Béatrice et François

Béatrice et François

N°31

Le château de la peur

     Si les histoires d'horreur te font peur, si la nuit, tu fais vite des cauchemars, si tu es seul dans ta chambre à lire ces lignes et que l'orage dehors menace, alors ne va pas plus loin et sélectionne une autre histoire.

Si le craquement d'une armoire dans le silence pesant te fait sursauter puis rire, si les morts-vivants t'amusent, si tu aimes avoir un peu peur, continue...

     C'était une nuit sans lune. Béatrice assise dans son lit, lisait un livre choisi ce matin à la bibliothèque du village. « Dix histoires à ne pas lire le soir si tu espères dormir ensuite ». Elle arriva à la page sept du premier récit.

« Tout à coup, le garçon, vit une main se poser sur son appui de fenêtre. Des doigts squelettiques blancs cliquetèrent un instant contre la vitre. Une seconde main identique à l'autre vint se placer à côté de la première. Puis la tête du monstre apparut. Il avait trois yeux rouges et des dents pointues... »

À ce moment, le rideau de la chambre de notre amie bougea un peu. Elle poussa un cri.

-Ce livre fait trop peur, murmura la fillette. Je ne continue pas à le lire ce soir.

Elle le posa sur le tapis, puis se leva pour aller éteindre la lumière près de la porte de sa chambre.

Elle revint dans le noir, s'enfonça sous ses draps et se tourna pour dormir.


Un instant plus tard, elle ouvrit les yeux. Il se passait quelque chose d'anormal dans la pièce. Elle ressentait une présence.

Comme il faisait noir, elle ne savait pas ce que c'était.

Elle resta un instant immobile sous sa couette qu'elle serrait bien fort à cause de sa peur. Elle remarqua que son rideau bougeait encore.

Béatrice sortit une main de dessous les draps et la dirigea doucement vers la petite table de nuit située juste à côté d'elle. Là se trouve sa lampe de poche. Elle toucha avec horreur, quelque chose de mou et poilu.

Notre amie poussa un nouveau cri. Un miaulement lui répondit. Elle bondit vers l'interrupteur, près de la porte et alluma.

Un chat se tenait près de sa petite lampe, sur la table de nuit.

-Tu m'as fait peur, toi. Que fabriques-tu dans ma chambre et par où es-tu entré ?

Le chat se précipita à terre puis bondit sur la tablette de la fenêtre. Il observa la fillette un instant, puis miaula, comme pour lui dire « viens avec moi ».

Béatrice s'approcha, mais l'animal sauta de l'appui de fenêtre jusque sur la branche d'un arbre situé tout près dans le jardin. Il miaula de nouveau puis descendit et s'assit dans l'herbe. Il semblait inviter la fillette à le suivre.

-Pas la nuit, lança notre amie. Je ne viens pas me promener à pareille heure avec toi. Tu attends demain.

Elle referma la fenêtre pour qu'il ne revienne plus l'ennuyer dans la chambre.


Le lendemain, un samedi matin, elle se leva de bonne heure et regarda aussitôt dehors en ouvrant la fenêtre. Le chat n'avait pas bougé. Il attendait.

Elle passa rapidement son short en jean et un t-shirt bleu. Elle mit ses sandales de toile à peu près blanches et descendit l'escalier en attachant sa longue queue de cheval. Elle se fit vite une tartine à la confiture et vida son verre de lait d'un trait.

-Maman, je peux aller faire une petite promenade ?

-Si tôt ? Et tes devoirs, Béatrice ?     

-Je les terminerai quand je rentrerai.

-Les as-tu seulement commencés ?

Elle baissa la tête.

-Tu pars où et combien de temps ?

-Je ne sais pas. J'ai aperçu un chat dans le jardin. Il me demande de le suivre. Je serai là pour midi.

-J'espère bien. Il est à peine sept heures et demie du matin.


Béatrice sortit par la porte de la cuisine. Elle se rendit au fond du jardin. Le chat se leva et courut vers la rue. La fillette le suivit. L'animal s'éloignait vers le parc et le bois.

Notre amie passa devant la maison de François, son meilleur copain. Elle sonna. Le garçon ouvrit. Il était encore en pyjama et tenait une tartine à la main.

-Salut, François. Tu veux bien m'accompagner ? Ce chat m'invite à le suivre, mais je ne sais pas où il veut me mener. Il va vers la forêt.

-J'arrive, dit le garçon en souriant.

Il revint une minute plus tard. Il avait passé un jean délavé, un t-shirt vert et des baskets. Ils partirent tous deux en suivant le chat.


Il les conduisit au bout de la rue, puis traversa le parc. Il se dirigeait vers le bois. Il suivit une route en terre jusqu'à une vieille bâtisse, une chapelle. L'animal s'approcha du bâtiment et d'un bond, il y entra en sautant par une fenêtre protégée par des barreaux.

