N°14
-En ce temps-là, les Amérindiens vivaient très simplement. Je vous parle, Caroline, Rivière d'Étoiles et les enfants, de l'époque où mon grand-père avait votre âge.
Caroline, invitée par son amie, passait le week-end au camp des Amérindiens. Les deux copines avaient quitté Blanding le vendredi soir après l'école, et au lieu de revenir à leur maison, elles s'étaient rendues au village de tipis dans les collines, avec la permission de leurs parents.
Ce soir-là, le grand-père de Rivière d'Étoiles, autrefois un chef de peuplade, un sachem, racontait une histoire aux enfants qui l'entouraient.
-Donc, lorsque mon grand-père avait votre âge, il vivait ici dans la montagne. La vie des jeunes comme celle de leurs parents était parfois très dure. Il fallait résister à la chaleur l'été et au froid l'hiver, aider aux cultures. Les chasseurs trouvaient du gibier sur les plateaux, des bisons, des antilopes et d'autres. Ils capturaient aussi des animaux plus petits comme des lapins, des écureuils, au moyen de pièges. L'élevage des dindes fournissait des plumes et leur viande était une source de protéines. Mais la base de leur nourriture était le maïs.
"Vous comprenez donc, poursuivit le vieil homme, la catastrophe qui s'abattait sur la peuplade lors d'orages violents ou de tempêtes dévastatrices ou, au contraire, au cours d'une saison trop sèche qui détruisait les champs de maïs. L'hiver qui suivait, tout le monde souffrait de la famine.
"L'année où mon grand-père atteignit ses onze ans, ce fut le pire automne. Toute la tribu était affamée. Les récoltes étaient perdues. Il ne restait plus rien pour se nourrir.
"Un matin, lui et son copain, onze ans tous deux et meilleurs amis, décidèrent de tenter leur chance.
-Nous quittons le village, expliquèrent-ils à leurs parents. Nous emportons nos arcs et nos flèches et nous allons essayer de trouver quelque chose à manger.
"Mon grand-père était l'aîné de plusieurs enfants et son copain également. Les deux garçons courageux prirent donc leurs armes et s'éloignèrent. Leurs parents les virent partir le cœur serré. Les deux garçons n'avaient rien mangé depuis deux jours. Ils partaient à jeun le troisième, à l'aventure, et peut-être sans retour. Les reverraient-ils? N'allaient-ils pas mourir en chemin ?
"Les deux amis marchèrent longtemps dans la forêt sans rien trouver, puis ils descendirent vers le désert. Ils remarquèrent trois étranges rochers au sommet d'une muraille qui se dressait telle une falaise de pierres rouges. Ces trois cheminées immobiles ressemblaient à des visages humains. Les garçons les longèrent puis entrèrent dans une vallée étroite.
"À leur gauche et à leur droite, se dressaient des parois rocheuses de cinquante à cent mètres de haut selon les endroits, lisses, droites, infranchissables.
"Ils suivaient un torrent à sec. Les deux copains marchaient à présent sur du sable rouge, évitant les pierres les plus pointues. Le soleil brûlant leur cuisait les épaules.
"En début d'après-midi, les deux garçons affamés n'en crurent pas leurs yeux. Ils venaient d'apercevoir, au tournant d'un énorme rocher, dans une vallée affluente, un troupeau de dindes et de dindons. Quelle aubaine, quelle chance !
"Épaulant leurs arcs et leurs flèches, ils tuèrent un dindon. Les autres s'éloignèrent bien vite en gloussant.
"Saisissant leur prise, les deux amis la posèrent sur une pierre plate, et pendant que l'un d'entre eux vidait l'oiseau avec son couteau et arrachait les plumes, l'autre ramassa du bois et alluma un feu en faisant tourner un bâton pointu entre ses mains.
"Bientôt le dindon fut cuit et les deux garçons mangèrent chacun tout leur soûl. Comme cela faisait du bien ! Ils riaient à présent tous deux, puis ils songèrent à ceux restés au village, affamés.
