N°44
Béatrice profitait de quelques beaux moments de vacances chez sa grand-mère, en Allemagne, dans l'Eifel. Elle y passait quelques jours avec son petit frère, le bébé Nicolas. François, son meilleur copain, était invité.
Un soir, la grand-mère proposa aux deux enfants d'aller visiter un château.
- Tu le connais, dit-elle à sa petite-fille, mais tu pourrais le montrer à ton ami. Vous pourriez vous y rendre à vélo demain.
- Bonne idée! approuva la fillette. Tu vas voir, François, cet endroit est magnifique.
Ils partirent après le petit-déjeuner.
Ils roulèrent presque une heure. Enfin, ils aperçurent des ruines sur un terrain en pente douce. C'était fascinant. Des tours encore impressionnantes, des murs lézardés en briques ou en pierres bleues, souvent envahis par des ronces ou disparaissant sous des massifs d'orties et de lierre.
Ils attachèrent leurs vélos à l'endroit prévu, près de l'entrée. Béatrice paya pour son copain et elle. La caissière expliqua qu'on pouvait parcourir le bâtiment principal, puis visiter les jardins, fort bien aménagés, puis franchir une barrière et aller explorer les vestiges d'un second château plus ancien.
Après s'être promenés un peu partout, ils décidèrent de faire une partie de cache-cache au milieu des vieilles ruines. Dans un endroit pareil, les cachettes ne manquaient pas et le décor inspirait nos amis.
François compta jusque cinquante puis chercha et trouva assez vite sa copine.
Béatrice se tourna et compta à son tour. Notre ami courut se cacher. Passant devant une entrée sombre, il aperçut un escalier qui descendait vers les profondeurs. Il s'y engagea.
Il arriva tout en bas, dans une cave très obscure, guère rassurante. Mais le garçon songea que son amie n'oserait peut-être pas descendre à cet endroit. Il estima qu'il avait découvert une fameuse cachette. Il s'aventura plus loin dans la cave et choisit de se dissimuler tout au fond.
Les yeux s'habituent à l'obscurité.
Peu à peu, il distingua la forme arrondie de la voûte, le sol couvert de grosses dalles en désordre et les murs de brique froids et humides. Tout près de lui commençait un couloir assez étroit. Il y remarqua une faible lueur rouge.
Intrigué, François entra dans le corridor. La lumière rouge venait d'une crypte située en contrebas. Cette lueur passait par un trou créé par une brique qui manquait dans le mur, au ras du sol.
Se mettant à quatre pattes pour regarder l'intérieur de la cave à partir de ce trou causé par l'absence de la brique, il put observer une grande table en bois brun. À une extrémité il vit trois bougies, une bleue, une rouge, une jaune, éteintes. Contre le mur qui lui faisait face, traînait un buffet dont le bois semblait rongé par l'humidité autant que par les années.
Soudain, il entendit une voix. Notre ami se déplaça un peu pour tenter de voir celui qui parlait. Un lutin, ces petits êtres espiègles et malicieux, se tenait debout, près de la table. Le garçon ne réussit par contre jamais à apercevoir le second interlocuteur qu'il entendait aussi. Leur conversation lui parut étrange. Voici ce qu'ils disaient:
- Jamais personne ne viendra ici, gémissait le lutin.
- Il faudrait quelqu'un qui soit assez audacieux pour oser descendre à la cave noire, puis l'observer et suivre le couloir pour découvrir la clé que tu caches.
- J'ai sculpté toutes ces jolies statues d'or pour rien, reprit le lutin que François pouvait voir. Personne ne vient les chercher. C'est trop dommage! Je crée ces miniatures en or pour que les gens apprennent à aimer les animaux. Les visiteurs du château peuvent les prendre dans l'armoire et les emporter. Il y en a près de cent déjà.
- Si quelqu'un vient, interrompit l'autre, il risque d'emmener avec lui tout ton travail à la fois.
- Impossible, car le visiteur devra chaque fois ouvrir la boîte qu'il aura choisie.
- Je comprends, dit l'autre. Il doit les prendre une par une.
