Fille ou garçon (La maison dans la lande - Partie 2)
- Salut, François!
Béatrice venait de sonner à la porte de son ami. Ils ont tous deux sept ans et demi et vont en deuxième année dans la même classe de la même école. François a deux petites sœurs, Olivia et Amandine. Béatrice a un petit frère, un bébé. Il s'appelle Nicolas.
Ce jour-là, la fillette portait une salopette verte et des baskets aux pieds. Sa longue queue de cheval dansait jusqu'au bas de son dos.
Quant à lui, le garçonnet, il portait un jean bleu, des baskets et, comme d’habitude, ses cheveux bruns formaient une joyeuse bataille.
- Salut François. On a le temps de jouer un peu ensemble?
- Avec plaisir, répondit le garçon.
- Viens, on va au jardin.
Ils se dirigèrent aussitôt derrière la maison et s'assirent sur la pelouse.
- Je voudrais te proposer un jeu, François. Je ne sais pas si tu seras d'accord, mais ça me ferait plaisir que tu acceptes.
- Je t'écoute, répondit le garçon très intrigué.
- Tu te souviens de la maison de la sorcière?
Si tu n'as pas lu l'épisode précédent, arrête la lecture de celui-ci et découvre d'abord l'autre qui conte le début de cette incroyable aventure : La maison dans la lande, Béatrice et François N°39.
- Bien sûr, répondit François. Avec cette horrible dame et sa fille qui s'appelait Odile. Elle voulait manger mes petites sœurs transformées en écureuils. Toi, tu étais devenue un rat.
- Une petite souris, tu veux dire. On s'en était bien tiré. Tu te souviens des biscuits?
- Bien sûr. Grâce à eux, pour finir, mes sœurs et toi êtes redevenues des filles.
- Tu t'étais même trompé. Tu nous avais donné des biscuits-garçon et on était devenues toutes les trois des garçons.
- Je me rappelle qu'Olivia refusait de se retransformer en fille.
- Justement, fit Béatrice. Ça m'a donné une idée. Serais-tu d'accord de jouer à fille ou garçon? Avant de refermer le coffre de la sorcière, en partant, j'ai pris quatre biscuits. Deux biscuits-garçon et deux biscuits-fille. Voici le jeu que je te propose. Je pourrais manger un biscuit-garçon et toi un biscuit-fille, et pendant une heure, toi François tu serais une fille et moi un garçon. Et puis il suffirait de manger le biscuit contraire et on redeviendrait comme avant.
- Ça ne me plaît pas beaucoup, répondit notre ami en faisant la moue. Ton jeu ne m'amuse pas.
- Ça te fait peur? demanda Béatrice, ou bien crains-tu de ne plus être un garçon? Après tout, les filles sont supérieures aux garçons.
- Ça, ce n'est pas vrai, s'écria François. Les garçons sont les plus forts.
- Parfois, mais les filles sont souvent plus subtiles, fit remarquer Béatrice.
- Je ne veux pas de ce jeu-là, insista François.
- Pour me faire plaisir... risqua la fillette. S'il te plaît. Allez, juste une demi-heure.
- Bon, toléra son ami. D'accord, mais pas plus d'une demi-heure.
François mangea le biscuit-fille et sa copine un biscuit-garçon.
Leur apparence changea à peine. Les cheveux de Béatrice étaient courts à présent.
- Je ne vois pas beaucoup de différences, fit remarquer François-fille. D'ailleurs, à notre âge, il n'y en a pas tellement.
- Tu crois, répliqua Béatrice-garçon, avec un sourire un peu moqueur. Tu affirmais il y a un instant que les garçons sont les plus forts.
- Ça reste à démontrer, riposta François-fille. Je te préviens. Si tu cherches la bagarre, tant pis pour toi. Ça ne me fait pas peur.
- Tu oserais te battre, défia Béatrice-garçon.
- Évidemment, répondit François-fille.
Béatrice-garçon attaqua. Et le premier résultat de ce jeu pour lequel ils avaient mangé les biscuits de la sorcière, fut qu'ils se bagarrèrent, et ce, probablement pour la seule fois de leur vie, car ils sont grands amis.
Béatrice-garçon frappa plusieurs fois François-fille qui réagit en attrapant le poignet de son amie. Il tenta de la mordre et comme il n'y parvenait pas, il lui donna un solide coup de poing sur le torse.
-Arrête, cria-t-elle, tu me fais mal.
Les deux enfants se séparèrent.
