Epouvante - Horreur
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Les quatre mains du diable. Gillian, Partie 5

     Si les histoires d'horreur te font peur, si la nuit, tu fais vite des cauchemars, si tu es seul dans ta chambre à lire ces lignes et que l'orage dehors menace, alors ne va pas plus loin et sélectionne une autre histoire.

Si le craquement d'une armoire dans le silence pesant te fait sursauter puis rire, si les morts-vivants t'amusent, si tu aimes avoir un peu peur, continue...

    Jean-Claude et sa sœur Christine, Philippe, leur ami et Véronique, la copine de Christine, rencontrèrent plusieurs fois une jeune fille de leur âge, Gillian. Voyez les épisodes précédents (la forêt de Gillian (4 AMIS 14), la Cathédrale des Brumes (4 AMIS 15), le passeur d'eau (4 AMIS 16), le château de l'ombre noire (4 AMIS 17).

Le père de cette jeune fille gère actuellement un hôtel en Écosse, dans un vieux château qu'il achève de restaurer. Pour Gillian, la vie redevient synonyme de bonheur, après les épreuves d'autrefois. Les quatre amis l'aidèrent à plusieurs reprises, et leur amitié s'en trouve scellée à jamais.

Les voici tous les cinq en Écosse, à l'hôtel de Black Shadow du papa de leur amie, quelques semaines après l'effroyable affaire de l'ombre noire.

Le jour où cette aventure-ci commence, le père de Gillian devait se rendre pour deux jours à Édimbourg. Il demanda à sa fille de veiller à la bonne marche des lieux.

Il n'y avait pas grand-chose à faire. Le plus délicat était d'assurer la fermeture.

-L'accès au bar cesse à minuit, expliqua le papa. À cette heure-là, tous les clients sont censés se trouver dans leurs chambres. Si l'un d'eux désire rentrer plus tard, on lui prête une clé. Tu fermes la porte d'entrée avec soin, tu fais un tour pour t'assurer que tout est en ordre dans les salons et la cuisine et tu montes te coucher.


Ce soir-là, l'hôtel affichait complet et personne n'avait souhaité de clé.

Vers minuit moins quart, le dernier client du bar rejoignit sa chambre. Le serveur appella Gillian.

-Je pars, mademoiselle, vous pouvez fermer la porte derrière moi.

Dehors, une tempête éclatait sa colère en éclairs et coups de tonnerre. La pluie tambourinait sur les vitres. Les bourrasques de vent sifflaient, faisant grincer les volets. Un temps effroyable.

À minuit moins dix, Gillian et Jean-Claude, restés éveillés au salon, fermèrent la grande porte à clé. Ils firent un tour rapide pour vérifier qu'aux cuisines, salons, salles à manger, tout était éteint et ils s'apprêtaient à monter se coucher lorsque, tout à coup, un bruit attira leur attention.

Bang,bang,bang !

On frappait à la porte d'entrée avec force.

-Zut, murmura Gillian.

-Peut-être un client, suggéra le garçon.

-Impossible, l'hôtel affiche complet.

Bang, bang, bang !

-Bon, ça va, cria la jeune fille. On arrive.

Elle ouvrit. Un homme entra, ruisselant de pluie. II était vêtu d'un long manteau sombre, une sorte de cape qui traînait presque jusqu'à terre, avec un capuchon. Il dégoulinait dans le hall d'entrée.

-Bonsoir monsieur, dit Gillian.

L'homme lui tendit la main, la droite, ou plutôt le moignon, car la main avait été coupée ou tranchée...

La jeune fille baissa son bras et dut laisser voir une moue de surprise et de dégoût. L'étrange visiteur tourna sa figure vers la lumière. Une vilaine longue cicatrice barrait son visage.

-Ton père est là?

-Non, monsieur. Il se trouve à Édimbourg ce soir. II reviendra demain soir. Si vous voulez le voir...

-Quoi! à Édimbourg! interrompit l'homme abruptement. Et tu crois que je vais avaler cela. Ivre et dépressif au fond de sa chambre, comme d'habitude, et sa fille le remplace, comme à l'époque du passeur d'eau. On connaît la chanson.

Jean-Claude s'approcha de son amie.

-Monsieur, je ne vous permets pas de parler sur ce ton.

-Toi, tu n'as rien à voir dans cette histoire, alors mêle-toi de tes affaires.

Il se tourna vers Gillian.

-Puisque je ne peux pas rencontrer ton père, rappelle-lui que j'ai un compte à régler avec lui. Il s'en souviendra sans doute et toi, tu ferais bien d'y penser aussi.

-Mon Dieu, s'alarma la jeune fille. Je me souviens... Un soir d'orage, comme celui-ci... Excusez-moi, monsieur.

-Trop tard pour les excuses. Je donne rendez-vous à ton père dans quatre jours, le prochain weekend, dans mon château des quatre mains du diable, dans les terres du Nord. Et qu'il vienne, sinon gare à lui!

L'homme remit son capuchon et sortit dans la pluie et le vent. Gillian referma la porte derrière lui. Ils montèrent retrouver les autres, et Gillian raconta.


