N°18
-Coin, coin, coin, coin, coin.
-Oh, là là ! Que se passe-t-il ? Pourquoi les canards font-ils tant de bruit aujourd'hui ?
Les couincouinements venaient de l'étang, près de la rivière. Cela durait depuis plus d'une heure.
Juliette, qui jouait au jardin avec sa poupée, n'entendait même plus le chant des oiseaux. Notre petite amie de trois ans et demi cessa ses jeux. Elle écouta et se demanda, curieuse, ce qui se passait là-bas.
Elle se leva.
-Je vais aller voir, dit-elle tout haut.
Elle poussa la barrière au fond du jardin et traversa la prairie aux fleurs pour s'approcher de l'étang vert.
Elle arriva assez vite le long des nénuphars et des roseaux. Elle ne vit pas un seul canard à cet endroit.
Pourtant, elle les entendait.
- Coin, coin, coin, coin, coin.
Elle les trouva tous rassemblés à l'autre bout de l'étang, près des grands arbres. Et ils lançaient leurs cris à qui mieux mieux.
Juliette se glissa entre les roseaux. Elle disparaissait au milieu d'eux car ils poussent plus haut qu'elle. Elle marchait en évitant la boue du bord de la mare. Ses parents lui avaient mis des sandales de toile blanche aux pieds et notre amie ne voulait pas les salir.
Elle s'arrêta près d'un arbre déraciné dont le tronc flottait dans l'eau brune.
Là se trouvaient une vingtaine de canards et de canes. Elle aperçut aussi trois lapins, deux tortues d'eau, une bande d'oiseaux de toutes les couleurs et un rang de grenouilles assises sur des nénuphars en fleurs.
Tous regardaient une maman cane qui s'affairait près de son petit caneton. Elle plongeait, se démenait, battait la surface de l'eau avec ses ailes, couincouinait en tournant en rond.
Juliette remarqua que le caneton ne bougeait pas. Elle comprit assez vite que le pauvre petit s'était pris les pattes dans les crochets d'un hameçon de pêcheur.
En essayant de se dépêtrer, il avait accroché sa patte palmée dans une des pointes en fer. Il n'osait plus remuer car cela lui faisait mal.
Notre amie s'approcha.
Les lapins qui se trouvaient au bord de l'étang s'écartèrent pour la laisser passer.
-Mon petit s'est pris les pattes dans les fils et le hameçon du pêcheur, dit la maman cane. Tu veux bien essayer de le détacher ? Toi, avec tes doigts, tu pourrais y parvenir.
Juliette hésita avant d'entrer dans l'eau brune de l'étang. Elle ne voulait pas salir ses petites chaussures de toile blanche. Elle n'osait pas les enlever car elle ne voyait pas le fond de la mare. On y trouve parfois des objets pointus ou des cailloux coupants.
Elle regarda encore un instant autour d'elle, puis prise de pitié pour le pauvre caneton, elle entra dans l'eau et la boue.
Dès le premier pas, de la vase lui vint jusqu'aux genoux. Après trois pas, elle lui arriva jusqu'au ventre. C'était froid et ça ne sentait pas bon.
À chaque pas, la boue du fond se soulevait. Elle vit trois poissons se sauver.
Notre courageuse amie s'arrêta à côté du caneton. Elle tendit les doigts pour le caresser et le rassurer, pour lui montrer qu'elle était gentille.
-Ne crains rien, dit-elle. Je viens juste aider ta maman à te libérer.
Puis elle lui prit la patte dans la main gauche et saisit l'hameçon entre le pouce et l'index droit. Elle réussit à retirer le crochet sans blesser le petit.
-Bravo, dit la maman cane. Et merci, merci petite fille.
Puis ce fut un véritable concert. Chaque canard voulait féliciter notre amie. Les grenouilles et les crapauds, assis sur les nénuphars, se mirent à chanter à leur tour. Les oiseaux se mêlèrent à la bande. Les lapins applaudissaient.
Juliette sortit de l'eau sous les bravos.
La maman cane s'approcha de la fillette.
-Viens avec moi de l'autre côté de l'étang. Tu recevras un cadeau. Tu le mérites bien.
Notre amie se faufila entre les roseaux tandis que les canards glissaient sur l'eau.
Elle s'arrêta près d'une corde qui traînait dans l'herbe. Cette corde passait entre des pierres, puis elle disparaissait vers le fond de l'eau.
-Prends-la en main et tire fort, dit la cane. Tu verras venir ton cadeau.
Juliette saisit la corde et tira de toutes ses forces.
- Oh hisse, crièrent les canards. Oh hisse ! Oh hisse !
Notre amie vit un coffret sortir de l'eau. Elle s'assit dans l'herbe et le posa ruisselant sur ses genoux. Il était tout mouillé, mais sa salopette orange aussi.
Elle ouvrit l'étrange boîte.
Elle contenait un petit appareil rouge pour faire des bulles de savon. Quel bonheur !
Juliette repartit vers la maison en créant des bulles de toutes les couleurs, que le vent un peu fou ce jour-là, emportait au-dessus des roseaux et de l'eau de l'étang, puis virevoltant, ramenait vers elle.
Elle revint près de ses parents suivie par des centaines de bulles qui flottaient autour d'elle.
Papa et maman s'étonnèrent de voir ses vêtements si sales, mais ils écoutèrent le récit de leur petite fille et puis la félicitèrent de se montrer si courageuse et si gentille.