N°7
Le train filait à toute vitesse en direction des belles forêts d'Ardennes. Dans un compartiment, Jean-Claude et sa sœur Christine rêvaient déjà à cette fin de vacances prometteuse chez leur grand-mère. Celle-ci, fort gentille, avait proposé au garçon d'amener son meilleur ami, Philippe, et à Christine, sa meilleure copine, Véronique.
Tandis que le paysage défilait, ils lancèrent de nombreux projets. La forêt à parcourir, les grandes randonnées à vélo, les baignades dans la rivière, la visite de l'ancienne abbaye de Bois-le-Dieu où séjourna un croisé entouré de mystère.
Découvre ou relis : L'objet secret du croisé. Les Quatre amis N°4.
Mais surtout ils rêvaient au château du quatrième joueur de flûte. Le visiter à nouveau et cette fois-ci, sans être dérangés!
As-tu lu le premier épisode de cette aventure impressionnante? Il s'agit du Quatrième joueur de flûte. Les Quatre amis n° 6. Il vaut mieux commencer par découvrir cette première partie avant d'aller plus loin.
Arrivés chez la grand-mère, une montagne de galettes les attendait. Le même charmant accueil que l'autre fois! Mais, lorsqu'ils lui annoncèrent leur projet d'aller visiter le château, elle les en dissuada aussitôt.
Le palais du prince russe demeuré un bâtiment vide et laissé à lui-même, venait d'être acheté. Son occupante était loin d'être agréable. Prétentieuse, inconsciente, elle roulait en trombe dans le village, indifférente aux enfants qui jouent dans les rues. Quand elle se rendait au magasin, elle se croyait tout permis et passait devant la file des clients qui assistaient, médusés, à son sans-gêne absolu.
Un peu déçus, les quatre amis décidèrent pourtant de se rendre au château du prince, pour au moins l'apercevoir de loin. Il faisait grand soleil. Ils traversèrent les champs, le bois et enfin, parvinrent devant le somptueux bâtiment.
Il était construit en lieu et place d'un ancien château fort, dont il ne restait que le donjon. Le nouveau bâtiment, de fière allure, datait du 17e siècle et intégrait cette ancienne tour. Le rez-de-chaussée comme le premier étage étaient percés de nombreuses fenêtres garnies de volets orange. Le tout se dressait sur un éperon rocheux, lui-même entouré d'un lac, les douves. On accédait à ce palais par un pont en pierre, précédé de hautes grilles en fer forgé.
Nos amis observèrent soigneusement le château. Il semblait bien restauré. Les tuiles du toit luisaient au soleil. Les grilles qui barraient le pont, redorées à l'or fin, brillaient de tous leurs feux. La façade semblait avoir été ravalée.
Aucun signe de vie, de présence humaine, même dans les jardins, fleuris à présent, et découpés en losanges par des haies soigneusement taillées. L'eau verte des douves, lisse et immobile semblait assoupie par la chaleur de l'été.
Ils s'assirent dans l'herbe à la lisière des arbres et ouvrirent le paquet de galettes que la grand-mère de Jean-Claude et Christine leur avait préparé pour le goûter.
Au même instant, ils entendirent un bruit derrière eux, le claquement d'une branche qui craque, puis le son sourd de quelque chose qui tombe sur le sol. Effrayés d'abord, ils se redressèrent, puis se retournèrent tous les quatre.
Ils virent alors une jeune fille de leur âge se relever au milieu des orties et des ronces. Elle s'approcha de nos amis. Philippe demanda si l'on pouvait lui venir en aide. Elle fit signe que non.
-Comment t'appelles-tu? interrogea Jean-Claude.
-Lauranne. Et vous?
-Moi, c'est Jean-Claude. Voilà mon copain Philippe, ma sœur Christine et sa grande amie, Véronique.
Les filles, très observatrices, remarquèrent que Lauranne portait un t-shirt plutôt sale, un jean usé, rapiécé, trempé, et des tennis brunies par la boue.
-Tu es tombée dans les douves, dit gentiment Véronique.
La mystérieuse jeune fille les regarda tous les quatre et puis fondit en larmes.
Aussitôt, nos amis l'entourèrent. Ils lui proposèrent leurs galettes qu'elle mangea avec grand appétit. Elle semblait affamée.
