Caroline & Rivière d'étoiles
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Rivière d'Étoiles et Caroline

     Devil's Canyon, près de Blanding, USA. Aujourd'hui.

Devil's Canyon est le nom d'une vallée au fond de laquelle coule une rivière, quand il pleut, surtout en hiver et au printemps. En été, son lit desséché laisse apparaître du sable brûlant parsemé de cailloux. Encombré à certains endroits de troncs d'arbres et jonché de terres éboulées, il est parsemé de creux appelés tanks, où une eau sale croupit en attendant les prochaines pluies.

Plus haut, dans la montagne, habite Rivière d'Étoiles, agée de dix ans, et entourée de trois petites sœurs. Elles portent de très jolis noms, comme elle. Nicole-Chelly, huit ans, Bouton d'or, six ans et Poisson d'argent, trois ans.

Rivière d'Étoiles. Tu la verras souvent vêtue d'une salopette en jean bleu. Ses cheveux tout noirs sont divisés en deux longues tresses très jolies qui bordent son visage. Elle vit avec sa famille et sa tribu dans ces hautes collines boisées dont l'accès est rendu difficile, car la seule route, en terre, qui y mène, semble plutôt une piste à peine ébauchée.

Pour aller à l'école elle doit d'abord suivre dix à quinze minutes un sentier étroit qui descend entre les sapins et aboutit au lit de sable et de roches du torrent sec le plus souvent. Puis elle marche environ trente minutes sur le sol encombré et mouvant de la rivière. Elle parvient alors à la grand route. Là, elle monte dans un bus qui conduit les enfants à Blanding. Il reste trente minutes de route avec les copains et les copines.

Près d'une heure trente pour aller en classe le matin, comme le soir pour en revenir, dont une heure de marche, avec les deux plus grandes de ses petites sœurs...

Caroline a aussi dix ans et trois petits frères. Timothy, huit ans, Geoffrey, six ans et Patrick, trois ans. Elle vit avec ses parents dans la montagne également. Tu la verras souvent en jean l'hiver ou en short l'été, un t-shirt, sa veste s'il fait froid et ses baskets. Elle porte des habits de garçon, car ils serviront aux petits frères ensuite. Elle a par contre une longue queue de cheval qui serre ses cheveux bruns et tombe jusqu'au bas de son dos.

Ils habitent une petite maison en bois le long d'une route en terre. Plusieurs cabines comme on dit là-bas, plusieurs petits chalets, entourent l'habitation, pour les clients. Le papa rêve d'en faire un véritable hôtel, mais, malheureusement, pour l'instant les clients se font attendre. La route en terre décourage les gens qui l'empruntent, mais plus tard, cette piste deviendra une grand route, paraît-il, et à ce moment-là, le commerce suivra...

Il y a plus d'enfants que de richesse chez Caroline, mais ne la crois pas malheureuse, pas du tout. Elle se sent riche dans la nature qui l'entoure et vit heureuse près de ses parents. Leur amour remplace l'argent. Pas d'électricité à la maison, donc pas de télévision. On prend les repas dehors, en été. Maman cuisine sur le feu de bois...Notre amie aime sa vie aventureuse.

Le matin, Caroline s'en va à l'école en tenant ses deux petits frères, Timothy et Geoffrey, par la main, Patrick est encore trop petit. Elle suit, dix à quinze minutes, un étroit sentier entre les roches rouges et les ronciers de mûres sauvages. Elle retrouve Rivière d'Étoiles au torrent sec. L'une attend l'autre.

Elles vont ensemble avec les petits frères et les petites sœurs, riant et bavardant sur le sable et les cailloux du lit desséché de la rivière, sautant d'une pierre à l'autre, enjambant un tronc d'arbre, et, parfois, contournant plusieurs grandes flaques d'eau qui miroitent au soleil.

Tous arrivent enfin à la grand route. Quelques minutes d'attente et ils montent dans un de ces bus jaunes qu'on appelle school-bus. Au soir, ils refont tout en sens inverse.

Quand il y a de l'orage, le wash, c'est à dire le torrent, se remplit d'eau et de boue en quelques minutes. Remonter vers le village des Amérindiens ou vers le futur hôtel des parents de Caroline devient alors impossible.