-Rappelez-vous, dit-elle. Il y a quelques mois. Le seul travail que mon père avait trouvé... passeur d'eau. Un petit bac sur une rivière. On fixait une voiture dessus, on faisait traverser en tirant sur des câbles. La voiture redémarrait de l'autre côté. On passait des voitures ainsi toute la journée. Ça commençait à six heures du matin. On s'arrêtait à neuf heures du soir. J'aidais mon père. À cette époque, il broyait encore du noir et buvait trop. Dès l'après-midi, je devais tout faire à sa place. Puis il tomba malade et fut hospitalisé. Je l'ai remplacé, pour qu'il ne perde pas ce poste...

Les quatre amis écoutaient en silence le récit de leur amie.

-L'homme arriva un peu avant vingt et une heures. Il exigea de traverser. Il faisait un temps épouvantable, comme aujourd'hui. Je lui ai dit que je ne pouvais pas le passer à cause du niveau de l'eau. Trop dangereux.

"Il sortit de sa voiture. Il menaça de dénoncer mon père, si je ne lui faisais pas franchir la rivière. J'étais épuisée, trempée, glacée. J'ai mal placé les cals en bois derrière les roues...

"Pendant que le bac passait le cours d'eau, le véhicule bougea et glissa à cause des vagues et du courant. Il écrasa la main de l'homme et le griffa au visage. Tu viens de voir la balafre au-dessous de son œil et sur sa joue, Jean-Claude. Et son absence de main, son moignon. Tout cela, à cause de moi, soupira Gillian.

La courageuse jeune fille se tut un moment. Elle regardait la pluie couler le long des vitres de la chambre.

-Je ne veux pas reparler de tout ça à mon père. Maintenant, il est guéri. Il vit heureux ici. Il gère bien son hôtel. Je vais aller moi-même au château des quatre mains du diable. Après tout, c'est moi qui ai mal attaché la voiture.

Gillian ne s’en rendait pas compte, mais rien de tout cela n’était sa faute, au contraire. Dans sa maladie, son père l’avait chargée de tâches trop importantes pour son âge. De plus, elle avait bel et bien avisé l’homme de ne pas traverser. Rien de ce qui était arrivé n’était de sa responsabilité.

-Gillian, promit Jean-Claude, si tu y vas, on vient tous avec toi.

-Merci mes amis, mais je ne veux pas vous entraîner dans cette histoire-là.

-Tu ne nous obliges en rien. Nous voulons t'accompagner. Les vrais amis servent à cela.


Trois jours plus tard, vers quatre heures de l'après-midi, Jean-Claude, Christine, Philippe, Véronique et leur amie, portant chacun un solide sac à dos, sortirent du bus dans un petit village, à cinq kilomètres du château, surnommé "les quatre mains du diable".

Il faisait déjà sombre. Les lourds nuages bas et gris défilaient infiniment dans le ciel bouché, emportés par le vent impétueux que les rares plantes des dunes semblaient vouloir griffer inlassablement. Quelques gouttes de pluie se mêlaient aux embruns venus de l'océan tout proche.

La petite auberge du lieu, un pub, montrait quelques lueurs et quelque animation. Ils entrèrent tous les cinq.

Quatre personnes jouaient aux cartes, deux autres aux dés. Un barbu tirait des fléchettes sur une cible accrochée au mur sale et brun. Le barman essuyait un verre.

-Bonjour monsieur, salua Gillian.

-Qu'est-ce que je vous sers, les enfants ? Chocolat chaud?

-Merci, interrompit Philippe. Je préfère un jus d'orange pressé avec trois glaçons, si vous voulez bien.

-Alors, quatre chocolats chauds et une limonade avec trois glaçons.

-Monsieur, demanda Gillian, vous pouvez nous dire comment on arrive au château des quatre mains du diable ?

-Vous voulez visiter cet endroit maudit? Ça ne va pas dans la tête aujourd'hui?

-Pourquoi monsieur ? demanda Philippe, qui parle un peu anglais.

-Pourquoi? On voit bien que vous ne vivez pas par ici! L'endroit est en grande partie privé. L'habitant actuel, un homme à moitié fou, joue souvent de l'orgue la nuit, et, par un temps comme celui-ci, quand le vent vient de l'Atlantique, il porte le son de cette musique diabolique jusqu'ici dans le village. Et je vous jure que quand on l'entend, tout le monde se terre chez soi et personne ne voudrait sortir...

Les cinq amis se taisaient, impressionnés.

-Si vous aimez les aventures, allez-y. Mais, je vous préviens. Le bâtiment se dresse sur une presqu'île. Vous ne pouvez atteindre cette anciennne forteresse qu'à marée basse, pendant une demi-heure le matin et une autre demi-heure en fin d'après-midi. En dehors des deux marées basses de chaque jour, le château se transforme en île. Il devient alors tout à fait inaccessible et ceux qui ont le malheur de rester sur son rocher ne peuvent plus le quitter...

-À quand la prochaine marée basse ? demanda Christine.

-Ce sera vers six heures et demie du soir. Cinq kilomètres à faire sur la plage. Si vous marchez bien, vous y arriverez à temps.

