N°47
Isabelle, notre petite amie de cinq ans et demi, était assise au bord de la mer tout près des vagues. Elle jouait près de l'eau avec son seau, son râteau et sa petite pelle. Elle portait un maillot et un short bleu par-dessus, pour ne pas le salir. Elle était pieds nus. Ses jolies tresses volaient au vent.
Soudain, elle entendit un son étrange qui semblait venir de la mer. C'était un chant à la fois très doux et vraiment mélodieux. Elle leva les yeux et aperçut un garçon de son âge, assis sur un chaos de rochers à l'extrémité du brise-lames le plus proche. Le garçon regardait vers elle.
Notre amie se leva et lui fit signe de venir. Il s'approcha. Il portait un short rouge, était pieds nus et torse nu. Il avait de beaux yeux bleu sombre, comme la couleur de l'océan.
- Bonjour, salua la fillette. C'est toi qui chantes ainsi?
- Oui, répondit le garçonnet.
- Je m'appelle Isabelle et toi, comment t'appelles-tu?
- Je ne sais pas.
- Tu ne connais pas ton nom? s'étonna notre amie.
- Je crois que je n'en ai pas.
- Mais comment font tes parents quand ils t'appellent?
- Je n'ai pas de parents, soupira le garçon.
- Mais où habites-tu? insista Isabelle.
Il montra la mer.
- Ah, je comprends, tu habites sur un bateau.
- Non, précisa le garçon. Je vis en dessous de l'eau. Je suis le prince de l'océan.
- Tu es le prince de l'océan !
Notre amie était intriguée.
- J'habite un palais, au fond de la mer. C'est très joli. Tu veux venir le visiter avec moi?
- Oh oui! j'aimerais bien, dit Isabelle en souriant.
- Alors, suis-moi jusqu'au bout du brise-lames. Nous allons descendre sous l'eau.
- Je ne pourrai pas t'accompagner, murmura la fillette. Je ne peux pas respirer sous l'eau comme les poissons, ou comme toi.
-Cela ne fait rien, affirma le petit garçon. Je vais t'aider. Viens avec moi.
Isabelle suivit le prince de l'océan jusqu'à l'extrémité du brise-lames. Là, il ouvrit les mains, écarta les bras et lança de nouveau son chant mélodieux.
Un gros coquillage sortit de l'eau et se posa à ses pieds.
- Tiens! Remplis ce coquillage avec de l'écume, la mousse que l'on voit juste à la limite des vagues. Ça va former des petits bonbons-bulles. Il te suffira d'en mettre un en bouche dès que tu auras besoin d'air. Tu en reprendras chaque fois que tu voudras respirer et tu les laisseras fondre doucement, comme si tu suçais un caramel.
Notre amie retourna sur le sable, au bord des vagues et remplit son coquillage d'écume blanche.
La fillette n'était pas très rassurée. Elle donna la main au prince de l'océan et ils s'enfoncèrent dans l'eau. Elle prit aussitôt une petite bulle d'air. Elle la mit en bouche et se sentit bien vite très à l'aise.
Ils descendirent un immense escalier sous la mer. Il comportait au moins trois cents marches. Il était entouré d'algues et de coquillages. Isabelle allait lentement, en suivant son copain.
Arrivés tout en bas, ils empruntèrent une piste sous-marine bordée, elle aussi, de hautes algues vertes qui se balançaient doucement dans le courant, tandis que des bancs de poissons de toutes les couleurs passaient et repassaient, tels des arcs-en-ciel frétillant autour des enfants. C'était d'une beauté féerique.
Après avoir marché quelques centaines de mètres sur le sable au fond de la mer, notre amie aperçut un immense palais de coquillages, de nacre et de corail. La lumière, venue de la surface de l'océan s'y reflétait et faisait scintiller des centaines de couleurs, spectacle d'une beauté à couper le souffle.
- Quelle merveille! murmura Isabelle. Je n'ai jamais rien vu d'aussi joli.
- C'est vrai, répondit le prince de l'océan. Ce palais est superbe, mais je m'y ennuie. Je n'ai personne à qui parler. Personne pour partager mes jeux. Alors, parfois, je remonte vers la surface de la mer et je me cache derrière les vagues. Je vous regarde, vous les enfants. Vous jouez sur la plage.
