N°26
Isabelle jouait au jardin au grand soleil. Il faisait très chaud. Elle transpirait. Elle se dirigea vers la rivière, pour s'y rafraîchir les mains et peut-être y patauger.
Elle traversa le jardin, passa sous la clôture car elle ne sait pas l'ouvrir et marcha dans le champ de fleurs. Elle se glissa ensuite à quatre pattes sous les vieux barbelés et parcourut le terrain vague.
Elle arriva ainsi au bord du ruisseau.
Elle enleva ses sandales de toile et mit les pieds dans l'eau vive de la rivière. Quel bonheur ! Elle s'avança doucement vers le milieu, là où c'est un peu plus profond. L'eau montait au-dessus de ses genoux. Heureusement, elle ne portait pas sa salopette jaune ou bleue habituelle, mais un vieux short que ses parents lui mettent pour aller jouer là.
Comme elle avait encore trop chaud, elle enleva son t-shirt et le posa près de ses chaussures. Elle retourna dans le courant en faisant bien attention de ne pas glisser aux endroits où les pierres sont fort lisses.
Elle aperçut, de l'autre côté de la rivière, là où commence le bois, un grand sapin qui poussait juste au bord de la rive.
Une énorme racine de l'arbre plongeait dans l'eau, remontait ensuite à la surface, et replongeait à nouveau. La partie qui émergeait faisait comme un petit fauteuil à l'ombre, au milieu du courant.
Isabelle voulut aller s'asseoir à cet endroit. Marchant doucement pour ne pas tomber ni se blesser à certains cailloux pointus, elle se dirigea vers la racine.
Elle arriva tout près, quand tout à coup, son pied glissa dans une sorte de crevasse. La fillette eut l'impression que la racine la saisissait par la cheville et la serrait très fort.
Elle essaya de tirer sa jambe, mais son pied était vraiment coincé. Il semblait prisonnier.
Isabelle tenta de se libérer. Elle se pencha vers la gauche, puis vers la droite, les bras écartés pour ne pas tomber, mais sans succès. Elle ne parvint pas à se dégager.
Elle essaya alors un mouvement en va-et-vient, de toutes ses forces, mais en remuant ainsi, elle se fit une écorchure. Maintenant elle saignait un peu.
Affolée, elle se mit à pleurer. Elle se tourna vers la maison et cria.
-Papa ! Maman !
Mais son père se trouvait bien loin à son travail, et sa mère absente quelques minutes de la maison. Ils n'auraient de toute façon pas entendu les cris de leur petite fille.
Alors, elle appela ses grands frères :
-Bertrand ! Benoît ! Benjamin !
Aucun d'entre eux ne vint. On était pourtant un mercredi, au milieu de l'après-midi.
Bertrand, âgé de dix-neuf ans, suivait un cours à l'université. Benoît, comme d'habitude, se penchait sur sa console de jeux. Bruyante ! Quant à Benjamin, il jouait probablement au foot derrière l'église avec ses copains. Tous étaient trop loin pour entendre les appels désespérés de leur petite sœur.
Ah, ayez des grands frères, songea-t-elle... Quand on a besoin d'eux, ils ne sont pas là.
Isabelle cria encore :
-Jay ! Jay !
C'est son copain d'école. Il a presque six ans, comme elle. Mais Jay ne répondit pas non plus. Il habite trop loin, de l'autre côté du village.
Encore une fois, elle eut envie de pleurer. Mais cela ne servait à rien. Elle le savait bien.
Elle tira encore sur son pied, en le tournant vers la gauche, puis vers la droite. Pas moyen de se libérer. Elle demeurait coincée là, debout dans l'eau froide, à l'ombre des sapins.
Quelques instants plus tard, elle vit une abeille s'approcher d'elle. Rien que le bruit du bourdonnement la fit frémir. Ah, si elle avait pu courir! Mais son pied tenu par la racine, l'empêchait de s'enfuir.
L'insecte tournait autour de la fillette. Elle craignit d'être piquée à l'épaule ou au dos.
-Va-t'en, dit-elle. Je ne veux pas que tu me fasses mal.
Mais l'abeille se posa sur le cou de notre amie qui tremblait, paralysée de peur.
Soudain, l'abeille reprit son vol. Elle s'arrêta juste devant Isabelle. Elle volait sur place, comme elles savent faire, à quelques centimètres de son visage.
La fillette plongea ses mains dans la rivière et jeta brusquement des gouttes d'eau sur l'insecte qui disparut aussitôt.
Hélas notre amie ne fut pas tranquille longtemps...
Un corbeau, un gros corbeau tout noir, vint se poser sur une des branches du sapin. Il regardait fixement Isabelle avec ses yeux bruns.
-Croa..., fit-il soudain.
Notre amie se saisit. Elle avait peur des corbeaux en ce temps-là.
Bientôt un deuxième puis un troisième se joignirent au premier. Ils se trouvaient tous les trois sur la même branche et regardaient la petite fille. Ils poussaient de temps en temps des «Croa, croa» menaçants.
Isabelle tremblait de nouveau. Elle ne pouvait pas s'encourir. Son pied restait coincé douloureusement dans la racine.
- Allez-vous-en! Allez-vous-en!
-Croa...
- Mais allez-vous-en!
Elle se rappela que l'abeille était partie lorsqu'elle lui avait jeté de l'eau.
Notre amie plongea ses mains dans la rivière et arrosa généreusement les corbeaux. Deux d'entre eux s'éloignèrent, mais le premier s'approcha.
