N°2
Si les histoires d'horreur te font peur, si la nuit, tu fais vite des cauchemars, si tu es seul dans ta chambre à lire ces lignes et que l'orage dehors menace, alors ne va pas plus loin et sélectionne une autre histoire.
Si le craquement d'une armoire dans le silence pesant te fait sursauter puis rire, si les morts-vivants t'amusent, si tu aimes avoir un peu peur, continue...
Vers l'an 1250, le baron Charles donnait de grandes fêtes en son château. Ce château en forme d'œuf, construit sur un éperon rocheux situé au beau milieu d'un lac, était constitué d'une part, dans la petite courbure, par une tour noire, assez haute, fort trapue, peu engageante, reste d'un château précédent détruit vers les années 800 par les conquérants vikings, et, d'autre part, à l'autre bout, à la grande courbure de l'œuf, par un bâtiment formé de trois tours reliées entre elles par des hauts murs et dans lesquelles se trouvait le corps de son habitation.
Un soir d'été, le baron reçut onze amis à dîner. Vers la fin du repas, il leur fit une étrange proposition.
-Je connais votre goût, votre attirance pour les jeux horribles, ceux qui font frissonner, mes amis. Je vous ai donc préparé un petit amusement, qui, j'en suis certain, vous plaira. Pour cela, nous devons quitter ce château et nous rendre dans la tour noire qui se situe à l'autre bout de mes jardins. Je pense que cette idée vous séduira. Je vous suggère de m'accompagner.
-Avec plaisir, répondit Philippe, l'un des grands amis et proches du baron. On te suit, avec plaisir.
La petite troupe de douze personnes sortit du château et traversa les jardins. Le soir tombait. Un pont étroit, en pierre, enjambait les douves sur le côté gauche de l'île. Charles y aperçut une vieille femme et une petite fille.
-Allez jusqu'à la tour noire, mes amis, dit-il. Je vais voir ce que l'on me veut et j'arrive.
Les autres s'éloignèrent. Il s'approcha de la vieille femme et de l'enfant. Il observa les yeux très clairs de la petite fille, ses vêtements fort usés et ses pieds nus. Pourtant, ce soir d'été faisait frissonner.
-S'il vous plaît, monseigneur, supplia la vieille femme. Accordez-nous votre hospitalité ou aidez-nous. Je suis la grand-mère de cette petite. Ses parents sont morts. Nous sommes extrêmement pauvres. Nous marchons depuis deux jours et nous n'avons rien trouvé pour nous abriter ni pour manger. Pouvez-vous faire quelque chose pour nous ?
Le baron prétendit se trouver très occupé. Ses amis l'attendaient. Il proposa à la vieille femme de se rendre au village.
-J'en viens, gémit la grand-mère, j'en viens et ils m'ont chassée.
-Je ne peux pas vous recevoir pour l'instant, répliqua Charles. Faute de temps. Vous tombez en pleine fête. Une surprise pour mes amis. Traversez la forêt par là-bas, vers la gauche. Suivez le petit chemin. Vous arriverez à deux autres villages. Quelqu'un pourra certainement vous aider. Ne restez pas sur mes terres. Allez-vous-en.
Le baron repartit vers ses amis. Traversant ses jardins, il s'assura que la vieille femme et la petite fille s'éloignaient et quittaient le pont et l'île.
Comme il les observait, la fillette se retourna. Elle remua les lèvres, prononçant quelques paroles que le baron n'entendit pas.
-...
Il haussa les épaules et retrouva ses amis.
-Venez, dit-il, entrez. Voici la clé de cette tour.
Il ouvrit une lourde porte. Elle donnait dans une salle d'armes, assez sombre, du donjon de l'ancien château. Un escalier de pierres grises menait à l'étage.
-Robert, dit-il à son ami, qui s’engageait sur les premières marches, ne monte pas là-haut. Ça se passe en bas, dans la crypte. Mais avant de descendre à la cave où nous ferons notre jeu, je vous propose, mes amis, de revêtir ces capes.
Il ouvrit une grande armoire-penderie et sortit une série de longues tuniques munies de capuchons, toutes identiques et d'un rouge écarlate. L'écarlate, la couleur du sang. C'était parfaitement sinistre.
