N°60
Isabelle passait quelques jours chez sa bonne-maman, qu'elle appelle grand-mère Élodie. Celle-ci habite une belle vieille maison à la campagne.
C'était pendant les vacances. Il pleuvait sans cesse depuis hier. Notre amie s'ennuyait un peu. En début d'après-midi, elle décida d'aller explorer le grenier.
Isabelle a cinq ans et demi. De longues tresses blondes encadrent son visage rieur et descendent le long des bretelles de sa salopette bleue. Elle a trois grands frères, mais tu ne les verras pas dans cette histoire.
Elle monta l'escalier en bois et ouvrit la porte du grenier. Elle alluma la lumière. L'ampoule était cassée, mais il ne faisait pas tout noir, grâce à deux lucarnes situées dans le toit. Un peu de clarté du jour passait par là.
Notre amie ouvrit une grande armoire. Des vieux vêtements pendaient à des portemanteaux. Ils dégageaient une drôle d'odeur, sans doute de la naphtaline, un produit qu'on met parfois pour chasser les insectes.
Mais une boîte en carton brun intrigua la petite fille. Il ne fallait pas de clé pour l'ouvrir. Il suffisait de lever le couvercle, ce qu'elle fit.
- Oh! dit Isabelle.
Là se trouvait une tenue de pirate, juste à sa taille!
Elle ôta sa salopette et son t-shirt. Elle se mit pieds nus. Elle enfila un pantalon rouge, orné d'une ceinture noire et munie d'une grosse boucle en acier. Elle passa ensuite une chemisette à grosses lignes rouges et blanches.
Elle ne trouva pas de chaussures. Elle se pencha et aperçut un chapeau de pirate décoré d'une tête de mort. Elle le posa sur sa tête.
Regardant encore dans la boîte, elle découvrit une longue-vue. Elle la plaça contre son œil et observa autour d'elle, mais elle ne vit que les murs et les toiles d'araignées du plafond du grenier. Elle remit l'instrument en place.
Isabelle sortit alors un gros livre.
À la première page, un dessin magnifique montrait un bateau de pirates, aux mâts dressés vers le ciel et couverts de grandes voiles déployées. Un drapeau flottait au sommet du plus grand mât. Un drapeau avec une tête de mort.
La fillette tourna la page. On voyait le ciel bleu, la mer bleue, l'horizon, et un point noir sur cet horizon.
- Une baleine, se dit tout haut notre amie.
Quelques pages plus loin, deux bateaux à voile voguaient l'un vers l'autre.
- Dommage que je n'aie pas encore appris à lire, soupira Isabelle. L'histoire me semble passionnante...
Encore quelques pages et notre amie vit les deux bateaux, côte à côte, et les pirates, passés à l'abordage, s'entretuer en de violents combats.
À la dernière page du livre se trouvait le dessin d'une île étrange. Et au dos, un coffre au trésor fabuleux.
Isabelle s'apprêtait à remettre le livre à sa place dans la boîte de l'armoire du grenier de sa grand-mère, lorsqu'elle aperçut une bague tout au fond. Une bague en argent, surmontée d'une vraie tête de mort aux yeux noirs et creux.
Intriguée, notre amie l'observa un instant, puis elle la glissa à son index. Elle lui allait parfaitement. Elle la garda à son doigt, la tête de mort tournée vers le haut...
La fillette ressentit comme un vertige qui l'obligea à fermer les yeux un instant.
Quand elle les rouvrit, elle était pieds nus et dans sa tenue de pirate, sur le pont d'un bateau à voiles qui voguait sur la mer. Le soleil brillait. Il faisait chaud. Un drapeau flottait au sommet du grand mât, un drapeau à tête de mort!
Des hommes vêtus comme elle, s'affairaient un peu partout sur le pont du navire. L'un d'eux se retourna et observa notre amie.
- Isabelle!
Comment cet homme pouvait-il connaître son nom?
- Isabelle, c'est Isabelle! Venez tous. Greg! Greg notre chef, viens voir. Ta fille est là, parmi nous.
Un homme grand, musclé, torse nu, vêtu d'un pantalon rouge, avec ceinture et sabre accroché, s'avança vers notre amie. Il rassemblait ses longs cheveux bruns en une longue tresse, qui pendait sur son dos. Il saisit la fillette, la leva du sol, et la serra dans ses bras.
