendait un bruit. « Tic…Tac…Tic…Tac… » Inquiète, elle se tut.
Elle passa devant une grande armoire en bois noir. Le couloir menait vers une seconde porte entrouverte. La jeune fille fit un premier pas dans une pièce aux murs garnis de milliers de livres. Une bibliothèque.
Elle retint à peine un cri de surprise. Un homme était assis à une des tables qui meublaient la pièce. Il disparaissait sous une longue cape brune et une cagoule lui recouvrait la tête. Il semblait endormi. On le voyait bouger au rythme de sa respiration. Sa tête reposait sur son bras et il tournait le dos à notre amie.
Elle hésita à s'avancer dans la pièce. Elle ne voulait pas le réveiller. Mais elle aperçut, sous les doigts de la main gauche de l'homme qui dormait, une petite clé noire.
Poussée par une incroyable témérité et obligée par le jeu à poursuivre plus loin, Christine, rassemblant son courage, fit quelques pas en direction du dormeur.
-Monsieur, dit-elle presque tout bas.
Pas de réponse. Elle fit encore un pas. Elle tendit une main tremblante vers la table, vers les doigts, vers la clé noire. Elle la toucha et la fit glisser lentement vers elle. Lorsque le doigt du dormeur tomba sur la table, notre amie entendit un léger déclic.
Soudain, poussant un cri épouvantable, le dormeur se redressa et se tourna vers Christine. Il n'avait pas de visage ! Sous la cagoule se trouvait un mécanisme. Ce n'était pas un homme, mais un automate.
Effrayée, notre amie s'encourut, repassa le couloir sombre, traversa la salle à manger et revint au salon. Elle écouta. Personne ne la suivait. Elle ne perçut plus aucun bruit derrière elle. Le cœur battant la chamade, tremblant encore, épouvantée, elle s'assit sur l'un des fauteuils devant une table basse. Elle y observa une petite boîte, finement sculptée et décorée à l'or pur.
-La clé en or se trouve peut-être là, songea-t-elle à haute voix.
Elle leva le couvercle. Une petite musique se fit entendre comme dans les chalets suisses miniatures et les boîtes à musique. Elle découvrit la dernière clé qu'elle recherchait. Une toute petite clé en or, qu'elle glissa dans la poche de sa salopette également.
Elle tenait à présent les six clés: la verte et la jaune, la rouge, la bleue, la noire et la petite en or. Elle prit le cahier destiné à Déborah et lut la page 4.
-Maintenant, ma chérie, tu peux monter au premier étage. Mais par où? Sois perspicace. Bonne chance.
Monter au premier étage, songea Christine. D'accord. Mais par où en effet ?
Elle avait tout visité au rez-de-chaussée. Elle réfléchit un long moment. Elle retourna dans le couloir, là où se trouvait la grande armoire contenant une horloge. Elle était passée devant cette armoire. Tic-tac, tic-tac.
Elle l'ouvrit. L'espace apparut si grand qu'on pouvait y entrer sans baisser la tête. Un balancier d'horloge allait de gauche à droite et de droite à gauche au rythme des secondes. Le cadran indiquait onze heures.
Quelqu'un avait dû remonter cette horloge. Si la maison était vide, pourquoi le balancier fonctionnait-il ? Notre amie aurait peut-être dû y réfléchir un peu plus…
Elle n'y songea pas.
Derrière le balancier, elle observa une serrure. Une serrure noire. Pour l'atteindre, il fallait arrêter le balancier. Christine le prit entre le pouce et l'index et le retint. Aussitôt, elle perçut un déclic derrière elle. Elle se retourna. La porte de l'armoire venait de se fermer. Elle se précipita, mais ne réussit pas à l'ouvrir. Elle était enfermée dans l'armoire.
Elle sortit la clé noire de sa poche, l'introduisit dans la serrure de l'horloge et tourna. Un ronronnement se fit entendre. Le sol vibra. La jeune fille sentit que cela montait. L'armoire, en fait, était un vieil ascenseur qui menait à l'étage.
Arrivé au premier, il s'arrêta. Elle remit le balancier en route et aussitôt la porte s'ouvrit.
Elle sortit de l'ascenseur et reprit le cahier à la page 5.
-À présent, il faut que tu parviennes au grenier. L'ascenseur n'y conduit pas. Mais avant de monter l'escalier qui se trouve au fond du couloir, à ta droite, rends-toi à la dernière chambre à gauche. Une surprise t'attend. Bonne chance. Je t'embrasse. Papa.
Christine fit quelques pas en direction de la chambre située à l'extrême gauche. Elle l'ouvrit.
Elle n'entendit pas qu'une autre porte au milieu de ce couloir grinçait. Elle ne vit pas l'homme habillé en blanc, muni d'une hache et d'un long couteau avancer dans le couloir et marcher à sa suite.