- Oui, car j'ai glissé de véritables allumettes en bois dans certaines boîtes. Et ça, c'est le piège. Dès qu'il saisira une boîte contenant des allumettes et pas un animal sculpté, il devra vite quitter la cave.
- Et pour sortir, comment devra faire notre visiteur? Qu'as-tu prévu?
- Pas très compliqué. Il allumera une des trois bougies posées sur la table.
- Laquelle?
- Celle-ci.
Malheureusement, François ne put pas observer quelle était la bougie dont les deux personnes parlaient. Était-ce la bleue, la jaune ou la rouge?
Bientôt, il n'entendit plus rien. Il sortit du souterrain, remonta l'escalier et parvint à la lumière extérieure. Il aperçut Béatrice.
- Je t'ai cherché partout, dit-elle. Je t'ai appelé et tu ne répondais pas.
- Ah! j'étais bien caché, dit le garçon en souriant. Mais, viens. Allons au sommet de la tour là-bas. Il faut que je te dise quelque chose en secret.J'ai fait une découverte sensationnelle.
François raconta son aventure. Il expliqua à sa copine qu'il était entré dans une cave, au bas d'un escalier. Il décrivit le couloir et la lumière rouge. Il parla de la table, des ravissants petits animaux en or, finement ciselés paraît-il. Il évoqua leur rangement dans des boîtes d'allumettes. Il précisa qu'elles se trouvaient au milieu d'autres, contenant de vraies allumettes. Il insista surtout sur le fait que le lutin et son collègue invitaient les courageux et les débrouillards à venir prendre ces boîtes. Il termina en disant ce qu'il savait au sujet des trois bougies qui se trouvaient sur la table.
- Où est le piège? demanda Béatrice.
- Je n'en sais rien, avoua son copain. Je n'ai pas tout compris.
Les deux enfants se regardèrent. La même idée leur vint.
- Et si on y allait? On risque?
Béatrice et François descendirent doucement l'escalier qui menait vers la cave. Très impressionnés par l'obscurité qui y régnait, ils la traversèrent à leur aise. Le garçon, emmenant son amie par la main, entra dans le petit couloir sombre. À tâtons, il découvrit la brique descellée. Il parvint à l'extraire du mur. Une faible lueur rouge passait par la petite ouverture. Là se trouvait la clé, la fameuse clé de la cave.
Les deux enfants se redressèrent et s'approchèrent du mur du fond. Ils y rencontrèrent une lourde porte en bois épais et solide. Ils introduisirent la clé dans la serrure, tournèrent et passèrent dans l'étrange cave.
La porte se referma lentement derrière eux. Trop tard pour se sauver. Se retournant, ils remarquèrent un miroir de ce côté-ci. Le cœur battant la chamade, ils descendirent sept marches. Ils longèrent ensuite la grande table et virent aussitôt les trois bougies, la rouge, la bleue, la jaune. Ils ouvrirent le buffet. Une centaine de petites boîtes y étaient bien rangées.
Béatrice en choisit une première. Elle y trouva un dauphin en or.
- Magnifique! s'exclama François.
- Je vais l'offrir à ma bonne-mamy, promit la fillette. Elle les collectionne, mais n'en a pas un aussi beau. À ton tour.
Le garçon prit une boîte et l'ouvrit. Il y découvrit une girafe.
- Géniale cette girafe, dit en souriant notre ami. Elle est vraiment belle. Je la donnerai à Amandine. Elle les adore.
- À mon tour, fit Béatrice.
Elle sortit une boîte de l'armoire et l'ouvrit. Elle vit une araignée en or, avec ses huit fines pattes, délicatement ciselées.
- Je l'offrirai à maman, décida notre amie. Une araignée en or, elle va adorer.
François choisit une quatrième boîte et découvrit un oiseau. Chaque plume était sculptée individuellement.
- Quel bel oiseau! s'écria son amie.
- Je n'ai jamais vu quelque chose d'aussi soigné en orfèvrerie, précisa son copain. Je vais le donner à maman. À ton tour.
Béatrice saisit une autre boîte. Elle contenait des allumettes.
- Stop, cria François. Il ne faut plus rien prendre, sinon il peut nous arriver un malheur. À présent il faut sortir.