-Va-t'en, répéta la fillette en lui lançant de l'eau.
L'oiseau s'envola en la frôlant. Pour l'éviter, elle se pencha et tomba en arrière. Elle se redressa aussitôt. Le corbeau avait disparu.
Toute mouillée, Isabelle ruisselait et grelottait de froid à présent, à l'ombre du sapin.
De nouveau, elle essaya de tirer son pied du creux où il était coincé, mais la racine le tenait toujours avec fermeté.
Elle regarda autour d'elle pour voir si elle ne pouvait pas faire quelque chose pour s'aider d'une manière ou d'une autre. À ce moment-là, elle aperçut, sur le tronc du sapin, une grosse araignée noire.
La terrible bête descendait doucement vers la racine. Isabelle pensa qu'elle allait s'approcher, même en passant dans l'eau, et venir la mordre à la jambe.
Elle lui lança de l'eau à deux mains, en se penchant, tandis que l'araignée avançait vers elle. À cause de son pied pris par la racine, la fillette tomba de nouveau dans le courant.
Très rapidement, elle se redressa. Elle dégoulinait trempée de la tête aux pieds. Ses deux longues tresses, son visage, son torse, son dos, tout ruisselait.
L'araignée avait disparu. Où se trouvait-elle ?
Isabelle regarda attentivement, mais elle ne la vit pas. Peut-être qu'éclaboussée par sa chute, elle était partie emportée par la rivière.
Notre amie avait très froid, maintenant. Elle tremblait toute mouillée. Elle aurait bien voulu passer son t-shirt laissé de l'autre côté au soleil, sur les cailloux de la rive. Mais elle ne pouvait pas l'attraper parce que la racine la tenait prisonnière.
Soudain, elle entendit un aboiement sinistre dans le bois.
-Mon Dieu, se dit Isabelle, on dirait un loup !
Puis elle se rappela ce que son papa lui disait souvent: "Il n'y a pas de loups dans la forêt". Mais le hurlement se faisait entendre de plus en plus fort. Ça voulait dire qu'il se rapprochait. La fillette regarda entre les sapins, en écarquillant les yeux. Elle tremblait de froid, mais surtout de peur à présent.
Soudain, là, sous les grands arbres, à cinquante mètres d'elle, elle l'aperçut...
Elle vit ses poils noirs, sa gueule énorme, garnie de longues dents blanches, ses yeux jaunes et ses oreilles pointues. Sa langue rose.
Il descendait lentement et s'approchait de notre amie.
-Non, pas le loup, supplia Isabelle. S'il te plaît, loup, va-t'en!
Elle se tourna vers la maison.
-Papa ! (Elle n'osa pas crier trop fort à cause du loup). Maman !
L'animal maintenant se trouvait à trente mètres. Il fut bientôt à vingt mètres, puis à dix mètres seulement. Isabelle regardait. Comme son cœur battait vite, à cause de la peur!
-Va-t'en, dit-elle encore. Ne me fais pas de mal, s'il te plaît. Je ne suis qu'une petite fille de cinq ans. Loup ! Loup !
Il la regardait fixement. Il continuait à passer sa langue sur ses babines retroussées.
-Mon Dieu, murmura Isabelle. Il a l'air d'avoir faim. Que vais-je faire ?
L'animal s'approcha encore. La fillette voulut hurler, mais elle avait tellement peur qu'elle ne parvint même plus à crier. Elle mit ses mains devant les yeux.
Tout à coup, elle entendit le son aigu d'un sifflet. Notre amie regarda vers le haut du bois. Une dame marchait dans la forêt, là-haut, sur le chemin en terre.
-Aux pieds, Capitaine. Assis! Tu vois bien que tu fais peur à la petite fille.
Le chien, (car ce n'était pas un loup, mais un chien qui ressemble à un loup), retourna près de sa maîtresse. Elle tenait un bâton à la main. Elle observa Isabelle.
-Que fais-tu dans l'eau ? Pourquoi restes-tu là si tu as peur?
-J'ai le pied prisonnier par une racine, madame. Mes parents et mes frères ne m'entendent pas. Pourtant je les appelle.
La dame descendit avec son grand chien.
-Assis, Capitaine. Et ne bouge pas. Comment es-tu parvenue à te coincer là-dedans, toi ?
-Je ne sais pas, dit Isabelle. Je voulais m'asseoir là et maintenant, je ne peux plus partir. Mon pied est serré par la racine.
La dame entra dans l'eau et, usant de sa force, elle parvint à l'écarter. Notre amie put dégager sa jambe.
-Merci beaucoup.
-Mais de rien, petite fille. Comment t'appelles-tu ?
-Isabelle.
-Il me semble que Capitaine t'a fait bien peur.
-Oh oui! Je croyais que c'était un loup.
-Tu peux t'approcher. Il ne te fera aucun mal. Il obéit très bien. Capitaine, tu ne bouges pas.
Le chien resta immobile quand Isabelle lui caressa timidement la tête.
Après avoir remercié la dame qui repartait avec son chien, Isaelle retraversa la rivière. Elle passa vite son t-shirt et remit ses sandales. Elle courut par le champ de fleurs et, se glissant sous la barrière, elle se précipita au jardin, puis à la maison. Elle raconta sa terrible aventure à maman et à papa, qui venait de revenir de son travail.
-Il n'y a pas de loups dans cette forêt, confirma papa. Mais je comprends ta peur. Certains chiens leur ressemblent très fort.