Notre amie, entrée dans la dernière chambre, découvrit des aquariums et des cages. Le grillage de ces cages était arraché. Les vitres des aquariums brisées. Une grosse araignée courait sur le sol. Elle venait vers elle. Une mygale !
Christine recula. Elle marcha sur quelque chose de mou. Un serpent ! Au plafond, une dizaine d'autres araignées pendaient à leur fil. Des bêtes, toutes plus horribles les unes que les autres, se déplaçaient partout, volant, rampant, courant, sautant. Des mille-pattes, des coléoptères, des scorpions, des fourmis géantes, des scolopendres… Tous ces animaux venaient vers elle et tentaient de la piquer, de la pincer, de la mordre.
Christine bondit vers la porte. Elle perçut un claquement et entendit quelqu'un tourner une clé dans la serrure. Elle était enfermée dans la chambre avec toutes ces bêtes terrifiantes. Une incroyable collection d'animaux venimeux, un zoo passionnant, mais dont le propriétaire, devenu fou, avait brisé les portes et les cages. Affolée, elle regarda autour d'elle. Il en venait de plus en plus. Il en sortait de partout.
Le piège...
Christine bondit et sauta sur la tablette de marbre près de la vitre. Déjà, les premières bêtes grimpaient ou s'accrochaient à elle. Elle les chassa de la main et en écrasa quelques-unes. Elle s'acharna sur le levier de la fenêtre et parvint à ouvrir. Une longue corniche courait le long du bâtiment.
Notre amie enjamba la fenêtre et observa en bas. Trop haut pour sauter, se dit-elle, malgré qu'elle ne se trouvait qu'au premier étage. Impossible de se sauver sans se casser une jambe ou un bras.
Elle marcha en direction de l'extrémité du toit où elle venait d'apercevoir une échelle couchée sur les tuiles de la toiture.
Elle pataugea dans l'eau accumulée dans la corniche, passant à la hâte devant chaque fenêtre. Elle en profita chaque fois pour regarder à l'intérieur des chambres. Quelqu'un, elle en était sûre, présent dans le manoir, avait voulu l'enfermer avec les insectes et autres bêtes pour la faire mourir.
Dans la quatrième chambre, elle découvrit avec stupeur un homme habillé de blanc. Il tenait deux armes bien effilées à la main.
L'ombre que fit Christine en passant devant la fenêtre surprit l'individu. Il se retourna. Ses yeux oscillaient de gauche à droite comme ceux d'un fou. Il poussa un hurlement et se précipita vers la vitre devant laquelle notre amie se trouvait. La jeune fille, transpirant de peur, glacée d'effroi, le cœur battant à toute vitesse, courut dans la corniche en direction de l'échelle. Elle y grimpa.
L'échelle continuait, couchée sur les tuiles du toit. Elle gravit les échelons les uns après les autres et parvint au faîte, le sommet du toit. Là, elle s'assit un instant à califourchon et se retourna. L'homme venait de se hisser à son tour dans la corniche et tentait de marcher derrière elle. Il n'escalada pas l'échelle.
Fuir, se sauver, mais par où ?
Christine ouvrit le cahier et lut d'un coup les dernières pages. Elle ne jouait plus. Elle voulait savoir par où échapper à l'homme fou et à cette terrible demeure.
-À présent, tu vas monter au grenier par le petit escalier de bois.
-Ça, murmura notre amie, c'est impossible.
Elle tourna la page fébrilement. L'homme observait la jeune fille juchée sur le toit.
-Quand tu arriveras dans le grenier, tu verras une immense armoire, décorée de fine marqueterie. Tu y apercevras un panneau. Tâche d'y glisser la clé bleue, la clé jaune, la clé verte et puis celle en or. Une ouverture béante, secrète, t'apparaîtra. L'entrée d'un vieux puits. Tu verras une échelle accrochée à l'intérieur. Tu pourras descendre par là et sortir du manoir. Bonne chance et bonne fin de jeu. N'oublie pas ton cadeau en passant. Je t'embrasse et je t'aime. Papa.
Christine referma le cahier. L'homme s'apprêtait à monter par les échelons en fer menant au faîte du toit. La jeune fille aperçut une lucarne sur l'autre versant de la toiture. Avançant à califourchon sur le faîtage, elle parvint au niveau de cette fenêtre.
Elle se laissa glisser sur sa salopette comme sur un toboggan et parvint à la traverse supérieure. Elle s'y accrocha avec les doigts. Souple, elle atteignit la tablette inférieure. Elle regarda et découvrit un immense grenier. Fléchissant les genoux, s'arc-boutant, elle se retourna et se laissa tomber sur le sol en planches dans les combles.
