Epouvante - Horreur
Retour Imprimer

La pomme de pin en or

     Si les histoires d'horreur te font peur, si la nuit, tu fais vite des cauchemars, si tu es seul ou seule dans ta chambre à lire ces lignes et que l'orage dehors menace, alors ne va pas plus loin et sélectionne une autre histoire.

Si le craquement d'une armoire dans le silence pesant te fait sursauter puis rire, si les morts-vivants t'amusent, si tu aimes avoir un peu peur, continue...

 

     -On pourrait passer la nuit dans la cabane en bois au bout du lac.

-Tu crois que ta tante Rosa acceptera ? demanda Christine.

-Elle acceptera... parce qu'elle a grande confiance en toi... et en moi, répondit Mathieu.

-Alors on y va demain ?

-Oui, et tu verras, c'est un endroit génial.


Christine et Mathieu partirent donc au matin, emportant leur sac de couchage et des provisions. Ils firent leur longue promenade en bavardant au grand soleil et arrivèrent enfin au bord de ce fameux lac. II était midi bien passé. Ils contournèrent les eaux tranquilles et découvrirent la cabane. Ils y posèrent leurs sacs à dos.

Mathieu ôta son t-shirt. Christine garda juste sa salopette et ses sandales de toile. Puis, les deux enfants revinrent au bord de l'eau. Ils jouèrent à s'arroser et puis ils nagèrent. L'eau était froide, mais dans la chaleur ambiante, presque étouffante, cela faisait du bien. Ils finirent par s'y habituer.

Après un rapide pique-nique, Mathieu proposa à son amie d'aller sur l'autre rive du lac, en face, où se trouvait un rocher du haut duquel on pouvait sauter ou plonger. Ils s'y rendirent et de nouveau, ils se retrouvèrent nageant et jouant. L'eau paraissait bonne, un peu fraîche comme tantôt, mais transparente et belle !

Les deux enfants s'amusèrent tout l'après-midi. Ils plongeaient à tour de rôle ou sautaient ensemble en se tenant par la main. Quand ils grelottaient ou qu'ils avaient trop froid, ils s'asseyaient sur des rochers et se doraient au soleil, puis ils retournaient jouer dans l'eau.

Vers six heures du soir, tous deux bien affamés se dirigèrent vers la cabane pour un bon repas et puis une belle nuit dans la nature.

Malheureusement, quand ils arrivèrent à la cabane, ils furent bien obligés de constater que leurs sacs à dos avaient été volés. Ils n'avaient plus rien. Ils cherchèrent aux environs, mais ils ne trouvèrent aucune trace de leurs affaires.

-Partons, dit Mathieu. 0n ne va pas dormir comme cela sur le plancher.

-Et puis, j'ai un peu peur, ajouta Christine. Les voleurs pourraient revenir.

Ils se mirent donc en route. Et en retournant chez la tanta Rosa, ils vécurent la plus effrayante nuit de leur vie.


La piste en terre qu'ils suivaient quitta tout à coup les rangs de sapins et passa dans une zone d'arbres feuillus. Parfois, Christine regardait en arrière pour s'assurer que personne ne les suivait. Elle aperçut à l'angle du bois un sapin différent des autres. Il conservait toutes ses pommes de pin. Plusieurs centaines pendaient aux branches.

S'approchant de l'arbre, les deux enfants, intrigués, remarquèrent une pomme de pin qui semblait dorée sous les rayons obliques du soleil couchant. 

-Comment l'attraper ? dit notre amie. Dommage qu'elle pousse si haut. J'aimerais bien la cueillir et l'emporter avec nous.

-On ne monte pas dans un sapin, fit remarquer Mathieu. C'est trop difficile et puis la résine collante salit tout.

-Exact, soupira Christine. Et en plus, les branches de sapin cassent souvent en biseau et sont vraiment blessantes.

Frissonnant, car la fraîcheur tombait avec le soir et qu'ils étaient peu vêtus, ils aperçurent, en retrait, comme dissimulée à l'écart de la route, une vieille maison, ou plutôt une grande cabane en bois. Le toit était couvert de feuilles mortes. Elle disposait d'une véranda, une terrasse couverte d'un auvent. Le bois de la façade était verdâtre. La maison semblait abandonnée.