-Où habites-tu? demanda Christine.
-Là, indiqua Lauranne en pointant le doigt vers le château du prince.
Nos amis demeuraient encore plus étonnés et bien perplexes.
-Je vais vous raconter, dit-elle. Jusqu'à il y a un an, je menais une vie heureuse près de mes parents. Hélas, un jour, alors que je revenais de l'école, j'ai appris que papa et maman venaient de mourir dans un tragique accident. Je n'ai ni frère, ni sœur. Je me retrouvais presque seule au monde. Ma seule famille, une tante qui ne m'aime pas, m'a adoptée. En fait, elle m'a surtout adoptée pour s'emparer de la fortune de mes parents, argent qui devait normalement me revenir plus tard, quand je serai majeure. Pendant l'année scolaire, elle me met en pension. Elle a acheté ce château. J'y vis pendant les vacances.
-C'est terrible, murmura Philippe. On croit qu'on est heureux, puis soudain…
-Quand je suis arrivée chez elle, reprit Lauranne, elle a revendu toutes les belles robes que papa et maman m'offraient. Elle ne m'achète que des jeans déjà usés, des t-shirt usagés, des tennis même pas neuves. Je ne peux jamais choisir de termps en temps un vêtement qui me plaît, comme les autres enfants. Pourtant, elle a plus que largement les moyens. Et puis, elle croit que me nourrir va la ruiner. Chez elle, j'ai tout le temps faim. Et en plus, elle me fait parfois sauter des repas comme hier soir et ce matin, par exemple...
-Comment cela? demanda Véronique. Elle te prive de tes repas?
-Oui, continua la jeune fille. Ma tante reçoit souvent des messieurs, toujours les mêmes. Ils arrivent chargés de boîtes ou de sacs, qui semblent très lourds, et repartent les mains vides, dans une Mercedes blanche. Ces jours-là, elle m'emmène de force et m'enferme dans un cachot de l'ancienne tour, au rez-de-chaussée. Elle m'y laisse des heures, parfois une nuit entière, tant que ces individus restent au château. Elle oublie alors de me donner à manger et à boire.
-Quelle mauvaise et méchante personne! dit Philippe.
-Hier, elle m'a enfermée vers cinq heures de l'après-midi. J'y suis restée toute la nuit. Mais tantôt, je suis parvenue à m'enfuir. J'avais caché une grosse lime entre deux pierres de ma geôle. J'ai passé des heures à scier un des barreaux de la fenêtre et j'ai sauté dans l'eau des douves. Voilà pourquoi pourquoi mon jean est encore trempé. Je me suis cachée ici à votre arrivée car je ne vous connaissais pas.
Nos amis restaient impressionnés par cette pauvre Lauranne qui avait passé la soirée, la nuit et puis la matinée et l'heure de midi, sans manger, enfermée dans le cachot d'une vieille tour par cette horrible créature.
-Et pourquoi t'empêche-t-elle de rencontrer ces gens? demanda Jean-Claude.
-Je ne sais pas. Je ne comprends pas, dit-elle en soupirant.
-Écoute, enchaîna Christine. À partir de cet instant, tu peux compter sur nous. Nous sommes en vacances et on se débrouille bien d'habitude. Nous voulons t'aider. Mais, pour cela, il faut que tu nous racontes tout ce que tu as découvert, tout ce que tu as observé ou entendu. Il se passe quelque chose de bizarre pendant qu'on t'enferme.
-Je ne sais pas grand-chose, répondit Lauranne. Ma tante a installé une porte blindée entre le hall d'entrée et l'escalier qui conduit à la cave. Elle reste toujours fermée par une clé de haute sécurité qu'elle garde pendue à un cordon autour de son cou. Je n'ai jamais pu passer cette porte.
-Je me demande ce qu'elle fabrique dans ces cryptes, dit Véronique.
-Quand elle se décide enfin à me libérer, je sens souvent une curieuse odeur piquante qui se répand jusque dans les salons du château...
-À mon avis, ils ont dû créer une sorte de laboratoire de chimie là en-dessous, réfléchit Jean-Claude.