-En revenant, fit mon grand-père, nous tuerons tous les autres dindons. Tu imagines, dit-il à son ami, nous arriverons avec vingt ou vingt-cinq bêtes. Quelle joie pour tous !
-Comment les transportera-t-on ? demanda le copain.
-On trouvera bien quelques longs bâtons ou quelques lianes pour les lier les uns aux autres.
-Pourquoi ne pas y aller tout de suite ?
-La nuit tombe, répondit mon grand-père. On dirait que la vallée continue encore un peu, là-bas plus loin. Couchons-nous dans le sable, dormons, et demain, nous retournerons chez nous.
"Ils avancèrent plus avant dans cette gorge aux parois hautes et verticales puis soudain, ils s'aperçurent qu'elle se terminait, barrée par un immense rocher rouge. Ils arrivaient au bout de cet étrange canyon. Ils ne pouvaient pas aller plus loin. La muraille qui obstruait leur vallée mesurait plus de soixante mètres de haut.
"Les deux garçons se préparèrent à passer la nuit à cet endroit. Ce n'était pas la première fois qu'ils allaient dormir ainsi, à la belle étoile. Ils se penchèrent pour retirer les pierres qui jonchaient le sol afin de se creuser une litière de sable. La nuit s'annonçait douce, tranquille, sous le ciel étoilé.
"Les pierres qu'ils écartaient avaient des belles couleurs et des formes étranges. Ils comprirent vite que ces roches étaient des parties d'arbres pétrifiés, expliqua le grand-père de Rivière d'Étoiles. Des plantes qui poussaient voici des millions d'années, notamment à l'époque des dinosaures. Détruites par les orages et les tempêtes, elles se retrouvèrent enfermées dans la boue. Et là, au lieu de pourrir, elles s'infiltèrent de différents minéraux et devinrent dures comme de la pierre. On dirait du marbre. Plus solide et très coloré.
"Les garçons se couchèrent l'un près de l'autre. Ils regardèrent les étoiles, si nombreuses par les belles nuits d'été ou d'automne. La voie lactée traçait son grand voile dans le ciel. Ils se réjouissaient déjà de revenir au village demain, avec le troupeau de dindes.
-J'espère que nous les retrouverons, craignit mon grand-père.
-Sans aucun doute, répondit son copain. Tu connais les mœurs de ces animaux stupides. Ils retournent toujours à la même place, d'autant plus qu'il s'y trouve un tank, une réserve d'eau.
"Les deux garçons s'endormirent vite.
"Ils se réveillèrent dans la nuit, poursuivit le grand-père de Rivière d'Étoiles. Quelques gouttes tombaient et un orage grondait au loin. Le ciel s'était couvert. On ne voyait plus aucune étoile. Un vent fort soufflait, soulevant la poussière. Les éclairs se succédaient, illuminant les visages apeurés des garçons. Le tonnerre, violent, se répercutait dans la vallée.
"Ils perçurent soudain un étrange grondement.
-Tu entends ? chuchota l'un des deux copains.
-Oui, bien sûr que j'entends. L'orage frappe fort.
-Ce n'est pas l'orage, dit son ami. Je n'ai pas vu d'éclair avant ce bruit.
"Une lumière déchira le ciel noir. Suivie par un coup de tonnerre. Puis ils entendirent à nouveau le grondement et cette fois le sol trembla.
"Les garçons se mirent à quatre pattes pour mieux observer le phénomène. Ils remarquèrent alors, à la lueur d'un autre éclair, l'entrée d'une grotte qu'ils n'avaient pas repérée la veille au soir en arrivant. Elle se trouvait à gauche, le long du rocher rouge qui barrait la vallée. Le grondement venait de là.
"Ils perçurent ensuite des pas, des pas lourds, réguliers, et qui se rapprochaient en faisant vibrer le sol. Repensant un instant aux roches pétrifiées tenues tantôt dans leurs mains, ils songèrent que peut-être quelques descendants d'animaux, sans doute préhistoriques, vivaient dans cette grotte à trois pas d'eux.