Ensuite, de l'autre côté du hall d'entrée, il déverrouilla un grand coffre dans lequel se trouvaient des masques. Ils paraissaient tous plus horribles les uns que les autres. Un masque de squelette, un autre d'araignée, un masque couvert d'asticots, celui-ci ressemblant à une goule, un autre encore suggérait un mort-vivant tout pourri et ainsi de suite.
Chacun mit un masque et se couvrit d'une des grandes capes écarlates. Une fois les masques fixés, les capes fermées et les capuchons serrés autour du visage, nul ne put plus reconnaître qui était qui, dans le silence impressionnant qui régnait.
-Par ici, mes amis. Suivez-moi dans l'escalier, dit le baron.
Il tenait un flambeau à la main. Il l'accrocha dans la salle basse à un crochet prévu à cet effet. Les flammes de la torche éclairaient les murs blancs et ronds d'une lueur sinistre et dansante comme les feux de l'enfer.
Dans cette cave trônait une grande table ronde, avec des chaises placées tout autour.
-Asseyez-vous mes amis, asseyez-vous. Je vous explique le jeu.
Il ouvrit un petit coffret au couvercle arrondi qui se trouvait au milieu de la table. Il contenait douze dés, des dés blancs à jouer, avec six faces numérotées de 1 à 6 par des points noirs.
-Voilà. Le jeu consiste en une partie de dés. Chacun de vous en prend un. Le principe est le suivant. Nous allons tous lancer notre dé en même temps. Il ne faut pas faire un trois. Celui qui fait un trois perd... Puis-je avoir un dé, mes amis. Voyons, qui en a pris deux? Douze dés, et nous sommes douze. Je les ai recomptés tantôt moi-même, avant votre arrivée.
Un silence se fit dans l'assemblée.
Alors, Charles pointa un doigt vers chacun de ses amis. Un, deux, trois… jusqu'à douze. Plus lui-même, cela faisait treize ! Ils n'étaient plus douze, mais treize à présent !
Impressionné, le baron tendit l'index vers ses amis une seconde fois. Il en compta douze de nouveau et termina en se désignant lui-même comme le treizième.
-Qui se trouve parmi nous que nous ne connaissons pas ? dit-il inquiet.
Il régnait à présent un silence sépulcral.
Tout à coup, tous entendirent un bruit d'eau à l'extérieur de la tour. Cela ressemblait à un fort clapotis.
-Nous ne sommes jamais tranquilles, s'énerva le baron. Mes amis, j'arrive. L'un d'entre vous veut-il recompter tout le monde ? Merci. Je vais voir de quoi il s'agit. Je reviens tout de suite.
Charles quitta le petit groupe et remonta l'escalier. L'un des invités se leva et compta l'assemblée. Dix personnes, plus lui-même, ce qui faisait onze.
-Notre ami se trompe, dit-il. Nous sommes onze. Plus lui, cela fait douze...
Tous attendirent, en bavardant à voix basse. Quand ils perdirent patience, ils remontèrent l'escalier. Ils appelèrent leur ami et le cherchèrent à l'extérieur.
Ils le découvrirent grâce aux rayons de la lune qui se levait au-dessus de la forêt profonde. Il flottait dans les douves.
Ils le tirèrent hors de l'eau aussi vite qu'ils purent, mais il était bien mort. Son visage paraissait déformé par la peur, comme s'il avait vu le diable en personne avant de décéder.
On ne lui connaissait pas de famille. Le château resta à l'abandon.
Et deux cent cinquante ans passèrent.
Vers l'an mille cinq cents, un gentilhomme, noble d'origine campagnarde et venu du Sud du pays, aperçut le château en passant en carrosse et le trouva tout à fait à son goût. Il l'acheta. Il fit des transformations. Ces vieilles tours, avec des meurtrières et des mâchicoulis, aujourd'hui, n'étaient plus de mise. On appréciait les fenêtres carrées plus larges et bien sculptées. On exigeait des habitations moins sinistres, plus lumineuses, plus ouvertes.
Ensuite, il s'installa au château. Il y donna des fêtes somptueuses.
Au cours d'une de ces soirées, il annonça à ses amis qu'il avait découvert, dans la tour noire qui se trouvait à l'autre bout des jardins de l'éperon rocheux, un jeu parfaitement horrible. Il le leur recommanda vivement.
