Christine
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L'horloge du pirate

       Christine passait quelques beaux jours de vacances, invitée par les parents de Mathieu.  Ils roulaient vers un château, situé au Nord de la Grande-Bretagne, en Écosse.

Notre amie se réjouissait de quitter pour une fois sa forêt et de découvrir ces magnifiques régions où de nouvelles aventures l'attendaient peut-être.

Le papa prit la parole.

- L'hôtel où nous allons loger une semaine est un ancien château qui aurait appartenu à un pirate appelé Ourck. Un corsaire du roi de France. Il vécut et écuma les mers il y a cinq cent ans. On m'a dit que son fantôme erre parfois la nuit dans les couloirs. Et son trésor est caché quelque part entre les murs, mais personne à ce jour ne l'a retrouvé.

- J'espère voir ce fantôme, lança Mathieu. Je n'en ai jamais vu un pour du vrai.

- Il viendra peut-être te chatouiller les pieds une nuit, fit Christine. Un tout blanc, avec des longues chaînes.

- Arrête, murmura le garçon, tu vas finir par me faire peur.

 

Ils arrivèrent en début d'après-midi. 

L'endroit apparut impressionnant. Un imposant château, avec quatre tours rondes, des mâchicoulis, un chemin de ronde, le tout en à-pic au bord de hautes falaises.

Ils entrèrent dans la cour carrée, avec sacs et bagages.

Christine et Mathieu remarquèrent une table en pierre dans un coin de cette cour dallée. Ils s'en approchèrent.

C'était un cadran solaire.

Ils observèrent les chiffres d'un à douze gravés dans du marbre bleu. Et une barre de cuivre, dressée à une extrémité, était censée donner l'heure par l'ombre causée par les rayons du soleil, ombre qui se déplace grâce à la rotation de la terre.

Ce cadran était décoré d'oiseaux peints de toutes les couleurs. Ravissant !

- Mais il ne sert à rien, lança notre amie. Il est placé à l'ombre des murs du château. Il n'est jamais exposé au soleil. Il n'indique donc jamais l'heure. Il ne sert à rien, dit-elle encore en réfléchissant. Bizarre...

- Quelle drôle d'idée de l'avoir placé là, ajouta son copain.

Ils entrèrent dans le hall du château.

 

Un large escalier en bois ciré menait aux étages. Et une imposante horloge, entourée de panneaux décorés de fleurs en marqueterie, occupait l'entièreté du mur du fond.

Nos deux amis s'en approchèrent pour l'admirer. Christine montra à son copain le cadran, rond comme celui de dehors. La décoration semblait identique, des oiseaux peints ici aussi.

- Cette horloge date du temps d'un pirate appelé Ourck le corsaire, dit le fils du patron de l'hôtel en s'approchant. Elle indique l'heure exacte, mais sonne n'importe comment. Ne vous fiez pas à son carillon.

- On ne peut pas le réparer ? demanda Mathieu.

- Non. Le mécanisme qui commande la sonnerie de cette horloge date du temps où le corsaire occupait ce château. Impossible de le modifier, et ce n'est pas faute d'avoir essayé pourtant.

Le jeune homme conduisit nos amis et les parents vers leurs chambres au premier étage. Des chambres vastes et magnifiquement décorées, donnant sur la mer. On pouvait voir loin, vu la hauteur où ils se trouvaient, en haut des falaises, que le château dominait en à-pic, avec majesté. 

Ils remarquèrent que le fils du patron boitait. Il souffrait sans doute d'une maladie aux genoux ou aux chevilles.

Nos amis profitèrent de l'après-midi pour découvrir les environs et le parc très soigné qui précédait le bâtiment principal. Ils visitèrent de belles écuries et purent caresser les chevaux qui s'y trouvaient.

 

Cette nuit-là, se produisit un phénomène étrange. 

Christine s'éveilla un rien avant minuit. Elle entendit sonner la grande horloge du hall cinq fois. 

Elle vérifia l'heure sur la montre de son copain qui dormait profondément. Minuit !

Elle aperçut de la lumière dans le couloir. On passait derrière la porte de leur chambre. Elle se leva et courut l'entrouvrir. 