- Isabelle, ma fille! Je suis content de te voir! Sois la bienvenue sur mon bateau. Mes hommes, je vous la confie. Elle peut aller où elle veut sur ce navire. Protégez-la, c'est ma fille.
Notre amie songea que Greg devait être le grand-père du grand-père de son grand-père, un de ses ancêtres, pirate autrefois, dans la mer des Caraïbes, que l’on appelle aussi mer des Antilles.
Levant les yeux, elle aperçut un garçon d'environ douze ans. Il descendait du grand mât par une échelle de corde. Il s'approcha.
- Salut! Je m'appelle Édouard. Je suis un mousse sur ce navire.
- C'est quoi, un mousse? demanda notre amie.
- Un mousse, c'est un garçon ou une fille, encore trop jeune pour être un vrai marin, mais qui deviendra pirate plus tard. Tu grimpes avec moi là-haut?
Isabelle hésita. L'échelle de corde paraissait interminablement longue et haute, et le bateau bougeait au gré des vagues.
Mais une fille de pirate a-t-elle peur de monter à une échelle de corde? Non. Toi, tu oserais? Oui? Bravo!
Elle suivit Édouard jusqu'à la hune, cette petite terrasse étroite et ronde, qui se trouve en haut du grand mât et d'où on peut observer tout l'horizon.
Les deux enfants s'assirent, appuyés l'un contre l'autre.
Édouard saisit une longue-vue et scruta l'horizon.
- Rien en vue! cria-t-il aux hommes qui se trouvaient en bas sur le pont du navire. C'est mon travail, Isabelle. Je dois surveiller l'horizon, toutes les cinq minutes et avertir l'équipage si j'aperçois un navire ou une terre.
- Je peux regarder? demanda notre amie.
- Bien sûr. Tiens, dit-il, en lui mettant la longue-vue entre les mains.
Isabelle observa l'horizon à son tour. Elle vit un point noir droit devant elle.
- C'est une baleine? demanda-t-elle à Édouard.
- Impossible, les baleines ne vivent pas dans la mer des Antilles, répondit le garçon en reprenant la longue-vue.
Il observa à son tour.
- C'est une île... Non, ça bouge. C'est un bateau... Il vient vers nous... Je voudrais bien apercevoir son drapeau pour savoir si c'est un navire anglais ou espagnol. Attends... Le vent tourne. Holà! un pirate! Oh! c'est Morgan le borgne!
Le garçon cria.
- Morgan le borgne vient droit sur nous.
- C'est qui? demanda Isabelle.
- C'est le plus terrible pirate des mers. Greg, ton papa, nous l'admirons tous. Il nous mène de victoire en victoire. Il n'a peur de rien. Sa force est légendaire. Oui, il n'a peur de rien... sauf de Morgan le borgne. Viens, on descend.
Ils retournèrent tous deux par les échelles de corde sur le pont du navire.
Greg sortit de sa cabine. Il rassembla ses hommes.
- Morgan le borgne vient nous attaquer. Préparez-vous au combat, dit-il.
Les pirates se dispersèrent, puis revinrent, armés de sabres et de couteaux. Ils se rassemblèrent à nouveau sur le pont du bateau. Isabelle se trouvait parmi eux, près d'Édouard.
- Mes hommes, dit Greg, Morgan le borgne s'approche. Il va nous attaquer. Mais nous allons nous défendre, et nous allons gagner, car nous sommes les plus forts. Le combat sera dur. Mais à nous la victoire! Et songez, mes hommes. Songez qu'un jour vous serez devenus vieux. Alors vos petits-fils et vos petites-filles grimperont sur vos genoux et ils vous diront :
"Dis-nous, grand-père. Raconte encore quand tu as vaincu Morgan le borgne."
- Vous leur raconterez. Et vous verrez leurs yeux s'illuminer. Et vous ajouterez :
"J'y étais, avec Greg le pirate, et nous avons remporté la victoire."
- Alors vous serez fiers, mes hommes. Vous serez très fiers. Et cette fierté, vous allez la gagner maintenant, à mes côtés.