Tous l'accompagnèrent joyeusement hors du bâtiment principal. Le printemps fleurissait. La nuit venait de tomber. On sentait la fraîcheur du soir.
Traversant les jardins, le gentilhomme aperçut sur le pont qui reliait la forêt de sapins à ses jardins et enjambait les douves, une vieille dame et une fillette.
-Allez vers la tour noire, mes amis. J'arrive tout de suite, je vais voir ce que l'on me veut.
Il se dirigea vers la grand-mère et la petite. Une fillette aux yeux très clairs, habillée de vêtements fort usés et les pieds nus.
-S'il vous plaît, gentil seigneur, supplia la vieille femme. Accordez-nous votre hospitalité ou aidez-nous. Je suis la grand-mère de cette petite. Ses parents sont morts. Nous sommes extrêmement pauvres. Nous marchons depuis deux jours et nous n'avons rien trouvé pour nous abriter ni pour manger. Pouvez-vous faire quelque chose pour nous ?
-Je regrette, madame. Je ne peux pas vous recevoir. Mes amis m'attendent. Et en plus vous vous trouvez dans ma propriété. Allez voir au village...
-Nous en venons, répondit la vieille femme, et on nous a chassées.
-Je ne puis pas secourir tous les gens qui passent. Je ne le pourrais de toute façon pas. Vous tombez mal. Traversez le bois de sapin. Suivez le petit chemin et, de l'autre côté, vous parviendrez à deux villages. Allez, partez. Ne restez pas sur mes terres.
Le gentilhomme s'éloigna vers ses amis.
Traversant le jardin, il se retourna pour s'assurer que la vieille dame et la fillette quittaient bien le domaine. À ce moment-là, il remarqua que la petite remuait les lèvres. Elle prononça quelque chose, mais il ne le comprit pas.
-...
-Tant pis. Venez mes amis, venez, dit-il, après avoir haussé les épaules.
Il ouvrit la tour du château avec une grosse clé.
-Voilà, arrêtez-vous ici. Non, s'il te plaît Thibault, ne descend pas tout de suite. Nous allons d'abord passer les manteaux écarlates pendus dans cette armoire et puis nous mettrons chacun un masque. Choisissez, vous les trouverez dans le coffre à votre droite.
Deux ou trois parmi eux estimèrent les capes absolument horribles et les masques répugnants. Mais ils consentirent quand même à les poser sur leur visage.
Ainsi vêtus et masqués, silencieux, nul ne pouvait plus reconnaître qui était qui.
Ils descendirent tous ensemble dans la cave peinte en blanc. Leur ami accrocha son flambeau à l'endroit prévu à cet effet. Celui-ci éclairait la cave de ses lueurs sinistres et dansantes.
-Le jeu est très facile, expliqua le gentilhomme. Nous sommes douze. Voici douze dés. Vous en prenez chacun un. Il faut éviter le chiffre trois en le lançant. Celui qui fait trois a perdu. Passez-vous les dés. Merci. Mais... il en manque un. Je les ai pourtant comptés tantôt. Nous sommes douze et il y a douze dés. Qui en a pris deux ? Allons, s'il vous plaît, mes amis.
Il compta ses compagnons, les désignant tous les douze en tendant son index vers chacun d'eux. Avec lui, cela faisait treize! Il recompta encore, ils étaient bien douze, plus lui, treize...
Un lourd silence emplit la crypte. Un silence impressionnant, un silence pesant. La peur faisait battre les cœurs. Soudain, ils entendirent, à l'extérieur, un volet qui grinçait au vent du printemps.
Le gentilhomme observa ses amis un instant encore. On sentait comme une menace.
-J'arrive. Attendez-moi. Si tu veux bien, Isabeau, recompte tout le monde. Je vais fermer ce volet. Il va nous empêcher de jouer tranquillement.
Mais il ne revint pas.
Isabeau compta les personnes assises autour d'elle. Elles étaient dix, plus elle-même, cela faisait onze.
-Notre ami se trompe, dit-elle. Nous sommes onze, plus lui, cela fait douze et pas treize.
