Les Pierres blanches
Caroline et Rivière d'Étoiles habitent à présent la ville de Blanding. Les parents de Caroline y tiennent un hôtel. Ça marche bien, il y vient beaucoup de clients. Les parents de Rivière d'Étoiles ont ouvert leur grand magasin juste en face et vendent toutes sortes d'objets d'artisanat autochtone intéressants et de belle qualité. Les deux amies se voient tous les jours.
Un soir, elles projetèrent de passer le week-end dans l'ancienne habitation de Caroline. Tu le sais, je te l'ai expliqué, elle se trouve dans la montagne. Il faut parcourir d'abord un long trajet au creux d'une vallée sèche (sauf en temps d'orage) et puis grimper à travers les bois et passer entre les roches escarpées. (Découvre ou relis les épisodes précédents.)
Caroline demanda l'autorisation à ses parents. Ils la lui accordèrent, mais prévinrent leur fille des dangers de cette expédition. En effet, les deux amies risquaient de trouver la petite maison bien changée. Elle était à l'abandon depuis plusieurs mois.
Par les vitres brisées ou la porte arrachée, des animaux avaient pu s'installer là: des grands, comme des ours ou des petits comme des araignées, des scorpions, des serpents. D'autre part, le risque existait de rencontrer des squatters ou des bandits recherchés par la police et qui profitent des maisons abandonnées, vides, isolées, pour s'y cacher quelque temps.
Tu connais nos deux amies. Elles n'ont pas froid aux yeux. Elles campèrent sur leur projet. Elle prirent en compte ces avertissements, mais ils n'eurent pas raison de leur audace.
Elles emmenèrent chacune un sac à dos avec de la nourriture pour le samedi et le dimanche, plus un sac de couchage. Un vieux short, un t-shirt et des baskets, les voilà parties pour la grande aventure.
Elles suivirent d'abord le chemin d'autrefois. Que d'émotions en marchant dans la vallée sèche, en passant en équilibre sur le tronc d'arbre tant de fois enjambé en tenant un petit frère et une petite sœur par la main pour aller à l'école.
Elles reconnurent l'endroit du grand tournant où elles aperçurent un soir d'orage une voiture qui avait dérapé et dont elles avaient sauvé la vie du conducteur. La carcasse rouillait à présent au fond de la vallée.
Puis elles escaladèrent, par un étroit sentier, les éboulis de rochers de la haute colline où se trouve la maison de notre amie.
La demeure principale semblait intacte. Les quatre petits chalets de l'hôtel qui autrefois servaient pour loger les clients de papa et maman, les quatre cabins comme on dit là-bas, paraissaient en meilleur état encore. La porte de la maison principale, par contre, était entrouverte.
Averties de se montrer prudentes, elles s'approchèrent, frappèrent, appelèrent. Personne ne répondit. Elles entrèrent. Elles parcoururent les pièces de séjour vides. L'ancien salon et la salle à manger, la cuisine, les chambres, tout était envahi de toiles d'araignées, de poussière.
Elles découvrirent cependant plusieurs couvertures posées sur le sol et un sac de couchage déchiré. Quelqu'un avait passé la nuit là, squattant la maison. Il risquait de revenir. Peut-être même se cachait-il quelque part…
Elles ressortirent et se dirigèrent vers les petits chalets. Les portes étaient fermées. Ils parurent vides et propres. Elles décidèrent de s'installer dans le quatrième, le plus éloigné du bâtiment principal. Là, sans doute, elles dormiraient en paix. Personne ne viendrait les déranger la nuit. Elles y posèrent leurs sacs à dos, déroulèrent leurs sacs de couchage.
Juste à ce moment-là, elles virent passer une femme amérindienne et deux petits enfants. L'aîné semblait avoir trois ou quatre ans, l'autre était encore un bébé. Elle entra dans la maison de Caroline.
Nos amies s’approchèrent rapidement et Caroline expliqua que la maison appartenait à ses parents.
La dame s'excusa et pria les deux copines de l'autoriser à passer la nuit là. Elle paraissait très inquiète. Elle assura qu'elle ne comptait pas s'installer pour longtemps. Elle venait de très loin et se rendait dans un village de l'autre côté des collines où habitaient ses parents. Elle était pauvre. Accompagnée par trois petits enfants, et surprise par un orage, elle faisait halte pour qu'ils s'abritent et profitent de cette maison, depuis hier.
Elle expliqua ensuite que son aîné, qui s'appelait Hyawata, âgé de cinq ans, s'était éloigné dans le bois au matin pour cueillir des baies sauvages et qu'il ne revenait pas. Elle n'était pas parvenue à le retrouver.
