Le trésor des pies
Notre amie Christine, âgée de dix ans habite avec ses parents au milieu d'une grande forêt. Son père, bûcheron, vend le bois qu'il découpe, parfois en sa compagnie.
Maman qui s'occupe des clients et de la comptabilité, ouvrit la porte en entendant le moteur d'un véhicule tout-terrain qui s'approchait, celui d'une cliente fidèle.
La dame sortit de la voiture, bien ennuyée. Il faisait particulièrement chaud ce jour-là et elle avait roulé sous les arbres avec les fenêtres grandes ouvertes. Une guêpe, entrée soudain par une des vitres abaissées, s'était posée sur sa main. La dame avait tenté un geste brusque pour s'en débarrasser, mais l'insecte l'avait piquée à l'annulaire gauche.
La mère de notre amie conseilla aussitôt à la cliente de s'asseoir et d'ôter la bague qu'elle portait à ce doigt, un bijou en or serti d'un fort beau diamant taillé en brillant. Le doigt allait gonfler à cause de la piqûre de la guêpe.
La dame posa la bague sur le bord de la table.
Une pie qui observait la scène depuis son arbre, quitta sa branche. Elle entra dans la pièce et rapide, s'empara du bijou en le serrant dans son bec. Elle s'envola par la fenêtre.
- Mon Dieu! s'écria la visiteuse. Mon mari m'a offert cette bague lors de notre récent anniversaire de mariage...
La pie disparut vers les arbres qui entouraient la maison.
- Christine! appela maman.
Notre amie quitta sa chambre où elle terminait un devoir de calcul et descendit l'escalier.
- Ma chérie, une pie vient d'emporter une bague précieuse qui appartient à cette dame. Tu sais parler aux oiseaux. Tente de la retrouver si tu peux.
Notre amie connaît le langage de certains animaux : celui des quatre pattes, des deux pattes, et celui des serpents. Elle possède ce don merveilleux qu'un hibou, qu'elle a appelé Chachou, lui a appris à maîtriser quelques années auparavant.
- J'y cours, lança Christine. Et je vous la rapporte si je la retrouve, madame.
-Mille fois merci, jeune fille, lança la dame pleine d'espoir.
Notre jeune aventurière s'approcha des grands arbres où nichent des pies. Elle en repéra trois et les appela. L'une d'entre elles répondit.
- Je n'ai pas touché à cette bague, confia l'oiseau en jacassant, ce langage que notre amie comprend, mais je crois savoir où la voleuse l'a emmenée. Si tu veux aller la chercher, je peux te conduire à l'étang où vivent les quatre pies chanteuses. Ce sont les conseillères de notre reine. Peut-être accepteront-elles de te recevoir et de te mener à notre trésor.
- Je savais que vous possédiez un trésor, s'écria notre amie. Mais une reine! J'en entends parler pour la première fois. Conduis-moi à cet endroit. J'aimerais rencontrer votre reine.
- Le trajet est long et sera difficile pour toi, surtout que tu es incapable de voler au-dessus des arbres...
Christine revint chez elle avertir sa maman et la cliente que la quête durerait sans doute tout l'après-midi.
- Bon courage, dirent les deux dames. Et grand merci déjà!
Notre amie marchait depuis plus d'une heure à travers bois, évitant si possible les massifs de ronces ou d'orties, contournant les mares de boues stagnantes, que la pie survolait passant d'arbre en arbre. Elles parvinrent au bord d'un assez vaste marais au cœur de la forêt, et s'y arrêtèrent.
Christine observa cette étendue d'eau verte, bordée de roseaux, en reprenant son souffle. Des lambeaux de brouillard gris flottaient. Il régnait ici un silence inquiétant. Silence déchiré parfois par le jacassement d'une pie ou le croassement d'un corbeau.
Quatre étranges constructions dépassaient le nuage de brume. Des colonnes de briques rouges, évasées à leur sommet. Cela ressemblait aux arches d'un ancien pont dont la partie horizontale, la chaussée, serait écroulée.
- Les quatre pies chanteuses possèdent chacune leur nid au sommet de ces ruines, déclara celle qui menait notre amie jusque-là. Je te laisse te débrouiller à présent. Bonne chance...
L'oiseau s'envola.
Christine s'avança et entra dans l'eau, après un instant d'hésitation. Chaque pas faisait monter une couche de vase brune vers ses genoux et risquait de la faire glisser. Et le sol descendait. Bientôt notre amie se trouva dans l'eau presque jusqu'au cou.
