N°37
François jouait chez Béatrice, au jardin. Ces deux enfants sont très copains. Ils ont tous deux sept ans et demi. Ils vont dans la même classe, dans la même école et habitent dans la même avenue.
Il ne faisait vraiment pas très beau cet après-midi-là. Un grand vent soufflait en bourrasques et les nuages défilaient dans le ciel tourmenté.
Soudain, Béatrice en observa un tout rond et presque rose.
-Regarde François, comme il est beau! Je vais le photographier. Je cours chercher mon appareil.
Notre amie venait d'en recevoir un très pratique de sa grand-mère à l'occasion de son anniversaire.
Mais le temps de se précipiter à sa chambre pour le prendre et de revenir au jardin, le nuage disparaissait déjà au-delà des grands arbres et fuyait vers l'horizon.
-Oh! s'indigna la fillette, il ne pouvait pas m'attendre, non? J'aimerais bien devenir la reine du vent. Je commanderais aux nuages, et quand j'en apercevrais un beau, je pourrais le photographier à mon aise en l'obligeant à s'arrêter.
-Je ne crois pas qu'on puisse se rendre maître des vents, répondit son copain en souriant. Et puis, ce doit être impossible de satisfaire toutes les demandes à la fois. Les uns veulent la pluie en même temps que d'autres espèrent le soleil. Et de toute façon, le vent va où il veut et comme il veut. Je ne crois pas que tu pourrais y changer grand-chose...
Le lendemain matin, quand les parents réveillèrent leur fille Béatrice, ils lui annoncèrent la présence d'un épais brouillard.
Pendant qu'elle mangeait ses céréales et buvait son lait, ils lui conseillèrent d'être bien prudente en se rendant à l'école afin de ne pas se perdre, car on n'y voyait pas à deux pas.
Notre amie leur fit remarquer qu'elle avait sept ans et demi, qu'elle était en deuxième année primaire et que de toute façon, elle ne restait seule que cent mètres à peine, car ensuite son ami François l'accompagnait. Ils ne risquaient vraiment pas de se perdre dans leur quartier qu'ils connaissaient par cœur, même si le brouillard devenait encore plus épais.
Il était vraiment très dense. On ne distinguait même pas les maisons de l'autre côté de la rue.
Béatrice mit son cartable au dos, embrassa ses parents, son petit frère, bébé Nicolas qu'elle adore, et bravement partit à pied pour l'école, comme elle fait tous les matins d'ailleurs.
Quand elle arriva devant chez François, le garçon comme tous les jours, sortit de la maison, donna un petit bisou à son amie, et ils continuèrent ensemble la route. Ils ne pouvaient pas se tromper. Il suffisait de rester sur ce même trottoir de gauche, traverser une petite avenue, puis une seconde et l'école se trouvait au coin.
Pourtant, quand ils eurent dépassé ces deux carrefours et qu'ils arrivèrent au coin, ils ne reconnurent rien. À la place de la grille d'entrée et du bâtiment, se dressait un long mur de briques. Et à l'emplacement de la cour de récréation s'élevaient de hauts arbres dont les feuilles dansaient dans le vent léger et dans l'épais brouillard.
Intrigués, tous deux, ils voulurent en savoir plus. Ils longèrent le mur.
-Je ne comprends pas, s'étonna Béatrice. L'école devrait se trouver ici normalement. On ne se trompe pas quand même! On a suivi le même chemin que chaque jour...
-Tout à fait d'accord, interrompit François. On n'a pas commis d'erreur. Cependant, le bâtiment n'a pas pu changer de place. Quel est ce mystère ?
Deux grandes grilles, largement ouvertes, donnaient accès à une belle propriété. Nos amis cherchant toujours leur école, entrèrent. Les arbres firent rapidement place à une grande pelouse qui menait à une imposante construction dont les fenêtres étaient éclairées.
Les murs du rez-de-chaussée, du premier étage, et du deuxième, étaient percés à chaque niveau d'au moins vingt fenêtres. La plupart d'entre elles étaient grandes ouvertes, malgré le brouillard épais et le temps un peu frais.
Mais ils ne virent aucune porte.
Supposant que la maison était orientée vers les jardins, nos amis entreprirent de la contourner par la gauche. Ils longèrent le mur situé au Nord. Il parut tout blanc, alors que celui qu'ils venaient de découvrir à l'Est en arrivant, était sec et craquelé.
