N°52
Béatrice passait quelques jours de vacances chez sa grand-mère. Elle avait reçu la permission d'inviter son copain François.
Un jour de pluie, ils s'ennuyaient un peu. Notre amie demanda à sa grand-mère l'autorisation de monter au grenier. La dame âgée se montra un peu réticente car elle n'y va plus guère. L'âge, les rhumatismes l'empêchent d'aller y mettre de l'ordre.
- Ça sera plein de poussière, avertit-elle. Vous verrez des toiles d'araignées partout. Faites attention et surtout ne vous blessez pas.
- Promis, répondit la fillette avec un grand sourire.
Prenant son copain par la main, elle l'emmena dans l'escalier.
Parvenus tout en haut, ils ouvrirent une porte en bois et allumèrent la lumière. Une faible petite ampoule répandit un peu de clarté. Là-haut, on entendait le vent souffler sur les tuiles du toit et ces sifflements donnaient, à certains moments, vraiment froid dans le dos.
Nos deux amis s'approchèrent d'une grande table où se trouvaient des piles de vieux livres. Des livres recouverts de toiles d'araignées et de poussière.
Curieux, les deux enfants entreprirent d'en trouver un susceptible de les intéresser.
Tout à coup, François s'écria :
- Regarde Béatrice! Celui-ci semble passionnant.
Le titre s'annonçait prometteur:
"Les sept portes de l'enfer".
Il l'emmena et se laissa choir dans un grand fauteuil.
- J'arrive, annonça son amie.
Elle s'assit à son tour à côté de son copain, en soulevant un nuage de poussière.
- Tiens! On dirait que quelqu'un a glissé une enveloppe fermée à l'intérieur de ce livre.
La fillette se pencha et saisit l'enveloppe. Le temps l'avait jaunie. Elle l'ouvrit et découvrit une lettre adressée à un certain Marcel.
- Tu connais un Marcel dans ta famille? demanda François.
- Je ne crois pas, réfléchit Béatrice. Pas que je sache, en tout cas. On demandera tantôt à ma bonne-mamy.
- Lisons, proposa le garçon.
"Mon cher Marcel. Si je ne reviens pas vivant de la guerre, va aux ruines de l'abbaye à la sortie de notre village. Là, rends-toi au réfectoire des moines. Au centre de cette salle assez sombre tu verras une grande pierre grise posée sur le sol. Approche-toi et observe-la. Tu remarqueras un nom et un nombre composé de deux chiffres gravés dans la pierre.
- Génial, dit François. J'adore les mystères et les secrets.
- Tourne-toi alors vers les colonnes situées entre les fenêtres du réfectoire, le long des murs. Ce sont des socles de statues. Je pense que toutes les statues ont disparu depuis longtemps, mais le nom des saintes femmes et des saints hommes y demeure encore bien visible. Cherche celui qui porte le même nom que celui inscrit sur la dalle grise au sol du réfectoire.
- Je me demande où ça nous mène, fit Béatrice en levant les yeux un instant.
"Tâche alors de faire bouger ce socle de gauche à droite, autant de fois que le nombre de la pierre grise l'indique. Tu feras apparaître une petite cachette. Dans cette cachette se trouve une clé. Prends-la et rends-toi à l'étage supérieur. Le toit de cette pièce est écroulé. Les fenêtres ne sont plus que des trous. L'herbe pousse sur le sol. Mais tu apercevras quatre colonnes blanches, une à chaque angle de ce grenier d'autrefois.
- Je parie qu'on est sur la piste d'un trésor, affirma François.
"Trouve la colonne Sud. En l'observant bien, tu y remarqueras une petite fissure. C'est la serrure. Glisses-y la clé que tu auras découverte au préalable et tourne trois fois. Tu mettras en route un mécanisme très ancien qui permet à la colonne de pivoter sur elle-même vers la gauche. Tu verras alors l'entrée d'un souterrain.
- De mieux en mieux, dit Béatrice.
"Un escalier très étroit descend dans l'épaisseur du mur. À la septième marche, des chiffres sont gravés dans la pierre. Mémorise-les, car tu ne les reverras plus. Au bas de l'escalier tu entreras dans une grande crypte. La crypte du réfectoire des moines. Tu apercevras facilement un coffre sur un des autels. Il contient un trésor. Et ce trésor est à toi, Marcel. Je l'ai caché là pour qu'on ne nous le vole pas pendant la guerre.