"Un instant ils crurent voir des formes effrayantes sortir de l'ombre de la caverne.
"Les deux amis se sauvèrent sans demander leur reste sous la pluie battante qui les glaçait. Ils coururent dans la boue, trempés, se dirigeant à la lueur des éclairs. Ils suivirent la vallée en sens inverse.
"Après une longue course, ils découvrirent une petite grotte. Ils l'explorèrent. Elle était vide. Aucune trace d'animal. Ils s'assirent dans le sable, puis s'étendirent et s'y endormirent.
"Le lendemain, un soleil radieux les éveilla. Ils quittèrent leur caverne et progressèrent avec prudence dans la vallée. Ils retournaient vers leur village, emportant avec eux quelques pierres pétrifiées, preuve de leur aventure.
"Ils retrouvèrent le troupeau de dindes, dindons et dindonneaux au point de confluence, comme prévu. Ils saisirent leurs arcs et leurs flèches, et restant bien cachés et silencieux cette fois, ils en tuèrent vingt-quatre. Ils les embrochèrent sur des longues branches et revinrent auprès de leurs familles.
"Ils furent accueillis avec force cris et joie. Une véritable fête. Ce jour-là et les suivants, chacun mangea à sa faim.
-Voilà une histoire vraie, termina le grand-père de Rivière d'Étoiles. Elle se passa telle que je vous la raconte, il n'y a pas si longtemps que cela. Ces garçons avaient votre âge, les enfants.
Caroline leva le doigt, comme à l'école.
-Monsieur, cette vallée, se trouve loin d'ici ?
-Pas tellement, affirma le grand-père.
-J'aimerais bien voir des pierres pétrifiées. Vous croyez qu'on peut encore en trouver ?
-Probablement, répondit le vieil homme. Il suffit d'aller à ce canyon. Marche jusqu'aux trois rochers qui ressemblent à des humains et qu'on appelle les trois commères. Là, tourne à gauche, repère, puis suis le confluent étroit jusqu'au rocher rouge qui le barre.
Il y eut un instant de silence.
-Si vous y allez, faites quand même attention aux descendants d'animaux préhistoriques.
-Ils doivent être morts depuis longtemps, songea tout haut Rivière d'Étoiles.
-Ils vivaient encore au temps de mon grand-père... répondit le vieux sachem.
*******
Trois semaines plus tard, les deux copines se préparaient à partir pour l'aventure.
Elles ne partaient pas affamées comme les pauvres garçons. Elles emportaient chacune un sac de couchage, à boire et à manger pour deux jours, mais deux fillettes seules, au milieu des canyons, ce n'est quand même pas rien. Mais elles la voulaient, leur aventure.
Caroline et Rivière d'Étoiles suivirent d'abord un chemin dans la forêt, puis les bois s'éclaircirent de plus en plus et elles passèrent dans une zone désertique. Des rochers jaunes, rouges, oranges dressaient leurs masses ici et là. Les parois rocheuses, telles des falaises imposantes, les entouraient à présent, menaçantes, à gauche comme à droite.
Bientôt, elles aperçurent les trois étranges rochers qui ressemblent à des vieilles femmes. Elles entrèrent dans la vallée plus étroite décrite par le grand-père.
Midi. Elles s'arrêtèrent un moment pour reprendre leurs forces, puis elles continuèrent. Elles ne parlaient pas beaucoup, impressionnées par le site majestueux et inquiétant à la fois.
Soudain, elles entendirent glousser des dindons et des dindes, sans doute au même endroit que celui où les deux garçons les avaient vues autrefois. Les deux fillettes se rafraîchirent dans l'eau d'un large bassin creusé le long du mur de roches, mouillant jean et salopette pour lutter contre la chaleur.
Caroline se tourna vers son amie.
-S'il y a toujours des dindons, les animaux préhistoriques dont parle ton grand-père, ceux vus par son aïeul, vivent peut-être encore. Ou leurs petits ont grandi...
-Tu as raison, s'inquiéta Rivière d'Étoiles. Il faudra nous montrer très prudentes.