Voilà comment on parle à ses hommes!
- Qui conduira le navire pendant la bataille? demanda quelqu'un.
- Isabelle, répondit Greg, aidée par Édouard.
- Je ne suis pas trop petite? demanda notre amie. Quand on est dans l'auto, papa et maman ne permettent même pas que je touche le volant.
- Tu n'es pas trop petite, fit Greg le pirate. Mais attention, ne te trompe pas. En mer, on ne dit pas "à gauche" ou "à droite", on dit "bâbord" et "tribord", bâbord pour la gauche et tribord pour la droite.
Isabelle saisit la grande roue à multiples poignées qui servait de volant au bateau. Il fallait de la force, pour tenir le navire en droite ligne, mais Édouard l'aidait de son mieux.
Les deux vaisseaux voguaient l'un vers l'autre toutes voiles dehors. Le bateau de Morgan le borgne faillit éperonner celui de Greg. Mais le pirate commanda à notre amie de virer toute la barre à bâbord. Ce qu'elle fit. Les deux navires se croisèrent. Les hommes se lancèrent des cris de guerre.
Mais le bateau de Morgan le borgne était plus rapide que celui de Greg. Morgan fit demi-tour avec son navire, rattrapa celui de Greg et les deux vaisseaux voguèrent un moment l'un à côté de l'autre. Ils se rapprochaient de plus en plus.
Soudain, les coques se frôlèrent, et ce ne fut qu'un seul cri de part et d'autre.
- À l'abordage!
- Maintiens notre bateau contre celui de Morgan, Isabelle, cria Greg.
La bataille faisait rage à tous les endroits. Greg chercha Morgan et le trouva. Ils se battirent d'abord sur le pont même, puis sur le toit de la cabine de Morgan. Puis ils saisirent un cordage et passèrent sur le bateau de Greg. Morgan tomba en arrière en luttant dans l'escalier. Greg bondit sur son adversaire, le désarma et se redressant, posa son pied sur la tête de son ennemi.
- Victoire! Victoire!
Les hommes de Morgan baissèrent leurs armes qui furent aussitôt confisquées. On les conduisit dans la cale du bateau de Greg où on les enchaîna. Morgan fut solidement ligoté au grand mât.
- Surveillez-le bien, dit Greg à ses hommes. Et fixez une longue corde à la proue de son bateau. Il va nous suivre.
Puis se tournant vers Morgan :
- Où caches-tu ton trésor?
- Tu ne le trouveras jamais! cria le pirate.
- Si tu ne me dis pas immédiatement où tu caches ton or, je te crève ton deuxième œil.
- Bon, dit Morgan. Va sur l'île du Crâne. Mais tu ne le découvriras pas.
- Oh si! Je vais le trouver, car tu vas me conduire à ta cachette, si tu veux vivre, ajouta Greg.
Les deux bateaux, attachés l'un à l'autre, partirent.
Isabelle ne quittait plus Édouard le mousse des yeux. Lui non plus d'ailleurs, tous deux impressionnés par la présence si près d'eux du pirate ennemi.
Notre amie avait vraiment peur de Morgan le borgne. Chaque fois qu'elle passait près de lui, il lui lançait des vilains mots, avec un regard terrible. Il secouait les chaînes qui l'attachaient et murmurait :
- Je me vengerai, je me vengerai!
Après deux jours de navigation sans histoire, ils arrivèrent en vue de l'île du Crâne, couverte de végétation luxuriante. Les plages semblaient de sable fin et bordées de cocotiers.
Greg le pirate fit mettre une barque à la mer. On y descendit Morgan le borgne enchaîné.
- Tu viens avec nous sur l'île? demanda Greg.
- Oh oui! se réjouit Isabelle.
- Quatre hommes forts nous accompagnent, ainsi qu'Édouard le mousse.
Isabelle s'assit dans la barque, le plus loin qu'elle pouvait de Morgan. Les pirates saisirent les rames et firent avancer la chaloupe vers la plage.
Tout à coup, l'embarcation fut bloquée par la barrière de corail.
- Tout le monde à l'eau, commanda Greg.
Isabelle hésita. Cela semblait profond et elle allait avoir de l'eau jusqu'au cou.