Les deux enfants glissèrent les boîtes en poche. Ils passèrent près des bougies et se dirigèrent vers le miroir. Malheureusement, cette porte intérieure ne comportait ni serrure ni poignée pour ouvrir.
- Je crois qu'il faut qu'on allume l'une des bougies, se rappela François, mais laquelle?
Après un moment d'hésitation, ils optèrent pour la bleue. Les allumettes ne manquaient pas. Dès que la flamme brilla, un lutin bleu apparut à l'autre bout de la table. Nos amis, surpris, poussèrent un petit cri.
- Bonjour, fit le lutin.
- Bonjour, répondit François. J'ai entendu tantôt qu'on pouvait venir chercher des petites statuettes en or et qu'on pouvait sortir ensuite en allumant une bougie.
- Malheureusement, vous vous êtes trompés de bougie. Il ne fallait pas choisir la bleue. Elle me fait apparaître moi, le lutin bleu.
- S'il vous plaît, vous voulez bien appeler les autres? demanda le garçon.
- Vous les ferez venir vous-mêmes en allumant une autre bougie, mais avant cela, vous devez me faire disparaître, car si nous sommes présents tous les trois ensemble, ce sera dramatique pour vous.
- Et que faut-il faire pour que vous disparaissiez? demanda Béatrice.
- Il vous suffira de répondre à la devinette que je vais vous poser. Écoutez-moi bien. Je suis bleu en dessous, rouge au milieu et jaune au-dessus. Que suis-je?
- Un drapeau, suggéra François.
- Certainement pas. Trop facile, jeune homme.
Béatrice pensa à un oiseau dont les plumes seraient bleues, rouges et jaunes. Soudain, François, observant la bougie, s'écria:
- La flamme. La flamme est bleue en dessous, rouge au milieu et jaune en haut.
Le lutin bleu disparut et la bougie s'éteignit.
Fallait-il à présent allumer la rouge ou la jaune pour sortir? Nos amis n'en savaient rien. Ils risquèrent la rouge. Un lutin rouge apparut.
- Bonjour!
- Bonjour, répondirent nos amis. Vos animaux en or sont ravissants.
- Ce ne sont pas les miens, mais ceux de mon frère, le jaune. Il va venir, mais répondez d'abord à ma question. Quelle balle est la plus légère du monde?
- La balle de ping-pong, trouva François.
- Bien vu!
La bougie rouge s'éteignit, le lutin rouge disparut.
Ils allumèrent la troisième bougie. La jaune.
Le lutin jaune apparut et observa nos amis.
- Vous êtes venus chercher quelques petites boîtes?
- Oui monsieur, vous nous l'avez permis. J'ai entendu votre conversation, tantôt. Nous ne sommes pas des voleurs.
- Très bien. Je suis tout à fait d'accord. Je les range ici pour cela. Qu'avez-vous choisi?
- Un dauphin et une araignée, fit Béatrice.
- Et moi une girafe et un oiseau, dit François.
- Très bien. Voici ma question. Dès que vous aurez trouvé la réponse, la bougie jaune s'éteindra. Vous compterez lentement jusqu'à sept et à sept vous traverserez le miroir. Voici la question. Je peux la tenir en main. Je peux tirer dessus. Je peux la montrer à tout le monde, mais moi, je ne la vois pas. Qu'est-ce que c'est?
Nos amis hésitaient, perplexes, jusqu'au moment où Béatrice cria.
- Mon oreille.
- Bravo! fit le petit homme.
La bougie jaune s'éteignit. Le lutin disparut. Béatrice et François auraient voulu les remercier tous les trois, mais ils étaient partis.
Courageusement, nos amis s'approchèrent de la lourde porte en comptant jusqu'à sept. Ils se voyaient dans le miroir. Ils voulurent le toucher du bout des doigts pour chercher un passage mais leurs mains traversèrent l'étrange surface. Ils passèrent tout entiers et arrivèrent dans le couloir noir. Ils remontèrent l'escalier puis quittèrent le château. Ils retournèrent chez la grand-mère de Béatrice.