Mais Béatrice-garçon, soudain catastrophée, fouilla la poche avant de sa salopette. Les deux biscuits de la sorcière, le biscuit-garçon et le biscuit-fille, destinés à leur faire retrouver leur apparence normale, étaient en miettes et inutilisables à cause du coup de poing. Les petits morceaux s'étaient mélangés.
- Tu vois le résultat de ton jeu idiot! cria François-fille. Maintenant, on est obligés de retourner chez la sorcière pour chercher de quoi nous retransformer.
- C'est vrai, avoua Béatrice-garçon un peu penaude. Je n'aurais jamais dû te proposer ça. Je te demande pardon.
Les deux amis se réconcilièrent.
À ce moment-là, on appela François.
- Rentre à la maison mon chéri, dit sa maman. Ton amie doit retourner chez elle. Ses parents sont venus la chercher.
Quand ils aperçurent leurs enfants métamorphosés, ils furent d'abord atterrés, puis ils éclatèrent de rire tous les quatre. Nos amis avouèrent leur jeu.
- Vous voilà bien attrapés...
- Pourquoi? demandèrent nos amis d'une seule voix.
- Pourquoi? répondit un des papas. Parce que dans quelques instants, François, je te conduis au camp scout, mais vu la situation, au lieu de te mener chez les louveteaux, tu vas être obligé d'aller chez les filles, chez les lutins. Quant à Béatrice, elle ira chez les garçons, les louveteaux, ce weekend, à ta place.
-Non! s'écria notre amie. Deux jours avec une bande de trente-cinq garnements qui ne savent que jouer au football, se disputer et se bagarrer sans cesse! Jamais! Je vais devenir enragée.
- Et moi, s'affola François. Passer tout le weekend avec trente-cinq pipelettes autour de moi, qui ne vont parler que de leurs amoureux et de leurs tresses. Oh, non! Je vais devenir fou. Je vais revenir fou de ce weekend.
Mais trop tard, ils devaient supporter la conséquence de leur jeu. Les deux amis échangèrent leurs uniformes.
François se rendit à la ronde des lutins sous le nom de Françoise.
Béatrice se retrouva sous le nom de Baptiste chez les louveteaux.
Françoise arriva à la ronde. La cheftaine la présenta comme une nouvelle et la plaça dans la sizaine des écureuils. L'ex-garçon se sentait bien mal à l'aise dans son uniforme de fille. Les autres filles l'observèrent gentiment puis l'inclurent dans leurs jeux.
Le lendemain, la ronde dont faisait partie Françoise, s'apprêtait à vivre une grande aventure. La cheftaine rassembla toutes les filles, juste après le petit-déjeuner, et leur expliqua.
- Vous allez suivre une route, en sizaine. Vous la trouverez dessinée sur une carte dont je vais remettre un exemplaire à chaque chef d'équipe. Vous marcherez environ six kilomètres. Ensuite vous devrez traverser une rivière assez large et revenir par un grand bois. Vous nous verrez de temps en temps car nous vous surveillerons discrètement. La première sizaine qui se présentera au camp, vers quatre ou cinq heures de l'après-midi remportera le jeu. La difficulté, c'est la traversée de la rivière.
- Pourquoi? demanda une sizenière.
- J'explique, continua la cheftaine. Vous pouvez franchir cette rivière de trois manières. La plus facile consiste à passer sur le pont qui l'enjambe. Mais c'est un détour de sept kilomètres supplémentaires. Celles qui choisiront ce trajet auront peu de chances d'arriver les premières au camp, à moins de beaucoup courir...
Toutes les filles écoutaient.
- La deuxième solution, c'est le passage à gué. L'eau est plutôt froide et vous risquez d'en avoir jusqu'à la ceinture, mais je sais que vous n'êtes pas des mauviettes. Ça ne vous fait pas peur. Le détour n'est que de deux kilomètres.
" Enfin, pour les plus audacieuses d'entre vous, il existe une troisième option. La cascade. Là se trouve une sorte de télésiège qui se manie à la main et enjambe cette chute d'eau. C'est impressionnant, mais plus rapide.
- Je crois que j'ai déjà vu cela, affirma une des secondes. Un câble d'acier tendu entre deux arbres. On s'accroche à une armature en fer et on pédale avec les mains.
- Exactement, acquiesça la cheftaine. Tu es passée à cet endroit?
- Non, mais j'ai vu cela dans un autre pays, lors d'une randonnée avec mes parents. Ça fait peur. On traverse tenue par un cable, le long de la cascade. On est tout à fait trempée, c'est vertigineux, mais génial comme expérience.