Ils burent leur chocolat chaud et Philippe sa limonade, puis ils descendirent des falaises sur la plage, emportant leurs sacs à dos. La pluie cessa mais le vent sifflait.


Les grandes vagues de l'Atlantique se fracassaient sur les rochers à leur gauche. Les lames éclaboussaient tout, mouillant le sable de leur écume. Parfois un peu de pluie tombait et, sans cesse, le vent courbait les oyats pointus. La balade n'avait rien de réjouissant. À leur droite, la falaise se dressait de plus en plus haute.

À un tournant de la côte, ils découvrirent le château.

Une bâtisse immense, moyenâgeuse, avec ses tours, ses créneaux, ses mâchicoulis, son donjon central, le tout en pierres sombres, presque noires.

Les cinq enfants l'observèrent un instant, impressionnés, puis ils continuèrent à marcher. Six heures. Il ne fallait pas s'attarder. Ils arriveraient tout juste pour la marée basse.

Tout à coup, sur la plage, entre deux rochers, ils aperçurent une main. Une main gauche humaine, tranchée au poignet!

Véronique poussa un cri.

-Quelle horreur! dit-elle en hurlant.

Philippe prit un morceau de bois qui traînait sur le sable et tenta de l'embrocher pour l'enfoncer et la faire disparaître. Au moment où il frappa dans la main tranchée au moyen du bâton, elle se referma, par réflexe, à la pointe. 

Le garçon lança le tout vers la falaise, puis ils s'encoururent épouvantés.

Le gué apparut praticable. Mais la marée commençait déjà à remonter. Ils gravirent un escalier en pierre, recouvert au début d'algues et de coquillages. Puis, ils arrivèrent au pied de cet immense bâtiment.

 
Il se dressait, menaçant, flanqué de deux impressionnantes tours. Un mur les reliait, percé par une porte monumentale, ouverte. Elle donnait sur une cour intérieure, dallée. Il restait trois marches d'escalier à franchir puis on accédait à une autre porte, celle du château.

Au-dessus de cette porte cochère impressionnante, sur le mur même, près de la herse relevée, on distinguait un écusson sculpté dans la pierre grise. Et, dessus, un blason: quatre mains dessinées. Elles formaient un carré et semblaient danser en rond à la suite l'une de l'autre.

-Je sais la signification de cela, déclara Gillian. Ce château fut conçu il y a plus de mille ans par quatre frères, des quadruplés. Ils furent très appréciés, en leur temps. Très aimés et estimés. Mais leurs descendants causèrent beaucoup de mal dans la région. Le patron de l'auberge nous a décrit le dernier comme un homme fou. Il est encore temps de faire demi-tour, mes amis.

-Pas question, s'engagea Jean-Claude. En tout cas, en ce qui me concerne.

Véronique soupira. Elle aurait bien tourné les talons, surtout depuis la macabre découverte sur la plage, mais elle ne voulait pas passer pour une peureuse auprès des autres.

Ils montèrent les trois marches d'escalier. La porte du corps de logis n'était pas fermée à clé. Ils l'ouvrirent, entrèrent et refermèrent derrière eux. Ils appelèrent le maître des lieux, mais personne ne répondit...


Ils se trouvaient dans une immense pièce qui devait servir à la fois de salon et de salle à manger. Un large escalier en bois noir menait à l'étage.

À droite, se dressait une cheminée monumentale. Des cendres éteintes et froides la noircissaient. Des fauteuils, des tapis, un candélabre, quelques armoires, quelques tapisseries meublaient la pièce. Une gigantesque table de salle à manger garnissait le fond. On aurait pu y asseoir trente personnes. On entendait le vent hurler.

Nos amis ôtèrent leurs vestes ruisselantes.

À gauche, se trouvaient des orgues. Des orgues monumentales, splendides. Au-delà de cette forêt de tubes métalliques, une petite porte donnait accès à une modeste cuisine.

Ils montèrent le grand escalier. Le bois craquait sous leurs pas. Aux murs se trouvaient des peintures très anciennes, représentant des chevaliers et des belles dames. Mais les yeux de ces personnages avaient été griffés, grattés ou lacérés... Horrible! L'œuvre d'un dément!

L'escalier se prolongeait par un long couloir. Ils comptèrent cinq chambres à gauche et six à droite. Chacun choisit la sienne. Véronique aurait préféré que Christine et Gillian dorment avec elle. Mais, encore une fois, elle n'osa rien dire.

La marée montait. Leur hôte allait sans doute arriver. II fallait l'attendre, quitte à passer la nuit dans ce sinistre endroit.

Véronique visita sa chambre de fond en comble, pour tenter de se rassurer. Cela sentait un peu le renfermé. Elle ouvrit la fenêtre, mais cela causa de tels courants d'air à cause du vent et de la pluie, qu'elle referma aussitôt. Elle fouilla l'armoire, un grand meuble sombre et vide. Elle regarda en dessous du lit. Tout lui sembla normal. Elle poussa sur le matelas. Moelleux. Elle posa son sac à dos sur une table et sortit retrouver les autres.

