N°20
Béatrice, un mercredi après-midi, tentait de faire son devoir de calcul à sa table, dans sa chambre. Elle n'y comprenait rien.
Elle téléphona à son copain François, très fort en maths, pour lui demander des explications. Ils habitent tous deux dans la même avenue, et vont dans la même école, en deuxième année primaire. Le garçon se précipita aussitôt chez son amie.
Tout à coup, la mère de la fillette les appela.
-Les enfants ! Vous pouvez venir goûter.
-Oh, merci, maman ! Tu viens, François ? On continuera après.
-Oui, d'accord, répondit le garçon.
Ils descendirent tous les deux et se firent une bonne tartine à la confiture aux cerises. Puis ils remontèrent à la chambre.
François observa la table où son amie écrit ses devoirs. Il hésita un instant. Quelque chose manquait.
-Je ne vois plus le capuchon doré de mon stylo.
Il chercha sous les cahiers et dans le plumier. Il se baissa et fouilla par terre, sans succès. Il jeta un coup d'œil dans le cartable de Béatrice puis dans le sien. Rien. Le capuchon de son stylo avait disparu.
-Ça m'ennuie, expliqua François. Mon grand-père vient de me l'offrir. Un beau stylo, et maintenant, je ne trouve plus son capuchon.
-Il y a un mystère dans cette chambre, réfléchit Béatrice. Dimanche passé, j'avais posé sur ma table une chaîne avec une petite croix en or. Un cadeau de ma tante Louise du Brésil pour ma première communion. Je suis allée me laver les dents à la salle de bain, et en revenant, le bijou avait disparu.
-Étrange, murmura François.
-Et puis, lundi dernier, la pièce de deux euros qu'on devait apporter en classe se trouvait sur mon bureau. Le temps de prendre ma douche, à mon retour, elle n'y était plus.
-Un voleur l'aura prise, suggéra le garçon.
Le lendemain, après l'école, François revint chez son amie. Ils décidèrent de se mettre à l'affût et de tendre un piège au cambrioleur. Ils posèrent une pièce de 50 cents bien brillante sur la table de Béatrice. Ils laissèrent la fenêtre grande ouverte, invitant le maraudeur à se manifester.
Le garçon se cacha en-dessous du lit de son amie. La fillette se dissimula dans l'armoire où pendent ses vêtements. Elle laissa la porte entrebâillée afin de voir ce qui se passe dans la chambre.
Ils se parlaient tous les deux tout bas, de temps en temps, puis ils décidèrent de se taire et attendirent un long moment en silence.
Tout à coup, une pie vint se poser sur l'appui de fenêtre. Elle sembla observer la chambre attentivement, comme pour vérifier qu'il n'y avait personne. Puis d'un élan rapide, elle survola la table de Béatrice, prit la pièce de monnaie et s'envola par la fenêtre ouverte.
François bondit du dessous du lit. Son amie sortit précipitamment de l'armoire. Ils regardèrent par la fenêtre. L'oiseau tourna en rond un moment puis passa au-dessus du toit de la maison.
-Viens ! cria la fillette. Vite, allons dans la chambre des mes parents. Elle donne côté rue.
Les deux enfants coururent dans cette pièce, ouvrirent la fenêtre et aperçurent la pie. Elle s'envolait à tire-d'aile au-dessus des maisons et puis disparut près de l'ancienne usine, à trois rues de là.
L'ancienne usine… Un grand hangar et des vieux bâtiments abandonnés depuis très longtemps. Peut-être que la pie y installait son nid. S'ils pouvaient le découvrir, ils retrouveraient sans doute les objets volés.
Ils demandèrent aux parents la permission d'aller explorer les lieux tous les deux.
-Oui, mais soyez prudents, insista la maman. Et Béatrice, tu mets quelque chose aux pieds, tes sandales de gym par exemple.
Ils sortirent de la maison et se dirigèrent vers le bâtiment en ruine, l'usine abandonnée.
Une clôture en barbelé empêchait de passer dans l'enceinte de la fabrique. Trois longs fils de fer hérissés de pics, détendus et rouillés.
Béatrice posa son pied entre deux picots et tira très fort sur le barbelé supérieur. François se glissa par l'espace ainsi ouvert. Puis, le garçon écarta les barbelés à son tour et son amie passa elle aussi sur le terrain vague.
Des hautes herbes, des plantes folles et des ronces poussaient partout et les entouraient. En contournant un massif piquant et plusieurs zones d'orties, ils parvinrent le long du mur du vieux bâtiment. Accrochée à une barrière, une plaque en bois dansait dans le vent. On pouvait y lire « entrée interdite ».
Une énorme porte fermait l'immense hangar. Une porte coulissante sur roue comme on voit dans les anciennes constructions. Elle était à peine entrouverte, un espace étroit. Et le mécanisme de commande semblait bloqué et rouillé. Ils réussirent tout juste à se faufiler dans le bâtiment.
L'intérieur du hangar leur apparut fort sombre. On ne voyait à peu près rien. Il leur fallut s'habituer à l'obscurité. Un peu de lumière entrait par quelques carreaux sales et cassés tout en haut des murs. Une bande de mouettes et de pigeons y roucoulaient. Ils entendaient leurs mouvements d'ailes dans le silence oppressant du lieu. Quelques rayons obliques de lumière venaient se poser ça et là sur le sol. C'était presque beau à voir.
Nos amis passèrent une zone jonchée de détritus, de vieux meubles cassés, de sacs-poubelles éventrés, de canettes vides. Ils aperçurent aussi un vieux matelas à moitié pourri. Tout ce que les gens négligents peuvent abandonner dans un hangar délaissé.
