Une nuit au fond des bois
Tout a commencé par un appel de Mathieu, le grand ami de Christine.
Lui, il ne vit pas comme elle dans la forêt. Il habite en ville avec ses parents et fréquente une école du quartier.
Notre amie étudie la plupart du temps à la maison par internet. Le village est trop loin. Elle ne va en classe qu'au mois de juin, pour passer les examens.
- Salut Christine, dit le garçon.
- Hello, Mathieu, répondit-elle.
- J'ai besoin de ton aide, dit-il. En classe, on doit faire, à tour de rôle, un exposé sur un sujet qu'on aime. Une fille nous a passionnés avec des volcans du monde. Un copain a parlé des princes et des princesses d'autrefois. Une autre a choisi les châteaux forts. Moi je voudrais leur parler de la nuit dans la forêt.
- Bonne idée, fit notre amie.
- Oui, mais pour cela j'aimerais passer une nuit au fond des bois. Beaucoup d'animaux dorment le jour et chassent la nuit. Je pourrais peut-être en voir ou au moins écouter leurs cris. Mais tout seul, j'hésite. Tandis que si tu m'accompagnes, ça deviendra une aventure vraiment agréable et instructive. Surtout que toi, tu sais où aller, où se placer pour en rencontrer.
- Il y a en effet des lieux de passage que les animaux empruntent pour se rendre à la rivière, par exemple. J'en connais quelques-uns. Je t'y mènerai avec plaisir.
- Et puis, ajouta Mathieu, avec une amie comme toi à mes côtés, je sais que je ne risque rien.
Christine sourit.
- Quand viendras-tu ?
- Samedi après-midi, si tes parents sont d'accord.
- Je me réjouis, lança la jeune fille.
Ils partirent après le repas du soir, emportant une gourde d'eau et leurs sacs de couchage.
Christine emmena son ami vers le carrefour des trois routes, près d'une zone de passage des animaux.
- Ici, dit-elle en s'arrêtant soudain.
Des hautes fougères bordaient le chemin en terre à cet endroit.
Ils quittèrent la piste et s'enfoncèrent de quelques mètres sous les grands arbres. Ils déroulèrent leurs sacs de couchage, les étendirent au sol et patientèrent assis en silence, l'un près de l'autre.
Une chouette hulula en passant près d'eux.
- J'espère qu'elle n'avertit pas les autres de notre présence, souffla Mathieu.
- Elle ne nous a pas vus, chuchota Christine. Mais tais-toi. Les animaux ont l'ouïe fine.
Un lièvre apparut, s'arrêta, puis repartit, suivi par un autre. Puis ce fut une belette accompagnée par un raton laveur.
- On a de la visite, murmura notre amie. Regarde, là, à droite.
Un grand cerf approchait avec deux biches.
Puis plus rien.
- Voilà, dit Christine. On dormira quand ils repasseront.
La nuit fut calme. Ils apercevaient le ciel étoilé entre les feuilles des branches d'arbres qui dansaient doucement dans le vent léger.
Au matin, en s'éveillant, Mathieu gémit, faisant la grimace.
- Ma cheville me fait mal, dit-il en sortant de son sac de couchage. Oh! regarde comme elle est gonflée. Un moustique m'a piqué.
- Ça ne peut pas être un moustique, affirma notre amie. Ils volent et n'entreraient pas dans ton sac. Ils t'auraient piqué au visage. Montre-moi ta cheville.
Christine observa le gonflement avec attention.
- Je vois deux petits trous, dit-elle. C'est une araignée. Elle s'est glissée dans ton sac de couchage pendant que tu dormais et a pris peur quand tu as bougé. Se croyant attaquée, elle t'a mordu. Mais devant un tel gonflement, je me demande si ce n'était pas une venimeuse.
- On fait quoi ? hésita le garçon.
- Tu peux marcher ?
- Oui, doucement.
- Va chez mes parents. Tu recevras ton petit déjeuner et ils te soigneront déjà. Moi, je vais me renseigner. Je ne connais pas le langage des araignées. Comme tu sais, je ne comprends que les quatre pattes, les deux pattes et les serpents. Un hibou m'a appris quand j'étais petite. Mais je vais aller chez le vieux renard de la forêt. Je l'ai déjà rencontré deux ou trois fois. Il conseille tous les animaux des bois et m'a déjà aidée.
Découvre cela entre autres dans la passionnante histoire : Le Carré de la mort. (Christine n° 3)
Mathieu s'éloigna en clopinant.