-Bon, moi je crève de faim, déclara Jean-Claude. On se fait quelque chose à manger nous-mêmes puisqu'il ne vient pas.

-D'accord, répondit sa sœur. Allons voir dans la cuisine, sinon on profite de nos provisions. J'ai même emporté une boîte de sauce bolognaise pour des spaghettis.

Ils redescendirent l'escalier.


Les armoires de la cuisine contenait quelques boîtes de conserve proches de la date de péremption et une dizaine de paquets de spagettis. Décidément, ce château semblait déserté par ses habitants.

-Pourtant on a rendez-vous, s'étonna Gillian. Pourquoi ne se montre-t-il pas?

-Il ne pourra de toute façon pas venir avant demain matin six heures, prochaine marée basse, calcula Jean-Claude.

-Bon, une casserole, s'il vous plaît, demanda Christine, j'ai faim. Je vous prépare un spagetti "du chef", mais sans tomates fraîches, sans petits pois et sans gruyère. Je n'en vois nulle part.

Véronique monta sur un petit escabeau et en choisit une dans l'armoire.

-On dirait qu'il y a quelque chose là-dedans. Je sens un objet qui bouge, dit-elle.

Elle redescendit. Elle ôta le couvercle et vit une main humaine! Une main droite, avec du sang au fond de la casserole.

-Non ! hurla Véronique. Je ne veux pas voir cela.

Tous reculèrent, horrifiés.

Philippe ouvrit la fenêtre, empoigna le récipient contenant la main et le sang et la jeta à l'extérieur du château. Elle tomba de rocher en rocher et s'immobilisa au pied de la falaise. Il referma la fenêtre.

Gillian en choisit un autre, y mit de l'eau et alluma le gaz. Tous se taisaient.

Véronique ne voulut pas manger.

-Mais, tantôt, tu avais si faim, s'inquiéta Philippe.

-Peut-être, mais je ne peux plus avaler quoi que ce soit, soupira la jeune fille. Sinon, je vais vomir.

-Prends-en quelques cuillères, insista Gillian.

-Non, impossible, murmura Véronique, au bord des larmes.

-Je vais faire du feu dans la cheminée, proposa Jean-Claude.

Il fit une belle flambée. Les quatre autres mangèrent devant l'âtre, assis en demi-cercle. Ils bavardèrent un peu et puis, la fatigue aidant, ils montèrent se coucher. Les portes fermaient mal et ils ne possédaient pas de clés pour les serrures...


Véronique ne se déshabilla pas. Elle s'installa au-dessus de son lit. Elle retira juste ses baskets. Son jean encore humide la gênait, mais tant pis. Elle le garda sur elle.

-Je sens que je ne vais pas m'endormir, songea la jeune fille. Tout cela me fait beaucoup trop peur.

Elle écouta le vent hurler. Cela faisait "Ouh... Ouh...Ouh..." à travers les vantaux de la vitre. Le volet de la fenêtre battait régulièrement, secoué par les bourrasques venues de l'océan. La pluie crépitait sur les carreaux.

Au milieu de ce bruit, elle entendit soudain sonner les grandes orgues. Elle réfléchit un instant. Gillian ne sait pas en jouer. Les autres non plus...

-Il n'y a que moi qui sais ici, dit-elle tout haut, mais alors qui fait des gammes, là, en bas?


Elle ouvrit la porte et se retrouva dans le couloir noir comme la nuit.

-Évidemment, ils dorment, murmura-t-elle. Ils n'entendent rien.

Elle passa pieds nus devant les chambres et descendit quelques marches de l'escalier. Les traverses de bois craquaient sous ses pas mais personne ne pouvait les entendre. La musique, retentissait, flamboyante, assourdissante.

Elle se pencha et observa le clavier. Elle aperçut une main. Une main ensanglantée jouait de l'orgue, toute seule!

Ce n'est pas possible, songea notre amie.

Revenant à l'étage, elle courut et tambourina aux portes des autres. Ils sortirent de leurs chambres.

-Que se passe-t-il? demanda Christine.

-Mais écoutez... l'orgue!

-Quoi? On n'entend rien, sauf le vent, souffla Gillian.

Les garçons descendirent le grand escalier.

-Personne, confirma Jean-Claude. Tu fait un cauchemar, ou bien tu confonds avec le vent qui siffle. Il imite parfois des sons qui ressemblent à ceux des tuyaux d'orgue.

-Non, insista Véronique. J'entendais vraiment de la musique et une main... Bon... J'ai dû rêver. Excusez-moi de vous avoir réveillés.

-Pas de problème, dit Philippe en souriant. Mais tu trembles. Un bisou, te réchaufferait et te rassurerait.

-Ce n'est pas le moment.

La jeune fille ferma sa porte et s'étendit sur son lit.


Cette fois-ci, elle ne rêvait pas. Elle était certaine qu'elle ne dormait pas. Et pourtant, l'orgue jouait. Pourquoi les autres ne le percevaient-ils pas? Pourquoi elle seule entendait cela?

Elle se releva. Elle descendit, pour voir. Deux mains jouaient à présent, deux mains, sans corps, ensanglantées, couraient sur le clavier.