Nos amis remarquèrent une longue échelle couchée sur la terrasse. Ils décidèrent de l'emprunter, la poser contre le sapin, monter cueillir la pomme de pin dorée et remettre tout en place ensuite, avant de continuer la route.


Christine et Mathieu soulevèrent l'échelle et revinrent près du sapin.

-Que préfères-tu ? demanda le garçon. Monter ou bien la tenir pendant que j'y vais?

-Je veux bien grimper, répondit son amie en souriant.

Mathieu cala convenablement ses pieds et immobilisa l'échelle en la tenant de toutes ses forces pour qu'elle ne bouge pas trop pendant que Christine se hissait tout en haut.

Parvenue au dernier échelon, elle réussit, en tendant le bras, à atteindre la pomme de pin dorée. Mais elle eut beau tirer énergiquement, elle ne réussit pas à l'arracher.

Elle sortit le canif qu'elle garde toujours dans la poche de sa salopette et elle coupa la tige d'un coup sec. Elle redescendit fièrement avec sa trouvaille.

Elle leur parut encore plus belle vue de près. Même hors de la lumière du soleil, sa dorure étincelait entre leurs mains. Cette pomme de pin était vraiment différente des autres.

De commun accord, notre amie la glissa dans une poche de sa salopette. Puis, ils rangèrent tous les deux l'échelle. Ils la remirent en place sur la terrasse de la petite cabane qu'ils croyaient abandonnée.


Au moment où ils allaient partir, la porte s'ouvrit. Une fille de leur âge apparut, entourée par trois petits garçons.

-Que faites-vous là ? demanda-t-elle.

Christine remarqua sa tenue assez négligée, un vieux jean sale, un t-shirt délavé. Ses petits frères, pieds nus également, portaient un short usé.

-Croyant la maison abandonnée, on a emprunté l'échelle et on venait juste de la remettre en place, expliqua Mathieu.

La fille sourit.

-Les châtaignes ne seront mûres que dans un mois, dit-elle. Vous habitez par ici?

-Nous avons encore une longue route à faire pour retourner chez nous, dit Mathieu. On pensait dormir dans une cabane, mais on nous a volé nos sacs et nos provisions. On a faim, car on n'a plus rien à manger. Je m'apelle Mathieu et mon amie, Christine. Nous n'habitons pas par ici. Nous sommes allés nager au lac.

-Moi, je m'appelle Roxanne, dit la fille.

Une de ses tresses pendait à moitié défaite. Elle souriait en les observant.

-Ne restez pas dans la forêt pendant la nuit. Il ne faut pas marcher dans ces bois sous la lune, c'est dangereux.

-Pourquoi ? demanda Mathieu.

-Il se passe des choses étranges par ici, expliqua la jeune fille. La nuit passée, j'ai entendu des bruits, des chuchotements. Vous feriez mieux de venir dormir dans la maison. Je vous en dirai plus quand mes petits frères seront couchés. Je ne veux pas les effrayer. Eux n'ont rien entendu.

-Tes parents seront-ils d'accord? demanda Christine.

-Ils ne sont pas là. Et votre présence me rassurerait.

Aussitôt nos deux amis décidèrent de passer la nuit chez Roxanne. De toute façon, tante Rosa ne les attendait que demain soir. Donc, elle ne s'inquiéterait pas de leur absence.


Ils entrèrent dans la maison. Elle leur parut bien plus spacieuse à l'intérieur que ce qu'elle laissait deviner vue de l'extérieur.

Ils découvrirent une grande pièce de séjour, avec une belle cheminée où flambait un feu de bois. Ils aperçurent deux chambres à coucher sur leur gauche. Dans l'une, se trouvaient deux fois deux lits superposés. L'autre était sans doute celle des parents.

-Venez, dit Roxanne. Je vous accueille bien volontiers.

-Pourquoi tes parents sont-ils partis? demanda Mathieu.

-Je vais vous raconter. Asseyez-vous. Je vous apporte quelque chose à manger.

Ils s'assirent tous sur le tapis devant la cheminée.