-On ne peut pas passer par là, constata Béatrice.

-Faisons le tour, proposa François.

La porte de la chapelle n'était heureusement pas fermée à clé. Ils ouvrirent et regardèrent prudemment. L'endroit était vide et rempli de toiles d'araignées.

Une table en pierre blanche servait d'autel, autrefois. Sur le marbre se trouvait une sorte de brique, épaisse d'un bon centimètre et de la taille d'une main. Elle était lisse et ressemblait à un petit galet. Rose autour et orange au centre, elle leur parut très jolie.


Le chat posa ses deux pattes avant sur la surface polie. Puis il miaula.

-On dirait qu'il veut que tu places ton doigt sur la pierre, dit François.

La fillette appuya son index droit sur la partie lisse. Le félin regarda le garçon.

-À ton tour, dit son amie.

Il posa son index lui aussi.

-Bonjour. Ce ne fut pas une mince affaire de vous amener jusqu'ici, murmura le chat.

-Tu parles ! s'étonna Béatrice.

-N'ayez pas peur, dit le petit animal. Je ne parle pas, je miaule. Mais la pierre sur laquelle vous appuyez chacun votre doigt est magique. C'est une pierre à chats. Elle vous permet de dialoguer avec moi et de comprendre ce que je dis en miaulant.

Il continua.

-Je vous remercie de m'avoir suivi. J'ai besoin de vous.

-Pourquoi ? demanda Béatrice.

-Je suis amoureux d'une jolie chatte grise. Quand elle miaule, je deviens comme fou...

-Et alors ? enchaîna François.

-Elle est prisonnière, enfermée dans un horrible château abandonné.

-Comment ça ? dit notre amie.

-C'est une grosse maison sinistre, entourée d'un jardin en friche. Personne ne s'occupe plus d'arroser les fleurs, de couper l'herbe ou de tailler les haies. J'y suis entré. Ce manoir sent mauvais à l'intérieur.

Nos deux amis écoutaient.

-Au premier étage, se trouve une grande chambre pleine de cages remplies d'oiseaux, de petits chiens, de lapins et de chats prisonniers. Mon amoureuse est avec eux. J'ai tenté de la délivrer mais il y a un verrou que je ne réussis pas à pousser. Oseriez-vous aller dans ce manoir et tenter de libérer mon amie ?

-Ça fait peur, fit remarquer Béatrice.

-Oui, ajouta François. Et puis on ne peut pas entrer dans une maison qui n'est pas la nôtre.

-Alors, tant pis, soupira le chat. Je vais retourner là-bas, dans l'enfer des animaux et me laisser mourir à côté de celle que j'aime.

-On pourrait quand même aller voir, proposa le garçon.

-D'accord, dit Béatrice. On t'accompagne, petit chat. Si ce que tu demandes est réalisable, on le fera.

-Emportez la pierre. On en aura sans doute besoin.

François la glissa dans une poche arrière de son jean. Ils se mirent en route.


Ils empruntèrent un chemin en terre le long de la forêt. Puis ils longèrent un mur de briques assez haut. C'était un vieux mur, très lézardé et envahi de lierre. Quelques herbes folles poussaient sur le haut. Nos amis y aperçurent des araignées et des limaces.

Ils s'arrêtèrent devant une grande grille rouillée entrouverte. Il était écrit: "Château de la peur".

Derrière les barreaux, ils découvrirent un manoir sinistre au bout d'une allée traversée par des longues branches de ronces et couverte de feuilles mortes qui craquaient sous les pieds.

Aux murs gris et sales, certains volets à moitié arrachés pendaient lamentablement et grinçaient au moindre coup de vent. Des plantes sauvages poussaient partout sur la façade et même devant certaines fenêtres. Toutes les vitres étaient cassées.


François sortit la pierre à chats de sa poche. Il la posa à terre et y appuya son doigt. Béatrice fit de même. Le petit chat y mit ses deux pattes avant.

-C'est là que se trouve ta copine grise ?

-Oui, confirma le félin.

-Et tu voudrais qu'on aille là ? dit Béatrice.

-Oui, poussez la grille et traversez le jardin.

-Et par où entrera-t-on dans la maison ? ajouta le garçon. Toutes les fenêtres du bas sont protégées par des barreaux et la porte est fermée.

-Allez derrière. Vous trouverez un escalier qui mène dans les caves. La porte est entrouverte. Je suis passé par là. Une fois dans la cave, vous suivrez un couloir noir puis vous monterez quelques marches et vous arriverez dans le hall d'entrée. Un escalier conduit à l'étage. Vous repérerez facilement la chambre. Vous pousserez le verrou de la cage de mon amie, et puis vous vous sauverez.

Le petit chat se tut.