Une d'entre elles quitta les touches, voltigea comme une horrible bête et se mit à tourner autour de Véronique. La jeune fille terrifiée entreprit aussitôt de se débattre, agitant ses bras dans tous les sens.

Poursuivie par cette horreur volante, telle une chauve-souris monstrueuse, elle s'approcha en courant des armures qui décoraient la salle à manger. L'une d'entre elles tenait une dague avec une lame de vingt centimètres. Elle arracha l'arme et se retourna.

La main passait et repassait sans cesse près de son visage. Elle planta la dague dans la paume. Du sang gicla.

Elle courut vers un des piliers soutenant la rampe de l'escalier. Elle enfonça le couteau dans le bois. Le sang coula le long de la rampe.

Elle n'entendit pas, dans son émotion, que l'orgue cessait de jouer. Et, tout à coup, elle sentit l'autre main se poser sur sa tête. Elle s'accrochait à ses cheveux. Véronique tremblait, courait, hurlait en se débattant. Ses amis arrivèrent et l'entourèrent.

-Au secours! cria la jeune fille en se frappant la tête. Enlevez cette main.

-Quelle main? je ne vois que les tiennes, dit Gillian.

-Mais je ne dors pourtant pas, gémit son amie.

-En effet, reconnut Philippe. Pas du tout, même. Par contre, il n'y a pas de main... et tu es dans ta chambre.

-Mais, venez voir, j'en ai embroché une sur la dague, au bas de l'escalier.

Ils observèrent en silence la lame plantée dans le bois, mais ne virent aucune main transpercée ni de sang qui coulait.

-Véronique, tu deviens somnambule ou quoi? demanda Jean-Claude.

-Je vous jure, mais vous ne me croyez pas... L'orgue jouait et deux mains enfonçaient les touches du clavier avant de s'envoler vers moi.

-Bon, concilia Christine. Je te crois, mais je prends mon sac de couchage et je viens dormir à côté de toi.

-Moi aussi, ajouta Gillian.

-Si tu veux, je peux... proposa Philippe en mettant son bras autour des épaules de son amie.

-Non, ça va. Merci, sanglota Véronique. Pas besoin de bisou. Mais demain, je pars d'ici.

Comme deux chiens de garde, Gillian à gauche et Christine à droite, les deux jeunes filles installèrent leur sac de couchage et laissèrent le lit à Véronique. Elles s'endormirent. Leur amie n'entendit plus rien et sombra apaisée dans le sommeil à son tour.

Le lendemain matin, un timide soleil les éveilla.


Le château des quatre mains du diable semblait toujours vide. Où restait leur hôte?

Ils décidèrent d'aller faire quelques pas dehors. De toute façon, il était trop tard pour passer l'isthme reliant la presqu'île à la terre. Huit heures du matin, déjà.

Ils sortirent donc et entreprirent d'en faire le tour à l'extérieur, par les rochers, profitant de la marée encore relativement basse. Un peu d'air leur ferait du bien après cette nuit d'épouvante. Il faisait assez froid. Cela creusait l'appétit. Mais Véronique ne mangea de nouveau rien...

-Mais essaye, supplia Philippe. Je te vois dépérir.

-Je veux quitter ce lieu, murmura la jeune fille. Désolée. Je ne suis qu'une froussarde et vous pouvez vous moquer de moi, mais tant pis. Je ne reste plus ici ce soir ni cette nuit. Tantôt, à dix-huit heures, à la marée basse, je partirai.

-Tu es bien décidée? demanda Christine.

-Oui.

-Comme tu veux, répondit son amie. Je te comprends.


L'après-midi, ils bavardèrent autour de la cheminée. Vers cinq heures, Véronique se leva.

-Bon, je vous laisse. Je prends mon sac à dos et je m'en vais.

Elle ramassa ses affaires. Christine l'accompagna. Quand elles arrivèrent à l'extérieur sur les rochers en haut de l'escalier qui menait à la plage, elle prit la main de son amie.

-Où vas-tu aller, Véronique ?

-À l'auberge. Je vous y attendrai.

-À l'auberge, répéta Christine. On ne prend pas des enfants seuls dans une hostellerie ou une auberge. Uniquement si leurs parents les accompagnent. 

-Alors, je trouverai n'importe quoi. Une grange et je me mettrai sur le foin avec mon sac de couchage, comme toi quand tu vas camper avec ta ronde de lutins.

-Écoute-moi, insista son amie, ne fais pas ça. Au camp, on rigole, on s'amuse entre copines. Mais toi, tu ne trouveras pas ça drôle. Tu seras à peine couchée dans la paille que tu commenceras à trembler de peur. D'ailleurs, moi seule, je n'aimerais pas faire cela non plus. Reste avec moi. Je te jure, je te donne ma parole, qu'on ne se quittera pas. Je suis ta meilleure amie. Je me tiendrai à tes côtés tout le temps. Je te le promets.

Véronique regarda la falaise en hésitant. Sa réaction de fuir ce lieu dangereux était sensée, mais elle n'avait pu ramener les autres à la raison. Pour finir, son lien d'amitié l'amena à rester auprès d'eux.