Mais une fille de pirate a-t-elle peur de sauter dans l'eau, même tout habillée? Non. Toi, tu oserais? Oui? Bravo!
Elle sauta et accompagna les autres vers la plage.
- Il faut remonter le torrent vers les collines jusqu'à une cascade de cent mètres de haut, dit Morgan le borgne.
Tous entrèrent dans la rivière. Son lit était encombré de rochers de toutes tailles, qu'il fallait parfois escalader. Ils marchèrent dans le courant. Isabelle, sans cesse éclaboussée, glissait souvent dans l'eau malgré la main d'Édouard. Elle était pieds nus et les rochers lui faisaient mal.
Mais une fille de pirate se plaint-elle d'avoir mal aux pieds? Non. Toi, tu te plaindrais? Non? Bravo!
Greg s'en aperçut et la prit sur son dos.
Ils passèrent près d'un gigantesque rocher gris, haut comme une falaise. Trois grottes s'y étaient formées naturellement. Elles étaient bizarrement disposées dans la paroi rocheuse. Vues sous un certain angle, les deux plus hautes faisaient penser à deux yeux creux et la plus basse, au nez d'une tête de mort. Isabelle était impressionnée.
Une cascade tombait de cent mètres de haut dans un bassin circulaire bordé de rochers.
- Tu peux te baigner là avec Édouard, dit Greg. Mes hommes et moi allons descendre le coffre au trésor de Morgan.
Ils enchaînèrent le borgne au tronc d'un arbre mort.
Isabelle sauta dans l'eau, et ce fut une vraie partie de bonheur de jouer un instant là avec son copain.
Quand Greg revint avec le coffre, notre amie, curieuse, s'approcha avec Édouard.
Ils ouvrirent le trésor.
Quel spectacle! Il regorgeait de colliers de perles, de saphirs bleus, d'émeraudes vertes, de rubis rouges. Les diamants brillaient au soleil. Il y avait là de l'or et des couronnes, de quoi payer cent fois la rançon d'une reine ou d'un roi.
- On emmène tout avec nous, dit Greg. On fera le partage plus tard, quand on se sera débarrassés de Morgan le borgne.
Ils retournèrent au bateau.
Ils placèrent le trésor dans la cale, à côté du coffre contenant celui de Greg le pirate.
- Nous allons te laisser aller sur ton vaisseau, annonça Greg à Morgan. Toi et tes pirates. Mais avant cela, mes hommes, amusons-nous un peu. Sortons nos couteaux et déchirons les voiles de son bateau. Il n'avancera plus guère... On l'appellera Morgan la tortue, Morgan la limace!
Les hommes de Greg riaient et se moquaient.
- Riez, riez, marmonna Morgan entre ses dents. Je me vengerai, je me vengerai!
On coupa la corde qui reliait les deux navires.
La nuit tomba. Ils firent la fête sur le pont du navire de Greg. Ils mangèrent, trop. Ils burent, trop. Seul Édouard se comportait convenablement, car il était près d'Isabelle.
Tout à coup, notre amie s'entendit appeler par son nom. Elle écouta. Ça venait de la bague.
- Isabelle! Isabelle!
Elle tourna la bague à l'envers, la tête de mort vers le bas, et elle se retrouva dans le grenier de sa grand-mère Élodie.
- Isabelle!
- Oui.
- Ah! Descends pour le repas du soir, puis tu iras te coucher.
Notre amie n'avait vraiment pas faim. Elle venait de boire et manger sur le bateau de Greg.
Elle ôta son costume de pirate et le rangea dans la boîte où elle l'avait trouvé. Elle remit sa salopette et ses baskets et rejoignit sa grand-mère en bas.
Elle prit quelques cuillères de soupe pour lui faire plaisir, puis elle monta se coucher. Elle passa son pyjama et la gentille Élodie vint l'embrasser.
Elle éteignit la lumière et ferma la porte de la chambre. Alors, Isabelle se redressa.
- Je retourne chez Greg, se dit-elle en parlant tout haut.
Elle se leva et sortit sans bruit de sa chambre. Grand-mère Élodie écoutait la TV en bas au salon.