S'approchant de cette façade, Béatrice et François constatèrent que ce n'était pas de la peinture blanche, mais de la neige. Une couche épaisse! Ils purent en prendre en main et en faire une boule.
Pourtant, il ne faisait pas froid. Ce mur couvert de neige était percé comme les autres, aux trois niveaux, par des nombreuses fenêtres bien éclairées et toutes largement ouvertes. Toujours aucune porte visible...
Revenant sur leurs pas, nos amis contournèrent l'étrange maison par l'autre côté, le Sud. Là, le mur se dressait tout noir et toujours percé par des larges ouvertures. Mais pas la moindre porte! Touchant un instant le mur noir, ils retirèrent précipitamment leurs doigts car il était brûlant.
Ils entreprirent alors tous deux, en se donnant la main car ils étaient un peu inquiets, d'achever de contourner l'étrange bâtiment et d'aller observer la face opposée à celle qu'ils avaient découverte en arrivant. Celle de l'Ouest. Elle était grise et trempée de pluie. De l'eau dégoulinait le long du mur. Il était percé de fenêtres nombreuses et bien éclairées, mais toujours aucune porte.
-Je me demande, dit Béatrice, par où on entre dans cette maison.
Une voix grave lui répondit.
-Par la fenêtre, évidemment. Entrez...
Nos amis, lentement, s'approchèrent de la maison. Puisqu'on le leur avait commandé, ils enjambèrent l'une des fenêtres ouvertes, et passèrent, le cœur serré, dans un petit salon, décoré avec goût : un tapis d'Orient, une table en bois d'acajou, des fauteuils en bambou et une armoire laquée dont les battants étaient décorés de paysages chinois.
Ils ouvrirent une seconde porte et découvrirent l'immense pièce intérieure qui occupait tout le centre de la maison.
Elle comportait trois étages, du rez-de-chaussée au toit. Une grande et splendide cheminée où brûlait un feu de bois, occupait le centre de ce gigantesque espace rectangulaire. De nombreuses armoires, des étagères, des tables, des chaises, disposées un peu n'importe comment, et toutes surchargées de coffres, encombraient la pièce.
Ces coffres de toutes les formes et de toutes tailles étaient en bois pour la plupart. Certains étaient fabriqués en planches rugueuses, mal rabotées. D'autres laqués et parfois finement peints. L'un ou l'autre en marqueterie attira leur attention. Ils en distinguèrent des noirs en ébène ou en tek, d'autres constitués d'écorce blanche de bouleau. Ils en virent des tout petits. On aurait pu les tenir dans le creux d'une main. D'autres, énormes, posés sur le sol, dépassaient la taille de nos deux amis. Ils en remarquèrent un très original en bambou.
Les deux enfants revenaient à peine de leur étonnement lorsqu'ils entendirent à nouveau la voix, celle qui les avait invités à entrer dans la maison.
-Bonjour. Vous semblez surpris.
Ils se retournèrent et aperçurent un homme assez grand, fort, vêtu d'un gros pull de laine et d'un pantalon de velours brun. Une barbe bien taillée envahissait son visage. Il les observait tous les deux.
-Bonjour, répondit timidement Béatrice.
-Bonjour monsieur, ajouta François. Où sommes-nous ?
-Vous êtes chez moi. Je suis le maître des vents. Vous m'avez défié, je réponds à votre appel.
-Vous êtes le maître des vents, murmura Béatrice, intriguée.
-Oui. Hier, tu as déclaré vouloir devenir la reine des vents et vouloir commander le mouvement des nuages. Et bien, je t'offre l'occasion de relever le défi et je te donne la permission de choisir trois coffres.
-Que contiennent-ils? interrogea François.
-Tous les vents du monde y sont enfermés, répondit l'homme. Du plus petit zéphyr aux plus grands ouragans. Je les ouvre et je les referme en fonction des saisons, mais bien souvent ils se sauvent, sitôt que j'ai le dos tourné. Tentez votre chance. Prenez-en trois.
Nos amis firent le tour de la grande pièce.
-On prend celui-là, proposa le garçon, indiquant un coffre rouge de taille moyenne.
-Je préfère ce noir, répondit son amie.
-D'accord, cela fait deux, dit François conciliant. Si on choisissait également celui en bambou? Il est différent des autres.