Les deux enfants avançaient avec prudence. Le silence faisait peur. L'endroit, sinistre, inquiétait. Ils se donnèrent la main pour se rassurer. L'obscurité semblait peuplée de mystères menaçants. Ils se dirigèrent vers une petite porte qui se trouvait diamétralement opposée à celle de l'entrée.
Ils s'en approchaient quand, dans le lourd silence ambiant, un miaulement retentissant les surprit tous les deux. Ils sursautèrent. Leurs cœurs battaient la chamade.
Un chat ! Béatrice venait de marcher sur sa queue. Il se sauva par la porte ouverte et disparut.
La fillette continua à progresser doucement avec son ami, en direction de cette étroite ouverture. Elle donnait de l'autre côté du bâtiment, dans une cour pavée, envahie d'herbe et de pâquerettes.
À quelques mètres se dressait une cheminée ronde, en briques, très haute. Et au-dessus de cette cheminée, ils aperçurent la pie qui tournoyait autour de son nid, installé au sommet.
Comment grimper là-haut ? Cela paraissait impossible. Les deux enfants contournèrent l'énorme cheminée. Ils découvrirent à l'arrière de celle-ci, une échelle en fer fixée dans les briques. Elle menait au sommet de la construction, mais elle était rouillée.
François hésita. Escalader cette échelle lui faisait peur. Mais il crut que s'il refusait d'y aller, son amie se moquerait de lui. Alors, le garçon voulut montrer son courage.
-Bon, j'y vais, dit-il en un murmure.
Béatrice n'avait pas plus envie de grimper à cette échelle trop haute. Elle y ressentirait des vertiges. Et puis, c'était dangereux. Seule, elle n'aurait certainement pas entrepris l'ascension. Mais elle pensa que si elle se débinait, son copain la jugerait peureuse. Alors, elle ajouta :
-Je viens moi aussi, je t'accompagne.
Donc, ils escaladèrent tous les deux l'échelle.
Mon Dieu, que c'était haut ! Tellement haut ! Presque plus élevé que le clocher de l'église. Ils surplombaient à présent le hangar et les maisons des environs. Un vent insistant soufflait dans leurs t-shirts.
L'échelle vibrait. Elle ne tenait plus trop bien. Certains crampons semblaient descellés. Ils pensèrent s'arrêter et redescendre, mais ils continuèrent quand même leur ascension jusqu'au sommet.
Arrivés tout en haut, une mauvaise surprise les attendait. La pie tournait autour d'eux et les menaçait de ses vilains jacassements rauques. Elle ajoutait encore à leur peur.
Ils se penchèrent au-dessus du nid de l'oiseau. Ils trouvèrent immédiatement le capuchon du stylo de François, la chaîne en or de Béatrice, et les deux pièces de monnaie, celle de 2 euros et celle de 50 cents.
Notre amie glissa toutes les affaires dans la poche de sa salopette verte puis les deux enfants s'apprêtèrent à redescendre. Mais au moment de partir, le garçon vit autre chose briller dans le nid de la pie. Il regarda et découvrit une petite clé.
- On la prend ?
-Oui, on la prend, répondit la fillette.
Ils emportèrent la clé et redescendirent le long de la haute échelle.
Les deux enfants retournèrent à la maison avec tous les trésors retrouvés. Mais il restait le mystère de cette clé. Elle ne ressemblait pas à celle d'une voiture et encore moins à celle d'une porte. Elle devait probablement servir à ouvrir un vieux coffret ou une petite armoire.
Ils prirent une feuille de papier et écrivirent:
Nous avons trouvé une clé dans un nid de pie. Elle mesure deux centimètres environ. Celui ou celle à qui elle appartient peut nous appeler.
Ils ajoutèrent le numéro de téléphone de Béatrice.
Quelqu'un répondrait peut-être à ce message. Ils collèrent le feuillet sur le comptoir de la boulangerie proche de chez eux.
Le dimanche, le lundi et le mardi passèrent sans qu'ils reçoivent aucun appel.
Le mercredi après-midi, le téléphone sonna. Notre amie restait une heure seule chez elle et gardait son petit frère Nicolas. Elle se précipita pour décrocher en tenant le bébé dans ses bras.
-Bonjour. Tu as trouvé une clé ? dit la voix d'un vieux monsieur.
-Oui, répondit notre amie.
-À quoi ressemble-t-elle ?
La fillette décrivit la clé en fer, terminée par un anneau.
-Exactement celle que je cherche depuis quelques jours. Je serais très heureux de venir la prendre. J'apporterai le coffret qui l'accompagne. Quand puis-je me présenter ?
-Je préfère que vous veniez en présence de mes parents, affirma notre amie. Peut-être vers six heures et demie, tantôt ?
-Très bien, répondit le monsieur. À tantôt.
Vers six heures du soir, on sonna à la maison. Béatrice courut ouvrir. Elle fit entrer le monsieur et une dame au salon. Ils tenaient un joli coffret dans leurs mains.
La fillette présenta la clef. L'homme l'introduisit à l'intérieur de la serrure et tourna. La clef convenait parfaitement bien. Il parut enchanté de l'avoir retrouvée.
Le coffret contenait une collection des jolies pierres semi-précieuses : des améthystes violettes, des lapis-lazulis d'un beau bleu azur, quelques petits grenats rouge sombre, des malachites vertes...
Grâce à la perspicacité et au courage de nos amis, leur périlleuse aventure se terminait bien. Ils venaient de rendre un grand service à ces gens, qui fort aimables et attentifs, leur offrirent un énorme paquet de bonbons.