L'homme devenu fou fit à ce moment demi-tour et entra dans l'une des chambres du premier étage. Il comptait certainement monter par l'escalier en bois et rejoindre Christine dans le grenier.
Notre amie venait d'apercevoir la grande armoire que le papa de Déborah décrivait dans le cahier. Elle y courut. Au centre d'un panneau en marqueterie se trouvaient trois serrures.
Christine saisit la clé bleue. En tâtonnant, elle essaya à gauche puis à droite, la clé bleue s'introduisit facilement. Elle sortit la clé jaune et la clé verte de sa poche. Elle parvint à les glisser l'une à gauche et l'autre en-dessous en triangle. Alors, tournant les trois clés, elle vit s'ouvrir le panneau, découvrant derrière lui une double porte en bois munie d'une serrure en or.
Christine saisit sa clé d'or et ouvrit. Cela menait à un puits profond et tout noir. Le long de cette cheminée courait une échelle aux échelons en fer rouillé. Notre amie, transpirant de peur, se retourna car elle venait d'entendre un grincement derrière elle. L'homme aux yeux fous entrait dans la pièce et marchait vers elle.
Elle n'hésita pas une seconde. Elle se glissa par l'ouverture et descendit les échelons le plus vite qu'elle pouvait. L'homme courut jusqu'à l'armoire, pencha la tête, mais renonça à la suivre.
-Tu crois te sauver par là, cria-t-il. Tu ne m'échapperas pas. Tu vas mourir noyée comme un rat.
Christine continuait à descendre le long de l'échelle. Soudain, elle aperçut un paquet brun accroché à un échelon. Elle vit quelque chose écrit en grosses lettres au marqueur noir. Elle parvint à lire malgré la demi-obscurité. « Ton cadeau, Déborah ». Elle empoigna le paquet et continua sa descente.
Elle arriva au bas de l'échelle. Là, se trouvait un long souterrain qu'elle ne put suivre qu'à quatre pattes. Il n'était pas assez haut pour s'y tenir debout. Elle remarqua une lueur à trente ou quarante mètres.
Christine, toujours à quatre pattes, passait dans des flaques et se rendit compte que ce souterrain pouvait parfois être inondé d'eau. Tant pis pour la salopette et ses baskets. Elle continua courageusement sa lente progression sur le sol boueux.
Soudain, elle vit de l'eau couler sur le plan incliné où elle se trouvait. Le niveau montait asssez vite. Se retournant, elle comprit qu'elle était tombée dans un nouveau piège. Elle risquait d'être noyée comme un rat dans son tunnel.
L'homme fou s'était précipité dans la cuisine de son manoir. Là, il avait baissé un levier. Ce levier commandait une réserve d'eau qui, à présent, s'engouffrait dans le souterrain et coulait vers le bassin d'eau à l'extérieur, celui dans lequel se trouvait le dragon sculpté.
Christine, toujours à quatre pattes, mais à présent le ventre sous la surface de l'eau, parvint tout près de la sortie du passage. Là elle fut arrêtée par une grille fermée à clé. Affolée, elle secoua la grille de toutes ses forces. Elle ne parvint pas à la faire bouger.
L'eau froide montait. Il ne restait plus que vingt centimètres entre le plafond et la surface. Elle devait lever la tête vers le haut pour respirer. Elle plongea la main dans sa poche et en sortit la clé rouge, la dernière. Malheureusement, à cause d'un geste maladroit, dans sa précipitation, elle la laissa tomber dans l'eau. Le courant l'emporta lentement.
La jeune fille, plongeant la tête et ouvrant les yeux, aperçut la clé déjà de l'autre côté de la grille, entraînée par le flux. Elle tendit la main entre les barreaux et put la saisir juste à temps.
L'eau atteignait presque le plafond, à présent. Christine prit une profonde inspiration, plongea de nouveau, introduisit la clé dans la serrure, tourna et ouvrit la grille.
Elle nagea les deux mètres qui restaient en apnée et ressortit dans le bassin où se trouvait le dragon.
Pendant ce temps-là, le malade fou se changea. Il revêtit une armure en fer, comme au Moyen-Âge. Il saisit une longue épée, et, sortant par la grande porte du manoir, il se rendit au jardin.
Il pleuvait. Un violent orage venait d'éclater. Les éclairs zébraient le ciel noir. Trempée comme elle l'était, cela ne changeait pas grand-chose pour notre amie. Elle sortit rapidement de l'eau dans laquelle elle baignait avec la statue du dragon et courut vers la grille pour quitter la propriété.
Un nouvel éclair déchira le ciel et un violent coup de tonnerre retentit. L'homme revêtu de l'armure courait derrière Christine. Il se trouvait à cent mètres mais il prit un raccourci pour atteindre la grille avant elle.
