N°61
Pour bien profiter de cette belle aventure, découvre ou relis d'abord l'épisode précédent : Isabelle fille de pirate - Greg le pirate au n°60.
Isabelle allait s'endormir. Grand-mère Élodie, chez qui elle passait quelques jours, venait de l'embrasser, d'éteindre la lumière et de fermer la porte de la chambre. La gentille dame retourna au salon regarder la télévision.
Quelques minutes plus tard, notre amie entendit qu'on l'appelait par son nom.
- Isabelle! Isabelle!
Elle se leva et ouvrit la porte. Édouard descendait l'escalier qui menait au grenier. Le mousse Édouard!
- Isabelle, dit-il, il faut que tu viennes sur le bateau de Greg, ton papa au temps des pirates des Antilles. Je suis venu te chercher avec ta bague que tu m'avais laissée en quittant le bateau. Morgan le borgne n'est pas mort!
- Mais, je croyais que son navire avait coulé. Greg a tiré dessus avec ses canons.
- Oui, mais Morgan et six de ses hommes se sont accrochés à une planche qui flottait sur l'eau, expliqua le garçon. Ils ont attendu la nuit, et à ce moment, ils nous ont surpris pendant qu'on dormait. Ils nous ont tous ligotés avec des cordes.
La fillette écoutait horrifiée, le récit de son ami.
- Alors, poursuivit Édouard, Morgan a demandé à ses hommes de te chercher. Ils n'ont pas pu te trouver puisque tu es chez ta grand-mère. Morgan a crié. "Où est cette sale gamine qu'on appelle Isabelle. Je la veux ici, tout de suite, sinon je vous jette tous aux requins".
- Un de nos pirates a même dit : "Chef, les pauvres requins, ils ont déjà mangé des hommes de Morgan et maintenant ils vont devoir nous manger nous. Ils vont être malades".
- Cet homme est fort, mais il est bête.
-J'ai levé le doigt et j'ai dit que je savais où te trouver. Et il m'a envoyé te chercher. Viens, sinon on va tous mourir.
Isabelle monta au grenier avec son copain. Elle ne prit même pas le temps de se changer en pirate. Elle enfila vite sa salopette en jean et resta pieds nus.
Elle glissa la bague de pirate qu'Édouard lui avait rendue à son index. Elle tourna la tête de mort vers le haut. Elle se retrouva avec son copain sur le bateau de Greg.
- Ah! la voilà cette sale gamine, s'écria Morgan le borgne en voyant notre amie.
Elle tremblait de peur. Elle se cala contre son copain.
- À présent, vous allez tous sauter à l'eau, poursuivit le méchant pirate. Greg, je garde ton bateau, avec ton trésor et le mien au fond de la cale. L'île n'est pas loin, vous allez nager jusque-là.
Les cordes furent coupées et les hommes de Greg furent obligés de sauter à la mer du haut du bastingage.
- Toi aussi tu sautes, cria Morgan d'une voix mauvaise à notre fillette.
Isabelle, debout, prête à sauter, regarda en bas. C'était haut!
Mais une fille de pirate a-t-elle peur de sauter à l'eau, même de si haut? Non! Et toi, tu oserais? Oui? Bravo!
Elle sauta.
Greg la prit sur son dos et ils nagèrent tous jusqu'à la plage.
Ils sortirent de l'eau trempés et désespérés. Ils avaient tout perdu : pièces d'or, armes, nourriture. Et sur l'île du crâne on ne trouvait rien à manger. On n'y voyait plus d'iguanes et les noix de coco n'étaient pas mûres à cette saison.
- Qu'allons-nous devenir? se demanda tout haut Greg le pirate.
Tous regardaient leur bateau, volé par Morgan le borgne, et qui s'éloignait, toutes voiles dehors sous le soleil. Il doubla la pointe de l'île.
- Qu'allons-nous devenir? répéta Greg.
Les pirates hésitaient.
- Grimpons au sommet de l'île, proposa l'un d'eux. Nous apercevrons peut-être un bateau espagnol ou anglais, ou avec un peu de chance, une autre île, qui elle, serait habitée.
Ils suivirent le cours d'un torrent qui dévalait entre les arbres de la jungle. Souvent les cascades les arrosaient. Les pierres du lit de la rivière, tranchantes ou pointues, blessaient les pieds nus d'Isabelle.