Elle s'accrocha au premier pilier et l'escalada. Sa salopette trempée et ses chaussures de toile, dégoulinaient.
Une pie aux yeux noirs la regarda puis l'interrogea.
- Que viens-tu faire ici?
- L'une des vôtres a emporté une bague qui appartient à une cliente de mes parents. Je viens la récupérer. Peux-tu me conduire auprès de votre reine?
- Si tu veux rencontrer notre reine, il faut d'abord passer quatre épreuves. Tu dois démontrer que tu pourrais être une bonne pie.
- J'accepte, répondit la courageuse jeune fille.
- Voici la première. Dessine un rond parfait.
Toi qui lis ce récit, comment t'y prendrais-tu pour réaliser un cercle parfait, sans compas, sans corde, bref avec tes dix doigts...
Christine saisit une pierre et la jeta dans l'eau.
- Voilà, dit-elle, un rond parfait.
- Bravo! Redescends et va chez ma voisine pour passer ta deuxième épreuve.
Notre amie retrouva l'eau vaseuse du marais, nagea quelques mètres, puis escalada la deuxième colonne de briques.
- Tu veux rencontrer notre reine?
- Oui, répondit Christine.
- Voici deux anneaux, dit la pie chanteuse en présentant deux bagues bien différentes.
L'une était garnie d'un brillant qui lançait des feux comme un diamant. L'autre, très belle, chatoyait au soleil, passant du bleu clair au bleu foncé. Une merveille.
- Laquelle te semble la plus précieuse? demanda l'oiseau. Une vraie pie ne se trompera pas.
La bleue attirait le regard de notre amie par ses reflets changeants. Pourtant, elle choisit la plus petite, celle qui lançait des feux.
- Bravo. La bleue est un bijou de pacotille sans aucune valeur, lança la pie. L'autre est un diamant précieux. Va chez ma voisine pour passer ta troisième épreuve.
Christine redescendit et s'approcha de la troisième colonne de briques en nageant cette fois en eau profonde.
L'oiseau observa notre amie, puis lui dit :
- Peux-tu m'indiquer où se trouve le Nord? Une pie doit pouvoir le trouver pour s'orienter et retourner à son nid sans se tromper.
Notre jeune aventurière hésita. Puis elle se souvint d'une histoire que son père lui avait racontée autrefois.
Un explorateur, égaré au cœur d'une forêt, en était sorti grâce à un trombone retrouvé au fond d'une de ses poches. Il l'avait déplié puis placé sur une feuille d'arbre posée sur une flaque d'eau. Le fer du trombone servant d'aiguille avait fait tourner lentement la feuille flottante et l'avait orientée dans le sens Nord-Sud.
Notre amie n'avait pas de trombone avec elle, mais une pince à cheveux en fer traînait au fond de la poche de sa salopette.
Elle la posa sur une feuille d'arbre sur l'eau de l'étang. Après un instant, l'ensemble tourna, sembla hésiter, puis s'immobilisa. Observant le soleil, toujours au Sud dans la forêt où elle habite, Christine montra le Nord à la pie.
- Félicitation. Tu ferais une bonne pie, déclara la troisième pie chanteuse.
Toi qui lis ce récit, essaye à l'occasion. Tu créeras ainsi une boussole au fond des bois.
- Il te reste une dernière épreuve, dit l'oiseau. Rends-toi chez ma voisine.
Christine s'approcha de la quatrième colonne.
La quatrième pie chanteuse accueillit notre amie et l'emmena au bord de l'étang. Deux arbustes poussaient là. L'un d'eux portait des petits fruits rouges et l'autre des fruits bleus, pas plus gros.
- L'un de ces fruits est un poison, dit la pie chanteuse. Devine lequel.
- Le rouge est un sorbier, expliqua notre amie. Ses fruits sont du poison pour nous les humains. Les autres, les bleus, sont des prunelles, comestibles.
- Très bien. Tu aperçois cette vieille tour grise, là-bas, près des rochers? Vas-y. Tu y rencontreras notre reine.
Une levée de terre émergeait à peine du marécage. Un pan de brume que le vent écarta, laissa entrevoir une construction très ancienne en pierres grises. Une sorte de tour. Du lierre l'envahissait presque jusqu'au sommet. L'air, imprégné d'humidité fit frissonner notre intrépide promeneuse.
La reine des pies s'y trouvait, le nid installé au sommet. Notre amie tenta d'escalader, mais sans succès.