-Bon, céda la jeune fille. Je te fais confiance. Mais on restera sans cesse l'une près de l'autre.

Elles remontèrent l'escalier et retrouvèrent les autres.

Au soir, ils avalèrent quelques tartines emportées avec eux. Véronique grignota deux bouchées et puis elle s'arrêta. Philippe s'inquiétait pour elle.

Ils s'apprêtèrent à monter se coucher, après avoir bavardé devant la cheminée.

Soudain, on frappa à la porte.


-Voilà peut-être l'homme à la main coupée, chuchota Gillian. Restez là, mes amis.

Elle prit une bougie et s'approcha de l'entrée. Elle entrebâilla la porte.

Un individu se tenait là. Aucune balafre au visage.

-Bonsoir les enfants, dit-il. Je visitais l'extérieur du château et je viens de m'apercevoir qu'on ne peut pas quitter ce lieu à cause de la marée. Puis-je entrer ?

-Venez monsieur, dit la jeune fille.

Elle referma la porte derrière lui.

À ce moment-là, elle s'aperçut que l'homme avait la main gauche coupée. Il ne lui restait qu'un moignon de ce côté. Elle eut, comme les autres, un geste de recul et sentit son cœur battre plus fort.

-Puis-je passer la nuit ici, dans votre château?

-Ce n'est pas notre château, expliqua Gillian. Nous-mêmes, nous attendons quelqu'un qui nous a donné rendez-vous ici et qui n'arrive pas. Là-haut se trouvent des chambres à coucher et nous n'en occupons que deux, au fond à droite. Vous pouvez prendre celle que vous voulez. Vous vous arrangerez avec le propriétaire, quand il viendra.

-Vous attendez quelqu'un en effet, dit l'homme en souriant. Je vois six gobelets rangés sur la grande table et une bouteille de vin.

Aucun des enfants n'avait posé ces gobelets à cet endroit. Et pourtant ils en comptèrent six. Pourquoi six? Pour qui six?

-Vous êtes cinq, le sixième est peut-être pour moi, murmura le visiteur.

-Je ne sais pas monsieur, répondit Jean-Claude.

Les verres entouraient une bouteille dont l'étiquette s'émiettait à cause des ans.

-Un Bordeaux 1949! Bravo! Vous voulez un verre?

-Non, répondit Philippe, nous ne buvons jamais d'alcool.

-Bien. J'espère que cela ne vous dérange pas si j'en prends un petit peu. Une bouteille de 1949, cela ne se refuse pas.

-Ce ne sont pas nos affaires, conclut Gillian. Bonne nuit, monsieur.

Et nos amis montèrent se coucher.


Les filles ne se déshabillèrent pas. Elles ôtèrent seulement les chaussures. II faisait humide et froid.

Véronique monta sur le lit et sentit quelque chose sous l'oreiller. Elle le souleva. Une troisième main, ensanglantée, se trouvait là. Terrifiée, elle poussa un long hurlement.

Les garçons revinrent en courant. Quelqu'un les observait et savait que Véronique était la plus sensible. Il en profitait. Christine serra son amie contre elle et lui parla avec tendresse.

-Arrête de crier, s'il te plaît.

-Quelle horreur! murmura Philippe.

-Dégoûtant, s'indigna Jean-Claude. Abject, repoussant. On laisse ça là. On prend une autre chambre. Venez les filles.


Au moment où ils allaient sortir de la pièce, ils virent, en se retournant, la poignée de la porte descendre lentement vers le bas. Comme si, de l'autre côté, quelqu'un essayait d'ouvrir doucement pour entrer.

Les cinq amis observèrent cette poignée baisser peu à peu. Christine sortit son canif de sa poche et ouvrit la grande lame. Jean-Claude saisit la poignée à l'intérieur de la chambre et la baissa d'un coup sec.

Un bruit sourd se fit entendre dans le couloir, de l'autre côté. Ils ouvrirent. Une quatrième main tranchée gisait dans une flaque de sang.

-Les quatre mains du diable, murmura Philippe.

-On les a vues toutes les quatre, mes amis, ajouta Christine.

-Quelqu'un cherche à nous terroriser, dit Gillian.

-Et il y réussit! Venez, on change de chambre.


Ils ouvrirent la porte de la pièce voisine.

-Attention, le visiteur qui se prétend un touriste s'y trouve peut-être, avertit Gillian.

Ils le virent, allongé sur le lit, le visage tourné vers la fenêtre.

-Excusez-nous monsieur, chuchota la jeune fille. On ne voulait pas vous déranger.

Au moment de refermer la porte, Philippe interrompit le geste de son amie.

-Attends. Il ne bouge pas. Il respire?

Ils observèrent la pièce et l'homme par la porte entrebâillée.

-En effet, il reste immobile, répéta Jean-Claude. On dirait qu'il ne respire pas. Monsieur? Monsieur?

Les cinq amis approchèrent et contournèrent le lit.

L'homme avait la main droite tranchée et une énorme balafre sur le visage. C'était celui qui les avait invités à venir au château des quatre mains du diable...

