N°14
Magali, notre joyeuse et sautillante amie de quatre ans et demi, jouait au jardin. Comme d'habitude, elle portait une salopette rouge et ses chaussures de toile blanche. Ses jolies couettes noires dansaient sur ses épaules.
De l'autre côté de la haie, se trouve un grand champ de blé. Les tiges étaient déjà hautes. L'été y répandait toute sa lumière et sa chaleur.
Notre amie aperçut une fleur bleue au milieu des pailles blondes qui ondulaient au rythme du vent. Elle eut envie de la cueillir pour l'offrir à sa maman.
Magali passa sous la haie et fit un premier pas dans le champ de blé. Une petite abeille, qui butinait les coquelicots, se posa sur un épi, et ne bougea plus.
Notre amie fit un deuxième pas. Un papillon qui voltigeait s'accrocha à un autre épi et replia ses gracieuses ailes rouges.
La fillette fit un troisième pas au milieu des chaumes jaunes. Elle n'était plus maintenant qu'une tache rouge sur fond de couleur paille et sous le ciel bleu. Une petite souris se sauva en la voyant s'approcher. Elle se réfugia dans son trou.
Magali fit un quatrième pas en direction de la fleur bleue. Un corbeau qui croquait quelques graines, s'envola en lançant un croassement bien sonore, furieux d'être dérangé pendant son dîner.
Notre amie fit un cinquième pas. Une pie qui cherchait quelque chose qui brillait dans un coin du champ partit à tire-d'ailes en lançant son jacassement rauque.
Il ne restait plus qu'un sixième pas à faire. Un lapin aperçut la fillette et courut se cacher dans son terrier.
Magali cueillit la fleur bleue, sortit du champ, repassa la barrière, retraversa son jardin et entra dans la maison.
-Tiens, maman, elle est pour toi.
-Je la trouve ravissante, ma chérie. C'est un bleuet.
Maman prit un verre, y mit de l'eau, y posa la fleur et plaça le tout sur la table de la salle à manger.
Après le repas du soir, Magali prit sa douche, puis elle passa sa robe de nuit rose avec des petits rubans et monta sur son lit. Les parents vinrent l'embrasser, puis elle s'endormit.
Elle s'éveilla au milieu de la nuit. Elle entendait pleurer. D'abord, elle pensa à son petit frère Julien, le bébé, mais les pleurs ne venaient pas de sa chambre.
Peut-être était-ce Arnaud ? Il lui arrive de faire un cauchemar et de pleurer, surtout quand il se dispute avec Manon, sa meilleure amie. Mais cela ne ressemblait pas à la voix d'Arnaud non plus.
Intriguée, elle se leva. Elle ouvrit la porte de sa chambre et descendit l'escalier. Elle parvint au salon. Les pleurs venaient de cet endroit.
Vous me croirez si voulez, mais Magali découvrit que le bleuet pleurait.
-Tu es triste ? demanda notre amie, en caressant la petite fleur. Je voudrais bien savoir pourquoi.
-Je pleure, chuchota le bleuet, parce que je suis tout seul. Dans le champ de blé, nous sommes nombreux, avec des coquelicots et des violettes. J'ai peur tout seul.
-Si tu veux, proposa la fillette, je t'emmène dans ma chambre. Tu seras avec moi.
Elle emporta le vase, remonta l'escalier et referma sa porte. Elle posa la fleur sur l'appui de sa fenêtre grande ouverte sur la chaude nuit d'été pleine d'étoiles.
-Regarde, tu seras bien ici. Tu verras le champ où tous tes amis se trouvent. Demain, j'irai te chercher quelques-uns de tes copains pour te tenir compagnie. Je croyais que tu pleurais parce que je t'avais cueilli.
-Oh non, rassura le bleuet, je suis content que tu m'aies cueilli et offert à ta maman, mais tout seul, cela me faisait un peu peur.
Peut-être que toi aussi, tu as parfois un peu peur la nuit seul ou seule dans ta chambre.
-Sais-tu pourquoi on trouve des bleuets, des coquelicots et des violettes dans les champs de blé ? demanda la fleur.
-Non, répondit Magali.
-Tu aimes écouter des histoires, petite fille ?
-J'aime beaucoup, sourit notre amie.
-Alors, je vais t'en raconter une.
« Il y a bien longtemps, dans les champs, on ne trouvait que les épis jaunes des blés et aucune fleur. Un jour, un grand oiseau aux plumes oranges et rouges et noires, passa dans le ciel. Un aigle! Il plana doucement avant de descendre.
« Au moment où il se posa, une abeille qui butinait s'immobilisa sur un épi. Un papillon rouge qui voltigeait referma ses ailes. Une souris qui mangeait des graines se sauva dans son trou. Un corbeau, dérangé pendant son repas, s'envola en croassant. Une pie, qui cherchait un trésor dans un coin, s'enfuit en lançant son cri rauque. Un lapin, effrayé, courut dans son terrier.
-N'ayez pas peur, s'écria l'oiseau. Je viens de très loin, d'au-delà de l'horizon. Je fais un long voyage. Je reviens de la mer et je retourne dans mes montagnes. Je me repose un peu.
« Alors, tous les animaux, curieux, s'approchèrent du grand oiseau.
"L'abeille passa par la ruche et lui apporta un peu de miel.
"Le papillon dansa en voltigeant dans le ciel bleu.
"La souris choisit quelques-unes de ses délicieuses graines et les offrit à l'oiseau.
"Le corbeau s'approcha doucement et lui donna, trouvé l'on ne sait où, un morceau de fromage.
"La pie prit un anneau en or dans son nid et le lui confia. Le grand aigle le glissa à sa patte.
"Le lapin vint lui montrer ses petits, pour l'égayer et le distraire.
-Vous êtes tous charmants, remercia l'aigle. Je voudrais aussi vous faire un cadeau. Tenez.
"Il ouvrit ses serres et présenta trois graines. Une rouge, une bleue et une violette.
-Laquelle choisissez-vous ? Elles viennent de très loin, plus loin que l'horizon.
« L'abeille et le papillon préféraient la rouge, surtout que le papillon avait des ailes rouges. La pie et le corbeau voulaient la bleue, car le corbeau affirmait que sous le soleil, ses plumes noires avaient quelques reflets bleu foncé. La souris et le lapin optèrent plutôt pour la graine violette. Sa couleur était si douce.
-Ne vous disputez pas, dit l'aigle. Je vous offre les trois graines. Plantez-les dans la terre et vous aurez une belle surprise.
« Quelques instants plus tard, il les salua et s'envola. Il ne revint jamais.
« Alors, acheva le bleuet, les animaux creusèrent un trou dans la terre et enterrèrent les trois semences dans le champ de blé.
"Quelques jours plus tard, la petite graine rouge donna le premier coquelicot. La petite bleue fit apparaître le premier bleuet, et la violette fit naître des délicates fleurs violettes.
« Depuis ce jour-là, dans les champs de blé poussent des violettes, des coquelicots et des bleuets.
-Tu aimais bien mon histoire ? demanda le bleuet.
Mais Magali s'était endormie !
Oh zut, songea le bleuet. Pourvu qu'elle ait entendu mon récit jusqu'au bout.
Quand la fillette s'éveilla le lendemain matin, la fleur bleue ne parlait plus.
Elle se précipita au jardin, passa sous la haie, courut dans le champ de blé et cueillit une violette, un coquelicot et un autre bleuet. Elle les mit dans l'eau et les plaça dans le petit vase avec le bleuet.
Ainsi, il ne serait plus triste.
Il n'était plus tout seul…