Contournant l'édifice, elle découvrit une porte étroite entrouverte qui lui permit d'entrer. Un escalier en pierre menait au sommet du bâtiment en ruines. On y découvrait la canopée de presque toute la forêt.
La reine des pies observa Christine.
- Ainsi te voilà... toi qui connais le langage les animaux. On m'a parlé de toi.
- Ah! bien, répondit notre amie.
- Tu viens récupérer une bague emportée par l'une d'entre nous. Nous aimons ce qui brille et nous avons de bons yeux. Quand les humains perdent ou laissent traîner leurs bijoux, souvent nous nous en emparons. Tu vas devoir ouvrir la porte de notre trésor. Il te faut pour cela acquérir une clé qui commande un mécanisme fort ancien. Cette clé te permettra d'accéder au trésor. Tu vas devoir passer pour cela une dernière épreuve, sans doute la plus difficile, certainement la plus dangereuse.
- S'il le faut, murmura Christine.
- Il le faut. Mes amies et moi possédons des objets en or et des pierres précieuses, enfermées à cet endroit, mais pas la clé. Descends dans la cave de cette tour. Un couloir mène dans une caverne où tu rencontreras un grand lézard, une sorte de dragon. Nous l’avons engagé pour protéger nos biens. Résous son énigme. Alors il t'obéira. Mais d'abord, promets-moi de ne jamais révéler l'emplacement de notre trésor. Je connais les humains. Ils viendraient sans tarder nous le prendre.
- Je te le promets, affirma la jeune fille.
- Bonne chance, jacassa la reine des pies.
Notre amie descendit l'escalier de pierre, puis suivit l'étroit couloir. Elle déboucha dans une vaste grotte.
Une sorte de grand lézard aux yeux jaunes et aux griffes acérées s'approcha lentement.
- On me dit que tu veux accéder au trésor des pies. J'en détiens la clé. Suis-moi.
Le dragon, c'en était un, se traîna vers un rideau de stalactites jaunes. Un rocher gris, lisse, se dressait juste derrière.
Christine s'approcha et vit une inscription gravée dans la pierre.
- Tu sais lire, jeune fille?
- Oui, bien sûr.
- Alors lis une des deux phrases gravées là. Tout haut. C'est ton épreuve. Je t'écoute. À moins que tu ne préfères quitter maintenant cet endroit. Je te préviens, si tu te trompes, si tu choisis la mauvaise phrase, tu courras un grand danger.
Christine lut d'abord tout bas.
Si je dis vrai, tu me coupes en deux.
Si je mens, tu me coupes en trois.
Toi qui lis ce récit, réfléchis. Mets-toi à la place de notre amie. Quelle phrase choisirais-tu? Car il faut en prononcer une des deux...
- J'opte pour celle-ci, dit Christine, dont le cœur battait la chamade : si je mens, tu me coupes en trois.
- Bravo, répliqua le dragon. Si je te coupe en trois, tu auras dit vrai. Or si tu dis vrai, je dois te découper en deux. Et je ne puis te couper en deux que si tu prononces l'autre phrase. Voici la clé qui ouvre le trésor des pies. Tu la confieras à la reine en partant et elle me la rendra.
Notre amie revint au pied de la tour. La reine des pies l'attendait. Elle emmena Christine vers une île située dans un prolongement de l'étang. Il lui fallut de nouveau patauger et s'enfoncer dans l'eau vaseuse.
Une énorme pierre bleue couvrait l'espace émergé. Notre aventurière y aperçut une sorte de serrure. Elle y glissa la clé et tourna vers la droite. Ce mouvement commandait un mécanisme qui fit basculer l'énorme dalle, créant une ouverture. Un rayon de soleil y entra.
Christine aperçut la bague décrite par la cliente de ses parents. Elle s'en empara.
- Tu ne prends rien d'autre? demanda la reine des pies.
- Non, répondit notre amie. Je ne suis venue que pour cette bague.
- Ton honnêteté me plaît, dit la reine. Voici un anneau en or, rehaussé de saphirs bleus et de rubis rouges. Emporte-le. Il t'appartient à présent. Et si un jour, tu as besoin de mon aide, pose-le sur ton appui de fenêtre. Une pie le prendra et me l'apportera. Et je viendrai...
Christine retourna chez elle.
Elle rendit la bague à la cliente de ses parents.
La dame se confondit en remerciements et offrit à notre amie un cadeau qui lui plut beaucoup. Un magnifique vélo tout neuf.