Ces jours-là, la tante Esther, une vieille demoiselle autoritaire, les accueille tous les six à Blanding, près de l'école. Elle les fait travailler dur. Nettoyer les caves ou le grenier, laver la maison, cirer le parquet, couper les haies ou l'herbe du jardin. Ça dépend du temps et de son humeur. Elle trouve toujours quelque chose à faire. Il faut que les filles apprennent à tenir un ménage, affirme-t-elle, sévère et impitoyable. Plus tard, elles devront gérer une maison, dit-elle pour se justifier.

Nos amies l'évitent tant qu'elles le peuvent... mieux vaut revenir toutes trempées de pluie à la maison.


Un vendredi, à la sortie de l'école, les six enfants regardèrent le ciel avec inquiétude. L'orage menaçait. Oui, mais on était à la veille du weekend. Les aînées ne voulaient surtout pas passer la soirée à écouter bavarder tante Esther et puis la journée du lendemain à nettoyer pour elle. Elles montèrent dans le bus, malgré le regard craintif et anxieux des plus jeunes, obligés de suivre les grandes sœurs.

Quand le bus les posa à l'entrée de la vallée, ils se précipitèrent sur le sol encore asséché de la rivière. Tous marchaient d'un bon pas, le cartable au dos. Ils arrivèrent pas loin de l'endroit où les deux familles se séparent et grimpent chacune de son côté, en direction de leur habitation. Ce passage, très encaissé laisse apercevoir, une bonne quinzaine de mètres plus haut, une route en terre qui surplombe la vallée.

Une voiture venait de déraper et de glisser de plusieurs mètres. Elle était accrochée au flanc de la falaise, le capot défoncé, contre un arbre qui l'empêchait de descendre plus bas pour le moment.

Les enfants aperçurent la tête d'un homme contre le pare-brise éclaté.

Sans hésiter une seconde et interdisant aux petits de les suivre, nos amies décidèrent d'aller le secourir. Juste à ce moment, les premières gouttes de l'orage annoncé se mirent à tomber, ces grosses gouttes qui éclatent au sol et mouillent ici et là, les pierres, le sable, les feuilles mortes.

Grimper le long de cette paroi presque à pic ne fut pas facile. Il fallut s'accrocher ici à un rocher, là aux racines d'un arbre, puis à une branche, éviter les plantes piquantes et les ronces. Les deux amies progressèrent lentement, testant la solidité de chaque racine et de chaque pierre avant de s'y fixer pour ne pas dégringoler. Les petits observaient et admiraient le courage, l'audace et l'agilité des grandes sœurs.

Enfin, elles parvinrent au véhicule. L'homme semblait évanoui. Elles l'appelèrent. Il ouvrit les yeux. Les gouttes de pluie tombaient maintenant de plus en plus serrées et l'orage grondait sa colère et sa violence.

-Venez monsieur. Il faut sortir de votre auto. On va vous conduire à l'hôpital. Vous ne pouvez pas rester là. La voiture risque de glisser et de tomber dans le précipice, à cause de la tempête.

Le conducteur souffrait d'une ou deux côtes cassées. Il sortit péniblement de sa voiture. Chaque mouvement lui arrachait un cri. À chaque instant, ses déplacements risquaient de déstabiliser le véhicule.

Les filles envisagèrent un moment de faire venir les petits et de remonter le blessé jusqu'à la route. Elle conduit bien sûr chez les parents de Caroline, mais cette piste serpente dans la vallée et en épouse chaque courbe et chaque relief. Il restait encore bien quatorze kilomètres à marcher, sous l'orage qui devenait de plus en plus violent...

Après réflexion, elles décidèrent de se dépêcher de redescendre avec le blessé vers le lit de la rivière. Il ne tarderait pas à devenir impraticable à cause de la boue qui se formait peu à peu sous la pluie battante. En tournant assez vite vers la droite, elles pourraient suivre un sentier qui mène vers la maison du vieux Chesler.

C'est une cabane en rondins, avec une étable juste à côté, abandonnée depuis près de vingt ans. II paraît cependant qu'une famille l'occupa quelque mois avant de repartir vers l'Ouest. 

Les filles, les garçons, et leur protégé arrivèrent bien trempés à la maison du vieux Chesler. La pluie, violente, tambourinait sur les têtes et les épaules et coulait le long des cheveux. Les habits étaient lourds et collaient à la peau. La foudre et les éclairs encourageaient à grand fracas la tempête à s'acharner sur ses victimes qui grelottaient déjà de froid.