Je t'embrasse. Ton papa qui t'aime.
Les deux amis se regardèrent, étonnés, intrigués et passionnés. Ils avaient à présent vraiment envie de découvrir ce fameux trésor, s'il existait encore.
Posant le livre des sept portes de l'enfer sur l'accoudoir du vieux fauteuil, ils se levèrent, éteignirent la lumière et refermèrent la porte du grenier. Ils redescendirent l'escalier.
- Bonne-mamy! appela Béatrice.
- Oui, ma chérie?
- Bonne-mamy, connais-tu un Marcel dans notre famille?
La grand-mère regarda sa petite-fille avec un air triste.
- Oui, ma chérie, je connais un Marcel. C'était mon mari. Ton bon-papa. Il est mort avant ta naissance. Je t'en ai déjà parlé, mais tu as sans doute oublié...
- Bonne-mamy, insista Béatrice, bon-papa avait-il lui-même un papa qui serait parti à la guerre autrefois?
- Oui, ma chérie. Ton bon-papa Marcel a vu son père partir à la guerre, mais il n'en est jamais revenu...
Béatrice regarda François. François regarda Béatrice.
- Bonne-mamy, s'il te plaît, on peut aller visiter les ruines de l'abbaye qui se trouvent à la sortie du village?
- D'accord. Je vois qu'il ne pleut plus, profitez-en.
La grand-mère confia un peu d'argent à Béatrice pour payer l'entrée et les deux enfants partirent, impatients, à l'aventure. Notre amie emportait dans la poche de sa salopette la lettre destinée à Marcel. Ils emmenèrent aussi une boussole pour trouver plus sûrement la colonne Sud.
- Monsieur, demanda la fillette à l'homme assis derrière le guichet à l'entrée, pouvez-vous me dire où se trouve le réfectoire des moines, s'il vous plaît?
- Tout au fond des ruines de l'abbaye. Vous devez traverser la grande église et puis sortir vers la gauche. Vous verrez un bâtiment en assez mauvais état, je vous préviens. Il faut passer sept portes pour y arriver, ce que les moines appelaient les sept portes de l'enfer.
- Merci monsieur.
Les deux amis se firent un clin d'œil. Les sept portes de l'enfer, comme dans le livre où se trouvait la tettre écrite par le père de Marcel.
Ils traversèrent plusieurs constructions. La grande nef de l'église encore voûtée en partie, le cloître, les cuisines d'autrefois. Ils parvinrent, après avoir parcouru un jardin, à l'endroit du réfectoire des pères. Ils y entrèrent. Personne en vue à ce moment.
Béatrice et François remarquèrent immédiatement une grande dalle grise de forme carrée, couchée sur le sol. En s'approchant, ils lurent sans hésiter le nom de "Barthélémy" et le nombre "13".
Ils coururent alors observer les socles des statues aujourd'hui disparues et entreprirent de lire les noms des saintes et des saints. François poussa un cri.
- Ici Béatrice, j'ai trouvé ! Saint-Barthélémy.
- Pas si fort, répondit son amie, si quelqu'un nous entendait...
- On ne fait rien de mal, précisa le garçon. Et je ne vois personne.
Empoignant alors le socle de la statue, ils tentèrent de le faire pivoter de gauche à droite. C'était assez dur car la pierre était lourde. Mais ils réussirent à la faire bouger treize fois.
Une petite anfractuosité apparut au fond de laquelle ils découvrirent une cachette sombre. Y plongeant la main sans hésiter, François en sortit une grosse clé en fer d'environ douze centimètres de long.
Ils coururent ensuite vers l'escalier situé au fond du réfectoire et montèrent à l'étage supérieur.
Le toit était écroulé. Les fenêtres n'étaient que des grands trous garnis de lierre. De l'herbe et même des fleurs poussaient sur le sol. Dans chaque coin, près des anciens murs, se dressait une haute colonne en pierre blanche.
Observant la boussole qu'ils avaient intelligemment emportée avec eux, ils repérèrent sans difficulté la colonne Sud. Le trou de serrure était situé assez haut.
Béatrice monta sur les épaules de François, introduisit la clé et la fit tourner vers la gauche.
Après trois tours, ils perçurent tous deux une sorte de grondement et la colonne pivota sur elle-même, faisant apparaître un petit escalier où l'on ne pouvait se glisser que par un à la fois. Ne remarquant toujours personne aux alentours, ils risquèrent l'aventure.