- Et c'est le trajet le plus court, précisa la cheftaine. Voici vos cartes. Vous avez votre pique-nique et on vous attend au camp pour le goûter.
Les différentes équipes se mirent en route et se dispersèrent. La sizenière des écureuils où se trouvait Françoise, proposa de passer par la cascade. Cette meneuse et sa seconde sont solides, débrouillardes et délurées.
Les plus jeunes, un peu inquiètes, acceptèrent de suivre. Françoise ne fit pas de commentaire. De toute façon, passer sur un câble tendu entre deux arbres au-dessus d'une cataracte ou au-dessus de la pelouse du jardin, comme sur la tyrolienne installée chez lui, notre ami devenu fille ne voyait guère de différence.
Elles arrivèrent devant la cascade en tout début d'après-midi. Elle parut plus impressionnante que prévu. Une quinzaine de mètres de hauteur. Une véritable chute d'eau bien froide. Mais, comble de déveine, l'armature de fer qui permetait de passer en s'accrochant au câble se trouvait sur l'autre rive.
- On n'a pas de chance, dit la sizenière. Et en face, je ne vois personne pour nous aider. Pour traverser, il faudrait que l'une d'entre nous s'accroche au câble et passe à la force des poignets et des jambes pour aller chercher l'armature en fer de l'autre côté.
- Moi, je n'ose pas, affirma la seconde.
- Nous non plus, déclarèrent les plus jeunes.
- J'hésite, évalua la sizenière, pourtant très audacieuse.
La seconde s'avança dans la boue et fit quelques pas vers l'autre rive. Hélas, elle se prit les pieds dans des racines d'arbres qui rampaient au fond de l'eau boueuse. Elle glissa et se releva trempée et sale de la tête aux pieds.
Elle éclata de rire.
Ça, c'est de la fille! se dit notre ami. Elle n'a pas froid aux yeux celle-là!
- Je veux bien tenter la traversée, proposa Françoise. J'ai déjà fait ce jeu chez les louveteaux.
- Tu es allée chez les louveteaux, toi, une fille?
- Euh... pas tout à fait... bredouilla Françoise en rougissant de son erreur. Je voulais simplement... enfin, j'ai entendu dire que les louveteaux font cela à leur camp. Je crois que j'y arriverai.
Françoise grimpa de rocher en rocher le long de l'eau. Elle parvint à se hisser sur le tronc de l'arbre et saisit le câble qui s'y trouvait attaché et reliait les deux berges. Alors, s'accrochant avec les mains et les jambes, et alternant ses prises sur la corde métallique, elle traversa lentement la cascade sous l'admiration des autres filles.
L'eau bondissait tout près d'elle. Elle fut tout de suite trempée par les éclaboussures. Vers le milieu, le câble bougeait et tanguait dangereusement. Mais, notre amie continua sa progression et parvint sur l'autre rive.
Quand elle revint avec l'armature en fer, les filles la saluèrent par une salve d'applaudissements. Les lutins passèrent deux à deux, l'une se tenant à la barre, l'autre faisant tourner le pédalier, puis revenant chercher la suivante.
La sizaine des écureuils fut la seule à choisir ce chemin périlleux.
Quand elles revinrent au camp, elles remportèrent le jeu.
Lorsque toutes furent de retour, la cheftaine rassembla la ronde autour d'elle. Elle félicita la sizenière des écureuils.
La jeune fille leva le doigt et demanda la parole. Elle expliqua que le mérite de la victoire de son équipe revenait à la nouvelle.
- Françoise a eu le courage de passer à mains nues sur le câble, au-dessus de la cascade, pour chercher l'armature de fer qui se trouvait sur l'autre rive. Toutes les félicitations sont pour elle.
Un tonnerre d'applaudissements ponctua ce petit discours.
La cheftaine frémit en pensant au danger imprévu, encouru par cette fillette un peu trop téméraire.
Pendant ces quelques instants, François-fille songea à ses nouvelles amies. Elles ne sont ni pipelettes ni mauviettes comme je le pensais, se dit-il, bien au contraire, beaucoup d'entre elles sont aussi délurées et audacieuses que des garçons. Former une équipe avec elles permettait décidément de remporter tous les épreuves.
Pendant ce temps là, Béatrice, sous le nom de Baptiste, arriva chez les louveteaux. Au soir tout se passa bien. Les garçons très sympas, accueillirent le nouveau chaleureusement.