La fillette écoutait en silence, fascinée par son nouvel ami.
- Vous semblez bien vous amuser en construisant des châteaux de sable, en vous lançant un ballon, en courant ici et là, en vous roulant sur les pentes des dunes.
- Si tu veux, proposa Isabelle, dès demain, tu peux venir jouer avec moi.
- Merci, répondit le prince de l'océan.
Les bonbons-bulles diminuaient dans le coquillage. Ils remontèrent lentement le grand escalier. Au moment de se quitter, notre amie murmura :
- Alors, à demain matin?
- Je viendrai, promit le prince de l'océan. Je t'apporterai un cadeau.
- Tu n'es pas obligé, répondit la fillette, mais je t'en choisirai un moi aussi.
Les deux enfants se séparèrent.
Quand notre amie, marchant vers papa, maman et ses trois grands frères, se retourna, il avait disparu sous la mer.
Le lendemain matin, Isabelle courut tôt sur la plage. Elle chercha son ami et l'aperçut tout au bout du brise-lames. Il chantait de nouveau son chant mélodieux. Elle avait choisi de lui offrir une jolie poupée qui lui ressemblait. Le prince de l'océan s'approcha.
- Tiens, c'est pour toi, dit-il.
Il lui présenta une magnifique perle, comme les huîtres peuvent en faire au fond des océans, une perle de la taille d'une orange. Isabelle n'en avait jamais vu une pareille. Elle remercia chaleureusement.
- Moi, je t'ai apporté cette poupée, dit la fillette. Tu te sentiras moins seul avec elle sous la mer, dans ton palais.
Le garçon prit la poupée. Il la regarda longuement. Cela lui faisait vraiment plaisir. Il avait les larmes aux yeux. Isabelle le remarqua.
- Comme c'est gentil! Elle te ressemble. Je l'appellerai Isabelle. Je la garderai toujours près de moi.
- Tant mieux, dit notre amie en souriant. Je suis très contente qu'elle te plaise. Et merci pour ta merveilleuse perle. Je la rangerai dans ma chambe, sur ma table.
Les deux enfants jouèrent sur la plage toute la matinée. Ils s'amusèrent beaucoup.
Vers midi, ils se séparèrent. Les parents appelaient notre amie pour le repas avec les trois grands frères. Le prince de l'océan retourna sous la mer.
Isabelle revint en début d'après-midi sur le sable. Elle chercha son ami. Elle l'aperçut au bout du brise-lames.
- Tu viens? cria-t-elle.
Le prince de l'océan fit signe que non.
La fillette escalada les lourdes pierres et s'approcha de son ami.
- Tu ne veux plus jouer avec moi?
- Je voudrais bien, répondit le garçon, mais le roi des poissons me l'a interdit. Il dit que tu es un enfant de la terre et moi, de la mer. Alors, on n'a pas le droit de jouer ensemble. Je ne peux plus venir sur la plage. Je ne peux plus me montrer hors de l'eau.
- Si tu veux, je viendrai avec toi sous la mer...
- Tu le ferais? osa se réjouir le prince de l'océan.
- Bien sûr, lança la fillette en souriant.
De nouveau, il écarta les bras, ouvrit ses mains et chanta doucement. Un très beau coquillage apparut. Isabelle y répandit aussitôt l'écume des vagues. Puis, comme l'autre fois, ils descendirent, en se donnant la main, le long escalier qui menait sous l'océan jusqu'au merveilleux palais.
Isabelle prenait régulièrement des petites bulles d'air. Elle les gardait doucement dans la bouche et se sentait très bien au fond de l'eau.
Ils jouèrent un moment dans le grand palais illuminé de nacre, de coquillages, de perles et de corail.
Mais soudain, ils entendirent grincer une grosse voix.
- Qu'est-ce que c'est? s'inquiéta notre amie.
- C'est le roi des poissons. Vite, cache-toi derrière moi.
- Qui est cette petite fille? grogna le roi.