-Bonne idée, décida Béatrice.
Les enfants soulevèrent les trois coffres repérés. Ils s'étonnèrent de les sentir très légers. Ils semblaient vides.
-Oh! craignit le maître des vents, c'est votre choix? Vous n'avez pas pris les plus faciles. Tant pis. Je vais vous poser une énigme. Si vous l'élucidez, vous emporterez d'abord le coffre en bambou puisque vous semblez y tenir tous les deux.
Nos deux amis se taisaient, intrigués, un peu mal à l'aise, mais curieux.
-Je suis invisible, pourtant je suis si fort que je puis déraciner un arbre. Qui suis-je ?
-Le vent, osa Béatrice.
-Bravo. Prenez le coffre, sortez de ma maison et tâchez de retourner chez vous. Ne tentez pas de l'ouvrir avant d'avoir franchi la porte de vos demeures.
Les deux enfants saluèrent l'homme étrange, le maître des vents, et ressortirent par la fenêtre.
-Pourquoi n'avez-vous pas de porte, monsieur? cria François.
-Les vents ont-ils besoin d'une porte pour passer dans une maison ? murmura l'homme.
En sortant de la propriété, Béatrice et François ne reconnurent pas la petite ville dans laquelle ils habitaient. Au contraire, ils se trouvaient sur un chemin qui allait entre les champs et menait vers le bois. Ils marchèrent des heures, jusqu'au soir.
À ce moment, épuisés, affamés, car ils n'avaient rien trouvé à manger en chemin, ils perçurent à travers les fentes du coffre qu'ils portaient, une succulente odeur de riz cuit, de poulet et de légumes. Eux qui avaient si faim! Cela leur donna l'envie d'ouvrir la boîte en bambou.
-Je comprends, s'écria le garçon. Le maître des vents savait qu'on aurait un long chemin à parcourir jusqu'à la maison. Il a prévu notre repas du soir. Asseyons-nous contre un arbre, ouvrons et mangeons.
-Non, refusa son amie, il a bien demandé de ne pas y toucher.
-D'accord, mais il a sans doute voulu dire de le garder fermé jusqu'à l'heure du repas, répondit son copain. Allez, donne-le moi, j'ai faim.
François prit le coffre des mains de son amie et l'ouvrit. Mais surprise, il ne contenait rien. Il ne contenait que du vent.
Un vent violent se leva. Il se transforma en tempête. Il tourbillonna avec une telle intensité que les deux enfants furent soulevés et se trouvèrent flottant au milieu des nuages. C'était à la fois terrifiant et passionnant.
Ils aperçurent d'immenses étendues, immergées pour la plupart sous l'eau. Ils se trouvaient en plein centre du terrible vent appelé la Mousson. Il sévit en Asie. Ce vent, chargé de pluies ininterrompues, fait déborder les rivières et crée des inondations épouvantables. Partout autour d'eux, ils ne virent que désolation.
Béatrice et François se tenaient serrés l'un contre l'autre. Ils flottaient et observaient le désastre. Les rivières débordaient. Les villages se noyaient dans les cours d'eau en crue. Les gens, réfugiés sur les toits, appelaient les secours.
Soudain, ils survolèrent un arbre de grande dimension. Il vibrait, il tremblait sur ses racines. Il se trouvait, à cause de la montée des eaux, dans le courant d'un fleuve impétueux. Normalement, cet arbre poussait sur la rive, mais à cause de l'inondation, les flots débordants le submergeaient à moitié.
Trois enfants s'étaient réfugiés dans cet arbre. Une fille, l'aînée, environ douze ans, et ses deux frères, dix ans et huit ans, qui s'accrochaient à elle en tremblant. Tous trois criaient, tremblaient, pleuraient.
Une barque qui voguait à deux cents mètres de là, passait doucement, chargée de sinistrés. Les secouristes n'entendaient pas leurs appels angoissés. Béatrice s'indigna.
-Ils vont les dépasser sans les voir. Cet arbre va se déraciner et être emporté par le courant. Ils vont mourir tous les trois. Ah! si j'étais la reine de ce vent, je le ferais souffler vers la droite, et le bateau des sauveteurs serait bien forcé de passer près d'eux.
Aussitôt, la Mousson lui obéit et tourna son impétuosité vers la droite. Le bateau de secouristes parvint en vue du grand arbre. Les trois enfants furent secourus. La reine des vents venait de leur sauver la vie.