-Maman était enceinte. Dimanche soir, elle a senti que le bébé venait. Alors papa l'a conduite à l'hôpital dans la nuit, après m'avoir confié les trois petits.

Nos amis écoutaient en silence.

-Nous n'avons pas de téléphone fixe et mon père a emmené le portable. Nous ne pourrions appeler personne d'ailleurs, nous n'avons pas de famille, précisa Roxanne.

Elle se leva et posa deux bûches dans le feu.

-Donc, papa m'a confié mes frères et il a promis d'être de retour mardi. On avait bien assez de provisions jusque-là. Je me suis débrouillée avec les garçons. J'étais un peu inquiète, mais je ne le leur montrais pas. C'est une grosse responsabilité de m'occuper de mes petits frères toute seule si longtemps. Cela ne m'était encore jamais arrivé. Mais j'avais promis à mes parents qu'il n'y aurait pas de problème et qu'ils pouvaient partir tranquilles. Mais voilà, on est jeudi et ils ne sont pas encore revenus...

-C'est long, murmura Christine.

-Je me demande ce qui se passe, ajouta Mathieu.

-Moi aussi, je me le demande, répéta Roxanne. 

Elle se dirigea vers la cheminée et attisa le feu. Le froid de la nuit se faisait un peu sentir. Puis, elle se tourna vers ses frères.

-Allez vous coucher. Papa et maman reviendront demain avec le bébé... J'espère que ce sera une fille, précisa Roxanne en se tournant vers nos amis. J'ai déjà trois frères. Le compte est bon en garçons. Une petite sœur, cela serait génial. Et puis, elle s'appellerait Manon. Quel joli nom!


- Raconte-nous une histoire avant d'aller dormir, supplia l'aîné des garçons.

-Oui, une histoire d'horreur, insista son frère de six ans.

-Bon. Vous voulez que je vous raconte quelque chose qui fait peur?

-Oui, oui, oui, répondirent les trois petits.

-Cela ne vous ennuie pas ? demanda la jeune fille, en observant nos amis.

-Oh non, pas du tout, dit Christine en souriant.

-Je me réjouis de t'écouter, ajouta Mathieu.

-Une histoire qui fait vraiment peur, insista l'aîné des garçons.

-Bon, d'accord. Asseyez-vous près du feu.

Et elle commença son récit.


-Il y avait une fois, dans une grande forêt, un papa qui vivait avec ses trois garçons. Ils avaient votre âge. Leur maman était morte à la naissance du plus jeune.

"En période d'école, le papa y conduisait ses garçons et il les reprenait le soir, après son travail. Mais pendant les vacances, bien souvent, les trois petits restaient seuls, sous la garde de l'aîné, qui n'avait pourtant que neuf ans.

-C'est comme chez nous. Tu nous protèges, fit remarquer le cadet.

"Un soir, le papa roulait sur la route, en direction de sa maison au milieu des bois. Un orage violent venait d'éclater. Des éclairs, des coups de foudre, la pluie battante, tout cela rendait la visibilité très mauvaise. La route n'était pas éclairée. C'était un étroit chemin asphalté, devenu très glissant par la pluie et la boue qui l'envahissaient.

"Le papa roulait trop vite. Il se dépêchait car il était fort tard et ses petits garçons qui l'attendaient devaient être inquiets.

"Il était en retard à cause d'une réunion entre collègues à son bureau. Au cours de cette petite fête, il avait bu un coup de trop. Il n'aurait pas dû conduire ainsi. Mais il n'y avait pas moyen d'arriver à sa maison, située au milieu des bois, autrement qu'en voiture.

-Il aurait dû appeler un taxi, dit l'aîné.

-Oui, exactement, répondit Roxanne.

"Donc, il roulait sous la pluie, sous l'orage, sur cette route glissante et trop vite.

"Soudain, dans un tournant, à la dernière seconde, il aperçut une ombre devant lui dans la lueur des phares. Un garçonnet d'environ sept ans était debout, immobile, en plein milieu du chemin.

"Le papa freina de toutes ses forces, mais il heurta l'enfant.

"Le papa des trois petits garçons, horrifié, ouvrit la portière et sortit de la voiture sous la pluie battante. Il vit le corps. L'enfant était mort...