Elle se retint de pousser un cri en apercevant un fantôme tout blanc en haut de l'escalier. 

Notre amie le suivit, pieds nus, et remarqua qu'il boitait.

Tiens, se dit-elle. Le fils du patron se déguise en fantôme...

Mais chose encore plus étrange, il s'approcha de l'horloge et y entra, comme s'il se glissait à travers les parois constituées de ces larges planches en bois, décorées de fleurs et qui entouraient cette horloge.

Elle se précipita à son tour en bas de l'escalier mais ne vit plus personne.

Elle tenta de pousser, de tirer, de faire glisser un des panneaux, mais sans succès.

Elle remonta à sa chambre, se promettant d'en parler avec son ami demain. Mais avant de se coucher, elle observa le magnifique clair de lune sur la mer. Et elle vit une lumière clignoter au large, assez loin. Une autre lumière, venue de la falaise, sous le château, semblait lui répondre. Quel étrange phénomène... Elle se recoucha et se rendormit.

 

Mathieu s'éveilla à son tour. Il compta les « dongs » de l'horloge. 

- ...sept, huit, neuf. Mon Dieu, il est tard ! Je vais rater le repas.

Il se leva et se précipita dans l'escalier. Il arriva en courant à la salle de restaurant. Tout était noir et il ne vit personne. Il regarda sa montre. Il n'était que trois heures du matin.

En retournant se coucher, il entendit un léger déclic et revenant sur ses pas, il aperçut une ombre blanche qui semblait sortir de l'horloge et se dirigeait vers la cuisine du château.

- Il faudra que je raconte ça à Christine, se dit-il en murmurant tout haut. 

 

Le lendemain, les deux amis, postés devant l'horloge, l'entendirent sonner deux fois à neuf heures du matin puis cinq fois à midi. 

- Elle sonne à midi comme à minuit, fit remarquer notre amie. Cinq fois.

Le patron de l'hôtel leur expliqua que pour une raison inconnue, on ne l'entend jamais aux autres heures. 

Donc, réfléchit Christine, elle sonne cinq fois à midi ou minuit, neuf fois à trois heures du matin ou de l'après-midi, deux fois à neuf et vingt et une heures, et sept fois à six heures du matin et à dix-huit heures.

- Ce n'est pas le seul phénomène, dit-elle encore. Le prétendu fantôme entre dans cette horloge à minuit.

- Et moi, ajouta le garçon, je l'ai vu sortir de là à trois heures du matin. Il se dirigeait vers la cuisine.

 

Les deux amis s'approchèrent de l'horloge. Ils l'observèrent avec attention. Ils ne virent aucune porte ou serrure ou verrou. Mathieu frappa avec son poing contre les panneaux en bois, décorés de fleurs en marqueterie. Celui de gauche rendit un son creux, comme si derrière celui-là se trouvait un espace. Mais impossible d'y accéder.

- Attends, lança Christine. Tu m'as dit que tu as entendu un déclic juste après les sonneries, à trois heures du matin, et qu'à ce moment le fantôme est sorti. Peut-être que ce panneau ne s'ouvre que pendant ou juste après une sonnerie. Allons voir tantôt, un peu avant quinze heures.

- Bonne idée. Bravo !  

 

Nos amis se présentèrent bien à temps, revenant d'une promenade, interrompue pour l'occasion.

L'horloge sonna neuf fois. Puis un léger déclic, à peine perceptible, se produisit, à gauche du cadran. Unissant leurs efforts, les deux enfants réussirent à faire glisser le panneau vers la gauche. 

Un passage apparut, mal éclairé. Un escalier descendait vers la profondeur. Ils l'empruntèrent après un instant d'hésitation.

Le panneau se referma derrière eux.

Se retournant, ils tentèrent, mais en vain de le réouvrir. Ils n'y parvinrent pas. Ils étaient bloqués à cet endroit jusqu'à la prochaine sonnerie, à dix-huit heures.

 

Se donnant la main, ils suivirent l'escalier en silence, les cœurs battant au rythme de leur peur.

Après vingt-cinq marches, ils entrèrent dans un espace secret, éclairé par la lumière du jour qui passait par une ouverture vitrée taillée dans le mur de roche, la paroi de la falaise. Ils observèrent la mer jusqu'à l'horizon. 