Mais une fille de pirate se plaint-elle car elle a mal aux pieds? Non! Et toi, tu te plaindrais? Non? Bravo!
Ils se hissèrent au sommet des rochers après des heures d'efforts. Greg portait notre amie sur le dos pour l'aider.
Une fameuse surprise les attendait...
Ils aperçurent leur bateau, à l'arrêt, dans une crique paisible de l'autre côté de l'île.
- Tiens! Pourquoi Morgan le borgne n'est-il pas parti? Que se passe-t-il dans la tête de ce toqué? dit Greg. Il faut le savoir.
Le pirate désigna deux de ses amis.
- Descendez sans vous faire repérer jusqu'à la plage et nagez jusqu'au navire. Escaladez-le et tâchez de savoir ce qui se passe. Je me méfie de ce tordu.
Les deux hommes se glissèrent entre les rochers. Ils traversèrent une zone de marécage et de boue, puis rampèrent sur le sable de la plage. Ils entrèrent dans l'eau.
Ils nagèrent, silencieux comme des poissons, et atteignirent le bateau, le bateau de Greg volé par Morgan.
Les deux pirates s'accrochèrent à la coque et réussirent à escalader l'arrière du navire. Ils parvinrent près d'une fenêtre ouverte. Celle de la cabine où se tenait Morgan le borgne. Les deux hommes de Greg surprirent la conversation.
- Chef, pourquoi ne partons-nous pas?
- Parce que je ne suis pas content.
- Pourquoi n'es-tu pas content? Nous avons leur bateau et les deux trésors. On est libres et riches.
- Je ne suis pas content, expliqua Morgan le borgne, car nous n'avons pas appliqué la loi des pirates.
- C'est quoi, la loi des pirates? demanda un des hommes.
- Quand on gagne une bataille, on tue tous les ennemis. Je regrette de leur avoir permis de partir sur l'île. Demain nous irons à terre, nous les retrouverons et nous les tuerons tous.
Les deux hommes de Greg en avaient assez entendu. Ils retournèrent dans l'eau et nagèrent vers la plage. Ils remontèrent dans les rochers et s'approchèrent de Greg.
- Ils veulent tous nous tuer demain.
- Comment allons-nous nous défendre? fit le chef pirate. Nous ne possédons plus aucune arme, pas même un couteau.
- Moi je sais où trouver des couteaux, intervint Isabelle.
- Tu connais cette île? demanda Greg.
- Non, mais il y a des couteaux dans le tiroir de l'armoire de la cuisine de ma grand-mère Élodie, et avec la bague, je peux aller les chercher.
- Génial! Je viens avec toi.
- Moi aussi, ajouta Édouard.
Notre amie tourna la bague autour de son doigt et plaça la tête de mort vers le bas. Ils se retrouvèrent aussitôt dans le grenier de la vieille dame.
- Venez, dit Isabelle, suivez-moi dans l'escalier, mais ne faites pas de bruit, il ne faut pas que ma grand-mère vous entende. Elle pourrait s'effrayer.
Ils parvinrent dans le hall de la maison. La fillette les emmena dans la cuisine. La dame regardait un film à la télévision, un film de pirates. Si elle s'était retournée, juste à ce moment, elle en aurait vu un vrai passer derrière elle.
Isabelle ferma la porte de la cuisine et ouvrit un tiroir de l'armoire.
- Voilà, dit-elle. Les fourchettes, les cuillères et les couteaux.
Greg prit les vingt-cinq couteaux pointus et à dents rangés près des fourchettes, puis il remarqua le grand couteau dans l'évier.
- Celui-là sera pour moi, dit-il, il est magnifique.
Ils remontèrent tous trois et sans bruit au grenier. Notre amie remit la tête de mort de la bague vers le haut. Ils se retrouvèrent dans les rochers de l'île, parmi les pirates de Greg.
- Voilà deux couteaux pour chacun de vous, fit leur chef. Vous êtes douze, cela fait vingt-quatre en tout. Il en reste un. Il sera pour toi, Édouard. Tu vas protéger Isabelle. Et maintenant mes hommes, en route pour notre bateau que Morgan nous a volé. N'attendons pas le lever du soleil. Allons-y et finissons-en avec ces pirates.