Notre amie monta l'escalier du grenier sans bruit. Elle ôta sa robe de nuit et remit sa tenue de pirate. Puis elle saisit la bague et la glissa au doigt. Elle tourna la tête de mort vers le haut...
Elle vit le ciel rempli d'étoiles. Une brise douce faisait parfois claquer les voiles, mais le bateau était à l'arrêt. La lune presque ronde brillait dans le ciel noir et son reflet dansait sur l'eau sombre de la mer.
Tous les pirates de Greg dormaient, certains couchés sur le pont, une bouteille de vin ou de rhum presque vide à la main.
Isabelle, qui observait la lumière de la lune, ne remarqua pas les deux hommes de Morgan le borgne, qui s'approchaient en nageant, un couteau entre les dents. Elle ne les entendit pas monter le long de la coque du navire. Elle ne les vit pas enjamber le bastingage et s'approcher d'elle.
Les deux pirates se saisirent de notre amie. Elle se débattit bras et jambes.
Une fille de pirate a-t-elle peur de se battre? Non. Toi, tu oserais? Oui? Bravo!
Elle se mit à crier. Les hommes lui plaquèrent leurs mains sur la bouche. Notre fillette se débattit de plus belle. Alors, ils la jetèrent à la mer. Ils plongèrent aussitôt près d'elle et l'entraînèrent vers leur bateau.
Dès qu'elle fut hissée sur le pont, Morgan s'approcha. Isabelle tremblait de peur. Il l'observa un instant de son œil mauvais, puis, lui saisissant la main droite, il lui arracha sa bague magique.
- Attachez-la au grand mât, ordonna le pirate.
Les hommes la blessaient avec leurs cordes car ils serraient trop fort. Notre amie sentit des larmes couler sur ses joues.
- Vous me faites mal.
- Tant mieux. On va encore serrer plus fort.
Ils étaient méchants, méchants!
Isabelle passa une nuit épouvantable sur le bateau de Morgan le borgne. Les cordes qui la ligotaient la faisaient souffrir. Et elle avait peur des pirates qui l'entouraient.
Parfois, épuisée, elle fermait les yeux. Sa tête s'inclinait et elle s'éveillait aussitôt. Les heures défilaient lentement.
Au matin, Morgan le borgne se tourna vers l'autre bateau et cria.
- Hé! Là-bas!! Regardez qui je tiens prisonnière.
Greg s'éveillait et ses hommes aussi.
- Isabelle! Ils ont Isabelle!
- Sortons nos canons et coulons leur navire, proposa un des hommes.
- Non, dit Greg, car elle est attachée au grand mât. Si nous coulons leur bateau, ma fille coule avec.
Cet homme est fort, mais il est bête.
- Alors, on se jette tous à la mer pour sauver notre amie, dirent les autres.
- Trop dangereux, réfléchit Greg. Morgan risque de tuer Isabelle en voyant notre manœuvre.
- Écoutez mon idée, lança Édouard le mousse. On attend que la nuit soit tombée. On met un tonneau vide à l'eau. Je plonge et je glisse ma tête dedans. Je nage jusqu'à leur bateau.
- Et s'ils aperçoivent le tonneau? fit remarquer un des hommes.
- Ils verront qu'il est vide, puisqu'il flottera. Ça ne les intéressera pas. Je libérerai Isabelle, et je la ramènerai ici.
- Si tu réussis cela, fit Greg le pirate, double part du trésor pour toi. Tu seras plus riche qu'un roi.
- Ça m'est égal, répondit Édouard. Je fais ça seulement parce qu'elle est devenue mon amie.
Mais, un nouveau cri de Morgan le borgne interrompit leurs réflexions.
- Tu veux ta fille, Greg? Je te la rends. Mais en échange, tu me donnes ton bateau et les deux trésors qui s'y trouvent, le tien et le mien.
Le pirate ne répondit rien, ne sachant que faire.
Isabelle passa une journée affreuse sur le bateau de Morgan. Les pirates étaient tous méchants, très méchants.
Elle était attachée en plein soleil. Elle avait soif. Morgan s'approcha de notre amie, un seau d'eau à la main.
- Greg! Greg! regarde comme je suis bon avec ta fille. Elle a soif et je lui donne à boire.