Continuant à progresser dans l'étroite vallée, elles s'approchèrent, à droite, de deux vieux wagons immobiles sur des rails aussi rouillés qu'eux. Ces rails sortaient d'un tunnel. Une galerie creusée par des humains.
-Allons voir, proposa Caroline.
-Je crois deviner, répondit Rivière d'Étoiles. Ça doit être une mine, une mine d'or abandonnée.
-Une mine d'or ! s'écria son amie. Une mine d'or!
La fillette fit quelques pas vers la droite et entra. Le rail continuait dans un tunnel tout noir.
-On ne voit pas grand-chose, et nous ne possédons hélas pas de lampe de poche. Dommage.
-Oh, oh, déclara Rivière d'Étoiles, restée à l'extérieur. Il me semble apercevoir dans tes yeux la folie que provoque la convoitise de l'or.
Caroline se retourna.
-Quelle jolie phrase! Je crois qu'à l'école, tu recevrais un dix sur dix ou un vingt sur vingt de madame. Tu promets qu'on repasse par ici en revenant ?
-D'accord, on s'arrêtera au retour si tu veux, mais je ne crois pas qu'il reste beaucoup de pépites d'or à l'intérieur, sinon, la mine ne serait pas à l'abandon.
Les deux amies parvinrent bientôt tout au fond de la vallée. L'immense rocher rouge en barrait l'entièreté, de sa masse haute de cinquante mètres environ.
Elles posèrent leurs sacs à dos sur le sol. Puis, explorant l'endroit sous les derniers rayons du soleil couchant, elles remarquèrent une grotte sur le côté gauche du rocher. Elles se gardèrent bien d'y entrer.
Par contre, se mettant à quatre pattes sur le sol sablonneux et fouillant avec leurs mains, elles découvrirent de très jolies pierres colorées de couleurs vives, des morceaux d'arbres pétrifiés. Elles en ramassèrent chacune une belle qu’elles glissèrent dans leurs sacs à dos. Elles les montreraient à tous leurs amis.
Après avoir mangé et bu, elles déroulèrent leurs sacs de couchage, se creusèrent une petite litière dans le sable, comme les deux garçons autrefois, et s'apprêtèrent à dormir à la belle étoile.
-J'espère que les lézards géants ou les iguanodons ne sortiront pas de leur tanière cette nuit.
-Tais-toi, dit Caroline. Il vaut mieux ne pas en parler. Cela pourrait les attirer.
Les deux copines bavardèrent un bon moment, échangeant leurs rêves, leurs joies et leurs peines, leur bonheur d'être ensemble, comme des vraies amies peuvent faire quand elles sont étendues côte à côte, et puis elles s'endormirent sous les lueurs de la lune qui venait d'apparaître plus haut que les murailles de roches.
Caroline s'éveilla. Elle sentit une goutte ou deux tomber sur son visage. Rêvait-elle ? Non, elle ne rêvait pas. Il en venait d'autres. Ouvrant les yeux, elle aperçut un éclair. Puis elle entendit un coup de tonnerre.
-Zut, dit-elle, il va pleuvoir. On n'a pas emporté de tente et même pas de veste. On va rester toutes mouillées dans le froid de la nuit. Rivière d'Étoiles !
-Oui ? murmura la fillette qui quittait un long rêve.
-Je crois qu'un orage s'approche.
-Comme les deux garçons autrefois! Cherchons un abri si nous ne voulons pas nous retrouver trempées et grelotter de froid jusque demain matin.
La pluie se mit à tomber de plus en plus fort. Les deux copines dégoulinaient de partout. Les t-shirt collaient à la peau. Le jean de Caroline, la salopette de Rivière d'Étoiles pesaient deux kilos maintenant. Tout à coup une colonne d'eau et de boue tomba du haut de la falaise et alimenta la vallée. Cela s'appelle un wash.
Il s'en crée souvent dans ces régions lors de violents orages. Les petites vallées sèches se remplissent d'eau et de boue. Le ruisseau charrie terre et branches mortes tout en collectant l'eau de pluie.