Comme il ne revenait pas, ils quittèrent la cave de la tour et remontèrent l'escalier. Quand ils arrivèrent au portail, ils remarquèrent que des gouttes tombaient sur les dalles. Pas des gouttes de pluie, le ciel était bien dégagé. Mais des gouttes de sang. Elles coulaient le long du mur de la tour, puis s'écrasaient devant la porte.
Passant entre ces gouttes et puis se retournant, ils aperçurent le gentilhomme accroché par le cou, le corps pendant le long de la façade de la tour au premier étage. Il était embroché par la pointe en fer qui formait la charnière d'un volet. Le crochet transperçait de part en part le cou de leur hôte qui achevait de se vider de son sang, comme un cochon qu'on égorge.
On ne lui connaissait aucune famille.
Le château resta à l'abandon pendant deux cent cinquante ans.
Vers mille sept cent cinquante, un industriel fortuné aperçut le castel un jour qu'il faisait une promenade à cheval avec sa compagne poétesse. Il le trouva romantique. Elle le trouva charmant.
L'industriel l'acheta et le fit aménager. Les goûts du dix-huitième siècle différaient de ceux de la Renaissance. Ils entreprirent des travaux de restauration importants. Puis ils s'y installèrent tous les deux et y donnèrent quelques belles fêtes.
Un soir d'hiver, réunissant dix amis, sa compagne et lui proposèrent un jeu qu'ils décrivirent comme macabre.
Ils se dirigèrent tous vers la tour arrière qui se trouvait au fond du jardin du château.
Marchant avec ses amis, l'industriel aperçut la vieille femme et la fillette aux yeux clairs. Le plein hiver glaçait. Une de ces nuits de gel éclairées par un quartier de lune et pleines d'étoiles. Une de ces nuits horriblement froides comme il en vient parfois.
La fillette marchait pourtant les pieds nus.
-S'il vous plaît, monsieur, supplia la vieille femme. Accordez-nous votre hospitalité ou aidez-nous. Je suis la grand-mère de cette petite. Ses parents sont morts. Nous sommes extrêmement pauvres. Nous marchons depuis deux jours et nous n'avons rien trouvé pour nous abriter ni pour manger. Pouvez-vous faire quelque chose pour nous ?
Le maître des lieux répondit qu'il ne faisait pas œuvre de charité à toute heure. Il envoya la vieille femme au village. Celle-ci expliqua qu'elle en avait été chassée.
Alors, l'industriel lui proposa de traverser la forêt et de se diriger vers les deux autres villages. Elle y serait certainement secourue. Lui s'occupait d'une réunion, avec ses convives.
Il se retourna en rejoignant ses amis. Il vit la fillette remuer les lèvres mais il ne comprit pas ce qu'elle disait.
-...
Il haussa les épaules.
Il entra dans la tour du château. Ils se déguisèrent avec les masques et les capes. Et bientôt, nul ne reconnut plus qui était qui dans le silence qui régnait.
Ils descendirent à la crypte. L'industriel accrocha la torche au mur. Il donna les dés à ses amis. Il en manqua un pour lui. Le maître des lieux compta. Ils étaient treize autour de la table...
Dans le silence qui suivit, ils entendirent un claquement retentissant, comme celui d'une tuile qui se détache d'un toit, tombe, et éclate sur le sol. L'industriel se leva, s'excusant auprès des autres et les priant d'avoir la gentillesse de l'attendre. Il ne revint bien entendu pas...
Jacques compta les présences. Ils n'étaient plus que onze, lui compris.
Quand les invités sortirent de la cave, ils ôtèrent les tuniques écarlates et les masques. Avançant sur le chemin dallé qui reliait la tour noire au château, ils découvrirent leur ami. Sa tête avait été tranchée par une tuile tombée du toit, et séparée du reste du corps. La tête avait roulé à cinquante centimètres du cou et reposait là, sur le sol, les yeux ouverts. Une flaque de sang séparait les deux parties du corps.
On ne lui connaissait pas de famille. Et deux cent cinquante ans passèrent...
Et nous voilà aujourd'hui.
Magalie, assise au salon chez ses parents, est au téléphone, entourée par plusieurs de ses amis.
-Allô, tante Rosa ? Bonjour ! C'est Magalie. Comment vas-tu ?
-Très bien, ma chérie, répondit tante Rosa. Je me porte à merveille. Et toi ? Comment va ma jolie nièce de seize ans?