Notre amie dirigea ses pas vers l'habitation du vieux renard, une tanière creusée entre les racines d'un vieil arbre, pas loin de la zone des grands marécages.
Elle s'arrêta près de l'entrée, se mit à genoux et s'assit sur ses talons. Elle appela l'animal trois fois.
Il vint pointer son nez dehors et observa la jeune fille.
- Je t'ai déjà vue, dit-il.
- Oui, et tu m'as bien aidée. Mais j'ai de nouveau besoin de toi.
- Que se passe-t-il ?
- J'ai passé la nuit à la belle étoile dans le bois avec mon ami. Il voulait tenter l'expérience. Mais une araignée est entrée dans son sac de couchage pendant qu'il dormait et elle l'a mordu. Je crois qu'elle est venimeuse car son pied est très gonflé. Je voudrais savoir ce qu'il risque, mais je ne connais pas le langage de ces animaux-là.
Le vieux renard sembla réfléchir quelques instants.
- Il faut être prudent, dit-il. Certains venins peuvent causer de graves ennuis. Mais dans la nature, s'il y a un poison, il existe toujours un contre-poison. Cherche un interprète. Un animal avec lequel tu sais parler et qui comprend les araignées.
- Je me souviens d'un serpent gris, dit Christine. Il m'a bien aidée, lui aussi, autrefois. Je vais le retrouver, je connais son territoire. Merci pour cette idée, vieux renard.
Notre amie retourna au carrefour des trois routes et longea la rivière qui traverse la zone des grands rochers. Elle s'approcha d'une fissure et appela le serpent gris qui apparut, à moitié endormi.
- Je te reconnais, dit-il en sifflant.
- J'ai besoin de toi, expliqua Christine. Je me rappelle que tu sais parler aux araignées. Mon copain a été mordu par l'une d'entre elles, et je voudrais savoir si elle est venimeuse.
- C'est tout à fait possible, fit le serpent. Certaines de celles qui vivent par ici le sont.
Ils se dirigèrent vers le lieu de passage des animaux où les deux enfants avaient passé la nuit. Une grande toile se dressait pas loin entre trois jeunes arbres. Nos deux amis ne l'avaient pas vue en arrivant au soir.
Les araignées qui s'y trouvaient expliquèrent au serpent qu'il fallait aller interroger celle qu'elles appellent : « notre vieille mère à toutes ».
- Elle vit au pied des rochers, pas loin de la rivière. Vous la trouverez assez facilement. Elle habite, solitaire, entre les branches d'un arbre mort. Sa toile paraît dorée aux rayons du soleil.
Christine partit, accompagnée par le serpent gris.
Elle découvrit la toile après une bonne heure de recherche.
Le serpent interrogea l'araignée. Elle expliqua qu'une partie de celles qui vivent par ici possèdent un venin assez puissant et qui rend aveugle en vingt-quatre heures.
- C'est affreux, lança notre amie. Que faut-il faire pour que ça n'arrive pas ? Comment détruire ce poison ? Demande-lui, serpent gris.
- La vieille mère à toutes explique que la nature possède toujours les contre-poisons, traduisit le serpent. Pour celui-ci, il te faudra beaucoup d'audace et d'habileté. Tu devras suivre ce sentier, là, à droite. Il te mènera tout en haut de ces rochers. Tu y découvriras des fleurs étranges. Leurs pétales sont verts.
- Je n'en ai jamais vu, réfléchit Christine. Est-elle certaine que ça existe ?
- Oui, continua à traduire le serpent gris. Mais c'est le territoire des aigles, là-haut. Tu devras te débrouiller avec eux. La vieille mère à toutes dit que si tu réussis à cueillir une de ces plantes et à l'emporter, tu la plongeras trois minutes dans de l'eau bouillante en revenant chez toi. Puis tu appliqueras cette décoction sur l'endroit où ton ami a été mordu. Mais fais-le sans tarder, avant qu'il perde la vue car sinon ce sera trop tard.
Christine ne prit même pas le temps de passer chez elle pour prendre son petit déjeuner. Malgré la faim qu'elle commençait à sentir, elle grimpa tout en haut de cette petite montagne rocheuse et s'approcha du sommet à grands pas.
Elle aperçut les fleurs aux pétales verts.
Aucun aigle en vue...
Elle se baissa et s'apprêta à arracher une des plantes.
- Que fais-tu là ? entendit-elle soudain.