Les éclairs se succédaient. L'orage terrifiait les deux amies.
Soudain, entre deux coups de tonnerre, elles entendirent un grondement. Le sol vibrait.
Elles observèrent la grotte, la petite grotte située sur le côté gauche du rocher rouge. Elles aperçurent une horrible tête d'une sorte de lézard géant. Une tête fendue par une bouche énorme garnie de dents pointues de plusieurs centimètres.
La bête monstrueuse avançait d'un pas lourd qui faisait trembler le sol. Elle avait la taille d'un éléphant, sans compter la longue queue qui suivait, interminable.
Elle n'avançait pas seule ! Cinq, six, sept lézards géants, sorte de varans ou d'iguanes démesurés, descendant d'animaux préhistoriques sans doute, sortirent de cette caverne. Ils avançaient vers la vallée, procession terrifiante et monstrueuse à la lueur des éclairs. Leurs corps difformes balançaient de gauche à droite au rythme de leur marche dandinante.
Les deux filles se glissèrent derrière l'angle d'un rocher. Tout en se dissimulant ainsi, elles osaient à peine respirer. Tremblantes de peur, elles virent passer les monstres qui ne les remarquèrent heureusement pas. Ils disparurent au tournant du canyon.
À présent, toute fuite devenait impossible. À genoux dans la boue et trempées de pluie, elles observèrent les parois verticales du canyon. Impossible de tenter d'escalader ces immenses rochers rouges qui barraient la vallée. Ils mesuraient quarante à cinquante mètres de haut et étaient aussi lisses que des falaises.
Les deux amies se trouvaient donc enfermées dans cette impasse. Pas question de patauger dans le torrent de boue pour retourner chez elles. Les lézards géants se tenaient en aval. Elles risquaient fort de les croiser à leur retour.
Tremblantes de peur, pleurant presque sous la pluie battante, grelottantes, trempées dans leurs habits sales, elles attendirent, cachées derrière leur rocher pour voir ce qui se passerait quand les bêtes reviendraient.
-Pourvu qu'elles trouvent à manger et qu'elles ne nous cherchent pas, murmura Rivière d'Étoiles.
-Si ces bêtes sentent notre odeur... craignit Caroline.
Elle s'osa pas finir sa phrase.
-Je crois que j'ai une idée, dit Rivière d'Étoiles. Mon grand-père m'a un jour raconté l'histoire terrible d'un chasseur poursuivi par un puma. Il faut nous rouler dans la boue. Regarde, ce qui coule là ressemble plus à de la vase qu'à de l'eau. Allons nous vautrer là-dedans. Comme cela nous en aurons partout sur nous et les bêtes ne nous sentiront pas.
-Dégoûtant, fit son amie, mais tu as peut-être raison.
Les deux filles, laissant leurs sacs à dos à l'abri du rocher, allèrent se coucher dans la boue. Elles se relevèrent dégoulinantes.
Elles en avaient à présent dans les cheveux et sur le visage. Ça coulait dans le cou. Les habits imprégnés pesaient des tonnes. Ça couvrait leurs jambes et leurs bras.
Elles s'assirent à l'angle de la vallée et se dissimulèrent derrière des roches près de leurs sacs.
Un peu plus tard, elles sentirent le sol vibrer à nouveau. Les énormes sauriens revenaient. Elles les comptèrent. Sept au départ. Les quatre premiers entrèrent dans la grotte. Toujours ça ! Les trois autres suivaient sûrement. Ils ne tardèrent pas à arriver.
Soudain, l'avant-dernier tourna la tête et observa l'endroit où se trouvaient les deux copines. Elles n'arrivaient plus à se maîtriser. Leurs mains tremblaient. Elles craignaient d'être repérées. La pluie, tombant en averse abondante, les lavait, les débarrassant d'une partie de la boue qui les couvrait. L'animal pouvait les sentir à présent.
L'énorme monstre fit un pas vers nos amies, mais celui qui suivait, le plus grand de tous, lui donna un fameux coup de patte et lui mordit le cou, le forçant à passer dans la grotte.