Le papa frémit d'horreur.

"Il aurait dû téléphoner à la police, précisa Roxanne, mais le papa des trois petits calcula que, s'il appelait les gendarmes, ils constateraient qu'il avait roulé trop vite et qu'il avait bu. Il irait en prison. Que deviendraient ses trois garçons ?


Un silence angoissé régnait dans la pièce. Chacun se taisait, suspendu aux paroles de la jeune fille. Le feu de bois crépitait dans la cheminée.

La grande sœur poursuivit son terrible récit d'horreur.


"Il ne vit personne. Ni à gauche, ni à droite. Aucune lumière, que la lueur des éclairs.

"Alors, l'homme prit le corps et le posa dans le fossé.

"La pluie violente tombait et lavait le pare-brise de la voiture qui n'était même pas griffée. Le papa des trois garçons regarda encore à gauche et à droite. Non, personne ne l'avait vu. Alors, il entra dans son véhicule et ferma la porte. Il remit son moteur en route.

"Soudain, on frappa brutalement à la vitre. L'homme sursauta et poussa un cri. Il regarda vers la gauche et vit un visage derrière le carreau de sa voiture, entre les gouttes qui ruisselaient. Le visage d'une femme défigurée. La lèvre inférieure était tordue et une longue cicatrice allait de l'œil gauche au menton. Un visage maigre, buriné par le soleil et où collaient des cheveux blancs trempés de pluie.

"Elle hurla par la fenêtre.

-Je te maudis! Je te maudis, car tu as tué mon enfant. Tu as tué mon petit garçon et tu allais partir, comma ça... Sois maudit à jamais! Malheur sur toi et sur tes enfants! À dater de ce jour, toutes les vingt-huit nuits, sous la lune ronde, ainsi que la nuit qui précède et celle qui suit, tu erreras au hasard dans les bois sous la forme d'un loup-garou. Et estime-toi chanceux si les chasseurs ne t'abattent pas.

"Puis elle continua.

-Et cette même nuit de pleine lune, ainsi que celle qui précède et celle qui suit, pendant ton absence, le plus jeune de tes fils se transformera en une pomme de pin en or... Et si un jour, quelqu'un cueille cette pomme de pin en or, ton plus jeune fils mourra desséché. Telle est ma vengeance!

"L'homme écrasa l'accélérateur et s'enfuit dans la pluie, sous l'orage, dans la nuit. Il parvint chez Iui, terrifié. Cette nuit-là, il ne dormit pas.

"Et depuis ce jour-là, conclut Roxanne, depuis ce terrible soir où l'accident a eu lieu, chaque nuit de pleine lune, ainsi que celle qui précède et celle qui suit, le papa se transforme en loup-garou et le plus jeune des garçons en une pomme de pin en or. Les deux plus grands garçons restent seuls à la maison, avec des provisions pour trois jours...


Dès l'instant où la jeune fille avait évoqué la pomme de pin en or, Christine s'était tournée vers Mathieu en posant sa main sur la poche de sa salopette, poche qui contenait la pomme de pin dorée qu'ils venaient de cueillir dans l'arbre. Son cœur battait la chamade et Mathieu était blanc de frayeur.

-J'aimais bien ton histoire, s'écria l'aîné des garçons.

-C'était horrible, en trembla le second.

-J'ai peur, maintenant, gémit le troisième.

-Tu racontes vraiment bien, complimentèrent en même temps nos deux amis.

Mais ils le dirent d'une voix blanche, d'une voix rongée par la peur.

-Allez les garçons, maintenant, au lit, commanda Roxanne.

Elle alla border et embrasser ses trois frères. Nos amis restèrent assis devant le feu.

-Tu crois que c'est un bébé, cette pomme de pin dorée dans ma poche ? murmura Christine.

-Mais non enfin! répondit Mathieu en chuchotant. C'est juste une histoire qu'elle a inventée. Chut, tais-toi. La voilà.


Roxanne revint s'asseoir un instant près d'eux. Le feu flambait dans la cheminée.

Puis elle se leva et alla vérifier que les volets étaient bien clos, les rideaux tirés, la porte fermée à double tour, le verrou poussé. Une grosse poutre la barrait, tenue par des taquets.