Ils entrèrent à l'intérieur de l'abri. Rivière d'Étoiles avec Nicole-Chelly et Bouton d'or, Caroline avec Timothy et Geoffrey et le blessé bien sûr. Celui-ci se laissa aussitôt glisser le long de la paroi de bois et s'assit sur le sol sale et poussiéreux de la baraque abandonnée et vide.  

La pluie tombant à torrent crépitait sur le toit du vieux chalet. Des éclairs illuminaient régulièrement la pièce envahie par quelques toiles d'araignées. Les coups de tonnerre retentissaient et surprenaient par leur force. 

Plusieurs fois, les filles se demandèrent avec anxiété si la maison allait encore tenir une nuit ou si leur abri risquait de s'écrouler sur eux.

La poussière, les toiles d'araignée, une petite odeur de renfermé et quelques moisissures, régnaient dans la pièce entre les murs et le plancher de bois. On accédait à l'étable jouxtant la salle par une étroite porte-fenêtre ouverte. Elle était vide.

Les petites sœurs de Rivière d'Étoiles réclamèrent leur souper. Les petits frères de Caroline aussi. Les deux aînées avaient faim également. Caroline prit Timothy et Geoffrey par la main et leur expliqua qu'on n'aurait rien à manger ce soir. II fallait déjà être bien content d'être à l'abri de la pluie. On dormirait ici par terre et demain matin, on retrouverait papa et maman, le petit frère Patrick, et un bon petit-déjeuner.

-Il a de la chance, lui, murmura Geoffrey. Il n'a pas besoin d'aller à l'école. Il ne doit pas marcher tous les matins et tous les soirs et puis il reçoit ses biberons.

-Tu es bien trop grand pour prendre un biberon, Geoffrey, sourit la grande sœur.

-Je suis peut-être trop grand pour prendre un biberon mais je le boirais bien si on me le donnait. Et c'est ta faute si on a faim et froid. On n'avait qu'à aller chez tante Esther.

Caroline ne répondit rien.

Rivière d'Étoiles et ses petites sœurs avaient faim aussi. Notre amie amérindienne leur parla à sa manière. Elle leur expliqua qu'ils font partie de la tribu des Anasasis et doivent donc être courageux. Les enfants Anasasis ne se plaignent ni d'avoir faim ni d'avoir soif ni d'être fatigués. Les petites sœurs devaient se montrer dignes de leurs courageux ancêtres.

Caroline regarda son amie et lui sourit tandis que l'autre, fièrement, lui rendit son regard. L'homme les écoutait parler mais il souffrait apparemment trop pour pouvoir participer à leur conversation.

-On a échappé à tante Esther, se réjouit Caroline. Et nos parents ne sont pas inquiets. Ils nous croient en sécurité à Blanding.

Les plus petits se couchèrent à même le sol, sans couverture, sans matelas, sans rien. Ils s'endormirent assez vite.

Les deux aînées, Caroline et Rivière d'Étoiles, firent connaissance de manière un peu plus approfondie avec leur protégé. Celui-ci expliqua son métier de prospecteur. Il cherchait des endroits où l'on pouvait trouver du pétrole. II évoqua ses interminables pérégrinations sur les piste de l'Ouest.

Les filles parlèrent de leur vie, de l'école, de leurs espoirs. Ce qu'elles voulaient faire, plus tard, les voyages et les grandes villes dont elles rêvaient.

Puis elles se couchèrent près des petits. Ces enfants ont la vie dure et dormir par terre sur des planches, ne les gêne pas. Ils ne connaissent pas le confort et ne sont guère douillets. Les deux amies fermèrent les yeux et s'endormirent à leur tour.

La pluie diminuait un petit peu mais le vent soufflait encore fort, tordant les branches des arbres. On entendait siffler les sapins.


Soudain au milieu de la nuit, Caroline s'éveilla en sursaut. Elle venait d'entendre des grincements, des bruits de bois qui gémit. En plus, la pluie revenait en force à certains moments et tambourinait sur le toit. Les bourrasques se succédaient, violentes.

Soudain, ce fut un terrible craquement. Rivière d'Étoiles ouvrit les yeux à son tour. Elles regardèrent vers la porte qui séparait les deux pièces de la maison du vieux Chesler. Le bâtiment jouxtant le chalet, l'étable, s'était affaissé. Plusieurs planches du sol venaient de se soulever.