Les fillettes poussèrent un « ouf » de soulagement. Les bêtes disparurent dans leur tanière.
Sans attendre un autre malheur, les deux amies saisirent leurs sacs à dos et se sauvèrent sous la pluie, pataugeant dans la boue, parfois jusqu'aux genoux. Elles marchèrent à la lueur des éclairs.
Elles découvrirent plus en aval une petite grotte, peut-être celle que les deux garçons avaient repérée autrefois. Elles s'y assirent, adossées à la paroi rocheuse, et reprirent leur souffle. Elles restèrent un moment ainsi, appuyées l'une contre l'autre, les yeux encore agrandis par la peur. Les images horribles des monstres passant devant elles défilaient devant leurs yeux. Elles s'endormirent assises, la tête de l'une contre l'épaule de l'autre.
Un grand soleil les éveilla. Elles sortirent de la grotte, ouvrirent leurs sacs et mangèrent un petit peu. Elles se regardèrent toutes deux en silence. Elles n'étaient pas belles à voir. Leurs vêtements, bruns de crasse et de boue sentaient la vase. Elles éclatèrent de rire. Elles voulaient l'aventure, elles étaient servies...
Elles reprirent leurs affaires et se dépêchèrent vers leurs maisons. Elles passèrent en fin de matinée à l'endroit où traînaient les wagons rouillés de la mine. Caroline posa son sac à terre. Elle fit trois pas dans le tunnel creusé autrefois.
-N'entre pas là, supplia Rivière d'Étoiles. C'est dangereux. Très vieux. Regarde. Les poutres en bois qui soutiennent le plafond sont à moitié pourries et pour certaines, déjà fendues. Tu risques de mourir si tout s'effondre.
-Tu as raison, mais je voudrais quand même aller voir ça d'un peu plus près. Je serai prudente.
Elle entra à l'intérieur de la mine. Son amie attendait dehors dans la lumière du soleil. Caroline aperçut des paillettes dorées et des lignes jaunes. De l'or! Un peu de poussière d'or brillait sur la roche. Quelle merveille!
Elle observa le spectacle un moment, puis elle remarqua, près d'elle, une petite pierre dorée, elle aussi. Une pépite ! Elle voulut la prendre mais elle résistait, coincée entre deux roches grises, près des poutres en bois à moitié pourries qui soutenaient la galerie.
Notre amie tira de toutes ses forces mais ne réussit pas à arracher la pierre. Regardant autour d'elle, elle vit une barre de fer. Elle s'efforça de détacher la pépite en donnant des grands coups dans le mur, puis en glissant la barre dans une fente et en s'en servant comme d'un levier.
-Arrête, cria Rivière d'Étoiles. Ça va céder, tout va s'écrouler, et tu vas mourir là en dessous.
Mais Caroline n'écoutait pas sa copine. Elle semblait prise par la fièvre de l'or.
Enfin elle réussit à extraire la pépite. Quatre centimètres sur trois. Pas grand-chose. Pas de quoi faire fortune. Mais quelle victoire!
Au même moment, la fissure, agrandie par la barre de fer, s'élargit. Une poutre gémit. La fillette, très souple, bondit en arrière et se sauva. La masse de pierres s'écroula sous la voûte qui venait de céder.
Caroline sortit au milieu d'un nuage de poussières. Elle tenait sa pépite en main. Elle la glissa dans la poche de son jean sale, après l'avoir montrée à son amie.
Elles reprirent la route, sortirent de l'étrange vallée et revinrent vers leurs maisons. Dans leurs yeux défilait encore le souvenir des monstrueuses bêtes qu'elles avaient aperçues pendant la nuit d'orage.
Chacune, revenue chez elle, prit une bonne douche bien méritée. Puis elles racontèrent leur terrible aventure aux parents.
Elles montrèrent chacune à leurs amies la pierre pétrifiée emportée malgré leur fuite dans la nuit.
Caroline montra sa pépite à toute la classe, mais elle la garde, en souvenir de la vallée aux mille dangers.