N°9
Magali, âgée de cinq ans et demi, a des longs cheveux noirs que ses parents lui coiffent en deux petites couettes qui dansent sur ses épaules. Elle porte souvent une jolie salopette rouge.
Il faisait très beau, ce jour-là. Notre amie accompagnait au parc sa maman, son grand frère Arnaud de huit ans et son petit frère Julien, un bébé de presque un an.
Dès leur arrivée sur la pelouse, Arnaud tenta d'apprendre à sa sœur à jouer au football sous le grand soleil.
Magali ratait souvent le ballon et courait par-ci par-là pour le rechercher. Elle courait, elle courait.
Elle eut bientôt trop chaud. Pourtant elle ne portait que sa salopette rouge et des tennis à peu près blanches. Elle transpirait beaucoup.
Une heure plus tard, elle ne voulut plus jouer. Elle avait très soif. Elle revint près de sa mère.
-Maman, maman, quand allons-nous boire ? J'ai très soif.
-Bois déjà un petit peu d'eau, ma chérie. Et repose-toi à l'ombre des grands arbres. Nous irons chercher une limonade dans une demi-heure.
Magali s'éloigna et aperçut des pissenlits. Elle les appelle des petits soleils.
Elle en cueillit un et l'examina, étonnée.
Tu as déjà observé ces fleurs jaunes qui sont comme des petits soleils tombés dans l'herbe. Si on coupe leur tige, on découvre qu'il y a un peu de liquide blanc dedans. Ça ressemble à du lait. Ce n'est pas du lait. Toi tu t'en doutes, mais Magali ne le savait pas...
Elle le toucha et glissa son doigt sur sa langue pour goûter. Ce n'était ni bon ni mauvais. Comme elle avait encore soif, elle cueillit quatre, cinq, six autres fleurs et but le liquide de chacune d'entre elles.
Le goût est quand même bizarre, songea notre amie. Et pas très bon. Elle essaya de recracher le tout, mais elle en avala une bonne partie.
Un quart d'heure plus tard, ils allèrent goûter tous ensemble. Un marchand de glace passait avec sa camionnette. Maman leur en offrit une, puis ils retournèrent à la maison.
Au soir, Magali ne se sentait pas bien. Sa tête tournait. Et surtout, elle avait mal au ventre. Elle ne voulut pas manger. Elle avala juste deux cuillères de soupe, puis elle s'arrêta.
Papa et maman l'envoyèrent prendre sa douche puis se mettre au lit. Ils viendraient la voir un petit peu plus tard. Après s'être lavée et avoir passé sa jolie robe de nuit rose avec des petits rubans, notre amie se coucha. Papa vint l'embrasser le premier.
-Tu as encore mal au ventre, ma chérie?
-Un petit peu, murmura notre amie.
-On dirait que tu attrapes une drôle de couleur. Que t'arrive-t-il?
-Je ne sais pas, dit Magali un peu inquiète.
Maman entra dans la chambre à son tour. Elle s'approcha de notre amie.
-As-tu mangé quelque chose de mauvais, Magali?
-J'ai juste sucé du lait de quelques fleurs, tantôt au parc.
Les parents ne s'inquiétèrent pas davantage. Ils n'insistèrent pas.
-Si tu ne vas pas bien pendant la nuit, tu nous appelles. Bisous.
Notre amie ferma les yeux et s'endormit. Puis elle les rouvrit.
Elle ne se trouvait plus dans sa chambre, mais devant un paysage étrange, rempli de fleurs jaunes géantes. Elle en vit partout, sur la plaine, sur les arbres et même, près d'elle sur des rochers.
Et ces grandes fleurs parlaient.
-Te voilà devenue une fleur, Magali.
La fillette se vit dans le miroir d'une flaque d'eau. Elle ressemblait à un petit soleil.
-Je ne veux pas... dit-elle. Je ne veux pas devenir une fleur. Je veux retrouver ma maison et mes parents.
-Il ne fallait pas boire le lait de pissenlit, fillette, dit une des fleurs. Maintenant, c'est trop tard.
Des larmes coulaient le long de ses joues, devenues des pétales jaunes.
Elle ferma les yeux puis les ouvrit de nouveau.
C'était le matin. Ouf, elle avait rêvé. Elle se trouvait dans son lit.
Mais son corps, sa peau, chatouillaient de toutes parts. Elle regarda ses mains et se mit à hurler puis à pleurer. Des pissenlits étaient apparus sur ses bras, ses jambes, son ventre, son dos, son visage.
Oui, des petits soleils, comme elle les appelle, avaient poussé sur elle pendant la nuit. Elle en était couverte de la tête aux pieds, partout. Ses cheveux étaient devenus des longs pissenlits. Elle en aperçut encore au-dessus de ses yeux, à la place des sourcils. D'autres se trouvaient sur son nez et autour de sa bouche, sur ses mains et même sur ses doigts.
