N°63
L'été brillait de tous ses feux.
Mathieu, le grand ami de Christine, il a dix ans comme elle, passait quelques jours de vacances chez sa tante Rosa, maman du charmant petit Quentin, âgé de cinq ans. Notre amie était invitée, pour leur plus grand bonheur à tous trois.
Parfois, les deux grands partaient à pied ou à vélo explorer les environs.
Au cours d'une de leurs expéditions, ils découvrirent une étrange propriété. Elle était entourée de hauts murs. Une monumentale grille, souvent fermée, y donnait accès. Une ancienne porte, plus étroite, était murée, ce qui ajoutait un côté mystérieux à l'endroit et aiguisait leur curiosité.
Nos amis interrogèrent la tante Rosa.
Elle leur expliqua qu'autrefois un vieil homme habitait un manoir, situé au milieu de ce domaine. Mais il était décédé depuis quelques mois. Ce lieu, depuis, semblait à l'abandon.
Christine et Mathieu, aussi impatients l'un que l'autre, y retournèrent le lendemain.
Longeant les hauts murs, ils découvrirent un endroit couvert de lierre. Mais ces plantes grimpantes cachaient une assez large fissure, permettant de se glisser en écartant un peu les branches.
- On explore ? proposa Christine.
- -Oui, répondit le garçon. Jouons aux aventuriers. Espérons qu'on ne rencontrera pas un gros chien...
Ils se faufilèrent, passant l'un derrière l'autre et s'arrêtèrent sous des grands arbres.
Le manoir leur apparut, imposant, avec sa tour ronde, ses murs en pierre grise, ses fenêtres protégées par des grilles au rez-de-chaussée.
La porte d'entrée était entrouverte. Les deux amis s'approchèrent.
Ils entendirent soudain une voix derrière eux.
- Que faites-vous là ?
Se retournant, ils virent une fille de leur âge. Elle était pieds nus et vêtue pauvrement mais proprement d'une salopette délavée et rapiécée.
- Bonjour, fit notre amie. Comment t'appelles-tu ?
- Énéa. Et toi ?
- Christine. Et lui, c'est Mathieu. Tu habites ici ?
- Non, je suis venue comme vous en me glissant par la fente du mur. Je passe souvent ici. Un monsieur habite ce manoir, mais il est rarement là. C'est un pilote d'avion. Je le vois parfois dans son bel uniforme. Je l'observe en me mettant derrière un arbre. Je voudrais qu'il soit mon papa ou au moins mon parrain.
- Pourquoi dis-tu ça ? demanda Christine.
- Je suis orpheline. Mes parents sont morts. Je vis chez mon grand-père.
Les trois enfants s'observaient en silence.
- On joue à cache-cache ? proposa tout à coup Énéa.
- Bonne idée, fit Mathieu. Je compte jusque cinquante. Allez-y, mais restez dans le parc.
Un peu plus tard, la jeune fille suggéra a de se déplacer et de continuer le jeu dans le manoir.
- Le pilote d'avion n'est pas là, dit-elle.
Ils entrèrent.
L'intérieur, très soigné, regorgeait de riches tapis et de meubles de luxe. Nos deux amis n'étaient pas trop rassurés de se trouver là.
Un moment, Christine devait compter à son tour, elle se tourna contre une belle cheminée à feu ouvert et observa un cadre. On y voyait un homme, en uniforme, tenant une fillette par la main. Il était écrit : Énéa et son papa. Un bandeau noir, placé en oblique barrait une partie de la photo. Notre amie comprit que cela signifiait que cette petite fille était morte. Mais ce n'était pas l'Énéa qui jouait avec eux pour l'instant.
Nos amis furent soudain surpris d'entendre une voiture qui arrivait. Ses pneus crissaient sur les cailloux de l'allée. Elle s'arrêta devant le manoir.
Les trois enfants se précipitèrent dehors, mais trop tard.