Au matin les chefs organisèrent une partie de football. Baptiste commença placé centre avant. Les équipes des bleus et des rouges dont il faisait partie se mirent torses nus.
Rapidement, après avoir raté quelques ballons, faute d'habitude, les autres le firent rétrograder à l'arrière. Puis, par manque d'expérience car Béatrice ne joue jamais à ce jeu qu'elle n'aime d'ailleurs pas, Baptiste transforma le goal en passoire. Il se retrouva au rang de spectateur.
Mais l'après-midi, le chef, Akéla, expliqua un grand jeu organisé, qui consistait en une promenade aventureuse.
- Vous devez atteindre un petit pavillon belvédère, au sommet de la colline. Pour cela, vous avez trois options, précisa l'Akéla. Soit vous longez la rivière jusqu'à l'endroit où elle reçoit un affluent. Là vous suivez le ruisseau en amont et vous parviendrez au point de ralliement, le belvédère, à condition d'emprunter la vallée. Mais le chemin est assez long. Et marcher dans le ruisseau pourrait poser quelques problèmes parce qu'il faudra souvent patauger dans la boue.
« Une deuxième solution est envisageable. Elle consiste à emprunter un sentier très raide et gravir cette fameuse colline. Ce passage dans les bois sera parfois très dur. Il faudra vous accrocher aux racines d'arbres, vous hisser de tronc en tronc à travers les orties et les ronces. Les aînés aideront les plus jeunes au cours de certaines escalades un peu périlleuses. Par contre le trajet sera beaucoup plus court. Je suggère cette option aux plus intrépides d'entre vous. Voilà. Bonne chasse.
L'un des garçons particulièrement attentif demanda quelle était la troisième option.
- C'est le tunnel.
Le chef précisa qu'il n'interdisait pas de choisir ce trajet, mais que la ou les sizaines qui parcourraient ce raccourci risquaient fort de rencontrer l'un ou l'autre occupant qui squattait ce lieu.
-Évitez de le déranger et faites attention à ses réactions. Sachez respectez ces gens même s'ils vous forcent à faire demi-tour.
Les sizaines partirent. Celle où se trouvait Baptiste choisit de tenter le tunnel, afin de gagner le jeu. Les six garçons longèrent donc la rivière, aperçurent la voie ferrée, et suivirent les vieux rails. Une demi-heure plus tard, ils entrèrent dans le tunnel désaffecté.
Plus ils progressaient, plus il faisait noir. Un vent assez fort s'engouffrait dans ce passage. Ils frissonnaient.
Vers le centre du tunnel, à l'endroit où la pénombre était la plus dense, ils remarquèrent quelque chose qui bougeait. Déjà les deux plus jeunes louveteaux hésitaient à poursuivre la route. Baptiste marchait à côté du sizenier et de son second.
Avançant encore un peu, ils virent que ce qui remuait n'était autre chose que des grandes couvertures ou des vieilles tentures fixées à des cordes tendues sous la voûte noire et qui délimitaient un espace dans le tunnel. Cet espace pouvait être occupé par une personne, comme Akéla leur avait mentionné. Nos amis s'arrêtèrent un instant pour observer les lieux.
- Je ne vois personne, chuchota le sizenier. Suivez-moi. On s'approche et on passe en file indienne. Toi, dit-il à son second, tu fermes la marche. On met les plus jeunes au milieu.
Tous le suivirent.
Ils arrivèrent tout près des couvertures qui claquaient au vent et augmentaient encore l'impression sinistre et fantomatique que dégageait cet endroit.
Soudain, ils entendirent des aboiements féroces. Ils aperçurent un grand chien. Heureusement, bien dressé, il n'allait pas se jeter sur eux. Un homme écarta les couvertures et regarda les garçons qui s'étaient arrêtés et tremblaient de peur.
- Le clochard, murmura un des plus jeunes.
L'homme était vêtu de vêtements sales et troués. Ses yeux étaient exorbités et une longue barbe hirsute mangeait son visage maigre.
- Que faites-vous là?
- Excusez-nous, dit le sizenier.
- On ne voulait pas vous déranger, ajouta le second. On est des louveteaux, on fait un jeu.
- Et ce jeu consiste à passer dans ma cambuse!
- Nous ne savions pas que vous habitiez ici, monsieur.
Le second s'approcha du sizenier et les autres garçons entourèrent les aînés.
- Notre chef nous avait avertis qu'en passant par le tunnel on rencontrerait peut-être quelqu'un. Mais en suivant ce raccourci, nous allons gagner le jeu. Vous voulez bien nous laisser passer?