-Et puis, il y a quelques jours, j'étais prisonnière dans la tour depuis l'aube. Un épais brouillard stagnait sur les douves. J'ai entendu un clapotis, un bruit d'eau régulier. Je me suis précipitée à la petite fenêtre de ma prison fermée par des barreaux et j'ai aperçu une barque avec deux personnes à bord. Ils ramaient dans la brume vers le milieu des douves. Ils sont passés le long du donjon. Ils transportaient un grand sac noir. Quand ils sont revenus, ils ne l'avaient plus. Je me demande où ils l'ont caché, et surtout, ce qu'il contenait. Et ce n'est pas la première fois...
Lauranne se tut et nos amis restèrent muets un moment.
Philippe prit la parole.
-Écoute, nous allons commencer par espionner le château. Nous viendrons dès le matin très tôt, même parfois avant le lever du soleil. Nous verrons peut-être passer la barque. Nous découvrirons alors à quel endroit ils se débarrassent des sacs. Il restera à connaître leur contenu. J'ai l'impression que ta tante se livre à un curieux trafic qui ne me paraît pas fort honnête.
-Je vous remercie, murmura Lauranne, en souriant dans ses larmes. Je compte sur vous. Quel bonheur de vous avoir rencontrés! Maintenant, je dois rentrer.
Nos quatre amis retournèrent chez la grand-mère.
Le lendemain, dès l'aube, ils commencèrent un tour de surveillance. Une fois les garçons, une fois les filles.
Le troisième jour, Jean-Claude et Philippe furent récompensés de leur patience.
Au départ, ils hésitèrent à se rendre au château, ce matin-là. Un brouillard assez épais s'était répandu dans la nuit. Ils s'habillèrent quand même, montèrent sur leurs vélos et pédalèrent vers les jardins de la propriété.
Arrivés aux environs du bâtiment, qu'ils ne pouvaient pas apercevoir à cause de la brume, ils profitèrent justement de celle-ci pour s'approcher au maximum des fameuses douves.
Après quelques minutes, ils entendirent le bruit régulier de rames plongeant dans l'eau et le clapotis créé par les petites vagues causées par une barquette qui avançait doucement. Le brouillard était complice des deux garçons. Nul ne pouvait repérer nos amis.
Ils rampèrent jusqu'au bord du petit lac. Ils virent alors l'ombre mystérieuse de la barquette. Deux personnes se trouvaient à bord. Ils entendirent même des bribes de leur conversation. La brume porte la voix. Et le silence qui régnait y contribuait aussi.
-Je crois que c'est ici. Arrête de ramer. Je vais vérifier avec la gaffe.
L'une des deux ombres se leva, saisit un long bâton et sonda le fond de l'eau.
-Oui, je sens les sacs. On peut balancer les deux autres.
Jean-Claude et Philippe, écarquillant les yeux, aperçurent le deuxième homme se lever dans l'ombre fantomatique de la brume et jeter deux sacs gris foncé dans l'eau. Puis la barque repartit en direction du château.
Les garçons en savaient assez. Ils retournèrent chez la grand-mère et racontèrent aux filles ce qu'ils venaient de découvrir.
Ils émirent de nombreuses hypothèses.
-Ils éliminent des cadavres, suggéra Christine.
-À moins qu'ils ne cachent de la drogue, renchérit Véronique.
-Des faux-monnayeurs, peut-être, proposa Jean-Claude.
Philippe se taisait.
Ils décidèrent de tenter de découvrir le contenu de ces fameux sacs. Pour cela, après avoir échafaudé plusieurs plans, ils décidèrent que la meilleure formule était de visiter les douves pendant la nuit. Ils partiraient dès que la grand-mère serait endormie et se rendraient au château. Ils entreraient dans l'eau et ouvriraient un des sacs.
-Il faudra du courage, fit remarquer Christine. L'eau sera froide. Avec les lutins, au dernier camp, on s'est baignées dans des douves et je peux vous dire qu'on grelottait en sortant.
-Et si ce sont des cadavres, ajouta Véronique, ce ne sera pas drôle quand on ouvrira le sac et qu'on glissera la main dedans…
La grand-mère de Jean-Claude et Christine n'éteignit sa lumière ce soir-là que vers onze heures. Les garçons comme les filles bavardaient discrètement dans leurs chambres pour ne pas s'endormir. Enfin, ils purent sortir sans bruit, descendre l'escalier par la rampe pour éviter qu'il craque dans la nuit et attire l'attention de la vieille dame. Ils montèrent ensuite sur leurs vélos et pédalèrent vers le château.