Nos deux amies se portèrent immédiatement volontaires pour chercher le petit garçon. Rivière d'Étoiles demanda dans quelle direction il était parti. La maman montra d'un geste vague la colline et les sapins qui la recouvraient et qui se trouvaient juste derrière les bâtiments.
-Un endroit dangereux, affirma Caroline. Tout en haut, le bois s'arrête au bord d'un précipice profond. J'espère que Hyawata n'est pas tombé dedans. Allons voir avant que la nuit nous en empêche.
Les deux fillettes quittèrent la femme qui les remerciait chaleureusement et passèrent sous les arbres. À plusieurs reprises, elles appelèrent Hyawata mais aucune réponse ne leur parvint.
Elles ne virent aucun sentier, que des ronciers. Elles s'éloignèrent l'une de l'autre, toujours en appelant le petit garçon, pour se donner plus de chances de le trouver. Elles passaient à travers les picots, les branches mortes, les arbres tombés, enjambant par-ci, visitant une petite anfractuosité par-là, observant les environs attentivement, se retournant parfois. Aucune trace du gamin.
Elles parvinrent au bord du précipice, immense faille aux falaises abruptes qui tranche la montagne en deux. La chute est vertigineuse. La rivière, souvent à sec, se situe deux cents mètres plus bas.
À quatre pattes au bord du gouffre, les deux filles observèrent la paroi de pierre. Le soleil faisait rougeoyer les roches. Elles aperçurent enfin le petit Hyawata.
Il sanglotait trois mètres plus bas, sur une sorte de promontoire naturel, un rocher en terrasse qui faisait saillie dans la falaise à pic et lui avait évité de s'écraser et de mourir au fond du précipice. Une chute minime avant d'aboutir sur cet espace plat de cinquante centimètres de large et d'un mètre de long, accroché au flanc de la falaise.
Rivière d'Étoiles appela Hyawata. Le petit garçon, couché sur le sol, se tourna lentement et regarda vers le haut, le visage plein de larmes. Du sang coulait le long de son bras droit. Il avait dû se blesser en tombant.
Il montra son genou qui lui faisait mal. Impossible pour lui de remonter. Il pensait qu'il allait mourir à cet endroit et il avait très peur parce que la nuit tombait.
-On va essayer de te tirer de là, cria Caroline.
Les deux amies observèrent la paroi rocheuse. Un véritable à-pic, une falaise verticale et lisse, sans la moindre aspérité. Rien pour s'accrocher, pour risquer de descendre et surtout de remonter avec l'enfant.
Les deux fillettes, débrouillardes, prirent rapidement une décision. Caroline irait à son ancienne maison où se trouvait la maman de Hyawata, le petit frère et le bébé. D'abord, elle rassurerait la mère et ensuite, elle reviendrait avec elle et une longue corde qu'elle avait encore quelque chance de trouver dans une remise à outils.
Pendant ce temps-là, la tâche de Rivière d'Étoiles ne serait pas mince. Il s'agirait de se coucher à plat ventre au bord du précipice et de parler au petit garçon afin qu'il reste éveillé. En effet, si Hyawata venait à s'endormir, il risquerait de bouger dans son sommeil, de tomber au fond du gouffre et d'y mourir.
-Il me faut au moins une heure... prévint Caroline. Et une autre pour revenir...
La fillette disparut dans la nuit.
Rivière d'Étoiles se tourna alors vers le gamin. À quatre pattes, au bord de la falaise, elle commença par dialoguer avec lui. Elle lui demanda où il habitait, comment était sa maison, comment s'appelaient ses petits frères, où il allait à l'école. Elle lui fit dire le nom de tous ses amis. Elle tentait de le faire parler de tout et de rien pour l'occuper et l'empêcher de dormir.
Ensuite, elle lui raconta une petite histoire, pour continuer à le tenir éveillé.
"Il était une fois une pauvre femme qui vivait seule dans la montagne avec ses trois enfants. Elle était si pauvre que souvent, après l'école, elle envoyait le plus grand, âgé pourtant seulement de sept ans, cueillir des baies sauvages pour le repas du soir.
"Or dans ce bois, poursuivit Rivière d'Étoiles qui inventait le récit au fur et à mesure qu'elle parlait, or dans ce bois, habitait un terrible voleur recherché par toutes les polices de l'Ouest. Une forte somme d'argent était promise à celui ou celle qui contribuerait à l'arrêter.
"La lune brillait déjà dans le ciel, le garçon ne revenait pas à sa maison. Il s'était en fait égaré le long de…
Malheureusement, pendant l'histoire, Hyawata assis appuyé contre la paroi rocheuse, somnolait. Sa tête oscillait lentement de gauche à droite.