-Oh, très bien. Dis, tante, comment marche ton hôtel ? Je sais que tu viens d'acheter ce château et que tu le transformes en un lieu très chic. Tu as du monde ?
-On est complet, répondit la tante Rosa. Je suis très contente. Les grandes transformations s'achèvent et je crois que je vais encore gagner une étoile au Michelin. Je compte cependant fermer fin septembre jusqu'aux vacances de Pâques. Tu n'imagines pas, Magalie, le prix du mazout pour chauffer ce bâtiment ! Beaucoup trop cher. Et la rentabilité sera mauvaise l'hiver. Mais je suppose que ce n'est pas pour cela que tu me téléphones ma chérie. Que puis-je faire pour toi ?
-Tante Rosa, demanda Magalie en suppliant, m'autoriserais-tu à occuper le château pour le week-end de la Toussaint, pour le week-end d'Halloween ?
Il y eut un moment de silence au téléphone.
-Mais ma chérie, le château sera fermé et le chauffage arrêté. Vous allez mourir de froid, là-dedans.
-J'ai pensé à cela, répondit la jeune nièce. Nous allumerons un feu dans la cheminée du salon et dans celle de la salle à manger. Nous installerons nos sacs de couchage entre les fauteuils. Tu sais, nous sommes tous des scouts et des guides. On n'a pas vite froid. Nous ferons des jeux dans la salle à manger et nous préparerons les repas à la cuisine. Nous n'irons pas dans les chambres. On ne salira rien.
-Bon, répondit tante Rosa, Je vois que tu as tout prévu. Tu sais très bien, ma chérie que je ne te refuse jamais rien. Je ne vois pas pourquoi je commencerais aujourd'hui. Tu as ma permission. Je te demande de ne rien déranger et de tout fermer quand tu partiras. Et, surtout, choisis bien tes amis et n'accueille personne que tu ne connaîtrais pas. Tu ne recevras que des copains et copines que tu fréquentes souvent, des amis sûrs.
-Je te le promets, répondit Magalie. Tante, tu es très gentille. Je t'embrasse très fort, et je te remercie.
-Au revoir, répondit Tante Rosa. N'oublie pas de venir chercher les clés du château, une quinzaine de jours avant de t'y rendre.
Elle raccrocha.
-Génial, s'écria Magalie à ses amis qui l'entouraient. Nous avons le château pour le week-end d'Halloween. Nous allons passer trois jours absolument déments là-bas. Je m'en réjouis déjà.
Tous applaudirent et quelques semaines passèrent.
Ils arrivèrent en compagnie de Magalie le vendredi en début d'après-midi. Julien, l'ami de Caroline, puis Alexandre. Jean-Marc et Céline, Lionel et Mélody, Arnaud et bien entendu, Manu et Olivia, un petit duo qui tenait déjà depuis un an, tandis que Jean-Marc et Céline, cela ne faisait que trois mois qu'ils étaient ensemble. Laurence, la meilleure amie de Magalie, se présenta la dernière. Bref, ils étaient douze.
Ils allumèrent un feu dans la cheminée du salon et y installèrent leurs sacs de couchage. Ils chauffèrent aussi la salle à manger qui donnait dans la cuisine, et, là, grâce aux fourneaux, il faisait suffisamment chaud.
Vers le soir, les garçons renvoyèrent les jeunes filles au salon, assurant qu'ils allaient préparer le meilleur spaghetti du monde. Les jeunes gens prétendent toujours cela, et ils ont souvent raison.
Pendant le repas, Magalie prit la parole.
-Mes amis, je suis venue dans ce château un week-end pendant l'été pour saluer ma tante Rosa. J'ai visité une tour abandonnée de fond en comble. Elle se trouve au-delà des jardins, de l'autre côté de l'île. J'y ai découvert un jeu macabre, un jeu horrible, que je vous recommande. Cela vous intéresse ?
-Bien sûr, répondirent les amis. Avec plaisir.
-Si possible, tenta Mélody, j'aimerais bien quelque chose de pas trop centré sur l'horreur, parce que moi, je n'aime pas cela et puis je fais des cauchemars.
-Mélody, supplia Lionel son grand copain. Cela va bien se passer, tu verras. Reste avec moi, je te tiendrai la main.