Quelques instants après, nos deux amis atterrirent en douceur dans l'herbe de la maison du maître des vents. Ils étaient revenus à leur point de départ.
-Entrez, cria l'homme.
Nos amis se hissèrent par la fenêtre qu'ils connaissaient déjà, traversèrent le petit salon, et passèrent dans l'immense pièce rectangulaire chargée de coffres de toutes sortes.
-Je vous avais pourtant avertis de ne pas ouvrir ce coffre. Vous avez libéré une épouvantable tempête qui s'y trouvait enfermée. Je vais vous soumettre une nouvelle énigme. Tâchez d'y répondre et je vous accorderai une deuxième chance.
Nos deux amis écoutèrent attentivement.
-Je peux en donner une part à chacun, je puis la partager avec tous, pourtant, j'en garde toujours autant pour moi, car elle se multiplie. Qui est-ce ?
-La flamme, s'écria Béatrice.
-L'amitié, lança François.
-Bravo à tous deux, répondit le maître des vents. Tenez, prenez le coffre rouge que vous avez choisi. Et cette fois-ci, essayez de le garder fermé.
-D'où venait la bonne odeur de poulet, de riz, de légumes, que nous avons sentie? demanda Béatrice.
-Tu devrais savoir que le vent passe au-dessus des maisons et se mêle aux fumées qui s'échappent des cuisines par les cheminées. Il emporte toutes ces odeurs avec lui. C'est cela que vous avez senti. Allez, prenez le coffre rouge et disparaissez. Retournez chez vous.
Nos amis ressortirent de la maison du maître des vents et se trouvèrent à l'orée d'un bois de sapins. La nuit tombait. Il pleuvait. Ils marchèrent longuement sur une route détrempée. Ils ne pouvaient rien faire d'autre. Marcher, marcher encore. Ils ne rencontrèrent personne. Ils avaient toujours aussi faim.
Il faisait de plus en plus froid. Ils s'étaient habillés au matin pour aller à l'école à la saison d'été. François en short, et Béatrice avec une jupe en jean. Tous deux dans leur t-shirt et leurs sandales grelottaient maintenant.
Soudain, ils sentirent une douce chaleur entre leurs doigts. Elle émanait du coffre rouge qu'ils portaient. Peu à peu, la douce chaleur s'intensifia, puis devint brûlante et bientôt, une fumée noire sortit.
François insista pour ouvrir d'urgence. Le coffre risquait de brûler entre leurs mains et il serait sans doute perdu. Comment retrouveraient-ils leur maison sans lui?
Béatrice rappela que le maître des vents exigeait qu'on ne l'ouvre pas. François arracha la boîte des mains de son amie et fit glisser le verrou d'un coup.
Il s'en échappa un effroyable vent glacé, celui que l'on appelle dans les pays du grand Nord le Blizzard. Un vent violent en provenance du Pôle Nord. Il se charge des plus fortes tempêtes de neige.
Nos amis, soulevés à nouveau par le souffle et portés jusque dans les nuages, découvrirent d'immenses étendues blanches. Il neigeait, il neigeait toujours, les flocons blancs tourbillonnaient.
Soudain dans la tempête glacée, ils aperçurent trois enfants. L'aîné était un garçon d'environ douze ans, puis suivait une fille de dix ans et un petit garçon de huit ans. Ils s'égaraient à cause de la tourmente. Comme ils marchaient là, ils allaient passer à côté de leur village sans l'apercevoir et se perdre dans les bois. Ils y mourraient sans doute de froid ou seraient dévorés par les loups.
À moins de deux cents mètres, un chasseur retournait chez lui. Il marchait vers sa maison, luttant contre le vent. Les trois enfants ne pouvaient pas l'apercevoir et le chasseur n'entendait pas leurs appels.
-Bien, s'écria Béatrice. Puisque je suis la reine du vent, je veux que le Blizzard souffle une bourrasque sur ce chasseur, que son chapeau s'envole et qu'il roule jusqu'aux pieds des trois enfants. Ainsi, il le suivra pour le reprendre. Il rencontrera les enfants et les sauvera en les guidant chez eux.
Et sa demande fut exaucée. Le chasseur se retrouva près d'eux. Il ramassa son chapeau et en se donnant la main, tous retournèrent vers le village. Ils furent sauvés.