- Il faudrait un cadeau pour Olivia, dit François en pédalant, sinon elle va jalouser sa sœur à qui je compte offrir la girafe.
- Et moi, j'aimerais trouver quelque chose pour moi, ajouta son amie.
- Retournons demain au château, proposa François. On connaît les réponses aux questions et on sait qu'il faut allumer la bougie jaune.
- Et si les questions ont changé? fit remarquer Béatrice.
Ils revinrent tôt en matinée dans les ruines. Ils attachèrent leurs vélos et payèrent le droit d'entrée avec leur argent de poche. Ils n'avaient pas parlé de cette nouvelle expédition à la grand-mère de Béatrice.
Ils se rendirent directement dans les ruines et se dirigèrent vers l'escalier qui menait vers les profondeurs. Ils traversèrent la cave noire et retrouvèrent la clé sous la brique descellée dans le couloir sombre. Ils l'introduisirent dans la serrure de la lourde porte et entrèrent dans la cave aux lutins.
La porte-miroir se referma derrière eux. Les trois bougies étaient en place, éteintes. Ils ouvrirent le buffet et choisirent une première petite boîte. Malheureusement, en regardant, ils ne virent que des allumettes.
- Pas de chance! on doit partir, soupira Béatrice.
- Remettons la boîte à sa place, proposa François, et choisissons-en une autre. Les lutins ne sont quand même pas là.
- Non, c'est tricher, s'écria son amie.
- Je risque pour Olivia, dit le garçon.
Béatrice le laissa faire, mais elle avait très peur.
François rangea la boîte d'allumettes et en sortit une autre. Les deux enfants l'ouvrirent. Elle contenait un lézard en or de toute beauté.
Au même instant, une fumée rouge s'échappa de l'armoire et remplit toute la crypte. Elle se dissipa lentement. Quand elle fut partie, nos amis aperçurent les trois bougies, allumées. Les trois lutins, présents, observaient les enfants.
- Tricheurs! cria le bleu. Vous allez devoir repasser les épreuves, si vous voulez sortir d'ici. Sinon, apprêtez-vous à vivre dans cette cave pour toujours et à y mourir lentement.
- C'est moi qui ai triché, dit François avec courage. Laissez sortir ma copine.
- Non, répondirent les trois lutins. Et pose la boîte que tu as prise sur la table. Tu pourras l'emporter si tu réussis à résoudre nos énigmes.
Le lutin bleu parla le premier.
- Voici ma question. Comment s'appelle le seul mammifère qui sache voler?
Béatrice et François hésitaient. Toutes sortes de noms d'oiseaux et de mammifères leur venaient à l'esprit. Hélas, les chats, les moutons, les vaches, ne volent pas.
- La chauve-souris, dit tout à coup Béatrice.
La bougie bleue s'éteignit et le lutin bleu se retira. Restait les deux autres...
- À mon tour, annonça le lutin rouge. Je chauffe les maisons, mais je refroidis le moteur des voitures. Que suis-je?
- Le radiateur, dit François sans hésiter.
La bougie rouge s'éteignit. Le lutin rouge s'en alla à son tour.
- À moi, annonça le lutin jaune.
- Voici ma question. Il règne au fond des mers et au sommet des montagnes. On en trouve parfois en classe à l'école. Et si on lui crie dessus il disparaît.
Nos amis demeurèrent silencieux.
Soudain, Béatrice eut une idée.
Et toi qui me lis, tu penses à quoi?
- Le silence, fit la fillette.
La bougie jaune s'éteignit. Le lutin jaune n'était plus là.
Nos deux amis comptèrent en marchant vers la porte. À sept, ils traversèrent l'étrange miroir et se retrouvèrent dans la cave noire. Ils gravirent l'escalier, puis passèrent dans les jardins du château. Ils remontèrent sur leurs vélos.
- Zut! cria François.
- Qu'y a-t-il? demanda Béatrice.
- J'ai oublié la boîte avec le lézard en or sur la table de la cave aux lutins...
Ils n'ont plus osé y retourner.
Béatrice offrit l'araignée qu'elle destinait à sa maman à François, qui la donna à Olivia.
À toi d'aller visiter la cave aux lutins à présent, si tu oses.