-Ah, dans ce cas... murmura la jeune fille.
Tous et toutes accompagnèrent leur amie.
Traversant les jardins, Magalie aperçut une vieille femme et une fillette qui s'apprêtaient à entrer dans la propriété en passant sur le pont, au-dessus des douves.
Elle proposa à ses amis de se diriger vers la tour. Elle allait les rejoindre dans un instant. Elle s'avança vers la vieille femme. Le vent d'automne secouait les branches des arbres et arrachait leurs feuilles. Vu la fraîcheur ambiante, notre amie s'étonna de voir cette petite fille aux yeux très clairs, simplement vêtue de vêtements fort usés et les pieds nus.
-S'il vous plaît, mademoiselle, supplia la vieille femme. Accordez-nous votre hospitalité ou aidez-nous. Je suis la grand-mère de cette petite. Ses parents sont morts. Nous sommes extrêmement pauvres. Nous marchons depuis deux jours et nous n'avons rien trouvé pour nous abriter ni pour manger. Pouvez-vous faire quelque chose pour nous ?
-Je regrette vraiment, soupira Magali. Je n'habite pas ici. À la maison, je demanderais à mes parents de vous secourir, mais j'ai promis à ma tante de ne laisser entrer personne que je ne connaîtrais pas. Pourquoi n'allez-vous pas au village? Allez sonner chez le curé? Il trouvera certainement une solution pour vous.
-Nous venons du village. Personne ne veut nous aider, expliqua la vieille femme. Toutes les portes se ferment. Le curé est absent.
-Je ne peux pas vous accueillir, je le regrette, affirma la jeune fille.
Elle courut chercher un paquet de biscuits et le leur remit.
-Suivez la route qui traverse la forêt, vous pourrez recevoir de l'aide dans les villages qui se trouvent de l'autre côté du bois.
La vieille femme s'éloigna vers le bois avec la petite qu'elle tenait par la main.
Magalie, penaude, rejoignit ses amis.
Un instant, elle se retourna pour regarder si la grand-mère et la fillette s'éloignaient du château. Elle vit la petite l'observer et remuer les lèvres. Elle prononça quelques paroles, mais notre amie ne comprit pas ce qu'elle disait.
-...
Avec regret, elle soupira et rejoignit ses copains. Elle tenait la grande clé de la tour. Elle ouvrit.
-Voilà, mes amis. Il faut commencer par tous passer ces grandes tuniques écarlates.
-Mon dieu, quelle couleur horrible, s'exclama Mélody.
-Quelle couleur affreuse, renchérit Julien. Vraiment pas engageant.
-En effet, fit remarquer Arnaud, la couleur écarlate... celle du sang.
-Oh tais-toi, supplia Mélody. Ça suffit comme ça.
Puis, leur amie ouvrit le grand coffre. Ils en sortirent les masques, tous, bien sûr, plus monstrueux les uns que les autres.
Melody voulut retourner au château, mais Lionel la pria gentillement de rester avec lui. Il promit de s'asseoir à côté d'elle pour le jeu.
Une fois tous masqués, revêtus de ces grands manteaux écarlates et encapuchonnés, ils descendirent les escaliers qui menaient à la cave. Horrible procession silencieuse. Et nul ne savait plus qui était qui.
On n'avait pas encore installé l'électricité. Tante Rosa consacrait tout son argent à la restauration du château et laissait pour le moment la tour à l'abandon.
Magalie fixa, à l'endroit où dans le temps on plaçait une torche, une puissante lampe de poche qui éclaira le plafond de la crypte blanche dans laquelle nos amis se trouvaient à présent. Ils s'assirent autour de la grande table ronde.
-Voilà, expliqua notre amie. C'est un jeu très simple, bien que très impressionnant. Nous devons chacun jouer avec un dé. Tiens, dit-elle en tendant les dés à l’un de ses copains, tu veux bien les passer s'il te plaît. Chacun prend un dé.
Et pendant qu'il les distribuait, leur amie précisa que le but du jeu consistait à ne pas faire un trois. Si on faisait un trois, on perdait.
-Je voudrais bien recevoir un dé, dit Magalie en souriant.
-Il n'en reste plus, dit l'un d'entre eux situé au bout de la table.