Papa et maman s'effrayèrent en la voyant ainsi. Arnaud, le grand frère éclata de rire. Notre amie se remit à pleurer de plus belle. Alors, Arnaud qui aime bien sa petite sœur, cessa de se moquer. Il partit pour l'école.
Maman accompagna Magali chez le docteur. Il observa cette étrange petite fille couverte de fleurs jaunes. Il n'avait jamais vu cela. Il se demanda ce qu'il fallait conseiller. Il téléphona à un collègue spécialiste, un dermatologue, pour connaître son avis.
-Il semble, madame, que votre enfant développe une réaction allergique, dit-il après avoir remercié son confrère et raccroché. Elle a dû manger quelque chose de mauvais, une sorte de poison et elle est à présent recouverte de fleurs. Pendant quelques jours, nourrissez-la simplement avec des bananes, des carottes et du lait. Les bananes sont bonnes pour la santé. Les carottes donnent une belle couleur à la peau. Ne lui donnez pas d'eau à boire, mais du lait. L'eau risquerait de faire pousser ses fleurs. Ne lui proposez rien d'autre à manger jusqu'à ce que les fleurs se fanent et tombent.
Maman remercia et retourna vers la maison avec notre amie.
En chemin, elles longèrent une prairie. Les vaches coururent vers la clôture, et s'il n'y avait pas eu les barbelés, je crois qu'elles auraient brouté les fleurs de Magali. Celle-ci eut très peur. Elle crut que les vaches allaient la manger.
Plus loin, ce furent des moutons, des brebis et des agneaux qui voulurent croquer les petits soleils qui se trouvaient sur la fillette. Elle traversa la rue.
Plus loin, elle fut soudain entourée par plusieurs abeilles qui tournaient autour d'elle. Elles se posaient sur les pétales jaunes pour butiner. Effrayée, notre amie courut à la maison, entra en se précipitant, et claqua la porte derrière elle.
Maman coupa les fleurs avec des ciseaux. Cela ne faisait pas mal. Quand on te coupe les cheveux, tu ne sens rien. Puis elle lui donna des bananes, des carottes et du lait. Mais les petits soleils repoussaient aussitôt.
Magali, bien malheureuse, n'osait plus quitter sa chambre.
Polipilou, son petit chat, vint lui rendre visite. Elle l'interrogea.
-Que dois-je faire? demanda la fillette.
-Va au champ de blé, derrière le jardin, proposa le petit animal. Demande conseil au gentil lapin. Il aura peut-être une idée.
Notre amie descendit l'escalier, sortit par la porte de la cuisine et traversa le jardin. Elle courut jusqu'à la barrière du fond. Elle fit glisser le verrou et s'avança vers les blés mûrs. Elle appela trois fois le lapin.
-Gentil lapin! gentil lapin! gentil lapin!
Une vieille souris à la moustache tombante s'approcha.
-Que veux-tu?
-Je cherche le gentil lapin. Je suis couverte de petits soleils, et je voudrais bien m'en débarrasser.
-Je parie que c'est de ta faute.
-Oui, j'ai bu du jus de pissenlits. Je croyais que c'était du lait.
-C'est de ta faute. (La vieille souris dit toujours cela). Va au ruisseau de l'autre côté du champ, roule-toi dans l'eau puis laisse-toi sécher au soleil. Des coccinelles rouges se poseront sur tes fleurs pour les butiner.
-Je devrai rester dehors longtemps?
-Oui, tu y passeras toute la nuit. Tu dormiras au jardin, à la belle étoile. Le lendemain, tes pissenlits jaunes seront devenus blancs. Il n'y aura plus qu'à souffler sur toi. Les semences s'envoleront et les tiges tomberont.
-Merci, vieille souris.
Magali revint à la maison et raconta à sa maman ce que la vieille souris lui avait expliqué. Elle partit aussitôt pour le ruisseau. Elle s'y roula dans l'eau fraîche et transparente.
Elle se releva ruisselante, puis retourna au jardin et s'installa au grand soleil. Arnaud vint lui tenir compagnie.
Au soir, le grand frère accepta de passer la nuit à la belle étoile avec sa petite sœur. Les parents les installèrent dans leurs sacs de couchage, sous le regard attentif du bébé Julien qui ne perdait rien du spectacle et observait les deux grands, étonné.
Les pissenlits sont des fleurs magiques. Observe-les bien dans ton jardin ou le long des sentiers au printemps. Un soir ils sont jaunes, le lendemain, ils apparaissent blancs. Tu peux alors les cueillir et souffler sur eux. Une pluie de petits pollens blancs s'envole au vent.
Le lendemain matin, Arnaud souffla plusieurs fois sur sa petite sœur. Tous ces petits pollens, qui ressemblent à un parachute, se dispersèrent au gré de la brise. Les tiges tombèrent et Magali fut tout à fait guérie. Sa peau réapparut, normale, comme avant.
La nature réserve bien des surprises, parfois ravissantes, mais cependant il faut rester un peu prudent.