Rivière d'Étoiles interrompit son récit. Elle lui lança une pierre pour le réveiller car il ne répondait déjà plus.
-Hyawata ! Tu écoutes mon histoire ?
Le petit garçon se saisit. Il se redressa.
-Regarde vers moi.
-Tu es méchante. Je le dirai à ma maman.
-Bonne idée. Dis-le lui.
Il faisait vraiment noir, à présent, mais la lune se levait.
-Il ne faut pas que tu dormes, tu comprends. Si tu dors, tu risques de bouger dans ton sommeil et de rouler dans le précipice et d'y mourir. Tu dois rester éveillé, Hyawata. Tu connais une chanson ?
Le petit garçon fit signe que oui, avec quelques larmes dans les yeux.
-Je ne te demande pas de pleurer, gronda Rivière d'Étoiles. Je veux une chanson.
Elle accompagna l'air que murmurait le petit.
-Maintenant, je vais t'en apprendre une autre.
La fillette força Hyawata à la répéter plusieurs fois. Puis elle termina la petite histoire qu'elle avait commencée. Elle finissait bien.
Elle demanda à nouveau au gamin le nom de tous ses amis, mais la fillette épuisait ses idées. Elle ne savait plus très bien que faire pour l'occuper et le tenir éveillé. Elle pensa à ses trois petites sœurs. Elle lui parla de sa famille, de son grand-père, un ancien sachem. Elle lui raconta sa vie, mais cela n'intéressait pas beaucoup le petit garçon, qui était à nouveau appuyé contre la paroi et menaçait de s'endormir.
Pendant ce temps-là, Caroline arriva à son ancienne demeure.
Immédiatement, elle appela la dame amérindienne qui se réjouit d'apprendre que son fils était en vie. Notre amie dénicha de la corde dans une soupente de la remise, derrière sa maison. Une bonne et longue corde. Elle l'empoigna, l'enroula autour de son épaule et proposa à la maman de la suivre avec le bébé dans ses bras.
Caroline prit le garçon de trois ans sur son dos, elle a l'habitude de ce geste avec ses trois petits frères, et, suivie par la mère, elle monta dans le sous-bois, dans l'obscurité totale, afin de retrouver Rivière d'Étoiles.
Elles atteignirent assez vite les grands rochers qui précèdent le précipice. Là, elle entendit la voix de son amie qui s'épuisait à tenter de faire parler Hyawata pour l'empêcher de dormir.
La maman s'approcha du précipice après avoir confié le bébé et le petit garçon à Rivière d'Étoiles qui les tenait à quelque distance. Elle parla doucement à son enfant et le rassura.
Pendant ce temps-là, Caroline repéra un tronc d'arbre sec à deux pas du gouffre. Elle y enroula la corde, serra un nœud solide et la fit glisser dans le vide. Elle aboutit à côté du petit garçon.
-Prends cette corde et grimpe, commanda notre amie.
Mais Hyawata était incapable de faire l'escalade. Alors, la fillette descendit en rappel le long de la paroi de la falaise de deux cents mètres de haut et aboutit près du petit. Elle préférait ne pas regarder vers le bas. Cela faisait trop peur.
Elle fit un solide nœud sous les épaules du garçon et cria à Rivière d'Étoiles et à la maman de tirer sur la corde. Ainsi Hyawata quitta son refuge et parvint au bord de la falaise. Il put embrasser sa mère.
Immédiatement, Rivière d'Étoiles renvoya la corde à son amie qui grimpa avec force et souplesse, les pieds contre la falaise, et réussit rapidement à atteindre le bord.
Tous redescendirent vers l'habitation de Caroline.
Les deux copines allaient se diriger vers un des chalets quand la maman leur proposa de s'asseoir près d'elle un instant.
-Je veux vous remercier d'avoir sauvé mon petit garçon. Je vous trouve formidables. Je voudrais vous faire plaisir pour votre gentillesse et votre courage. Je crois savoir comment vous récompenser. Mon mari était un homme-médecine. Je vais vous révéler le lieu secret où l'on trouve les extraordinaires pierres blanches dont certains se servent pour leur magie.
"Autrefois, quelques peuplades possédaient une ou deux pierres blanches sacrées. Seuls l'homme-médecine et le sachem pouvaient en disposer. Leur caractéristique exceptionnelle, leur étrange pouvoir, consistait à refroidir dans le feu.
"Certains prétendent que ces pierres viennent de la lune ou des étoiles. D'autres affirment qu'elles proviennent du centre de la terre. Un volcan les aurait crachées au cours d'une éruption. Les peuplades du Nord, par contre, croient que leurs ancêtres les reçurent du grand Manitou lui-même.