-Mais, nous sommes douze. Et le coffret contient douze dés.
Elle se leva et compta ses amis, les désignant du doigt. Un, deux, trois, quatre… neuf, dix, onze, douze… et elle-même treize !
Un silence de mort tomba sur l'assemblée. La jeune fille recompta en silence, l'index tendu.
-Un, deux, trois... neuf, dix, onze, douze, et moi, treize.
-Qui est parmi nous, que nous ne connaissons pas ?
À ce moment-là, on entendit un "bang", comme si quelqu'un, dans les jardins, tirait avec une arme à feu, suivi d'un bruit d'écroulement de pierres.
-Je vais voir, s'inquiéta Magalie. J'arrive tout de suite mes amis. Que l'un d'entre vous recompte tout le monde. Je viens.
Elle remonta les escaliers.
Ils se comptèrent. Onze, plus leur amie, cela faisait douze.
Comment pouvait-elle se tromper ainsi ? se demandèrent-ils.
Ils attendirent tous, en silence, mais leur hôtesse ne revenait pas. Alors, ils remontèrent l'escalier. Certains allèrent au premier étage de la tour. Ils ne trouvèrent personne. Ils appelèrent. Leurs cris demeurèrent sans réponse. Magalie avait bel et bien disparu.
Ils redescendirent à la cave. Sur les murs de la sinistre crypte vide se trouvait écrit, peint en grosses lettres couleur rouge sang et dégoulinant encore: "Jouez la partie de dés".
-Je crois qu'elle veut nous impressionner, déclara Lionel. Mes amis, venez, asseyons-nous autour de la table et jouons-la, cette partie de dés.
Ils reprirent chacun un dé. Ils posèrent celui de leur amie au centre de la table. Ils lancèrent les dés. Il y eut un deux, des quatre, un cinq... Julien fit un trois.
-Julien, chuchota Laurence assise à côté de lui et qui avait reconnu sa voix. Allez! On n'aime pas les mauvais perdants. Ce n'est qu'un jeu ! Tu perds. Ce n'est pas si grave.
Comme le garçon ne bougeait pas, Laurence lui enleva son masque.
Le visage de Julien apparut sous la forme horrible d'une goule, un mort-vivant. Un visage vert, pourri. Les yeux bleuâtres. Les lèvres couvertes de champignons moisis. Il s'écroula sur le sol.
-Quelle horreur, s'écria Alexandre qui se leva et courut en appelant Magalie.
Il emprunta l'escalier quatre à quatre, espérant la trouver là-haut. Tous le suivirent une longue minute plus tard.
Ils entendirent alors un bruit venu du haut. Quelque chose tombait de marche en marche, en roulant. Ils aperçurent une tête, celle d'Alexandre. Elle dégringolait lentement par l'escalier, depuis le premier étage. La tête s'immobilisa auprès des amis pétrifiés d'horreur.
Quelques instants plus tard, le reste du corps du garçon chuta dans l'espace entre les rampes et s'écroula sur le sol, les éclaboussant tous de son sang.
Jean-Marc et Céline s'encoururent vers la partie hôtel du château. Le vent soufflait par rafales dans la nuit noire. Les autres suivirent quelques mètres en arrière.
Ils virent soudain qu'une des dalles de l'allée qui reliait la vieille tour à l'hôtel basculait. S'avançant prudemment au bord, ils découvrirent une profonde oubliette. Les deux amis s'y trouvaient, dix mètres plus bas, morts.
Au fond de cette oubliette un éperon extrêmement acéré pointait vers le haut. Jean-Marc, chutant en arrière, avait eu le dos transpercé, empalé. L'éperon lui traversait le corps du dos jusqu'au torse. Il avait la tête renversée en arrière. Céline, son amie, était transpercée par la même pointe, du torse vers le dos, la tête penchée en avant, la bouche contre celle de son ami, dans un baiser d'éternité.
Horrifiés, Lionel et Mélody, Arnaud, Manu et Olivia, Laurence et Caroline, se précipitèrent vers le château.
Lionel et Mélody choisirent d'y rester.
Arnaud, Manu et Olivia, Laurence et Caroline, s'éloignèrent vers la tour noire. Ils se taisaient, impressionnés par les terrifiants événements dont ils subissaient le jeu.