- Faites demi-tour, répliqua l'homme.
- Mais monsieur, si on fait demi-tour, on va devoir marcher plusieurs kilomètres en plus.
Les six garçons se turent. Ils observaient en silence l'étrange individu aux yeux injectés, à la barbe en broussaille.
- Ainsi, vous participez à un jeu, répéta le clochard. Et bien, parfait. Moi, je vous en propose un également. Je vais vous poser trois questions. Si vous répondez bien, vous pourrez passer. Si vous ratez l'une des questions, vous faites demi-tour. Que dites-vous de ma proposition?
Le sizenier se tourna vers ses louveteaux.
- Qu'en pensez-vous, les gars? Trois questions... on doit pouvoir répondre à ces énigmes. On risque?
La moitié d'entre eux préféraient faire demi-tour. Les autres, les aînés, Baptiste compris, voulaient risquer le coup. La voix du sizenier prévalut.
- Bien, monsieur, on écoute vos questions, mais ne les faites pas trop difficiles, s'il vous plaît...
- Asseyez-vous, ordonna l'homme.
Nos amis se serrèrent l'un près de l'autre le long du rail rouillé, adossés contre le mur froid et humide du tunnel. Ils frissonnaient dans le vent et leurs cœurs battaient la chamade.
- Première question. J'ai la taille d'une orange, mais si on me chauffe, je remplis toute la pièce. Que suis-je?
Un des garçons suggéra de répondre un ballon ou une montgolfière. Mais cela ne semblait pas très bon comme idée. Un autre proposa du pop-corn. Sa grande sœur en fabriquait parfois à la maison. Un jour, elle avait oublié de poser le couvercle au-dessus de la casserole et les grains éclatés de maïs avaient sauté jusqu‘au plafond. Baptiste intervint.
- Je crois que je sais.
Il se tourna vers l'homme qui les observait en silence.
- Une ampoule électrique, monsieur. Quand on allume, elle chauffe, mais sa lumière remplit toute la pièce.
- Bravo, accepta le clochard. Deuxième question. Écoutez bien. Lorsque j'avance, je monte et lorsque je descends, je recule. Qui suis-je?
Toi qui découvres cette histoire, tâche de trouver la réponse avant de lire la suite...
Les louveteaux se taisaient. Ils observaient le chien du coin de l'œil. Le sizenier et son second ne trouvaient aucune idée. Un ascenseur ou un escalator peut-être?
- La mer, monsieur, dit un copain de Baptiste. La marée sur la plage. Quand la marée monte, l'eau avance sur le sable et quand la marée descend, la mer recule.
- Bravo, félicita le vagabond. Troisième et dernière question. Quatre pattes sur quatre pattes attend quatre pattes. Quatre pattes ne vient pas, quatre pattes s'en va, quatre pattes reste. Ça veut dire quoi ce charabia?
Encore une fois les garçons se concertèrent. Il hésitaient.
Tout à coup Baptiste répondit :
- Quatre pattes. Je pense à un animal. Peut-être un chien ou un chat... oui, un chat. Quatre pattes sur quatre pattes. Un petit chaton... Oui... Un petit chaton, monté sur le dos de sa mère attend le papa chat. Quatre pattes sur quatre pattes attend quatre pattes.
Notre ami continua, de plus en plus sûr de lui.
- Le papa chat n'arrive pas. Le petit chaton s'impatiente et va jouer tandis que la maman chat reste en place. Quatre pattes ne vient pas, quatre pattes s'en va, quatre pattes reste.
- Extraordinaire, admira l'homme, après un moment de silence.
Il applaudit.
- La réponse que je possède est bien moins belle que celle que tu viens de me donner. Tu es d'une sensibilité, d'une finesse, d'une intelligence qui me fascinent, mon garçon. Voici la solution que j'avais en tête. Un chat sur une chaise attend une souris. La souris ne vient pas. Le chat s'en va. La chaise reste.
Baptiste songea que décidément tous ses copains avaient la chance qu'il soit parmi eux ce jour-là.
Ils s'éloignèrent. L'homme retourna derrière ses tentures et murmura à son chien en le caressant :
- C’était bien sympathique de croiser ces gamins. On s'est bien amusés.
La sizaine des bleus remporta le jeu.
De nouveau, lors des félicitations, le sizenier fit remarquer que cette victoire revenait à leur intrépidité et à la capacité de deux de leurs copains, Baptiste et Thomas à résoudre les trois énigmes avec brio.