La maman des petits garçons savait où trouver ces pierres fascinantes. Elle évoqua un endroit isolé, secret, mais accessible à ces filles courageuses.
Elle décrivit en détail la montagne et le plateau couvert d'herbes et entouré de roches d'environ trente à cinquante mètres de haut. Un lieu où sifflent des vents violents et où le soleil frappe comme sur une enclume.
-Au Sud de cet étrange plateau, vous découvrirez une crevasse. On peut y descendre. Vous chercherez une sorte d'escalier en pierre. Empruntez-le. Là commence un passage étroit. Le sol est de sable. Un canyon aux parois lisses, tellement étroit qu'on ne peut passer que l'un derrière l'autre, en file, et encore, tout juste.
Cette description rappela à nos amies leur aventure de Peakaboo. (Découvre ou relis l'épisode N°5).
-Au fond de cette crevasse, vous verrez à gauche comme à droite des fentes encore plus étroites mais dans lesquelles on peut se glisser. L'une d'elles, la deuxième vers la droite, est un peu plus large. Empruntez-la et vous atteindrez un cul-de-sac. Les pierres blanches se trouvent à cet endroit, enfuies dans le sable.
"En entrant comme en sortant de ce canyon, ajouta la maman, vous risquez de rencontrer le gardien solitaire de ce lieu. Il suffit de lui dire le mot de passe : Kaibito-Kayenta.
Caroline et son amie répétèrent trois fois le mot étrange afin de ne pas l'oublier.
-Je sais, lança Rivière d'Étoiles, ce sont des noms de villes.
Elles remercièrent la mère d'Hyawata, puis, après s'être toutes les trois embrassées, les deux copines se retirèrent dans le quatrième chalet. Elles bavardèrent encore un peu et passèrent ensuite une excellente nuit.
Le lendemain matin, quand elles se levèrent, la maman et les trois petits garçons étaient partis. La maison de Caroline était vide. Les deux amies jouèrent un peu aux alentours puis reprirent le long chemin vers la vallée sèche et la grand-route vers Blanding. Demain, lundi, elles allaient retrouver l'école.
Trois week-ends plus tard, elles décidèrent, et obtinrent l'accord des parents, de pouvoir se rendre vers l'étrange plateau décrit par la dame.
Rivière d'Étoiles en avait parlé à son grand-père. Celui-ci prétendit que ces pierres demeuraient une légende. Il ajouta qu'il était bien possible que nos deux filles trouvent des roches blanches dans la crevasse du canyon qu'elles comptaient visiter, mais peut-être pas ces pierres sacrées. Lui-même n'en avait jamais vu.
Caroline et Rivière d'Étoiles partirent, emportant un sac à dos chacune.
Elles suivirent une longue piste sous une chaleur étouffante et desséchante. Heureusement, elles emmenaient beaucoup d'eau dans leurs gourdes.
Il leur fallut ensuite progresser sous le soleil un très long moment, jusque dans une vallée jonchée de grands rochers bleu ciel. Une marche bien difficile sur ces pierres glissantes et ce sable très chaud, sous la chaleur incroyable. L'air brûlant demeurait immobile dans ce canyon.
Enfin, elles repérèrent l'endroit où elle devaient grimper le long d'une falaise abrupte et quitter cet enfer.
Elles entrèrent ainsi sur un grand plateau entouré d'aiguilles rocheuses. Le spectacle devint impressionnant. Une grande plaine plate couverte de sable et brûlée de soleil. Rien ne pousse à part quelques herbes aux pointes piquantes. Quelques rares arbres rabougris foudroyés pour la plupart ne présentaient plus que des troncs desséchés tendus vers le ciel, comme un cri de désespoir.
Caroline et Rivière d'Étoiles traversèrent cet espace. Vers midi elles parvinrent au bord d'une crevasse. Une fente étroite au sol irrégulier en escalier permettait de descendre au sein de celle-ci. Là, au fond, le vent s'engouffrait et une agréable fraîcheur rafraîchit nos amies dans l'ombre où elles progressaient maintenant.
Elles ne virent pas de gardien solitaire. Elles comptèrent un premier passage latéral et aperçurent le second, en effet un peu plus large que l'autre. Elles y entrèrent mais furent obligées d'abandonner leurs sacs à dos, tant la passe était serrée. Les parois rocheuses devenaient tellement étroites qu'il fallait littéralement se faufiler en se mettant de profil.
Enfin, elles parvinrent à un endroit où cela s'élargissait en un cul-de-sac et là, par terre, se trouvaient quelques pierres blanches arrondies.