Au loin, une zone rocheuse apparaissait. Une île en mer sans doute. Aucun bateau en vue.

Cet endroit secret ressemblait à une chambre. Nos amis virent un lit, un bureau encombré de livres et de papiers, deux fauteuils, une longue table basse où traînaient deux tasses, des verres à moitié vides et des assiettes. On avait mangé là. Le fantôme, le fils du patron, sans doute.

Près de la fenêtre, impossible à ouvrir, se trouvait une puissante lampe, tournée vers l'océan. Une lampe avec une ampoule comme celles que l'on peut voir dans les phares le long des côtes.

- Le fils du patron est peut-être un voleur, dit Mathieu. Il communique sans doute à l'aide de cette lampe avec des navires de passage, et fait avec eux de la contrebande.

Christine ne semblait pas comprendre.

- Il allume le phare à un moment précis, expliqua son ami, quand il sait qu'un navire vient livrer de la marchandise interdite, des armes, des faux billets de banque, de la drogue, cette chose horrible dont il fait peut-être commerce, et il entrepose cela dans une cachette. Regarde, un escalier à vis commence là, près de l'armoire. Suivons-le.

Les deux enfants empruntèrent ce nouvel escalier et débouchèrent après quatre-vingts marches sur une petite plage de sable au pied de la falaise.

Il était hélas impossible de la quitter sans posséder une embarcation. Des deux côtés, à gauche comme à droite, la falaise s'incurvait et s'avançait en mer. Peut-être aurait-il été possible de contourner ces obstacles en nageant, mais l'eau était vraiment glaciale.

Les deux amis laissèrent cette plage étroite et déserte derrière eux et remontèrent l'escalier en colimaçon. Ils fouillèrent la chambre secrète mais ne trouvèrent rien. Aucune preuve de contrebande. Et aucune trace du trésor du corsaire.

 

Les heures passaient. Il était à présent presque dix-huit heures. Le moment était venu de se diriger vers l'arrière de cette horloge du pirate. Elle allait sonner sept fois et leur permettre de sortir de cet endroit secret.

Le déclic se produisit, mais un homme apparut et entra. Le fils du patron.

Nos amis se sauvèrent, redescendant l'escalier sans bruit. Hélas ils ne trouvèrent aucun endroit pour se cacher. L'homme arriva dans la chambre secrète en boitant et les reconnut aussitôt.

- Que faites-vous là ? lança-t-il.

- Nous cherchons le trésor du pirate. On nous en a parlé.

- Et comment êtes-vous entrés ?

- Je vous ai vu la nuit, déguisé en fantôme, avoua Christine. Vous avez disparu dans l'horloge.

- Nous avons même cru un moment que vous faisiez de la contrebande, à l'aide de votre phare, placé près de la fenêtre, ajouta Mathieu.

- Je ne suis pas un voleur, déclara le fils du patron de l'hôtel. Je vais vous confier mon secret, mais je vous demande de me promettre de ne pas en parler à mon père.

L'homme se tut un instant.

- Je viens ici la nuit et parfois le jour pour rencontrer mon amoureuse. Elle habite un village de pêcheurs là-bas, sur l'île, dit-il. On la distingue à peine. Je communique avec mon amie à l'aide de ce phare qu'elle voit quand je l'allume. Alors, elle monte sur son bateau et vient me rejoindre. Hélas, mon père ne veut pas que nous nous fréquentions.

Nos amis écoutaient en silence, très impressionnés.

- J'ai découvert cet endroit secret arrangé autrefois par Ourck le corsaire. Mais je n'ai jamais trouvé ici le moindre trésor. Je doute d'ailleurs qu'il existe.

- Nous ne sommes pas des rapporteurs, affirma Mathieu. Nous garderons votre secret. Mais mes parents vont commencer à s'inquiéter si nous ne quittons pas ce lieu.

- Je vais vous ouvrir, dit l'homme.

- Il faut attendre vingt et une heures, murmura Christine.

- Non, il suffit de dérégler l'horloge. Le mécanisme se trouve de ce côté-ci. Je vais déplacer l'aiguille des heures et l'avancer de trois heures. Elle sonnera deux fois. Personne ne s'en apercevra. Vous sortirez puis je replacerai l'aiguille des heures sur dix-huit heures. Venez, suivez-moi.