À la lueur de la lune qui se montrait parfois entre les nuages, les deux amies aperçurent quelque chose qui luisait sous le plancher arraché à l'instant.

Elles se levèrent et regardèrent le blessé. Il semblait endormi. Les quatre petits, Timothy, Geoffrey, Nicole-Chelly et Bouton d'or dormaient également.

Les deux amies franchirent l'étroit passage et réussirent à entrer dans la pièce voisine par l'ouverture. Là, sous les planches disjointes, elles aperçurent une sorte de petit coffret en bois. Elles le saisirent et revinrent en l'emportant dans la pièce où reposaient les autres.

Caroline sortit un canif de la poche de son jean. Elle glissa la lame pointue et luisante au reflet de la lune entre les fentes de la boîte et n'eut guère de difficulté à l'ouvrir. II contenait une petite poupée fort mignonne et une lettre adressée à une fille qui s'appelait Alice.

-Chère Alice. Nous partons en Californie mes parents, mon frère et moi. Je n'ai pas le temps de passer chez toi. Je laisse ta poupée dans la boîte avec ce message. Tu connais la cachette sous le plancher et je suis certaine que tu viendras aux nouvelles. Concernant notre secret, va à Butlewash et pénètre dans la kiva. Il y en avait quatre. Je t'en laisse deux. Ben et moi on emporte les deux autres. J'espère te revoir un jour... Je t'embrasse. Ton amie, Mary. (et Ruben).

Caroline regarda Rivière d'Étoiles et Rivière d'Étoiles regarda Caroline.

-Que veut dire Mary "concernant le secret" ? Et Butlewash ? Que signifie ce mot ?

-Je ne connais pas ce nom, chuchota Rivière d'Étoiles.

-Et une kiva? demanda Caroline.

-Une kiva, c'est un trou que les Amérindiens d'autrefois creusaient dans le sol des grottes où ils habitaient, une sorte de cave. Ils y entreposaient de la nourriture ou de l'eau.

-"Il y en avait quatre", songea tout haut notre amie. "Il en reste deux". Serait-ce un trésor ?

Le blessé remua un peu.

En fait il ne dormait pas. II écoutait les filles. II les observa remettre la poupée dans la boîte, ainsi que la lettre. Elles gardèrent le coffret près d'elles et elles s'endormirent.

L'homme ne faisait que somnoler, à cause de la douleur aux côtes. Il rampa vers les deux amies et lut la lettre de Mary à son tour. Puis il resta songeur.

-Ces deux gamines ont découvert quelque chose. Où se trouve Butlewash ? "Il y en avait quatre...il en reste deux..." De l'or ? Un trésor amérindien ? Je pourrais m'en emparer. Je ne devrais plus passer mon temps à prospecter ces lieux perdus et risquer ma vie le long de ces routes hasardeuses. Il faut que je tienne ces deux filles à l'œil. Je dois gagner leur confiance. Elles me mèneront au trésor sans se méfier. 


Le lendemain, le soleil brillait radieux. Il ferait vite chaud. Les six enfants se levèrent ainsi que le blessé. Il semblait capable de marcher. Tous redescendirent, le ventre vide, par le petit sentier jusqu'au fond de la vallée déjà à moitié asséchée, à l'exception de grandes flaques d'eau.

Caroline proposa au prospecteur de l'accompagner jusque chez ses parents. Elle expliqua qu'ils tenaient un petit hôtel et qu'il pourrait y loger quelques jours et s'y soigner. Ou bien papa le conduirait avec la camionnette jusqu'à la ville de Blanding et son petit hôpital. Le malade accepta la proposition sans hésiter, songeant que cela entrait parfaitement dans ses plans.

Tous marchèrent dans le lit de la rivière et parvinrent à l'endroit où les deux sentiers se séparent. Rivières d'Etoiles promit à son amie de donner des nouvelles. Elle emporta la lettre écrite à Alice par Mary et Ruben ainsi que la petite poupée.

Caroline prenant ses petits frères par la main et suivie par le visiteur parvint à sa maison. Ses parents furent surpris de les voir arriver. Ils pensaient qu'ils se trouvaient chez tante Esther.

L'homme s'installa une semaine dans un des minis-chalets du futur hôtel et paya rubis sur ongle. Il restait beaucoup couché pour que ses blessures guérissent et il épiait Caroline qui lui apportait ses plateaux-repas. Il semblait aimable, même plaisant, pour le moment...