Béatrice-garçon songea de son côté que les garçons l'étonnaient dans le bon sens, décidément. Ce ne sont pas tous des chenapans comme je pensais, se dit-elle. Certains d'entre eux sont vaiment sensibles et doués d'un esprit subtil. Unis, les garçons et les filles peuvent défier l'univers.
Le dimanche, en début d'après-midi, les parents vinrent rechercher leurs enfants tant chez les louveteaux que chez les lutins. Françoise et Baptiste se retrouvèrent et échangèrent leurs impressions.
Ils décidèrent de consacrer la fin de la journée à se rendre chez la sorcière. Le jeu fille ou garçon avait assez duré.
Dès qu'ils arrivèrent en vue de la maison dans la lande, ils entendirent deux voix. D'abord celle d'Odile, la fille de la sorcière. Elle jouait au jardin avec sa poupée, un squelette couvert de haillons noirs. Normal pour une fille de sorcière. L'autre voix, c'était sa mère. Celle-ci se trouvait dans la maison.
Nos amis se cachèrent à plat ventre derrière la haie.
- Maman, pourquoi je ne vais pas à l'école?
- Tu n'as pas besoin d'aller à l'école, Odile. Tu dois juste apprendre à faire des tours de magie, à faire peur aux enfants et à voler sur un balai. Je t'enseignerai tout cela moi-même.
Après un moment de silence, la fillette appela de nouveau sa mère.
- Mais maman, je n'ai aucun copain, aucune copine.
- Les filles de sorcières n'ont pas d'amis.
- Ce n'est pas drôle, maman. Je préférerais avoir des amis et des amies.
- Cela suffit, Odile. Si tu vas à l'école, les enfants vont se moquer de toi, de nos vêtements de sorcières, de tes pieds nus. Ils feront des rondes autour de toi en criant « Hou hou, la fille de sorcière, hou hou, la fille de sorcière ». Et toi tu pleureras toutes les larmes de ton corps. Maintenant reste au jardin ou rentre dans la maison, comme tu veux. Je vais faire deux ou trois courses et je reviens. Je serai absente une heure, ne t'inquiète pas.
La sorcière s'envola avec son balai.
Béatrice et François, je veux dire Françoise et Baptiste, sortirent de leur cachette et passèrent dans le jardin. Quand Odile les aperçut, elle s'effraya.
- Non, non, pas vous autres! Vous m'avez enfermée l'autre fois dans la cave et maman ne m'en a délivrée qu'au matin, à son retour.
- Nous venons chercher des biscuits. Un biscuit-fille et un biscuit-garçon. Si tu nous les donnes sans discuter, on te laissera en paix. On ne t'enfermera pas, promit Françoise.
Accompagnés par Odile, ils montèrent dans la chambre de la sorcière. Ils firent glisser le coffre qui se trouve sous son lit, saisirent la clé cachée dans la grande armoire et ouvrirent.
Françoise mangea un biscuit-garçon et redevint François. Baptiste avala un biscuit-fille et redevint Béatrice.
- Nous avons entendu que tu voudrais avoir des copains et des copines. Tu peux venir à l'école avec nous, si tu veux, dès demain
- Je ne veux pas aller à l'école, déclara Odile. Je ne porte que des vêtements déchirés et noirs. Maman m'a dit que les enfants vont se moquer de moi.
- Je te promets, affirma François, que personne ne se moquera de toi. Mes copains et mes copines ne se moquent jamais.
- Vraiment? hésita la fillette.
- Je te le jure, promit Béatrice. Viens à l'école demain, et tu verras. Et si tu n'as ni jean, ni t-shirt, ni baskets comme nous, viens quand même, cela ne fait rien. Viens comme tu es.
Béatrice et François retournèrent à leur maison. Leur aventure terminait.
Le lendemain matin, ils allèrent à la cour de récréation un rien plus tôt. Ils virent arriver Odile. Elle portait une robe noire usée, un peu vieille mode, et des baskets aux pieds. Ses cheveux étaient coiffés en deux belles longues tresses. Elle était heureuse, Odile. Elle souriait.
Les enfants entourèrent la nouvelle, l'observèrent, puis la prirent dans leurs jeux. Tous bavardèrent avec elle.
Odile s'avéra très intelligente et pleine d'humour. Mais surtout, elle s'y connaissait drôlement bien en magie!
Elle retourna à sa petite maison dans la lande en chantant.
François et Béatrice, après s'être échangé un clin d'œil joyeux, repartirent chez eux, prêts pour de nouvelles aventures.