Terrifiés, ils observèrent son visage dans la lumière de la lune. Ses yeux avaient été arrachés. Il restait les deux orbites creuses, terribles, épouvantables. L'homme, mort, ressemblait à un noyé.

Nos quatre amis reculèrent. Véronique posa ses mains sur son ventre et vomit dans le couloir.

-Excusez-moi, gémit-elle. Je n'en peux plus. J'en deviens malade.

Et elle vomit encore. Christine la soutenait et l'aidait.

-J'aurais dû partir tantôt, sanglota la jeune fille.

-On aurait tous dû s'en aller avec toi, affirma Gillian. Maintenant, où se trouve l'autre? Le touriste, comme il disait.

-Soyons sur nos gardes, répondit Philippe. On est bloqués dans ce lieu d'horreur jusque demain à l'aube. Fouillons partout et surtout restons ensemble.

Ils ouvrirent toutes les chambres, toutes. Elles étaient vides.


À ce moment-là, ils entendirent de la musique. Celle de l'orgue en bas... Quelqu'un qui jouait bien, selon Véronique. Il interprétait la toccata en ré mineur de Jean-Sébastien Bach.

Si tu possèdes ce merveilleux morceau, lève-toi, mets-le, avant de lire la suite.

Tous les cinq, protégés par l'intensité de la musique, descendirent sans bruit l'escalier. Un homme jouait avec une seule main, la main droite. L'étrange touriste.

Comment faisait-il pour interpréter aussi bien, aussi parfaitement cette toccata qui exige en principe les deux mains?

-C'est possible, souffla Véronique, pour un grand musicien.

Nos amis remontèrent l'escalier étonnés. Mais à ce moment, l'homme cessa de jouer.

Les cinq enfants écoutèrent dans le couloir, à l'affût du moindre son. Ils frissonnaient dans ce silence soudain, de froid, de peur, d'horreur. Dehors, la tempête soufflait à nouveau sa rage sur le château des quatre mains du diable.


Alors, venant d'en bas, ils entendirent un cri.

-Au secours... au secours... au secours...

Ils redescendirent tous les cinq et passèrent devant les grandes orgues, silencieuses à présent. L'homme n'était plus là.

Ils découvrirent, sur le côté, une petite porte dérobée, ouverte. Ils ne l'avaient pas aperçue jusqu'ici. Un escalier s'enfonçait dans l'obscurité.

-Allons voir, chuchota Jean-Claude. 

-Au secours, appela la voix, venue du fond des souterrains.

-Ça vient de là, dit Philippe.

-Attention! supplia Véronique. Évitons un piège.

Les garçons et Gillian descendirent doucement les marches dans une demi-obscurité.

-Viens, lança Christine à son amie. On remonte toutes les deux. On va chercher ma lampe de poche. D'accord ?

-Oui, si on reste ensemble.

Elles allèrent à la chambre, tandis que Jean-Claude, Philippe et Gillian empruntaient l'escalier.

Pendant que Véronique et Christine, en haut, cherchaient la lampe de poche, elles entendirent à nouveau le début de la toccata jouée à l'orgue. Elles se précipitèrent vers les salons, mais la musique cessa juste après les premières notes.

Personne! Elles empruntèrent alors le petit escalier secret pour rejoindre les trois autres.


Christine précédait. Véronique hésitait et traînait en arrière, terrifiée.

Apercevant la lumière de la lampe de poche, les garçons se mirent à crier.

-Christine, Véronique, venez. Vite. Une herse, tombée derrière nous, nous enferme. Le niveau de l'eau s'élève. On voit des coquillages partout, même au plafond. Cela veut dire que la marée va noyer ce souterrain en montant. S'il vous plaît, trouvez une solution, vite, délivrez-nous.

-J'arrive, j'arrive, répondit Christine. Véronique, viens, suis-moi.

-Non, je reste ici, gémit son amie.

-L'eau monte, cria Gillian. Vite aidez-nous, les filles.

-Viens, Véronique.

-Non, j'ai trop peur, répéta la jeune fille. Et tu avais promis de rester près de moi.

-Si je ne fais rien, si je n'y vais pas, mon frère va mourir. Tu es mon amie, mais c'est mon frère, cria Christine partagée, déchirée entre famille et amitié.

Elle descendit l'escalier. Elle prit pied sur les pavés du couloir souterrain. Elle fit trois pas vers ses amis.

La toccata de Bach résonna soudain, là-haut. Une seconde herse dégringola du plafond et se posa sur le sol. Christine hurla, enfermée à son tour.


Véronique suivit quelques marches en titubant. L'homme, là-haut, dans la grande salle, jouait, acharné, comme endiablé, la toccata avec une force terrifiante et un rythme effréné.

En bas, l'eau venue de la mer montait vite, glacée. Le couloir allait se trouver complètement immergé dans moins d'un quart d'heure. Philippe, Jean-Claude et Gillian avaient déjà de l'eau jusqu'à la ceinture. Ils étaient séparés de Christine par une grille infranchissable. Elle-même enfermée par la seconde herse, se démenait un peu plus haut sur le plan incliné, les pieds dans l'eau.