Se cacher pour lui échapper. Notre amie aperçut un large et profond massif de plantes. Elle s'y précipita, rampant dans la terre et la boue. Elle parvint à s'y dissimuler.
L'homme regarda, tourna, cria, hurla, puis fit demi-tour. Il ne l'avait pas aperçue. Notre amie ne l'entendit plus. Peut-être se cachait-il pas très loin… Prudence.
Le cœur battant, elle écouta et attendit en silence sous les plantes. Après quelques minutes, trempée de pluie, dégoulinante de boue, assourdie par l'orage qui s'acharnait, elle sortit de sa cachette. Elle fit quelques pas hésitants.
Se tournant, elle aperçut le malade debout sur la tête du dragon à trois mètres de hauteur. Il observait le jardin, la main en visière et cherchait la jeune fille. Elle courut vers les grilles monumentales.
Soudain, un éclair déchira le ciel. Christine se retourna, saisie. Elle le vit tomber sur l'individu et sur la tête du dragon. Inconscient, vêtu de son armure, tenant l'épée tendue vers le ciel, menaçant notre amie, il attirait ainsi la foudre vers lui. Il s'affaissa et disparut dans l'eau de la piscine.
Épouvantée, les yeux grands ouverts, les tresses collant à sa peau, le visage ruisselant, notre amie regarda, sidérée, autour d'elle. Plus rien ne bougeait.
Elle fit quelques pas, curieuse, pour l'apercevoir. Elle s'approcha et s'arrêta au bord de la piscine. L'homme, alourdi par son armure, gisait sur le dos au fond de l'eau.
Soudain, il ouvrit les yeux. La jeune fille hurla. Mais juste à ce moment-là, il mourut.
Christine, sans demander son reste, courut sous la pluie vers la grille, l'ouvrit et se précipita vers la maison de la sorcière.
Elle se jeta en pleurant dans les bras de la maman de Déborah.
-Mon Dieu, ma chérie, que t'arrive-t-il ? Te voilà toute pâle.
-Quelle horreur! madame. Quelle horreur ! sanglota Christine. L'homme se trouvait chez lui, malgré les grilles fermées. L'artiste était devenu fou et il me poursuivait. Il voulait me tuer. Il tenait un couteau et une hache. Il brandissait une épée. Horrible, madame. J'ai eu affreusement peur. Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie.
La dame, confuse, expliqua à notre amie qu'elle n'avait jamais eu l'intention de la faire participer à ce jeu en présence de cet homme. Elle ne savait pas que l'artiste revenu chez lui était malade. Elle ne savait pas qu'il se terrait dans sa maison à l'abri des regards du monde et des gens, qu'il croyait, dans sa folie, tous et toutes en colère contre lui.
Le papa de Déborah ne prévoyait sûrement pas un jeu aussi horrible pour sa fille. Il voulait simplement organiser une exploration dans la maison insolite de son ami pendant son absence.
Lors des jeux de piste, il suivait toujours sa petite fille discrètement, à distance, pour veiller au bon déroulement des aventures. Ici, notre amie se trouvait seule…
-Ma pauvre Christine, murmura la mère de Déborah en la serrant dans ses bras, je suis désolée.
-C'est fini, affirma notre amie, retrouvant son cran et son calme. Maintenant, près de vous, je suis rassurée.
-Que tiens-tu sous ton bras ? demanda la dame.
-Le cadeau pour Déborah. Il se trouvait le long de l'échelle du puits. S'il vous plaît, je vous le remets.
La femme palpa un instant le paquet brun.
Christine ôta sa salopette trempée. Ses tennis boueuses séchaient près de la cheminée où brûlait un grand feu.
-Ma chérie, je pense que tu mérites mille fois ce présent. Je crois m'en souvenir. Ma petite Déborah ne pourra jamais porter ce cadeau. Elle n'aura jamais dix ans. Prends-le.
Notre amie, assise près du feu, déballa le paquet, coupant la ficelle avec son canif, puis elle l'ouvrit. Elle découvrit une salopette rouge, des baskets rouges et une casquette rouge. Le tout exactement à sa taille.
-C'est pour toi, sourit, émue, la maman de Déborah.
Christine s'habilla en rouge et se trouva très jolie dans ses nouveaux vêtements. Elle arrangea ses deux tresses encore humides, et emportant dans un sac ses vieux habits sales, elle reprit la route de son foyer où ses parents l'attendaient.
Retrouve Christine dans la prochaine aventure. ( 3e sur 3). Mais là, ne crains rien. Tu n'auras pas peur et le récit est très beau... Christine 14 : Le garçon qui se taisait.