Le samedi suivant, le prospecteur de pétrole surprit une intéressante conversation de Rivière d'Étoiles venue saluer sa copine. Assise sous un arbre, Caroline apprit que le grand-père de son amie, un ancien sachem, connaissait l'endroit appelé Butlewash.

C'est une vaste caverne creusée dans la falaise, où les Amérindiens, autrefois, construisaient leurs abris et des systèmes de défense. Ils vivaient dans ces grottes, situées à dix ou douze mètres au-dessus d'un à-pic vertigineux et à mi-chemin dans la paroi rocheuse.

-Les Amérindiens s'abritaient souvent dans ce genre d'endroits, expliqua Rivière d'Étoiles. Ils y accédaient par des échelles. Si les ennemis venaient les attaquer, ils retiraient les échelles. Les assaillants tentaient bien de monter le long de la paroi abrupte en profitant des fissures entre les pierres et du moindre interstice mais c'était facile à ce moment-là de les repousser.

Les Amérindiens y creusaient des kivas, des sortes de caves, dans lesquelles ils entreposaient le maïs ou l'eau. Ils pouvaient ainsi soutenir un siège pendant longtemps. Butlewash est à une demi-journée de marche de Blanding. Les deux filles décidèrent d'y aller le prochain week-end. Elles partiraient à l'aube, pour éviter de marcher dans la grande chaleur de midi.


Le vendredi soir suivant, Rivière d'Étoiles vint loger chez son amie Caroline. Elles décidèrent de ne pas emmener les petits. La randonnée promettait d'être longue. Et surtout, arrivées au pied de l'anfractuosité rocheuse et des maisons amérindiennes aujourd'hui en ruines, l'escalade serait périlleuse pour les plus jeunes.

Elles marchèrent plus longtemps que prévu. Elles n'arrivèrent qu'au début de l'après-midi au pied du rocher à pic, dressé comme une falaise, dans lequel se trouvaient la caverne et les ruines. Elles laissèrent leurs sacs à dos contenant leurs gourdes et leur pique-nique sur le sol après avoir entamé leurs provisions.

-Je te conseille de retirer tes chaussures, suggéra Rivière d'Étoiles. Nous les Amérindiens, on nous apprend à grimper le long des rochers à pieds nus. On s'accroche mieux.

Caroline sourit, retira ses chaussures et les deux amies tentèrent d'escalader la paroi. Ce ne fut pas facile. Plusieurs fois, elles durent redescendre et changer d'emplacement pour trouver un endroit plus facile où poser les pieds ou s'agripper avec les mains.

Enfin elles parvinrent au bord du plateau de la grande grotte où se trouvaient les ruines des constructions des anciens. Quelques murs de pierre, pas de toit, quelques poutres. Deux kivas. L'une d'entre elles possédait une échelle. Les deux amies y descendirent.

Tu dois bien imaginer qu'une kiva ressemble à une cave, mais on n'y accède pas par un escalier. On y descend par un trou carré ou rond situé au milieu du plafond et parfois refermé par une dalle. Á cet endroit on accroche l'échelle. La lumière d'ailleurs ne passe que par cette ouverture. Impossible de sortir d'une kiva sans l'échelle. Comment veux-tu sauter jusqu'au plafond ? Même en s'aidant l'une l'autre, sortir de là sans l'échelle n'est pas envisageable.

Le tour de la kiva fut vite fait. Vide. Où se trouvait ce fameux trésor ? "Il y en avait quatre, il en reste deux..." Derrière l'une des pierres qui tapissaient le mur ? Elles cherchèrent à genou dans la poussière, en faisant glisser leurs doigts d'une brique à l'autre. 

 

Soudain, elles entendirent un petit bruit derrière elles et se retournèrent. L'échelle avait disparu. L'homme, le prospecteur, se tenait debout au bord du trou du plafond de la kiva. Il les avait suivies à distance, sans se montrer. À présent, il venait de retirer l'échelle, enfermant les filles au fond de la cave.

-Cherchez le trésor, cria-t-il. Quand vous l'aurez trouvé, vous m'appellerez. Á ce moment-là, je vous l'échangerai contre votre nourriture. Je vous rendrai votre échelle et vous pourrez retourner chez vous.