Ne pouvant allumer un feu pour vérifier leurs propriétés, elles décidèrent d'en prendre deux chacune. Elles les glissèrent dans les poches de leur jeans, ou salopette pour Rivière d'Étoiles, puis revinrent doucement par le passage étroit, reprirent leurs sacs à dos et burent de grandes gorgées d'eau de leurs gourdes. Elles en profitèrent pour avaler un fruit.
Avant de repartir, elles décidèrent, trop curieuses peut-être, d'explorer la suite de ce mystérieux canyon. Ainsi elles rencontrèrent, un peu plus loin, le fameux gardien. Celui-ci leur demanda sévèrement ce qu'elles faisaient là.
-Vous vous trouvez dans un endroit sacré et interdit, déclara-t-il.
Rivière d'Étoiles précisa d'abord sa qualité d'Amérindienne. Elle évoqua son grand-père, un ancien sachem. Cela n'eut aucun effet sur le gardien solitaire qui leur demanda le mot de passe. Malheureusement, impressionnées par leur rencontre, ni l'une, ni l'autre ne s'en rappelaient.
Et toi tu t'en souviens?
Rivière d'Étoiles raconta au gardien solitaire la rencontre avec la femme amérindienne, et ce qu'elles avaient entrepris pour sauver le petit Hyawata. Cela n'émut pas non plus le vieil homme. Il donnait l'impression de ne pas croire un mot de ce que racontaient nos amies.
-Puisque vous ne connaissez pas le mot de passe, vous allez passer une épreuve.
Il souffla trois fois dans un long tube creux et un long serpent à sonnettes s'approcha.
Nos amies, terrifiées, se tenaient l'une à l'autre.
-Voilà mon plus fidèle compagnon. Lui sait discerner les menteurs de ceux qui disent la vérité. Vous allez vous glisser dans la crevasse qui se trouve là, à votre gauche. Elle se termine en cul-de-sac, un petit espace rond, situé à cent mètres. J'envoie mon serpent dans cinq minutes dans ce même passage. Il avancera vers vous. Si vous parvenez à revenir ici sans qu'il vous morde, j'en conclurai que le grand manitou vous protège. Sinon vous mourrez dans le canyon. La morsure de mon serpent est mortelle.
Caroline et Rivière d'Étoiles, le cœur battant, affolées, s'avancèrent dans l'étroit canyon. Elles aboutirent, après cent mètres, dans un espace rond et sombre.
Impossible d'escalader le mur de roches qui les entouraient. Elles envisagèrent de grimper un peu et tenter d'éviter le serpent, en s'appuyant contre une des parois lisses et en calant leurs pieds sur le mur en face. Une idée très audacieuse. Mais le serpent risquait de rester longtemps en-dessous d'elles.
Rivière d'Étoiles proposa alors d'essayer de lancer des pierres sur l'animal pour l'assommer ou le chasser. L'opération semblait facile, surtout depuis le sol du cul-de-sac jonché de cailloux de différentes tailles.
Le serpent arriva assez vite. La fillette lança une pierre bien ronde, mais elle ne toucha pas le corps de l'animal. Elle roula un peu plus loin. Le serpent, attiré par les chocs causés par les rebonds du caillou en ricochant sur le sol, fit demi-tour et repartit vers la sortie de la crevasse.
Les deux amies se rappelèrent alors que ces reptiles voient très mal mais sont sensibles aux vibrations. Elles lancèrent d'autres pierres, pas sur le serpent mais devant lui, afin de l'encourager à s'éloigner. Puis elles le suivirent à distance.
Elles arrivèrent près du gardien solitaire. Elles avaient réussi l'épreuve. Le serpent disparut dans une fente. L'homme félicita les deux filles et les autorisa à emporter chacune une pierre blanche.
Elles lui rendirent toutes deux leur seconde, puis ressortirent de l'étroit passage.
Elles retraversèrent le plateau aux arbres foudroyés, descendirent dans la vallée aux roches bleu ciel, étouffante de chaleur comme tantôt, et revinrent vers Blanding à leur aise.
Quelques jours plus tard, elles eurent l'occasion de placer les pierres dans les braises d'un feu de bois. Rivière d’Étoiles osa toucher la sienne du bout du doigt, quitte à se brûler, et elle constata que sa pierre restait froide.
Pourquoi ces pierres ne chauffent-elles pas dans le feu? Je ne sais te répondre. Je n'en ai jamais tenu en main. On en parle, là-bas, dans l'Ouest, comme d'une légende, venue des déserts de cactus et de sables. Mais les légendes se basent souvent sur un fait bien réel…