Un homme, habillé en pilote d'avion sortit du véhicule. Il les apostropha tous les trois.
- Que faites-vous là? lança-t-il.
Puis sans attendre leur réponse, il les chassa.
- Vous avez dû passer par le trou du mur. Mais on vient le réparer demain. Et maintenant filez. Les grilles sont ouvertes.
En s'encourant, Christine glissa à Mathieu que pour Énéa et son nouveau papa ou parrain, ce n'était pas gagné...
Quelques jours plus tard, la tante Rosa chez qui nos amis passaient encore quelques jours, les invita en compagnie de Quentin à assister à un spectacle du cirque installé de l'autre côté du village.
Tous se réjouissaient.
Ils prirent place dans la grande tente aux lignes rouges et bleues et la représentation commença.
Les acrobates impressionnèrent particulièrement Mathieu. Il se promit d'essayer de les imiter avec son amie dans le jardin de Tante Rosa.
Les clowns firent bien rire Quentin.
Christine s'émerveilla en admirant des petits écureuils dansant au son d'une flûte.
Puis monsieur Loyal, le présentateur, annonça :
- Maintenant, mesdames, messieurs et les enfants, voici celle que vous attendez toutes et tous. Avec son cheval blanc et sa corde à sauter, voici l'extraordinaire Maïlis.
Roulements de tambours.
Un cheval blanc apparut et se mit à trotter gentiment autour de la piste.
Puis arriva la jeune fille.
Nos amis, très étonnés, reconnurent aussitôt Énéa !
Elle portait une salopette d'un blanc éclatant et avança, pieds nus, au milieu de l'espace.
Elle s'inclina pour saluer le public.
Puis elle courut près du cheval et bondit souplement sur son dos. Il n'y avait pas de selle. Elle montait à cru.
Elle fit un premier tour de piste puis se mit à genoux sur le dos de sa monture.
Elle se redressa après un nouveau tour de piste, et se tenant debout, saisit une corde dans la poche arrière de sa salopette et se mit à sauter à la corde sur le dos du cheval qui continuait à trotter autour de la piste sous un tonnerre d'applaudissements et de hourras.
La foule des spectateurs était debout.
Puis la jeune fille bondit à terre et salua avant de partir.
Nos amis, ébahis, décidèrent d'aller la féliciter après le spectacle.
Ils quittèrent la grande tente et se dirigèrent vers les roulottes. On leur indiqua la dernière, une petite caravane bien modeste.
Ils frappèrent à la porte.
Énéa apparut vêtue de sa vieille salopette rapiécée et toujours pieds nus.
Elle expliqua que ses parents, des acrobates, étaient morts voilà un an, et que son grand-père, un ancien artiste lui aussi mais trop vieux et malade à présent pour présenter un numéro était toléré grâce à elle et son spectacle avec le cheval blanc que la famille du cirque lui prête les soirs de représentation.
Nos deux amis lui promirent de se revoir puis retournèrent chez la tante Rosa.
- Je voudrais bien aider Maïlis, dit Christine au moment de s'endormir dans le lit à côté de son ami.
- Moi aussi, répondit Mathieu, mais je ne vois pas comment faire. Le pilote d'avion l'a chassée de sa propriété.
- J'ai peut-être une idée...
- Comment cela ?
- Il faudrait réussir à organiser une vraie rencontre. Si cet homme, sans doute très malheureux après la mort de sa petite Énéa, pouvait connaître la situation de Maïlis, peut-être accepterait-il de devenir son parrain. On pourrait acheter une place pour le spectacle du cirque ce samedi, et la glisser dans une enveloppe avec une lettre explicative.
- Bonne idée, répondit Mathieu. On s'en occupera dès demain. Espérons seulement que samedi, il ne pilotera pas un avion à l'autre bout du monde.
Le lendemain nos amis achetèrent un ticket, un premier rang.