-Monsieur, s'écria Caroline, ne nous faites pas ça. Nous vous avons secouru. Nous aurions pu passer et vous laisser dans votre voiture sous l'orage. Elle aurait peu à peu glissé, puis dégringolé jusqu'au fond du précipice. Vous nous devez la vie et regardez ce que vous nous faites.

Rivière d'Étoiles se taisait. Elle pinçait ses lèvres. L'homme se montrait sous son vrai visage: mauvais, cupide, impitoyable.

-Cela ne sert à rien, Caroline. Il ne nous écoute même pas. Viens, cherchons ce trésor. 

 

Les deux amies tâtèrent longtemps les pierres. Le soir tombait à présent. Elles remarquèrent une roche de trente centimètres de large environ assez lourde et qui se descellait facilement. Elles l'ôtèrent. Derrière se trouvait une petite cachette sombre. Elles y découvrirent deux pierres étranges. Leur surface apparaissait grise en dessous et blanche et lisse au dessus. Cette surface blanche était parcourue de nombreuses lignes. Sur l'une, les lignes ondulaient harmonieuses, comme les vagues de la mer. Sur l'autre pierre des lignes bien droites, verticales ou horizontales ébauchaient un quadrillage. Les pierres tenaient à peu près dans la paume de la main. Était-ce cela le trésor ? 

Comme elles ne trouvaient rien d'autre et que la nuit tombait, elles appelèrent et réclamèrent leur sac à dos. L'homme leur répondit de continuer à chercher si elles voulaient boire ou manger.

Une fois encore, elles fouillèrent les parois et les sondèrent en les frappant les poings fermés. En vain. Elles ne trouvèrent absolument rien. Fatiguées, elles s'assirent contre le mur. Le bandit leur jeta une des gourdes. La fatigue et les émotions aidant, elles finirent par s'endormir sur le sol de la kiva.

Quand elles s'éveillèrent le lendemain matin, l'échelle était en place. L'homme était sans doute descendu dans la cave pendant qu'elles dormaient ! Elles en frissonnèrent. Il avait dû fouiller près d'elles, sans bruit. Avait-il trouvé un trésor ? Non, probablement pas.

Caroline et Rivières d'Etoiles remontèrent bien vite par l'échelle, emportant les deux pierres couvertes de lignes avec elles. Elles trouvèrent leurs sacs à dos au pied de la falaise. Elles burent et mangèrent puis se remirent en route pour retourner chez elles.


Quand Caroline revint à la maison, elle raconta immédiatement ses aventures à ses parents. Elle leur parla du prospecteur qui les avait menacées puis enfermées. Les filles ne le revirent jamais. Les papas déposèrent une plainte au bureau du shérif. Mais l'individu recherché avait disparu. Les deux amies ne connaissaient pas son nom. Il s'était sauvé vers l'Est... ou vers l'Ouest.

Le week-end suivant, Caroline se rendit au campement des Amérindiens auprès de son amie Rivière d'Étoiles. Le grand-père, le vieux sachem, les reçut et les écouta. Les deux filles lui montrèrent les deux cailloux.

II les examina avec soin, puis expliqua aux deux amies que ces pierres sont un véritable trésor. Elles appartenaient à des hommes-médecine amérindiens d'autrefois. Ces hommes-médecine s'en servaient pour deviner la personnalité des gens qui venaient les consulter.

Le vieil homme proposa à nos amies de choisir celle qu'elles préféraient. Caroline désigna celle où les lignes sont bien rectilignes et perpendiculaires les unes aux autres, le quadrillage. Rivière d'Étoiles opta pour la pierre aux formes ondulées.

-Tu es une fille logique et volontaire, Caroline, affirma le vieil homme. Tu préfères les situations claires et nettes. Ton caractère est entier et même colérique. Ça passe ou ça casse avec toi.

Notre amie souriait, car c'est vrai.

-Rivière d'Étoiles possède, elle,  une âme plus poétique, plus rêveuse. Elle apparaît peut-être plus douce, ce qui ne veut pas dire moins courageuse. Elle aime le dessin, les couleurs, les nuances, la musique. D'ailleurs elle apprend à jouer de la flûte.

Nos amies les conservèrent toujours. Chacune sa préférée, à l'image de son caractère. Ce fut leur première aventure. Elles en eurent d'autres que je te raconterai bientôt.

Découvre vite la suite de ce récit au deuxième épisode : Le coyote.