Et le pirate lança l'eau du seau, d'un geste brusque, à la tête de la fillette.
Plus tard notre amie avait faim. Elle n'avait rien reçu à manger au matin et à midi. Morgan s'approcha d'elle avec une bonne cuisse de poulet.
- Regarde comme c'est bon, et ça sent bon, dit-il en plaçant la nourriture sous le nez de notre amie. Mais ce n'est pas pour toi, ajouta-t-il en mordant dans la viande.
Isabelle sentait couler ses larmes. Elle aurait bien voulu se trouver chez sa grand-mère Élodie, mais Morgan lui avait volé sa bague magique.
La nuit tomba enfin.
Sur le bateau de Greg, Édouard se préparait. On venait de glisser un tonneau vide à l'eau. Il y flottait. Le garçon descendit le long de la coque par une échelle de corde et se retrouva dans l'eau. Il prit le tonneau et, après avoir bien regardé dans quelle direction il devait nager pour atteindre l'autre navire, il retourna le tonneau sur sa tête. Il s'approcha du bateau de Morgan.
- Chef, un tonneau de rhum à la mer.
- Prends-le.
- Il flotte chef, il est vide.
- Alors laisse, dit Morgan. On s'en moque.
Édouard parvint le long du bateau de Morgan. Il éloigna le tonneau, puis il escalada la coque. Il enjamba le bastingage sans se faire remarquer. Il rampa derrière des caisses, et profitant de la nuit tombée, arriva près d'Isabelle.
- Je suis venu te délivrer, dit-il en coupant les cordes qui tenaient notre amie prisonnière. Fuyons, vite.
- Je ne peux pas partir, dit la fillette.
- Pourquoi?
- Je n'ai plus ma bague. Morgan me l'a prise et sans elle il m'est impossible de retourner chez ma grand-mère.
- Où se trouve-t-elle?
- Je ne sais pas. Je crois qu'il l'a emportée dans sa cabine.
- File te mettre à l'arrière du bateau et descends déjà dans l'eau. Moi, je vais tâcher de retrouver ta bague.
Édouard entra dans la cabine de Morgan. Le pirate semblait dormir. Le garçon regarda autour de lui. Il aperçut la bague sur une table. Édouard la prit et la glissa à sa ceinture pour ne pas la perdre.
Il allait sortir de la cabine du pirate, quand il entendit des hommes crier.
- Morgan! La fillette n'est plus là. Quelqu'un l'a détachée.
Édouard courut à l'arrière du bateau. Il donna la main à Isabelle et ils sautèrent à l'eau.
Comme notre amie ne sait pas encore bien nager, le courageux garçon la prit sur son dos et ils revinrent au bateau de Greg.
- Sortez les canons, cria le chef pirate. On va couler Morgan le borgne.
On chargea les canons. On les pointa vers le bateau ennemi.
- Feu, cria Greg.
Les quatre canons crachèrent leurs boulets en même temps. Le navire de Morgan fit un bruit de craquement épouvantable. Il se brisa en deux et coula en quelques minutes.
La mer des Antilles retrouva son calme serein.
- Chef, dit un des hommes, les pauvres requins, ils mangent Morgan et ses hommes. Ils vont être malades. Ils mangent trop...
- On s'en moque, murmura Greg.
Cet homme est fort, mais il est bête.
Isabelle était très fatiguée. Elle venait de passer une nuit et une journée épouvantables.
- Je vais retourner chez ma grand-mère, dit-elle.
- Tu as raison, ma fille, répondit le pirate.
Notre amie salua les hommes, embrassa Greg et se tourna vers Édouard.
- Je voudrais garder ta bague, en souvenir de toi, Isabelle, dit le garçon.
- Mais j'en ai besoin pour retourner chez ma grand-mère.
- Si tu veux, je la tiendrai et je tournerai la tête de mort moi-même autour de ton doigt.
- D'accord.
- Adieu Isabelle.
Édouard saisit la bague et la fit tourner. Notre amie se retrouva chez sa grand-mère Élodie, dans le grenier. Elle remit sa robe de nuit et descendit sans bruit l'escalier. Elle se glissa dans son lit et s'endormit.
Elle rêva qu'elle était Isabelle, fille de Pirate.