Ils descendirent de rocher en rocher et passèrent dans la boue des marais. C'était sale et infesté de vase gluante et pourrie de poissons morts, de moustiques et de plantes moisies.
Notre amie hésita à se plonger là-dedans avec les autres.
Mais une fille de pirate a-t-elle peur de se salir dans la boue? Non! Et toi, tu oserais sauter là- dedans? Oui? Bravo!
Ils parvinrent sur la plage.
- Édouard et Isabelle, vous restez ici, fit Greg. Cachez-vous derrière les palmiers. Vous mes hommes, suivez-moi. Nageons jusqu'au bateau.
Les pirates entrèrent dans l'eau, silencieux comme des crocodiles filant vers leurs proies. Ils arrivèrent près du navire.
- Six hommes à bâbord, six hommes à tribord, commanda leur chef.
Ils escaladèrent la coque du bateau et passèrent à l'assaut. Ce fut vite fait. En quelques minutes, ils reprirent leur vaisseau et jetèrent les six associés de Morgan le borgne aux requins.
Un des hommes de Greg dit à son chef :
- Les pauvres requins, ils ont déjà mangé des hommes hier, ils vont en manger encore aujourd'hui. Ils vont être malades.
- Cet homme est fort, mais il est bête.
Cependant Morgan le borgne demeurait introuvable. On fouilla le bateau, il n'y était plus.
Isabelle et Édouard avaient désobéi à Greg. Ils étaient restés sur la plage, au lieu de se cacher, comme il le leur avait demandé.
Voyant qu'il perdait la bataille, Morgan, qui les avait aperçus, avait plongé dans la mer et nagé vers eux. Ayant pris pied sur le sable, il s'approcha des enfants par derrière et bondit comme un tigre sur Édouard. Le pirate lui arracha son couteau.
- Maintenant avancez droit devant vous, ordonna Morgan le borgne, vous êtes mes prisonniers.
Les deux enfants marchèrent sur le sable pendant près d'un kilomètre, puis le méchant homme les fit entrer dans la jungle et escalader des rochers jusqu'à une petite cabane en planches isolée au milieu d'une clairière.
Là, il ficela Édouard comme un saucisson, puis il le jeta à terre et le poussa à coups de pied dans un coin de la cabane.
Puis il ligota Isabelle de la même manière. Notre pauvre amie reçut elle aussi des coups de pied et se retrouva couchée contre un mur dans un autre coin.
Morgan le borgne sortit alors de la petite maison et attendit l'arrivée des pirates.
Ne trouvant pas Morgan sur son bateau, Greg scruta la plage qui sortait doucement des brumes de la nuit. Il ne vit ni Isabelle ni Édouard. Ses hommes et lui commencèrent à craindre le pire.
- Vous six, venez avec moi, ordonna leur chef. Les autres, vous gardez le navire.
Les six pirates désignés plongèrent avec Greg et nagèrent jusqu'à la plage. Ils appelèrent les deux enfants, mais personne ne répondit.
Ils aperçurent alors des traces de pas dans le sable. Les empreintes des petits pieds nus d'Isabelle, des autres un peu plus grandes, celles d'Édouard, et celles encore plus grandes, laissées sans doute par Morgan.
Les pirates suivirent les traces de pas. Le soleil se levait à l'horizon.
Quand les empreintes tournèrent court, car les enfants étaient entrés dans la jungle, elles disparurent presque aussitôt. Un des hommes de Greg affirma qu'une vieille cabane se trouvait là plus haut, dans une clairière cachée par des herbes et des arbres. Tous entreprirent d'escalader, silencieux comme des chats.
Morgan le borgne attendait devant la porte, au soleil, un couteau à la main.
- Tu approches, Greg, et je tue ta fille.
Que faire? se demanda le chef pirate.
Il voulait bondir et se battre, mais Morgan risquait de blesser ou tuer Isabelle.
- J'échange ta fille contre les deux trésors, dit le borgne.
Pendant ce temps, dans la cabane, couchée dans la poussière, Isabelle essayait de tourner la bague à tête de mort vers le bas, afin de retourner chez sa grand-mère. Mais les cordes la serraient si fort qu'elle ne réussissait pas à l'atteindre avec ses doigts.
- Édouard.
- Oui.