Isabelle le regardait. Comme ce poisson était effrayant! Il avait de gros yeux globuleux et semblait vraiment méchant. Il était accompagné d'un autre poisson impressionnant, le poisson-pierre, son garde du corps personnel, vraiment sinistre. Il ressemblait à un angoissant masque de carnaval.
- Voici mon amie Isabelle, murmura le prince de l'océan.
- Je t'ai dit que tu ne pouvais pas jouer avec elle. C'est un enfant de la terre.
- Elle veut bien venir partager mes jeux dans le palais sous la mer.
- Je refuse que tu t'approches encore d'elle. Je te l'avais interdit. Pour ta punition, je vais vous enfermer tous les deux dans une des caves du bâtiment.
Isabelle et son ami se retrouvèrent dans une prison. L'eau la remplissait, passant à travers de gros barreaux de cuivre rouge. Quelques méduses visqueuses ornaient le plafond sombre et de nombreux crabes couraient sur le sol gluant. Le terrible poisson-pierre montait la garde.
Notre amie était inquiète. Elle n'avait plus beaucoup de bulles d'écume dans son coquillage. Et quand il n'en resterait plus, elle étoufferait sous la mer. Elle ne peut pas respirer sous l'eau, elle. C'est une fille de la terre.
Le prince de l'océan appela le roi des poissons.
- S'il te plaît, reviens. Aie pitié de nous. S'il te plaît, roi des poissons. Je ferai n'importe quoi pour toi. Sois un roi généreux. Demande-moi ce que tu veux, mais laisse mon amie retourner sur la plage, sinon elle va mourir.
Le roi des poissons s'approcha, toujours accompagné par son garde, l'inquiétant poisson-pierre.
- Je veux bien la laisser sortir, mais tu dois me remettre la poupée que tu tiens dans tes mains.
- Oh non, s'il te plaît! Mon amie me l'a offerte parce que je me sentais tout seul dans mon palais.
- Donne-moi cette poupée. À cette condition, j'accepte qu'elle quitte la prison et qu'elle sorte de la mer.
Alors le prince de l'océan, les larmes aux yeux, céda la petite poupée au vilain roi des poissons.
Isabelle sortit de la prison, fit trois pas et se tourna vers le poisson-pierre.
- Tiens, je t'offre cette grosse perle si mon ami peut également sortir et m'accompagner jusque sur le brise-lames.
Le garde ouvrit une grande bouche et avala la perle. Les grilles s'ouvrirent. Nos amis remontèrent rapidement le long de l'escalier. Il était temps pour Isabelle. Il restait à peine deux bulles d'écume dans son coquillage.
Arrivé à la surface, au bord du brise-lames, le prince de l'océan prit les mains de notre amie entre les siennes.
- Je crois que nous ne nous reverrons jamais.
Il était ému. Isabelle pleurait.
- Je suis ton amie, disait-elle.
- Je sais, soupira le garçon. Mais je ne peux pas désobéir au roi des poissons.
- Il est vraiment méchant, regretta la fillette.
Elle embrassa son ami et le prince lui donna un bisou sur la joue à son tour. Puis, ils se séparèrent.
Toute triste, Isabelle revint lentement vers ses trois grands frères, son papa et sa maman. Elle avait encore des larmes aux yeux.
Depuis ce jour-là, elle vient souvent s'asseoir devant les vagues et elle les regarde attentivement. Elle pense que là, derrière elles, le prince de l'océan l'observe en silence. Elle lui fait même des signes de la main. Elle lui envoie des bisous. Elle espère qu'il les reçoit. Parfois, elle cueille des petites fleurs et les pose au bord des vagues, pour son ami...
Un jour, elle a cru entendre le chant si mélodieux du prince de l'océan, là-bas, vers le bout du brise-lames.
Peut-être était-ce le vent sifflant dans les dunes? Ou bien la sirène d'un bateau passant au loin? Ou encore, une mouette se réjouissant de trouver un poisson? Ou bien, c'était lui, son ami...
Ou bien, c'était un rêve, un très beau rêve...
Isabelle va revoir le prince de l'océan... Lis vite la suite au numéro 48 "Le lagon du roi".