Véronique restait seule avec le joueur d'orgue à la main gauche tranchée. Seule à pouvoir faire quelque chose pendant les minutes qui allaient suivre. Seule avec sa terreur atroce. Seule à pouvoir sauver ses amis. La jeune fille, paralysée de peur, s'assit sur une marche au bas de l'escalier sombre, près des barreaux derrière lesquels ses amis étaient coincés. Elle sanglotait.


-Christine, tu m'avais promis que tu resterais avec moi.

-Je sais, mais c'est toi qui es demeurée en arrière dans l'escalier. Tu devais m'accompagner.

-Si je t'avais suivie, on serait tous prisonniers, tous en train de mourir.

-Véronique, toi seule peux nous sauver. Lève-toi. Vas-y!

-Non, sanglota la jeune fille. Non. Je n'oserai jamais remonter sans toi.

Elle se mit à pleurer en silence. Ses larmes coulaient sur ses joues.

-Véronique, on va mourir si tu ne fais rien, insista Christine. Viens. Je te passe mon canif. Rassemble ton courage.

Son amie se leva, descendit et prit le canif. Elle ouvrit la grande lame.

-S'il te plaît, Véronique. Secoue-toi. Tu vas réussir.

Le niveau d'eau montait sans cesse.

-S'il te plaît. Les autres en ont déjà jusqu'au cou. Ils seront bientôt noyés. Tu peux le faire, mon amie. Je connais ton cran.

Paralysée par son état de panique, la jeune fille demeurait assise, hébétée, le canif en main. Tout son corps tremblait.

-Véronique, cria encore Christine.

La jeune fille se leva. Elle remonta l'escalier.


Dominant enfin sa peur et montrant un courage hallucinant, de l’ordre de celui qu’elle avait démontré auparavant lorsqu’elle était seule, elle arriva au grand salon. L'orgue jouait la fameuse toccata de Bach. L'individu à la main droite se concentrait sur la partition. Ses doigts couraient sur le clavier avec une dextérité extraordinaire. Il tournait le dos à la jeune fille.

Elle s'approcha lentement. Elle leva le canif de son amie, et, comme dans son cauchemar la veille, elle planta la lame du couteau de Christine dans la main de l'homme. Il hurla de douleur.

-Vous allez tous mourir, vous allez tous mourir noyés, cria-t-il en se tournant vers la jeune fille.

Ses yeux, comme ceux d'un fou, oscillaient de droite à gauche.

-J'ai tué mon frère. Il repose là-haut dans une chambre. Vous aussi, vous êtes enfermés. Le château des quatre mains du diable va devenir votre tombeau.

Dans sa folie échevelée, il ne s'aperçut même pas que Véronique se trouvait hors du souterrain. N'ayant qu'une seule main, il ne pouvait pas retirer le canif enfoncé dans sa paume. Il courut vers l'étage, en grognant et en répandant son sang.

La jeune fille saisit la dague, l'arracha au bois dans lequel elle l'avait plantée hier et courut derrière l'homme. Il ouvrit l'une des portes des chambres. Elle le suivit. Il brisa une vitre.

-Vous allez tous mourir, tous mourir, cria-t-il une dernière fois.

Puis, il se jeta par la fenêtre.

Véronique courut à la croisée. Elle vit le corps tomber, rebondir et se fracasser sur les rochers, cinquante mètres plus bas au pied de la falaise. Il ne bougea plus.


Elle jeta la dague, redescendit les grands escaliers, passa devant les orgues et avança vers le petit escalier. Les garçons et Gillian nageaient pour ne pas mourir. Ils tremblaient de froid.

-Véronique, crièrent-ils.

-Je ne sais pas comment lever ces grilles.

-Les herses ont descendu au début de la toccata, lança Philippe. S'il te plaît, joue. Tu le peux, toi.

Véronique s'assit aux grandes orgues. Elle regarda la partition ouverte devant elle. La toccata en ré mineur de Bach. Elle l'avait apprise, mais il y a longtemps. Elle respira profondément et retrouva sa maîtrise.

La musique retentit, admirable, profonde, solennelle, éblouissante. Lorsque, suivant les notes imprimées, elle attaqua le crescendo qui va des plus graves vers les plus aiguës, les deux herses se levèrent, lentement.

Les amis coururent dans l'escalier et vinrent entourer leur amie.

-Véronique, dit Christine. Bravo! Tu nous sauves la vie.

Elle s'arrêta.

-Tu avais le plus peur, ajouta Christine. La froussarde, disais-tu. Je ne sais pas si j'aurais osé ce que tu viens de faire. J'admire ton cran. Ton courage et ta maîtrise sont un exemple pour nous tous.

Ils l'embrassèrent.


Ils passèrent le restant de la nuit assis ensemble devant le feu rassurant de la cheminée du salon.

Le château des quatre mains du diable retrouva son silence et sa solitude à l'aube, quand Gillian et les quatre amis repassèrent l'isthme à marée basse, et retournèrent vers le château de l'ombre noire d'abord, puis vers chez eux et leurs parents, vers d'autres aventures.