- Ne peux-tu pas ramper jusque près de moi? Tu feras tourner ma bague avec tes doigts et on se retrouvera au grenier de ma grand-mère. Je sais qu'elle y garde une scie. On pourra couper nos liens.
Hélas le garçon ne pouvait même pas bouger. Ses cordes étaient très serrées également.
Isabelle se tortillait comme un ver de terre.
Elle hésita un instant en voyant le sol boueux de la cabane.
Mais une fille de pirate a-t-elle peur de ramper dans la crasse? Non! Et toi, tu oserais? Oui? Bravo!
Elle se glissa vers son copain et arriva, après bien des efforts, à sa hauteur. Le garçon fit doucement tourner la bague magique autour du doigt de son amie. Ils se retrouvèrent au grenier de grand-mère Élodie.
Ils se déplacèrent, rampant et se tortillant comme ils pouvaient, jusqu'à la scie près d'un vieux coffre. Édouard coupa ses liens puis libéra son amie.
Elle voulait retourner tout de suite vers Greg, mais le garçon conseilla d'attendre une heure, pour qu'on en ait fini avec Morgan le borgne.
Pendant ce temps, Greg le pirate observait toujours son ennemi. Il le vit entrer dans la cabane, sans doute pour vérifier l'état de ses prisonniers, et puis ressortir étonné. Il y avait de quoi : Isabelle et Édouard le mousse n'étaient plus là.
Greg, scrutant le visage de Morgan, comprit.
Il bondit sur le borgne et le saisit par le cou. Greg leva bien haut le long couteau pris chez la grand-mère d'Isabelle et le planta profondément dans le cœur de Morgan le borgne, qui s'écroula mort à ses pieds.
- Jetez-le aux requins, commanda Greg.
- Mais chef, dit un des hommes, les pauvres requins ont déjà mangé tous les autres. Ils vont être malades. ils mangent trop!
Cet homme-là est fort, mais il est bête.
Ils regagnèrent leur bateau.
Une heure avait passé. Isabelle tourna la tête de mort de la bague vers le haut et se retrouva sur le navire avec Édouard.
Greg prit la parole.
- Isabelle, dit-il, tu es une fillette courageuse et débrouillarde. Mais ta place n'est pas sur ce bateau. Nous sommes des pirates. Nous allons de bataille en bataille. Ce n'est pas un endroit pour une petite fille. J'ai vu la maison de ta grand-mère. Tu y seras bien. Retourne chez elle.
Notre amie comprit que le pirate avait raison.
Elle voulut serrer la main de chacun des douze marins, mais tous la saisirent dans leurs bras à tour de rôle et l'embrassèrent. Certains de ces hommes rudes avaient même la larme à l'œil.
Greg serra Isabelle à son tour.
- Reviens nous voir dans quelques années. Quel bonheur de t'avoir rencontrée! Tu es une fillette admirable. Je suis fier de toi. Et tiens, prends ceci, c'est ta part du trésor. Tu l'as bien méritée.
Il remit un sac à notre amie. Il contenait des pièces d'or, des pierres précieuses, des diamants, des colliers de perles rares, des bracelets de prix.
- J'ai ajouté quelques pièces en or car ta grand-mère va devoir acheter des nouveaux couteaux!
Isabelle remercia, puis se tourna vers Édouard.
- Si tu veux, viens avec moi. J'ai déjà trois grands frères, alors un de plus ou un de moins... Tu m'accompagneras à l'école.
- Aller à l'école! s'écria Édouard, pas question! Et puis à quoi ça sert? Je sais compter mes pièces d'or jusque cent. C'est déjà bien assez.
Les deux enfants s'embrassèrent.
- Heureux de t'avoir rencontrée, Isabelle. Moi aussi j'espère te revoir un jour.
Notre amie regarda la mer des Antilles, les pirates, Greg, Édouard, les voiles blanches du bateau, le drapeau à tête de mort, le ciel bleu, le grand soleil. Puis elle tourna la bague.
Elle se retrouva dans le grenier de sa grand-mère.
Elle rangea la boîte qui contenait les affaires de pirate dans l'armoire, après y avoir glissé la bague, puis elle descendit doucement l'escalier.
Elle entra dans sa chambre et, bien fatiguée, elle se coucha et s'endormit.