Nos deux amis atterrirent en douceur dans l'herbe entourant l'étrange maison sans porte du maître des vents, leur point de départ.
La voix retentit, sévère :
-Entrez ! Décidément, vous n'êtes pas très obéissants.
-On n'a rien demandé, répliqua François. Vous nous avez embarqués dans une aventure qui dépasse nos forces.
-Toi peut-être, mais ton amie poursuivra l'expérience jusqu'au bout. Voici encore une énigme: quand je suis grasse et brune, je te nourris. Quand je suis blond et sec, je joue avec toi. Que suis-je ?
-La terre et le sable, suggéra Béatrice, après un instant d'hésitation. La bonne terre brune fait pousser le blé et les arbres fruitiers. On joue avec le sable blond au bord de la mer.
-Bien, répondit leur hôte. Emportez maintenant ce coffre noir. Vous l'aviez choisi.
-En quelle matière était le rouge ? demanda notre amie.
-Il était fabriqué dans ce bois rouge du Canada, qu'on appelle l'érable. Quant à l'odeur qui s'en dégageait et la douce chaleur du feu, ça venait à nouveau des cheminées. Le vent entraîne avec lui ce qu'elles laissent échapper : les senteurs et la chaleur des feux de bois dans les maisons. À présent, prenez le coffre noir, le dernier que vous avez choisi. Ne l'ouvrez pas et filez chez vous. Adieu !
Béatrice et François sortirent de la maison du maître des vents. Le paysage avait changé. L'aube pointait sa douce lumière à l'horizon. Ils se trouvaient dans un immense désert plat. Le sol était couvert de sable et de pierres.
Le soleil monta rapidement dans le ciel et devint de plus en plus chaud. Une chaleur suffocante régna bientôt au milieu de l'immensité silencieuse et vide, jusqu'aux horizons déchiquetés.
Nos amis marchaient de plus en plus lentement. La soif les torturait. Leurs langues semblaient pâteuses dans leurs bouches. Leurs gorges étaient douloureuses à force d'être desséchées par le manque de salive. Ils avançaient, brûlés de soleil.
-Boire, supplia François, boire, sinon je vais mourir. Je ne peux plus marcher.
Il tomba à genoux dans le sable brûlant. Béatrice lui donna la main.
-Allez, viens, on retourne à la maison.
-On ne la voit même pas à l'horizon, murmura son copain.
-Je sais, dit la fillette en larmes, mais c'est sûrement par là. Viens, allez, courage!
Le garçon se releva, mais son amie ne se sentait pas mieux que lui. Elle était aussi déshydratée et épuisée que lui. Tous deux allaient bientôt mourir de soif dans le désert.
Juste à ce moment, ils entendirent dans le coffre le bruit d'une fontaine. La boîte vibra. De l'eau y coulait en cascade.
-Incroyable, murmura François, on meurt de soif et il y a de l'eau dans le coffre. Ouvre, on va boire.
-C'est une sorte de mirage, dit Béatrice. Tu crois entendre de l'eau, mais dans le désert, je te le dis, c'est un mirage. Si tu l'ouvres, on provoquera de nouveau un malheur.
Le garçon, n'en pouvant plus, ouvrit pourtant le coffre rouge. Il ne contenait pas d'eau, mais un vent terrible s'en échappa, celui des tempêtes de sable. Le Simoun, cet effroyable vent sec et brûlant du désert qui soulève le sable.
Béatrice et François flottaient de nouveau au-dessus des nuages.
Ils aperçurent trois enfants perdus et affolés. Ils tentaient de se couvrir la tête, les yeux surtout, avec leurs vêtements. L'aîné était un garçon d'environ douze ans, puis il y en avait un autre de dix ans, et une fillette de huit ans. Sans doute gardaient-ils quelques chèvres pas loin de leur village. Ils avaient été surpris par la tempête de sable. Ils allaient mourir dans le désert.
À quelques centaines de mètres de là, roulait un gros camion, lui aussi perdu, égaré hors des pistes. Les enfants risquaient soit d'être écrasés, soit de ne pas apercevoir ou entendre ce camion qui pouvait les prendre en charge et les ramener chez eux sains et saufs.
Béatrice intervint et fit souffler le vent dans leur direction. Le camion, peu à peu dévié de sa route, s'approcha d'eux. Le chauffeur s'arrêta à leur hauteur. Ils les fit monter dans l'habitacle et les sauva en les conduisant à leur village.