-Pourquoi prends-tu tant de précautions ? demanda Christine. Moi aussi, j'habite au milieu des bois, mais on ne ferme jamais la porte à clé chez moi.

-Depuis deux jours, expliqua Roxanne à voix basse, il se passe des choses mystérieuses dans la forêt. La nuit passée notamment, j'ai entendu des bruits étranges, comme si on frappait aux vitres, et comme si l'on jetait des pierres sur le toit de notre maison. Dans le noir, cela fait horriblement peur.

Nos deux amis écoutaient, anxieux.

-Au matin, en cherchant le long de la cabane, j'ai trouvé des pierres rondes sur le sol le long du mur. Mais ce n'est pas le plus terrible, poursuivit la jeune fille. L'horreur, ce sont les chuchotements derrière la porte d'entrée, au milieu de la nuit.

-Des chuchotements ? répéta Christine.

-Oui, des voix. Je ne saisis pas bien ce qu'elles disent. Je comprends un mot de temps en temps, pas plus.

-C'est effrayant, concéda Mathieu.

-Je suis contente que vous soyez là, poursuivit Roxanne. Au moins, par votre présence, même s'il se passe des choses, j'aurai moins peur. Mes trois petits frères dorment, je ne veux pas les réveiller, alors sans vous, je me sentirais bien seule.

Les trois enfants restèrent silencieux un moment. Roxanne pensait aux chuchotements. Mathieu et Christine, à la pomme de pin dorée.


Tout à coup, Roxanne sortit de ses rêveries.

-Mes amis, je vais essayer de dormir un peu. Puisque mes parents ne sont pas revenus, allez vous coucher dans leur chambre. Ne vous inquiétez pas. Cela ne fait rien que je vous laisse seuls devant le feu?

-Pas de problème, répondit Christine. On ne va guère tarder à aller nous reposer.


La grande sœur se retira dans la chambre des trois petits garçons. Elle s'étendit sur le lit superposé gauche. Christine et Mathieu se levèrent et se dirigèrent vers celle des parents de la jeune fille. Ils fermèrent la porte derrière eux.

Christine ôta ses sandales de toile sales et humides. Le garçon fit de même. Notre amie garda sa salopette et se glissa dans le lit. Mathieu conserva son jean. On leur avait volé le reste pendant qu'ils nageaient dans le lac. Ils n'avaient rien de vraiment sec à mettre. lls se tournèrent l'un vers l'autre.

-J'ai peur à cause de cette pomme de pin dorée, chuchota notre amie.

-Chut! répondit Mathieu. Roxanne pourrait nous entendre.

-Tu veux bien que je la sorte de ma poche et que je la mette entre nous ?

-D'accord, murmura son copain. Pose-la entre nous, comme un bébé entre papa et maman.

-Arrête, dit Christine. Tu me fais trop peur.

Ils se tournèrent chacun de son côté. Ils s'endormirent.


Notre amie ouvrit les yeux au milieu de la nuit. Une main qui semblait surgir de nulle part la secouait. Elle vit Roxanne.

-Christine, Christine !

-Oui.

-Tu veux bien éveiller ton ami? Écoute, on entend les bruits dont je vous ai parlé hier soir.

Juste à ce moment-là retentit un coup sourd sur le toit, suivi par un bruit de roulement. Comme si un gros caillou rond, jeté sur le toit de la cabane, roulait ensuite jusque par terre.

Christine se tourna vers Mathieu et le réveilla. Les deux enfants se levèrent et accompagnèrent Roxanne dans la salle de séjour.

Ils observèrent un long moment de silence oppressant. Ils sentaient battre leurs cœurs au rythme de la peur.

Soudain, ils entendirent des voix. Des voix chuchotées... De temps en temps, un mot apparaissait entier, mais alignés bout à bout, cela ne semblait pas avoir de signification: ...ensuite... je crois... sûrement... ici... pas seuls... fermé... pierre... ils dorment...

C'était effrayant d'entendre ces chuchotements entrecoupés de ces mots décousus dans la nuit.

Christine prit les mains de Roxanne. Elles étaient glacées. Mathieu restait debout au milieu de la pièce, à côté des deux filles.