Ils les dissimulèrent derrière les hautes haies et s'approchèrent des douves en silence. Malheureusement, des lumières brillaient encore au rez-de-chaussée du bâtiment. Leur lueur se reflétait à la surface du lac qui frissonnait de temps à autre à cause du vent. Ils ne pouvaient pas entrer dans l'eau à cet endroit.
Les douves se prolongeaient par un long canal bordé de hauts arbres. Ils le longèrent sans bruit et atteignirent un petit pont qui l'enjambait. Là, ils se trouvaient à l'abri des regards. Pour éviter les herbes hautes, les joncs, mais aussi les orties et les ronces qui bordaient ce canal, ils choisirent de sauter dans l'eau depuis la passerelle qui l'enjambait.
Les filles en maillot de bain sous leurs t-shirts, sandales de gymnastique aux pieds, n'hésitèrent pas un instant. Les garçons portaient un vieux short. Ils enlevèrent rapidement leurs t-shirts, mais gardèrent leurs tennis aux pieds. Tous se glissèrent dans l'eau depuis le pont. Ils frissonnaient. L'eau paraît toujours noire et froide la nuit.
Le fond était boueux et jonché de feuilles mortes. Chaque pas soulevait la vase. Cela sentait mauvais. Les douves contiennent des branches pourries, des poissons crevés, des fientes de canard, de la bave de grenouille. Tout cela crée un mélange particulièrement nauséabond. Nous sommes en eau stagnante.
Les quatre amis progressèrent doucement sous le regard d'une demi-lune dont le reflet dansait sur l'eau qu'ils remuaient en avançant. Soudain, arrivés à l'endroit repéré par les garçons, ils sentirent quelque chose de mou sous leurs pieds. Cela correspondait bien à des grands sacs. Il fallait aller «voir».
Christine plongea la tête sous l'eau. Elle palpa rapidement un des sacs, et ne trouvant pas de fermeture Éclair, elle saisit un canif dont elle ne se sépare jamais (elle est seconde chez les lutins, un mouvement de jeunesse qu'elle aime fréquenter). Elle enfonça la grande lame et réussit à déchirer la paroi.
Elle engagea courageusement la main à l'intérieur du sac et sentit quelque chose qui ressemblait à un os humain. C'était allongé et de consistance dure. Elle remonta à la surface avec la chose en main. Elle vit alors qu'elle tenait un tube en verre. Notre amie replongea et en trouva d'autres. Elle les montra à ses amis. Des éprouvettes assez grandes, hermétiquement fermées par un bouchon entouré de cire. Elles contenaient une poudre bleue.
Les enfants ne conservèrent qu'un tube. Ils repartirent vers le pont du canal mais ne réussirent pas à se hisser hors de l'eau. Ils ressortirent des douves par la berge, non sans se griffer aux ronces et se piquer aux orties.
Puis, trempés, grelottants, ils remontèrent sur leurs vélos.
Le retour chez la grand-mère fut pénible. Ils dégoulinaient en pédalant et le vent froid de la nuit les faisait trembler. Ils arrivèrent glacés à la maison. Ils s'embrassèrent dans le couloir et se couchèrent bien vite.
Le lendemain, nos quatre amis se rendirent chez le vieil instituteur du village. Retraité depuis quelques années, il consacrait son temps à ses deux hobbies, à savoir la chimie et raconter des histoires. Jean-Claude et Christine le connaissaient bien. L'instituteur leur ouvrit sa porte et les salua d'un grand sourire.
-Voilà donc vos copains dont vous me vantez les qualités. Le génial Philippe et l'astucieuse et radieuse Véronique!
Elle rougit et baissa les yeux un instant. Philippe murmura, sans conviction, qu'on exagérait un peu l'étendue de son esprit.
-Entrez les enfants. Que me vaut votre visite ?
Nos amis lui montrèrent le tube de poudre bleue.
-Tiens, s'étonna l'instituteur, où avez-vous trouvé cela?