Puis ils écrivirent :
Monsieur le pilote,
Voici une place pour le spectacle du cirque de ce samedi. Vous y verrez Maïlis. Elle est orpheline. Elle vit avec son grand-père, un ancien acrobate, et rêve de vous avoir comme parrain. Elle n'ose pas vous le dire. Elle ne sait rien de notre démarche. Elle nous a prétendu s'appeler Énéa la première fois que nous l'avons rencontrée car elle voudrait un jour devenir votre nouvelle Énéa. Nous sommes deux enfants, amis de cette courageuse jeune fille. Christine et Mathieu.
Nos amis placèrent leur lettre avec le ticket du cirque dans une enveloppe qu'ils fermèrent puis allèrent glisser dans la boîte aux lettres du manoir.
Le samedi suivant, ils demandèrent à la tante Rosa la permission de retourner assister au spectacle du cirque. Elle accepta, mais les avertit qu'ils verraient sans doute les mêmes numéros.
Ils prirent place sous la grande tente, parmi la foule qui s'installait et observèrent avec attention et inquiétude le siège qui restait libre au premier rang.
L'orchestre entama un premier air entraînant lorsque le pilote arriva et prit place à son tour.
Enfin, monsieur Loyal annonça comme l'autre fois:
- Maintenant, mesdames, messieurs et les enfants, voici celle que vous attendez toutes et tous. Avec son cheval blanc et sa corde à sauter, voici l'extraordinaire Maïlis.
La jeune fille arriva pieds nus, vêtue de sa magnifique salopette blanche. Elle sauta à la corde tandis que le cheval blanc trottait. Puis elle bondit avec souplesse sur son dos, s'assit a cru, puis se mit debout et sauta à la corde sous un tonnerre d'applaudissements.
Le pilote, debout comme les autres spectateurs, lançait des bravos et des hourras.
Maïlis retourna sur la piste et vint saluer et s'incliner juste devant cet homme, comme s'il n'y avait que lui au milieu de la foule.
Puis elle disparut en courant à côté du cheval blanc.
Nos amis suivirent discrètement le pilote en sortant de la tente du cirque. Il se dirigea vers les roulottes et se fit indiquer celle de Maïlis.
Il frappa à la porte.
La jeune fille apparut dans sa salopette rapiécée.
Il entra et resta un long moment auprès du grand-père.
Nos deux généreux aventuriers se précipitèrent auprès de leur amie.
- Moi, dit Christine, on me traite parfois de sauvageonne. Je grimpe aux arbres comme un écureuil, je nage, vêtue comme toi dans les étangs et les rivières, sans me soucier de mon apparence de garçon. Mais je n'oserais jamais tenter ce que tu réussis sur le dos de ton cheval blanc. Je t'admire.
La porte de la petite roulotte s'ouvrit enfin.
Le grand-père se tenait debout, à côté du pilote d'avion. Il appela sa petite fille.
- Ce monsieur veut devenir ton parrain, ma chérie. Nous allons quitter cette caravane et aller vivre avec lui au manoir. Mais tu pourras continuer à venir t'entraîner tous les jours et effectuer ton numéro éblouissant. Qui sont tes vrais amis qui ont invité ce monsieur à venir t'applaudir ?
Christine et Mathieu s'approchèrent et virent saluer.
- Je vous ai vus l'autre jour dans ma propriété, fit l'homme. Mais rassurez-vous, vous pourrez y jouer autant que vous voudrez avec ma filleule. Passez par les grilles à l'avenir et plus par le mur... Je vous félicite. Vous êtes de fameux aventuriers, mais surtout, je vous dis merci, merci, pour le bonheur que vous m'apportez en me faisant rencontrer ma nouvelle Énéa.
Tous se serrèrent la main puis se prirent dans les bras avec émotion. Le pilote avait les larmes aux yeux.
Maïlis était radieuse.
Et son grand-père souriait.