Les deux enfants se regardèrent. Ils décidèrent de risquer d'aller se rendre compte de plus près. La fillette prit la pierre à chats et la glissa dans la poche arrière de son short.


Ils ouvrirent la grille qui grinça. Un bruit à réveiller un mort.

Ils traversèrent le jardin, enfin, ce qui en restait. Partout des orties et des ronces poussaient à la diable parmi l'herbe haute.

Ils s'arrêtèrent devant le porche de la maison. Aucune lumière n'était allumée. Des volets détachés des fenêtres pourrissaient sur le sol. De la mousse verte et des branches de vigne ou de glycine morte couvraient les murs d'ailleurs très sales.

Ils contournèrent le bâtiment. Il méritait bien son nom de « château de la peur ».

Ils découvrirent à l'arrière un escalier en briques, recouvert de mousse verte. Une dizaine de marches, environ. Cela menait à une porte vermoulue, mais entrouverte.

François sortit la pierre à chats de sa poche et la posa sur la première marche. Le félin y mit ses deux pattes avant, et nos amis, un doigt chacun.

-Pourquoi vous arrêtez-vous ?

-Il faut qu'on descende par là ?

-Oui, entrez.

François reprit la pierre orange et rose et la glissa dans sa poche.


Les deux enfants se donnèrent la main et empruntèrent l'escalier avec prudence. Ils poussèrent la vieille porte moisie, froide et humide au toucher et découvrirent une cave remplie de toiles d'araignées. Cela donnait dans un couloir presque noir qui se terminait par un autre escalier éclairé par la lumière du soleil.

Ils traversèrent la cave en écartant les longs fils collants et s'attendant à tout moment à rencontrer une bête à huit pattes. Ils tremblaient de peur. Ils ne virent pourtant aucune araignée.

Puis ils suivirent le couloir sombre. Le sol, comme la voûte, était pavé de vieilles briques humides et glissantes.

Ils s'approchèrent du hall d'entrée bien éclairé. Un rayon de soleil très lumineux se projetait sur le mur gauche de l'escalier.


À ce moment-là, sur ce mur précisément, ils remarquèrent une tache noire qui se déplaçait lentement. Ils comprirent tout à coup que c'était l'ombre d'une vieille sorcière qui s'approchait. Trop tard pour s'enfuir !

Elle avançait, s'aidant avec une canne, et pliée en angle droit, la tête tournée de l'autre côté. L'affreuse créature ne les vit pas.

Nos amis auraient bien voulu se cacher, mais le couloir vide n'offrait aucune possibilité de cachette. Ils demeurèrent immobiles, silencieux, terrorisés, le cœur battant la chamade, les mains glacées d'effroi.

La vieille sorcière passa devant eux juste au sommet de l'escalier, sans les voir. Elle ne tourna pas la tête.


Un instant plus tard, même pas remis de leurs émotions, les deux amis entendirent pour la première fois le bruit étrange qui leur fit si peur.

-Hiii...hiii...hiii...

François sortit la pierre à chats de sa poche. Ses mains tremblaient. Il la posa sur la première marche. Le petit chat refusa d'y mettre les pattes.

À ce moment-là, ils remarquèrent une deuxième ombre sur le mur. Quelque chose d'allongé, d'environ trente centimètres et doté de longues pattes.

Une monstrueuse araignée apparut au sommet de l'escalier. Elle s'arrêta et se tourna vers nos amis. Elle glissa une patte sur la première marche puis une autre sur la deuxième.

Béatrice et son copain, morts de peur, se tenaient l'un à l'autre en tremblant, paralysés de terreur, incapables de réagir ou de fuir.

-Hiii...hiii...hiii... faisait l'araignée.

Alors qu'elle s'apprêtait à poser une troisième patte sur l'escalier, nos amis entendirent un cri.

-Olga, viens ici, tout de suite.

La sorcière appelait la bête, comme on appelle son chien. L'araignée retira ses pattes de l'escalier et suivit sa maîtresse. Elle disparut derrière le mur du hall d'entrée. Les deux enfants entendirent décroître l'horrible crissement que faisait le monstre en marchant.

L'affreux « hiii...hiii...hiii... » diminua, puis tout redevint silence.


Nos deux amis regrettaient d'être entrés dans ce château de la peur. Ils posèrent leurs doigts sur la pierre à chats. Le petit chat appliqua ses deux pattes avant.

-Tu nous avais caché qu'il y avait quelqu'un et un monstre affreux dans la maison.

-Je ne vous l'ai pas dit, car sinon, vous n'auriez pas osé venir.

-Ça fait vraiment peur. Et où sont enfermés les autres animaux ?