Surpris par la question, Jean-Claude évoqua les bois aux environs du château. Il ne voulait pas avouer leur expédition nocturne.
L'homme le regarda un instant droit dans les yeux, mais n'insista pas.
Un vieil instituteur sait parfaitement reconnaître quand un enfant ment, ou comme ici, lui cache quelque chose.
-Je vais tâcher de découvrir ce que cela contient. Ça me paraît être du sulfate de cuivre. II vaut mieux ne pas en boire ni en manger, c'est un poison. Dès que j'aurai la réponse à votre demande, je donnerai un petit coup de téléphone à votre grand-mère.
Nos amis remercièrent et s'éloignèrent perplexes. Le mystère s'épaississait.
L'après-midi, ils retournèrent près du château. Ils virent arriver Lauranne qui leur ouvrit les grilles et les invita à entrer dans le bâtiment. Elle leur expliqua que sa tante ne reviendrait qu'au soir. Nos amis accompagnèrent bien volontiers la jeune fille.
L'intérieur du château leur apparut somptueusement décoré et brillamment restauré.
Elle les fit asseoir dans un très beau salon.
-Je ne peux même pas vous offrir une limonade, dit-elle, ma tante ferme le frigo et les armoires de la cuisine à clé.
Quelle horrible personne! pensèrent nos amis.
Ils décrivirent longuement à Lauranne leur découverte faite au cours de leur expédition nocturne. Ils évoquèrent le tube bleu. Elle les félicita et les remercia.
-Il faudrait, insista Jean-Claude, que nous puissions communiquer avec toi, même si l'on ne peut pas se voir, même si on t'enferme dans la tour. Voici mon idée. Connais-tu le morse ?
La jeune fille, l'air étonnée, ne semblait jamais avoir entendu parler de cela.
-Je vais chez les louveteaux, expliqua Jean-Claude. J'y ai appris le morse. Il s'agit d'une sorte de langage codé. Chaque lettre de l'alphabet est symbolisée par des points et des barres. Ainsi, le «s» s'écrit avec trois points, le "o" par trois barres. Un «s.o.s.» devient donc: trois points, trois barres, trois points. Si tu envoies ce message, même en sifflant, en criant ou par signaux lumineux, certains sauront que cela signifie: «Save our souls. Sauvez nos âmes (au secours)». Je vais t'apprendre quelques autres lettres. Je te les inscris sur cette feuille de papier.
Lauranne écoutait attentivement.
-Le « I » se représente par deux points et le « r » point barre point. Imagine que tu veuilles nous avertir que tu crains un danger pour ce soir. Tu nous aperçois de l'autre côté des douves. Tu nous envoies point point point; barre barre barre; point point ; point barre point. « S.o.i.r. ».
-Génial, s'exclama leur amie. Inscris-moi l'alphabet, Jean-Claude. Je vais l'apprendre par cœur.
-Excellent, dit Christine. Si tu ne peux pas nous téléphoner ou nous écrire, si ta méchante tante t'enferme dans le cachot, tu pourras communiquer en morse à tout moment avec nous, et nous pourrons te répondre. Tâche de dissimuler une lampe de poche pour nous envoyer des messages la nuit, le cas échéant. Tu allumes brièvement pour un point et plus longuement pour une barre.
-Maintenant, ajouta Jean-Claude, tu peux aussi communiquer en morse avec nous autrement. Je m'explique. Tu es enfermée dans le donjon, derrière les barreaux. Tu prends n'importe quoi qui fait du bruit, un caillou, un vieux clou et tu frappes sur un barreau. Si tu laisses un court espace entre deux coups, ce sera un point. Si tu laisses un long espace, ce sera une barre.
-Oh oui ! sourit Lauranne, même prisonnière, je resterai en contact avec vous. Merci, mes amis.
Tout à coup, ils entendirent le bruit d'une voiture dont les pneus crissaient sur les graviers de l'allée qui précède le grand pont.
-Ma tante est déjà de retour! Sa voiture s'arrête devant l'entrée du château. Vous ne pouvez plus sortir. Vite, cachez-vous à la bibliothèque. Elle n'y va quasiment jamais. Et si elle m'enferme dans le donjon, sauvez-vous comme vous pourrez. À bientôt mes amis.