Quand ils arrivèrent à l'entrée de la tour noire, ils entendirent des cris et des appels au secours, venus de l'hôtel.
Ils se précipitèrent, faisant le trajet en sens inverse.
Caroline leva la tête un instant et aperçut, à une fenêtre du premier étage, une fillette aux yeux clairs qui la regardait fixement. Ce ne fut qu'une brève apparition. Elle fut la seule à la remarquer. Elle frissonna.
Nos amis entrèrent dans l'hôtel. Les corps de Lionel el de Mélody gisaient sur le sol de la cuisine, à moitié dévorés par une cinquantaine d'énormes rats venus d'on ne sait où. Un spectacle horrifiant.
Sur les murs du salon, ils lurent : « Finissez la partie de dés ».
En silence, Arnaud, Manu et Olivia, Laurence et Caroline repartirent vers la tour. Masqués et vêtus de leurs capes écarlates, ils descendirent et se placèrent autour de la table.
Arnaud, comme les autres, lança son dé. Il fit un trois. Chacun regarda fixement l'endroit de la table où se trouvait son dé. Aucun n'osait relever la tête.
Ils perçurent une odeur piquante. Alors, se tournant vers leur ami, ils virent le visage d'Arnaud rongé par une sorte d'acide fumant. Son nez et ses yeux disparaissaient. La peau du visage fondait comme cire au soleil et dégoulinait sur le torse du malheureux. Il s'écroula sur le sol.
-Je me sens mal, je me sens mal, cria Manu. Je crois que je vais vomir. Olivia, Olivia, s'il te plaît, aide-moi. Je vais vomir.
Manu et Olivia montèrent l'escalier de la tour. Laurence expliqua que des toilettes se trouvaient au premier étage. Les deux amis se dirigèrent par là, tandis que Laurence et Caroline, qui se donnaient la main, attendaient dans le hall.
Comme ils ne redescendaient pas, elles montèrent au premier. Une porte était ouverte, mais pas celle des toilettes. Une pièce sombre.
Elles y découvrirent le corps de Manu et celui d'Olivia, étendus sur le sol, couchés l'un contre l'autre, débarrassés de leurs masques, le visage recouvert d'horribles araignées noires. Elles couraient sur leur peau, sortaient de leur bouche et de leur nez, passaient sous leurs habits par le cou, les bras et les jambes et rampaient sur leurs corps, formant un linceul monstrueux et frémissant.
Laurence et Caroline redescendirent. Deux grandes amies mais, à présent, deux joueuses à la vie, à la mort. La première qui ferait un trois mourrait. Fin de partie.
Elles se placèrent chacune d'un côté de la table, sans cape, sans masque.
Laurence fit un deux. Caroline un six. Laurence relança le dé et fit de nouveau un deux. Caroline un quatre.
Laurence jeta son dé. Caroline le vit rouler presque jusqu'en-dessous de son visage. Elle aperçut un trois. Elle n'osa pas lever la tête.
Elle entendit un cliquetis sur la table, à l'endroit où se trouvait Laurence... Risquant de regarder, elle vit son amie transformée en squelette.
Horrifiée et seule à présent, Caroline se mit à hurler de peur. Elle ne se maîtrisait plus. Elle faisait des gestes désespérés avec ses bras, dans l'espoir que quelqu'un l'entende, que quelqu'un la prenne et l'arrache à l'horreur. Elle criait, tremblait, pleurait.
Elle sentit une main se poser sur elle. Elle ouvrit les yeux. Julien, son ami.
-Caroline, Caroline! Arrête de crier, tu nous réveilles tous.
Les autres se redressèrent et l'entourèrent. La jeune fille les regarda, hébétée, horrifiée par les images de mort qui dansaient encore devant ses yeux.
-Caroline, que t'arrive-t-il? dit Julien en souriant. Tu as dû faire un horrible cauchemar…
Caroline acquieça d'un signe de la tête. Oui, elle sortait d'un horrible cauchemar. Elle avait rêvé toute cette affreuse histoire depuis le début. Les images s'estompaient à présent.
Julien serra son amie dans ses bras. Tout le petit groupe la réconforta et ils se racontèrent des histoires jusqu’au petit matin.