-Traversez le hall d'entrée. Vous arriverez au pied d'un grand escalier en bois. Montez, il mène au premier étage. Vous apercevrez trois portes. Les cages où sont enfermés les animaux sont derrière celle du milieu. Sauvez-les ! La sorcière s'en sert comme garde-manger. Elle les donne à son horrible Olga pour la nourrir.

Courageusement, et en pensant aux malheureux prisonniers, les deux enfants gravirent l'escalier en briques de la cave. Ils entrèrent dans le hall. Ils ne virent personne. Ils se précipitèrent dans celui en bois et s'arrêtèrent à l'étage.

La porte du milieu était ouverte.

Ils entrèrent dans une chambre assez grande, remplie de cages. Nos amis délivrèrent tous les animaux. Les oiseaux s'envolèrent par les fenêtres. Les lapins, les chiens et les chats s'encoururent dans toutes les directions.

-Vite, sauvons-nous aussi, dit Béatrice.

Hélas, l'horrible araignée Olga était au bas de l'escalier en bois et montait vers eux.

-Hiii...hiii...hiii...

-On ne peut plus redescendre. Cachons-nous, dit François. Vite, ouvrons la petite porte à droite, là.

Un autre escalier, étroit celui-là, et très raide, menait vers un grenier. Les deux enfants se dépêchèrent de l'escalader.


Ce grenier était rempli de toiles d'araignées. Nos deux amis en virent tant près du mur du fond qu'on aurait cru du brouillard ou un rideau gris. C'était un nid, un cocon. La monstrueuse Olga y avait pondu ses larves.

-Quelle horreur ! murmura François.

-J'ai trop peur, répondit Béatrice.


Un lourd coffre, deux vieux matelas et une grande armoire meublaient la pénombre de ce grenier. Tout cela était recouvert de poussière. Il n'y avait aucun interrupteur ni aucune lumière, mais, sur le coffre, se trouvaient une grosse bougie et des allumettes.

Le garçon plaça la pierre à chats sur le coffre. Il appuya son doigt. Son amie fit de même. Le petit chat qui les avait suivis avec fidélité, au lieu de s'enfuir avec les autres animaux, y posa ses deux pattes avant. Il y eut un instant de silence.

-Hiii...hiii...hiii...

-Elle nous suit. Elle vient. Cachons-nous au-dessus de la grande armoire.

-Inutile, répondit Béatrice. Les araignées peuvent grimper partout, même sur les murs. Elle nous y rejoindra. 

-Suivez mon idée, dit le félin. Allumez la bougie et posez-la par terre au fond du grenier, sous le cocon. Quand Olga arrivera, elle se précipitera vers ses larves pour éteindre la flamme qui, sinon, risque de brûler ses petits. Vous en profiterez pour vous sauver.

La fillette alluma la bougie. Elle était si angoissée qu'elle brisa trois allumettes avant de réussir. François prit la bougie et, fendant le rideau de toiles, alla la placer sous le cocon.

Il revint près de son amie.  Ils se baissèrent derrière le coffre. Il était temps, elle arrivait.

-Hiii...hiii...hiii...

L'horrible monstre se précipita vers la bougie, la renversa et l'éteignit en se plaçant au-dessus de la flamme.

Béatrice et François s'encoururent par l'escalier.


-Attention à la sorcière, souffla le garçon.

Oui, le château de la peur méritait bien son nom.

Ils traversèrent le hall d'entrée sans voir personne. Ils se précipitèrent vers l'autre escalier, le couloir noir, puis la cave sombre par où ils étaient venus.

Personne en vue.

Ils coururent dans le jardin et passèrent la vieille grille d'entrée. Ils la refermèrent derrière eux.


Deux petits chats vinrent à leur rencontre. Ils miaulèrent en se glissant entre les jambes de nos amis.

-On a oublié de prendre la pierre à chats, soupira François. Elle est restée au grenier, sur le coffre.

-On n'en a plus besoin, affirma Béatrice. Je vais te traduire ces miaulements. Ils signifient merci beaucoup. Vous êtes des enfants très courageux. Vous nous avez délivrés d'un piège terrible. Je vous remercie.

Le garçon se tourna vers son amie.

-Tu crois que c'est cela qu'ils miaulent ?

-J'en suis certaine.

Les deux chats s'éloignèrent côte à côte.

Béatrice et François repartirent à leur maison.


Ils ne sont jamais retournés dans cette demeure sinistre, terrible. Le château de la peur.

Toi qui me lis, si tu veux une pierre magique pour parler avec ton chat, tu sais où elle est... sur le coffre, dans le grenier du manoir. Tu le trouveras sans difficulté au coin du bois. Mais les bébés d'Olga sont peut-être sortis de leur cocon. Des centaines d'araignées ont envahi les lieux. Elles t'attendent en compagnie de l'horrible sorcière courbée, dans le château de la peur.

Si tu oses y aller...

-Hiii...hiii...hiii...