Les quatre copains se précipitèrent dans la salle de lecture. Les filles se cachèrent à plat ventre sous un grand canapé, les garçons derrière des fauteuils assez larges. Ils entendirent hurler la méchante femme d'une voix particulièrement agressive.
-Viens ici, tout de suite. Dépêche-toi. Je t'enferme dans le donjon, sale petite curieuse. Et comme tu es parvenue, l'autre jour, à te sauver du rez-de-chaussée, je vais te mettre dans le cachot du premier étage. Nous réglerons cela plus tard, d'ailleurs.
Elle enferma Lauranne à l'étage du donjon. Et, bien entendu, elle garda la clé dans sa poche. Puis, elle fit entrer deux ou trois personnes dans les caves par la porte de haute sécurité.
Le château retomba dans un silence inquiétant.
Les quatre amis quittèrent leur cachette, traversèrent lentement le salon et s'aperçurent que la tante de Lauranne avait saisi la feuille où se trouvait l'alphabet en morse et l'avait jetée dans la cheminée où elle achevait de brûler.
Impossible de délivrer leur amie. La porte du cachot résista à leurs efforts. Ils lui promirent de revenir plus tard.
Pour sortir du château, ne disposant pas de la clé des grandes grilles, ils furent obligés d'enjamber une fenêtre et de nager dans les douves. Ils revinrent trempés chez la grand-mère, bien étonnée car il ne pleuvait pas. Elle leur suggéra de prendre leurs maillots pour leur prochaine baignade.
Nos amis ne voulaient pas tarder à agir. Ils savaient que leur amie resterait enfermée, sans recevoir à manger ni à boire dans le froid du cachot toute la nuit. Aussi, le soir même, profitant de ce que la grand-mère s'était couchée un peu plus tôt, ils partirent de la maison vers dix heures du soir, sans lui parler de leur projet, car ils ne voulaient pas l'inquiéter. Ils emportaient une longue corde ainsi qu'un poinçon en fer et un marteau.
L'idée venait de Jean-Claude, cette fois.
Comme sa sœur et lui font de l'escalade, il pensait pouvoir se hisser le long du mur du château jusqu'au premier étage après avoir traversé les douves, et réussir à atteindre le cachot. Grâce au poinçon et au marteau, en frappant par petits coups pour ne pas éveiller l'attention de la tante de Lauranne, il réussirait sans doute à desceller un des barreaux de la prison. Il accrocherait la corde au second et Lauranne n'aurait plus qu'à descendre en rappel le long de la façade.
Philippe fit remarquer à son ami que, contrairement à un mur d'escalade en salle de sport, il ne serait assuré par aucune ceinture et aucune sécurité. S'il glissait, il tomberait sur les pierres ou dans les douves. Jean-Claude accepta de prendre le risque.
Tous les quatre s'équipèrent de vieux t-shirt, jeans ou salopette et de baskets. Ils sautèrent sur leurs vélos et filèrent vers le château dans la nuit.
Arrivés au bord du lac, ils entrèrent tous les quatre dans l'eau froide et sale. En s'approchant de la tour, ils tentèrent d'envoyer un message en morse avec leur lampe de poche, pour signaler leur présence à leur amie.
Jean-Claude, parvenu au pied du mur du donjon entreprit son ascension en direction de la fenêtre où se tenait Lauranne qui les observait avec angoisse. Elle les avait vus venir.
Le garçon dut reprendre son ascension à plusieurs reprises car la façade du bâtiment offrait peu de points d'appui ou de prises. Il s'accrocha à ce qu'il pouvait, cherchant la moindre aspérité, quelque fissure dans les vieux murs, quelque fente entre les pierres. Il parvint à atteindre la geôle de son amie.
Les autres l'observaient en silence, plongés dans l'eau et la vase presque jusqu'au cou.
Enfin, le grimpeur toucha les barreaux du cachot, au premier étage. La jeune fille qui ne tenait plus en place, l'accueillit de son franc sourire.
Elle l'aida de son mieux à desceller l'un des barreaux. Jean-Claude fit alors un solide nœud à l'autre barreau et Lauranne passa doucement la tête hors de sa prison. Elle serra la corde et entreprit la descente. Elle s'écorcha contre le mur et se blessa plusieurs fois aux coudes et aux genoux, sans gémir.