Les deux amis s'arrêtèrent à la septième marche. Des chiffres gravés indiquaient: 4, 4, 4, 4... 4, 3, 4, 3... 4, 2, 4, 2... 4,1, 4, 1. Ils tentèrent de les mémoriser.
Ils continuèrent ensuite à descendre toujours plus bas et parvinrent dans une grande crypte dont le plafond était tenu par des énormes colonnes. Il y faisait sombre et froid. Le sol était en terre battue.
Ils découvrirent rapidement, au fond de la crypte, un ancien autel en pierre. Et sur cet autel reposait un coffre en bois. Trente centimètres de large, quinze de long et dix de haut. Aucune clé n'était nécessaire pour l'ouvrir. II suffisait de lever le couvercle, ce qu'ils firent sans tarder.
Ils écarquillèrent les yeux. Un trésor brillait dans la pénombre et les fascinait. Ils comptèrent trente-trois pièces d'or. Ils observèrent aussi un splendide bracelet, formé d'un fil d'argent épais, torsadé en spirale et au long duquel se trouvaient fixés des saphirs, des pierres précieuses de grande valeur. Une pure merveille. Enfin, troisième objet, ils saisirent une flûte en bois. Que faisait-elle là?
Nos amis refermèrent le trésor et décidèrent de l'emporter, puisqu'il appartenait à la famille de Béatrice. Ils comptaient le remettre à la grand-mère.
Ils remontèrent l'escalier et s'aperçurent que la colonne Sud s'était remise en place. Plus moyen de sortir de l'endroit où ils se trouvaient enfermés à présent. Un peu inquiets, ils réfléchirent. Ils mirent beaucoup de temps à découvrir le moyen de quitter cette crypte.
Toi qui lis ou écoutes cette aventure, as-tu une idée? Ne trouves-tu pas étonnante la présence, dans un trésor, d'une simple flûte en bois, à côté de pièces d'or et d'un bracelet de pierres précieuses?
Béatrice songea que la flûte devait servir à sortir de la crypte. Une simple flûte en bois n'a rien à faire dans un trésor. Mais comment s'en servir?
Comme elle apprend à jouer, elle posa ses doigts convenablement sur les trous et souffla.
- François, je crois, dit-elle, que j'ai compris. Il faut jouer les notes qui correspondent aux chiffres de la septième marche. Tu te souviens? 4, 4, 4, 4... 4, 3, 4, 3... 4, 2, 4, 2... 4,1, 4, 1.
-Ce ne sont pas des notes, fit remarquer le garçon.
-Peut-être que le père de Marcel ne connaissait pas le solfège...
Béatrice gravit l'escalier, son copain suivait.
Elle joua les notes correspondant aux chiffres que l'on ne voyait plus, car tout était plongé dans l'obscurité à présent. Elle réussit à faire pivoter à nouveau la colonne Sud.
Les deux enfants quittèrent rapidement l'endroit où ils se trouvaient, tout en emportant le trésor sous le bras.
L'heure d'ouverture de l'abbaye était dépassée. Les grilles d'accès aux ruines étaient fermées.
Béatrice et François furent obligés d'escalader une fenêtre brisée, puis de se glisser par un fente du mur qui cernait les bâtiments et enfin de sauter dans la rue pour retourner chez la grand-mère.
Dès leur arrivée, ils présentèrent le trésor à la vieille dame. Elle écouta leur récit, émue et étonnée. Marcel, son mari, ne lui avait jamais parlé de ce trésor. C'était encore un jeune garçon quand son père était parti à la guerre, autrefois. Et il n'en était pas revenu. Marcel n'avait jamais évoqué le trésor que Béatrice et François venaient de découvrir. Sans doute n'en avait-il jamais eu connaissance, n'ayant jamais trouvé la lettre laissée par son père dans le livre des sept portes de l'enfer.
Nos amis reçurent chacun une pièce d'or, en souvenir de leur aventure.
- Les autres pièces, ma chérie, je les conserve, pour quand tu seras plus grande. Quant au bracelet, ce sera un merveilleux cadeau le jour de ton mariage. La flûte, puisque tu apprends à en jouer, tu peux l'utiliser tout de suite.
Depuis ce jour-là, Béatrice joue sur l'instrument de son grand-père qu'elle n'a jamais connu. Émue et fière à la fois, elle joue d'autant mieux en pensant à lui.