Nos amis rejoignirent les parents de Mathieu. Ils ne posèrent aucune question, pensant que les enfants revenaient du parc qui entoure le château et surplombe la mer.

 

Il restait le mystère du trésor...  

- Mathieu, j'ai une idée, lança soudain son amie.

Ils se baladaient, le lendemain, sur un sentier au sommet de la falaise.

- Écoute. Tu te souviens de ce cadran solaire, situé dans la cour du château, à l'ombre des murs ?

- Oui.

- On a pensé que placé à cet endroit, il ne sert à rien.

- Je me rappelle.

- Des oiseaux peints le décorent. Les mêmes que ceux qu'on voit sur le cadran de l'horloge du hall. Je pense qu'il existe un lien entre eux.

- Je ne comprends pas, fit le garçon.

- Sur une horloge, reprit son amie, le chiffre 12 est situé en haut. Le 6 est en bas. Le 3 à droite et le 9 à gauche. 

- On pourrait dire, compléta Mathieu, que le 12 indique le Nord, le 6 le Sud.

- Oui, fit Christine. Et le 9 se trouve à l'Ouest et le 3 à l'Est.

- Je ne comprends toujours pas où tu veux en venir.

- Tu te souviens que cette cour intérieure est dallée. Des pavés carrés d'environ vingt centimètres de côté.

- Oui, tu as raison.

- Eh bien je pense que le trésor se trouve caché sous l'un d'eux.

- Lequel ? Il y en a des centaines.

- Les sonneries de l'horloge, qui semblent un peu folles, nous l'indiquent.

- Comment ça ? fit le garçon.

- L'horloge sonne neuf fois à trois heures, puis sept fois à six heures, puis deux fois à neuf heures, puis cinq fois à midi ou minuit.

- J'ai compris, cria Mathieu. On part du pied du cadran. On compte neuf pavés vers la droite, trois heures indique l'Est. Puis sept vers le bas, six heures, le Sud.

- Oui, continua Christine. Puis on en compte deux vers la gauche, l'Ouest. Et enfin, cinq vers le haut, vers le Nord. Et le trésor est sous ce pavé-là.

- Si tu as vu juste, dit le garçon en souriant, tu es géniale !

Ils se précipitèrent dans la cour.

Ce fut presque comme au jeu de la marelle.

Il restait à réussir à soulever le pavé repéré à partir de leurs calculs.

 

Ils empruntèrent une barre de fer pour ôter la terre et la mousse verte qui poussait entre les dalles. Ils la grattèrent. 

Puis s'aidant de la barre comme d'un pied-de-biche, ils soulevèrent le fameux pavé. 

Un espace apparut, au fond duquel se trouvait un coffret en bois vernis.

- Le trésor ! lança Christine.

Se mettant à quatre pattes, ils sortirent la boîte.

Elle leur parut bien légère...

Notre amie ouvrit le canif qu'elle tient toujours dans la poche de sa salopette. Elle glissa la lame dans la fente entre le bord et le couvercle.

Un craquement se produisit.

Ils levèrent le couvercle du coffret.

Il contenait un rouleau de papier, un parchemin.

Ils le déroulèrent doucement, pour ne pas le déchirer.

Un texte écrit à la main apparut.

Bonjour. De moi, Ourck le corsaire à toi, chercheur de trésor, salu. Tu ne trouvera pas de tréssor ici dans ce châtau. J'ai caché mon or et mes pierre précieuses ailleurs. Sur une île. tu ne les trouveras pas.

Je t'atends en enfer, viens m'y rejoindre,

Ourck, corser du roi.

 

- Et zut, fit Mathieu. Pourtant j'y avais cru à ce trésor.

- Moi aussi, murmura Christine, un peu déçue. En plus, je crois que ce pirate n'est pas allé longtemps à l'école. Son texte est plein de fautes.

Les deux amis confièrent le parchemin au patron de l'hôtel. Il les félicita chaleureusement, et conserva avec soin le précieux document. Il est placé dans une vitrine dans un salon de l'hôtel, où on peut venir l'admirer.