Notre amie n'avait pas vu arriver un aigle majestueux qui venait de se poser derrière elle.
- Mon copain a été mordu par une araignée venimeuse, expliqua Christine. Il risque de devenir aveugle. Celle qu'on appelle « la vieille mère à toutes » m'a dit que ces plantes aux fleurs vertes peuvent détruire le poison. Tu me permets d'en cueillir une ?
- Oui, fit l'aigle. Mais je veux tester d'abord ta mémoire et ton habileté. Je vais te poser trois questions. Une facile, une moyenne et une difficile. Si tu réponds bien à toutes, tu pourras emporter une de mes fleurs.
- Je t'écoute, dit Christine un peu inquiète.
- Première question : J'ai chassé cette nuit et j'ai rapporté des souris à mes trois petits aiglons qui m'attendaient dans leur nid, là-bas plus loin. Je leur en ai donné deux à chacun et j'en ai gardé une pour moi. Combien en avais-je rapporté ?
- Sept, lança notre amie. Deux pour chacun de tes trois aiglons, ça fait six, et une pour toi, ça fait sept.
- Bravo, fit l'aigle.
- Deuxième question. Plus difficile : Elle se trouve tout près de moi. Je voudrais la saisir mais elle s'enfuit et se déplace aussi vite que moi. J'ai beau courir ou voler derrière elle, je ne réussis jamais à l'attraper. De quoi s'agit-il ?
- Ton ombre, répondit aussitôt Christine.
- Bravo !
-Troisième et dernière énigme, dit l'aigle, la plus compliquée.
Toi qui lis ce récit, réfléchis. Mets-toi à la place de notre amie et essaye de trouver la réponse...
- Je connais une grotte toute noire dans la montagne, dit le rapace. Il y pousse des fleurs qui ne s'ouvrent qu'à la lumière du soleil et se referment aussitôt qu'elle disparaît.
« Cette caverne a trois petits tunnels et une porte d'accès, fermée, mais qu'on peut ouvrir. Un seul de ces petits tunnels amène de la lumière sur les fleurs. Celui de gauche ? Celui de droite ? Ou celui du milieu ?
« Ils sont fermés tous les trois par une pierre blanche qu'on peut enlever.
« Avant d'entrer dans la grotte, tu peux faire ce que tu veux. Ôter les pierres blanches, les replacer, une, deux ou les trois. Puis tu entres et tu me dis laquelle amène la lumière du soleil sur les fleurs.
L'aigle se tut. Christine hésita un long moment.
- J'ai faim, dit notre amie. Et mon copain risque de devenir aveugle. On perd du temps. Tu m'ennuies avec tes questions.
- Réponds, fit l'aigle.
- Je retire la pierre blanche qui bouche le tunnel de droite. J'attends une minute, puis je la remets en place pour clore ce tunnel. J'enlève alors celle du centre et puis j'entre dans la pénombre de la grotte aux fleurs. Je regarde...
« Si les fleurs se referment, c'est que le tunnel de droite les a éclairées un moment.
« Si elles s'ouvrent, c'est que la lumière vient par le tunnel du centre que je viens d'ouvrir.
« Si rien ne se passe, c'est que la lumière passe par le tunnel de gauche.
- Bravo ! lança l'aigle. Tu es très futée. Tu as résolu mes trois énigmes. Tu peux prendre une de mes fleurs, mais ne l'arrache pas.
Christine se baissa et en coupa une avec le canif qu'elle tient toujours dans la poche de sa salopette.
Puis elle redescendit dans la vallée et se dépêcha de retourner chez elle.
La cheville de Mathieu avait encore gonflé.
Sans prendre le temps de calmer sa faim, notre amie fit chauffer de l'eau puis y plongea la fleur verte trois minutes comme l'avait dit « la vieille mère à toutes ».
Elle y trempa ensuite une serviette et l'enroula autour de la jambe de son copain.
La boursouflure se dégonfla assez vite et au soir, Mathieu put à nouveau marcher et courir.
Le lendemain, au moment de retourner chez lui avec ses parents qui étaient venus le chercher, il se tourna vers Christine et lui prit les mains.
- Merci ! Merci ! dit-il. Quelle aventure ! Je vais faire un exposé du tonnerre à l'école... Mais je savais qu'avec une amie comme toi, rien de terrible ne pouvait m'arriver.
La voiture partit. La nuit allait couvrir la forêt de son grand manteau noir.
Christine entra dans sa maison. Elle souriait.