-Il ne faut pas se laisser faire, chuchota le garçon. Venez. Roxanne, tu as sûrement des couteaux ou quelque chose comme cela.

Les trois enfants se dirigèrent vers la cuisine sur la pointe des pieds. Christine sortit son canif. Elle ouvrit la lame-scie, celle qui coupe le plus fort. Roxanne saisit un couteau. Mathieu prit un long pied de biche. Puis ils revinrent près de la porte.

-Enlève la poutre doucement. Puis, très lentement, tu feras tourner la clé dans la serrure et tu ouvriras la porte d'un coup sec. Voyons qui rôde là. L'attaque est la meilleure des défenses, ajouta le garçon.

-D'accord, souffla la jeune fille.

Elle réussit à ôter la planche épaisse qui servait de barrière à la porte sans faire aucun bruit. Elle la posa sur le tapis, près du mur. Elle glissa le verrou et fit tourner le double tour de la serrure, sans que celle-ci se fasse entendre.

Elle prit la poignée de la porte bien fermement en main. Puis, en regardant ses deux amis, elle compta un... deux... trois...

Elle ouvrit la porte d'un grand coup.


Une femme se tenait sur le seuil, une femme défigurée. La peau de son visage était brune comme une vieille pomme. Et comme parcheminée. Elle avait la lèvre tordue. Sa joue était traversée par une vilaine cicatrice, une horrible balafre. Les yeux de la femme vibraient, allant sans cesse de gauche à droite, et semblaient comme fous. Elle cria en se tournant vers Christine.

-Sois maudite !

Elle tendit son index pointu et osseux vers notre amie.

-Sois maudite! répéta la dame. Tu as cueilli la pomme de pin en or. Le bébé est mort. La petite sœur de cette jeune fille est morte. Sois maudite à jamais!

Roxanne regarda Christine.

-Tu as coupé la pomme de pin en or. Pourquoi? Moi, je t'ai accueillie dans ma maison et toi, tu as desséché ma petite sœur !

-Je ne savais pas, dit Christine en pleurant. Je ne savais pas que c'était un enfant. Mathieu et moi, on a pris l'échelle, on a cueilli la pomme de pin dorée, mais on n'imaginait pas que c'était un bébé.

-Je devais avoir un petit frère ou une petite sœur, criait Roxanne, et à cause de toi, ce bébé est mort desséché. Quelle horreur, par ta faute !

-Oui! hurlait l'effrayante créature. Le bébé est desséché par ta faute. Et toi, Roxanne, tu es maudite aussi. Tes parents ne reviendront jamais. En roulant dans la nuit avec leur petit dans les bras, ils ont heurté un arbre et ils sont morts tous les deux. Le bébé a longtemps pleuré. Et quand celle-là a cueilli la pomme de pin en or, il est mort desséché.

-Mais je ne voulais pas! Je ne voulais pas! pleurait Christine.

Elle se tourna vers Mathieu qui s'était approché de son amie.

-Je ne voulais pas que cela arrive. Je ne savais pas! Je ne l'ai pas fait exprès! Pardon, pardon!

-Arrête de crier comme cela, supplia le garçon.

-Je ne savais pas, continuait à hurler Christine, je ne savais rien.

-Arrête de crier, insista son copain. Tu vas réveiller tout le monde...


Christine ouvrit les yeux. Elle se vit à genoux sur le lit. Mathieu lui prit les mains, pour l'apaiser. Elle fondit en larmes.

-Arrête de crier comme cela! Tu viens de faire un horrible cauchemar, Christine. C'est fini à présent.

Mathieu la prit dans les bras.


Un instant plus tard, la porte de la chambre s'ouvrit et un grand rayon de soleil matinal entra dans la pièce.

Roxanne apparut sur le seuil, souriante.

-Vous avez bien dormi? Vous n'avez pas entendu de bruit cette nuit?

-Quel bruit ? demanda Christine.

-Papa et maman sont revenus vers cinq heures du matin. Et regardez, mes amis...

Roxanne présenta un joli bébé bien vivant, sa petite sœur, qu'elle tenait dans les bras.

-Je suis heureuse, dit-elle en souriant. Elle s'appelle Manon...