Hélas, vers le bas, le morceau de corde libre dansait dans le vide. Elle vint à plusieurs reprises frapper, sans que nos amis s'en rendent compte, contre les vitres du rez-de-chaussée encore éclairées.
L'une des fenêtres s'ouvrit. La tante de Lauranne apparut. Elle regarda puis cria sa rage, et obligea la jeune fille et Jean-Claude à entrer au salon.
Philippe, Véronique et Christine entreprirent une retraite prudente pour ne pas se faire repérer et pouvoir venir ensuite en aide à leurs amis. La méchante femme les aperçut dans l'eau des douves et les appela, le visage défiguré par la haine. Nos amis firent la sourde oreille.
Alors, l'horrible personne saisit un fusil et les menaça. Les trois enfants, bien obligés firent demi-tour et se hissèrent dégoulinants à l'intérieur du salon, à leur tour.
La femme semblait seule. Elle observa nos amis un moment en silence, toujours en les menaçant tous les cinq de son arme.
Puis elle les emmena au deuxième étage du donjon, où elle les enferma dans un cachot, bien entendu après avoir confisqué le marteau et le poinçon qui sortaient des poches de Jean-Claude. La corde qui aurait pu leur permettre de s'échapper pendait toujours accrochée au barreau, mais hélas, au premier étage.
Elle annonça qu'elle réglerait les comptes le lendemain.
Nos amis s'assirent en rond, désespérés. Ils avaient tenté et réussi à sortir leur amie de son cachot, mais ils se trouvaient à présent enfermés avec elle dans un autre, à la merci de cette créature odieuse qui peut-être n'hésiterait pas à les garder longtemps au secret. Comble de malchance, la Mercedes blanche venait d'arriver. Nos amis pensaient déjà aux sacs noirs, et craignaient de se retrouver plongés et noyés au fond des douves.
Une heure plus tard, Christine, regardant à travers les barreaux de leur prison, remarqua quelques faisceaux de lampe de poche le long de l'eau. Plaçant ses mains en porte-voix, elle appela au secours. Une réponse fusa.
-Taisez-vous. Silence.
Les faisceaux de lampe s'éteignirent.
De longues minutes passèrent. Nos amis craignaient n'avoir affaire qu'à des promeneurs indifférents à leur sort. C'était pas de chance.
Mais, quelques minutes plus tard, des projecteurs braqués sur les murs du château, l'illuminèrent. Des policiers sortirent des taillis. Ils encerclèrent le bâtiment. Ils l'envahirent, forçant les grilles et la porte d'entrée.
Ils arrêtèrent la tante de Lauranne et ses complices et les emmenèrent pour les interroger.
Nos amis, libérés aussitôt, eurent l'agréable surprise de découvrir que celui qui conduisait la force d'intervention n'était autre que le vieil instituteur. Il reconduisit les quatre amis et Lauranne chez la grand-mère. Il prit la parole.
-J'ai fait, expliqua-t-il brièvement, une découverte surprenante en analysant le contenu du tube que vous m'avez apporté. La poudre bleue, le sulfate de cuivre, sert à masquer des ampoules bien scellées qui se trouvent au milieu de chaque tube. Ces ampoules contiennent de l'uranium, une substance dangereuse, radioactive, qui sert à la fabrication d'armes atomiques.
La tante de Lauranne et ses complices vendaient leur produit, raffiné dans les caves du château transformées en laboratoire secret, à certains pays particulièrement agressifs et belliqueux. Ils stockaient ces ampoules dans les douves. Ce commerce illégal, mais très lucratif, fut aussitôt interrompu grâce à l'intervention des enfants.
Lauranne resta quelques jours confiée à la garde de la grand-mère de nos amis. Puis une sympathique famille l'adopta. Ils avaient déjà trois petits dont elle devint la grande sœur. La gentillesse, la sensibilité et la simplicité de la jeune fille firent merveille. Elle y vécut très heureuse et eut même le plaisir de retrouver de temps en temps ses quatre amis.
La fin des vacances se déroula comme un rêve, sous le soleil de cinq amitiés.