Nos deux amis se retrouvèrent dans le jardin du maître des vents, leur point de départ.
-Entrez, soupira l'homme. Vous avez encore raté votre aventure.
-Mais on mourait de soif. Ce que vous nous demandez de faire est impossible, s'énerva François. Et puis on a quand même sauvé des vies. Tout n'est pas raté, ajouta le garçon.
-C'est vrai, renchérit Béatrice. C'est irréalisable ce que vous voulez. On entendait le bruit de l'eau...
-L'eau que vous avez perçue est le son capté par le vent aux sources et aux cascades. Il l'emmène avec lui, il le porte dans toutes les directions. Nous entendons, car nous sommes entourés d'air. Sur la lune, où il n'y en a pas, vous n'entendriez rien. Voici une ultime chance. Ne la gâchez pas. Mais d'abord, une dernière énigme : il me crée quand elle s'en va, qu'est-ce que cela veut dire ?
-Il me crée... répéta François. Le soleil?
-Tu es sur le bon chemin, félicita le maître des vents.
-La pluie, proposa Béatrice.
-Oui, ajouta son copain. J'ai trouvé. L'arc-en-ciel! Le soleil crée l'arc-en-ciel quand la pluie s'en va.
-Bien. Voici : je vous confie cette petite boîte. Emportez-la avec vous. Tâchez de ne pas l'ouvrir. Et cette fois-ci adieu vraiment, j'espère.
Les deux enfants, étonnés, sortirent de l'étrange maison en tenant en main la petite boîte qui ne pesait rien. Ils se retrouvèrent dans une avenue qu'ils connaissaient, dans la petite ville où ils habitent.
Tout à coup, Béatrice entendit, venant du coffret, le bruit du bourdonnement d'une abeille. Peut-être y en avait-il deux ou même plus? Au milieu de ce bourdonnement, elle distingua des pleurs et reconnut la voix de son petit frère Nicolas, le bébé d'un an. Il marche déjà à quatre pattes.
-Mon petit frère! s'écria la fillette. Des abeilles l'entourent. Je veux l'en délivrer. Il faut ouvrir la boîte, François.
-Pas question, répondit le garçon. On sera de nouveau soulevés vers les nuages et pour finir, on se retrouvera encore chez le maître des vents. Je ne veux plus le revoir, ni répondre à ses énigmes.
-Laisse-moi ouvrir ce coffret, supplia Béatrice. Nicolas est en danger, entouré d'abeilles. J'ai pu sauver trois fois trois enfants. Je ne vois pas pourquoi je n'aiderais pas mon petit frère.
Cette fois-ci, notre amie arracha la boîte des mains de son copain. Elle l'ouvrit et les deux enfants furent portés délicatement par un doux Zéphyr vers les nuages. Ils flottèrent au-dessus de leur petite ville et réussirent à se diriger vers la maison de Béatrice.
La fillette aperçut Nicolas au milieu du jardin. Il était sorti à quatre pattes, profitant d'une porte ouverte. Assis dans l'herbe, il était entouré par deux abeilles.
-Je veux descendre, cria Béatrice. Vent, fais-moi descendre.
Les deux enfants atterrirent en douceur près du bambin. Le brouillard s'était levé.
La grande sœur, courageuse, chassa les abeilles qui menaçaient le bébé. Le petit ne fut pas piqué. Par contre, elle endura une piqûre. Elle prit le petit dans ses bras et revint à la maison.
-Maman, papa, je suis de retour.
Les parents s'étonnèrent de voir les enfants revenir si tôt le matin. Pour papa et maman, deux heures à peine s'étaient écoulées depuis le départ de nos amis, tandis que pour eux, l'aventure durait depuis plus de vingt-quatre heures. Les parents pensaient donc, à juste titre, que nos deux amis se trouvaient à l'école. Ils hésitèrent à croire l'étrange histoire que Béatrice et François leur racontèrent.
Béatrice n'oublia jamais le maître des vents. Depuis ce jour-là, quand elle observe les nuages qui passent dans le ciel, elle pense à cet homme étrange, mystérieux et l'imagine dans sa maison bizarre au milieu des nombreux coffres.
Elle ne l'a jamais revu, mais elle n'a plus osé l'appeler non plus.